Sauver le monde par Candy Crush Saga

Question de Jane McGonigal, conceptrice de jeux vidéo : « À quoi les joueurs sont-ils bons ? ». Réponse de Toby Walsh, mathématicien, « Trouver des solutions à des problèmes de type NP-difficile ». Il serait même possible d’en tirer parti. Parlons alors conséquences. La révolution du numérique ne fait que commencer, et il va falloir trouver des réponses.

Une très sérieuse étude publiée sur arXiv par Toby Walsh montrerait que les Candy crushers sont des mathématiciens qui s’ignorent : Candy Crush is NP-hard. Selon l’auteur, pour gagner, les joueurs doivent trouver des réponses à des problèmes annotés « NP-difficile » en théorie de la complexité.

Qu’est ce qu’un problème NP-difficile

Il existe une branche des sciences qui étudie la quantité de ressources nécessaires pour la résolution de problèmes pratiques en les mettant en équation.

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Par exemple, lorsque nous utilisons un GPS, celui-ci nous propose des itinéraires. Pour une raison qui échappe totalement à cette foutue boîte qui prend un malin plaisir à perdre le signal au plus mauvais moment, nous souhaitons emprunter le chemin le plus court possible et obtenir une réponse rapide.

Voilà donc un problème, la détermination d’un itinéraire, à résoudre avec efficacité.

Pour faire simple (et probablement très approximatif), en théorie de la complexité, un problème est dit NP-complet lorsqu’on peut tester facilement la validité de toutes les réponses possibles mais qu’on ne sait pas le faire de façon économe. Plus balaise encore que les problèmes de type NP-complet : les problèmes de type NP-difficile. La simple compréhension du concept est un défi, que je ne relèverai pas.

Et Candy Crush Saga là-dedans ?

L’article de Toby Walsh démontre que certaines configurations de jeu de Candy Crush Saga peuvent être décrites par des équations qui appartiennent à la catégorie NP-difficile. Il s’agit des cas dans lesquels les joueurs doivent réaliser un score donné en un nombre limité de coups.

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Pour gagner, les joueurs doivent produire des stratégies de résolution valides. En effet, bien que la plupart du temps nous n’en ayons pas conscience, pour gagner, nous mettons au point des méthodes puis les appliquons. Que les sceptiques sur la question aillent faire un tour sur les forums de theorycrafting de World of Warcraft ou WoWWiki, puis on en reparle.

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Or les stratégies de résolution sont descriptibles à l’aide d’algorithmes, c’est à dire des formules qui permettent à un ordinateur de reproduire le comportement mis au point par le joueur.

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Le jeu vidéo est un Eden de mathématiciens qui s’ignorent

Cet article n’est pas une première. Une étude publiée en 2012 sur arXiv parvenait aux mêmes conclusions pour Mario, Donkey Kong, Zelda, Metroid et Pokémon. Celle-ci référence également des communications scientifiques sur le même type de sujet dont la plus ancienne remonte à 2004.

Un joueur qui roxe du poney à Candy Crush Saga développe donc les mêmes capacités cognitives que les développeurs lorsqu’ils suent sang et eau pour mettre au point des algorithmes. Ah ! Ça fait quand même bien plus classe dit comme ça que « espèce de no-life qui gâche ta vie et ton pognon à jouer ».

Toby Walsh va encore bien plus loin. En fin d’article, il franchit un cap.

Plusieurs millions d’heures ont été dépensées à résoudre Candy Crush. Peut-être pourrions nous en faire bon usage en dissimulant des problèmes NP-difficiles pratiques dans ces puzzles ?

Ce qui nous donne :

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Autrement dit, le jeu vidéo peut être utilisé comme une interface permettant à n’importe qui de s’amuser (travailler) à la résolution de problèmes concrets, sans aucun prérequis technique, culturel ou éducationnel.

Jouer pour changer le monde

Au delà du fait que la proposition de Toby Walsh est simplement brillantissime, elle répond à une question posée par une conceptrice de jeux vidéos à l’occasion des TED 2010. Il s’agit de séries de conférences sur « des idées qui méritent d’être diffusées ». Elles ont notamment eu comme invités Bono du groupe U2, Bill Clinton ou Tim Berners-Lee, l’inventeur du web.

En quelques mots, Jane McGonigal constate que des millions de personnes à travers la planète consacrent des milliards d’heures à jouer. Elle propose d’en tirer parti et se demande alors : « À quoi les joueurs sont-ils bons ? ».

(sous-titres français disponibles)

Les réponses qu’elle apporte à sa propre question peuvent laisser sceptique. Imaginons maintenant la même intervention dans laquelle Jane McGonigall pourrait répondre : « Les joueurs sont bons à résoudre des problèmes de mathématiques appliquées de type NP-difficile ». Ça claque là.

Merveilleux, j’achète !

Crédit illustration : 401(K) 2013, licence CC-BY-SA 2.0, disponible en partage sous FlickR
Crédit illustration : 401(K) 2013, licence CC-BY-SA 2.0, disponible en partage sous Flickr.

Oulah, que d’empressement monsieur l’industriel ! Je te comprends. Toi qui paie des cerveaux brillants à résoudre tes problèmes, la perspective d’en avoir des millions mis en réseau sous le coude pour quasi que dalle doit te sembler bien séduisante.

Seul souci, les modèles économiques basés sur le jus de cerveau reposent sur le brevet, c’est à dire un titre de propriété pour une idée.

Parlons protection des données personnelles et propriété intellectuelle

Nous offrons nos données personnelles aux quatre vents des diffuseurs de pubs qui savent en tirer une valeur marchande. Nous serions “rémunérés” à ce titre par le service offert. Admettons.

Mais qu’en serait-il de l’utilisation de solutions conçues, certes à leur insu, peu importe, par des internautes ? Peut-on accepter de livrer cette manne d’intelligence collective à des intérêts privés ? Cela pourrait mener à des situations complètement délirantes, comme devoir payer pour utiliser ce qu’on a contribué à mettre au point gratuitement.

Or, l’expérience le prouve tous les jours. Le rapport de force entre le citoyen lambda et les grosses sociétés abouti systématiquement à ce que nous nous fassions enfler tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ! Autant y réfléchir en amont.

Le droit (français) est clair quant à la paternité d’une idée

La paternité d’une idée ne peut être retirée à son ou ses concepteurs. Dans ce cas, les concepteurs s’ignorent eux-mêmes. Qui alors pour défendre ne serait-ce que leurs droits à la paternité, sans même parler de protéger leurs éventuels intérêts financiers ?

De mon point de vue, cela amène une autre question, bien plus vaste. Dans ce nouveau paradigme d’internet, peut-on continuer à traiter les idées selon une logique de propriété ? Le concept est déjà mis à mal dans tous les domaines culturels, édition, musique, cinéma. Mais alors, quel autre modèle?

On demande un informaticien pour traduire ça en bonbons colorés. Peut-être la petite Babylou, 7 ans et demi aura-t-elle une stratégie à proposer. À moins que ça ne soit pour améliorer la gestion des énergies renouvelables sur le réseau EDF !

Crédit illustration : Jane McGonigal, montage réalisé à partir d’une photo d’Alan Levine, licence CC-BY-SA.

4 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Je suis étonné qu’aucun troll n’ait commenté cet article pour dire que Candy Crush est une arnaque. Jusqu’à maintenant. Et ce n’est pas du trolling.

    Ce n’est pas l’angle de l’article, mais puisqu’il y est tout de même question de Candy Crush, mais aussi de monétisation de la pratique vidéoludique, je poste cette vidéo.

    Par ailleurs, la réflexion autour du profit tiré insidieusement par des entreprises du comportement des utilisateurs/clients me rappelle la polémique autour des captcha de Google. Google déchiffre des bouquins numérisés grâce au concours des utilisateurs de recaptcha, quand les robots n’y arrivent pas.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/ReCAPTCHA

    En réponse, certains utilisateurs faussent exprès leurs réponses (au 2e mot) pour faire la niquer à Google.

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