Cinéma : Qui a peur de Vagina Wolf ?

Interview – À 40 ans passés, Anna Margarita Albelo endosse les casquettes de réalisatrice, DJ, journaliste et militante féministe et LGBT. Son premier long-métrage de fiction “Qui a peur de Vagina Wolf ?” (sortie en salles le 19 mars) n’est pas seulement le remake lesbien de la pièce de théâtre d’Edward Albee “Who’s afraid of Virginia Woolf ?”, c’est aussi et avant tout l’histoire d’une réalisatrice vivant dans le garage d’une amie qui, le jour de ses 40 ans, n’a toujours pas réalisé le film dont elle rêvait.

Ce dimanche n’aura pas vu le soleil sans raison. Dans les couloirs des cinémas Studios de Tours, le sourire d’Anna Margarita Albelo attire toutes les bonnes humeurs. Elle est venue aujourd’hui présenter son premier long-métrage de fiction au festival Désir Désirs.

Du côté de l’organisation du festival, c’est un véritable bonheur d’accueillir un film LGBT qui respire autant de joie. Un film à l’image de sa réalisatrice. Je suis allé à sa rencontre.

La Déviation – « Qui a peur de Vagina Wolf ? » promet un film lesbien qui ne l’est finalement pas tant que ça. Pourquoi est-il aussi facile de se reconnaître dans Vagina Wolf ?

Anna Margarita Albelo – C’est un film à double tranchant. Je me suis demandée comment écrire un film qui parle à tous. Et je crois que j’ai réussi avec mon film à rester fidèle aux différentes identités de ces femmes lesbiennes et à offrir ce film au public le plus large possible.

Si tu veux, aujourd’hui, pour une réalisatrice comme moi, il s’agit de trouver sa place devant le grand public et de trouver les financements pour diffuser le film en salle et à la télévision. Toucher plus de monde, c’est aussi toucher des jeunes excentrés, en dehors des grandes villes ou de la culture.

J’ai produit ce film moi-même, en coproduction avec un producteur français. Plus de 400 personnes ont participé au financement en apportant 27.000 $. La production s’est faite de manière hybride. Pour moi c’est énorme, car ça veut dire que tous ces gens ont cru en mon scénario et en mon travail de réalisatrice. Même le simple fait d’être aujourd’hui en France est incroyable. Je n’aurais jamais pensé être distribuée. Mon plus grand désir, c’est de continuer à être intègre tout en m’adressant au grand public.

Le film met en scène deux producteurs prêts à donner 4.000 $ pour votre film avec quelques réserves : le film doit être sexy.

L’un des problèmes avec le cinéma lesbien, c’est qu’en général c’est un cinéma très sexy qui excite les hommes hétérosexuels… entre guillemets hein ! Si tu fais un film lesbien et qu’il n’y a pas de scène de cul et de belles actrices sexys, c’est difficile de trouver de l’argent. Pourtant il faut soutenir le cinéma.

Je crois qu’en France, on a très bien compris qu’il fallait soutenir le cinéma d’art et essai indépendant. Si le Centre national du cinéma ne donnait pas d’argent, on ne produirait qu’à peine 10 % de la production indépendante. Car qui donnerait cet argent ?

La sexualisation des gays et des lesbiennes est un problème.

En plus de ça, dans le film, les deux producteurs sont gays. Ce ne sont pas des hétéros qui disent “on veut voir des lesbiennes baiser”. Moi, ça fait quinze ans que je fais des films et que je parcoure les festivals LGBT. C’est la même réalité pour tous. C’est toujours du militantisme que de proposer un film lesbien intelligent qui ne parle pas forcément de cul.

Par exemple, La vie d’Adèle marche très bien et j’en suis contente car je pense que ça donne de la visibilité aux histoires lesbiennes, malgré le fait que ce film soit réalisé par un homme. Car le problème c’est que l’on regarde ces films avec ces scènes de sexe sans jamais penser que l’on pourrait faire sans. La sexualisation des gays et des lesbiennes est un problème. Je pense venir en complément à cette production. Je veux apporter un autre regard.

Est-ce que l’expérience de cette réalisatrice qui vit dans le garage d’une amie pour financer son film est l’expérience d’autres réalisateurs ?

Aux États-Unis, c’est l’histoire du cinéma indépendant depuis toujours. Même John Cassavetes a réalisé ses films indépendants de cette façon dans les années 1970 car Hollywood ne voulait pas produire ses films.

Oui, je suis le cliché de la réalisatrice qui vit dans un garage, qui veut faire un film et qui fait tout avec trois fois rien. Malgré le peu d’argent qu’on avait, on désirait tout de même une production de la plus grande qualité possible. Je ne voulais pas qu’on dise “Ah ! Encore un film lesbien fabriqué avec deux bouts de ficelle !” et que ça soit cet élément là qui nous ferme les portes de la distribution.

Avec mon équipe, qui n’est pas exclusivement lesbienne puisqu’il y a des gays et des hétéros, nous voulions montrer que ce n’est plus un cinéma ghetto. J’adore le cinéma underground, et j’en ai fait. Mais mon évolution, c’est d’accéder au grand public. Et surtout avec de l’humour. Parce que ça n’est pas toujours facile d’être lesbienne et féministe.

On a tous en tête le stéréotype de la nana pas drôle, agressive, méchante et bornée. Pourtant ça fait 25 ans que je suis féministe et lesbienne et que j’adore la comédie. J’utilise la comédie pour trouver une universalité entre nous. Ici il s’agit de l’histoire d’une nana qui veut faire un film. Mais ça aurait pu être l’histoire d’un mec qui veut construire un bateau ou d’une femme qui veut construire une maison pour sa famille. On a tous des buts et ce film démontre qu’on peut y arriver malgré un environnement hostile.

L’évolution du cinéma lesbien que vous évoquez, c’est la votre ou celle de la production lesbienne ?

Je pense qu’il y a de moins en moins de films lesbiens car il est de plus en plus difficile de trouver de l’argent. Et ça n’a jamais été facile. Ça, c’est juste la réalité. Mais on est plusieurs, à l’international, à continuer à faire des films et à y mêler nos vies… J’ai quand même vécu dans un garage.

L’intérêt, c’est de continuer à communiquer avec le monde. Il y a énormément de gens qui n’ont pas fait leur coming-out. Et ce n’est qu’à la télévision ou dans le cinéma grand public qu’ils peuvent voir des tranches de culture gay ou lesbienne.

Si tu dis que tu es lesbienne, les gens pensent tout de suite à deux femmes en train de baiser.

Certaines personnes ont peur d’aller dans les festivals et librairies LGBT, ou tout simplement d’en parler autour d’eux. Et en même temps quand tu découvres ton homosexualité, les images que tu voies sont très sexualisées. Si tu dis que tu es lesbienne, les gens pensent tout de suite à deux femmes en train de baiser. Il faut s’approprier cette sexualisation des identités et proposer d’autres alternatives.

Quel regard portez-vous sur les dernières manifestations françaises autour des questions du genre ?

Je suis étonnée car lorsque j’ai fini l’université, j’ai immigré en France en 1993, et j’ai vécu ici pendant seize ans. Aux Etats-Unis, on associe la France aux droits de l’homme. On voit la France comme un pays avant-gardiste car il y a beaucoup d’artistes et de têtes pensantes en avance sur leur temps. Et en même temps il y a une culture très conservatrice.

Je n’avais pas imaginé qu’elle pourrait en arriver au point d’organiser les Manifs Pour Tous.

Du coup j’ai amené mon grand costume de vagin en France pour la sortie du film. Je vais manifester devant l’Assemblée nationale et devant le siège social du PS avec une pancarte et des slogans pour la PMA et tout simplement pour l’égalité.

La devise de la France, c’est tout de même Liberté, Égalité, Fraternité. Et tu te rends compte que certains ne comprennent pas ce qu’est l’égalité. Si tu commences à choisir qui est égal et qui ne l’est pas, ça n’est plus l’égalité. Je suis juste étonnée de voir que c’est en France qu’il y a ce débat et qu’il faut combattre des gens qui pensent que l’égalité est une histoire de sélection.

Qui a peur de Vagina Wolf, d’Anna Margarita Albelo, avec Anna Margarita Albelo, Guinevere Turner, Janina Gavankar, 1 h 24, Local Films, 2014.

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