Le « J’aime ma boîte » de Gifi analysé en vidéos
Visionner le clip « J’aime ma boîte » de Manolo des Gypsies, commandité par Gifi, fait l’effet d’un film d’Albert Dupontel consommé à jeun. Il arrache tout sur son passage, le sens commun, la vue et l’ouï au point de nous faire perdre l’équilibre.
Dans cette vidéo publiée hier, le pédégé de Gifi Philippe Ginestet y joue son propre rôle. « J’aime ma boîte » est d’abord une opération portée par l’association patronale Ethic de Sophie de Menthon, pour qui l’attachement des salariés à leur entreprise est un vecteur de productivité. Cette “fête” aura lieu le 2 octobre et possède désormais son hymne.
Je ne vais pas m’appesantir sur le ridicule de la vidéo. La moquerie est facile. Je préfère partager quelques références qui me viennent spontanément à l’esprit.
D’abord, et c’est troublant, je pense à cet extrait de Mammuth que je regardais pile hier. Le personnage joué par Gérard Depardieu quitte son abattoir et part à la retraite. Son patron trébuche sur un discours de remerciements que personne n’écoute. On apprendra plus tard que ses collègues (et “amis” pour reprendre le mot du patron) ont offert à “Mammuth” un puzzle de 2.000 pièces. “Ils se sont pas foutus de ta gueule !“, lance avec sarcasme la femme du héros, employée de supermarché en déprime, jouée par Yolande Moreau.
Les réalisateurs Gustave Kerven et Benoît Delépine tapent dans le mille avec cette satire sociale plus délicate que Groland, mais tout aussi déjantée.
Revenons au clip. Ces slogans chantés et écrits sur des banderoles, pancartes et autres drapeaux, ça vous rappelle bien sûr les manifestations syndicales. Mais pas seulement.
Souvenez-vous, il y a peu, le mouvement des “Bricoleurs du dimanche” détournait les codes des mouvements sociaux pour vanter… le travail du dimanche. Au grand désarroi de FO, notamment, qui ferraillait dans les tribunaux pour empêcher cette atteinte au repos dominical hebdomadaire. Une mise en scène étudiée par une agence de com’, payée par Leroy Merlin et Castorama, avec de gentils salariés réquisitionnés (et payés) pour défiler sous les couleurs bariolées de la grande distribution.
Une vaste manipuation patronale qui avait trouvé l’oreille attentive de médias et de journalistes pas très à cheval sur la déontologie.
Du reste, l’homme au t-shirt rouge qui brandit le poing (droit) tout en parlant dans un mégaphone dans le clip de Gifi (à 00’57”), me fait autant de peine que le pseudo-leader des “Bricoleurs du dimanche” présenté dans cette vidéo. Presque autant que l’homme tatoué, marqué au sens propre comme au sens figuré, qui porte sur le torse le symbole triangulaire de sa soumission (à 01’38”).
Comment ne pas citer l’épisode de Strip Tease, réalisé en 1994 par Pierre Carles, puis intégré dans le documentaire “Attention Danger Travail” ?
Ou comment un petit kapo de Domino’s Pizza fait respecter à la lettre des règles d’homogénéisation censées rendre interchangeables des livreurs de Calais, Toulouse, Reading et Tokyo. L’identité des salariés est réduite en miettes. Tandis que les nouvelles formes d’encadrement néolibérales puisent dans le lexique de la famille, les travailleurs expriment un inconfort voire un mal-être, sans être toujours capables de le nommer.
Leur uniforme rappelle les tenues bariolées des figurants dans le clip de Gifi.
Enfin, dans le registre du bad-buzz, que ne manquera pas de réaliser Gifi avec sa vidéo (que j’ai téléchargée sur mon PC par précaution…), j’ai une pensée particulière pour la comédie musicale de Télécom Bretagne.
En 2011, le président du bureau des élèves de cette école déclarait à Ouest-France que “dans quelques mois, tout sera oublié“. Hélas pour l’école, c’est faux, puisqu’au moins dans le secteur de la communication, Télécom Bretagne reste encore aujourd’hui associée à cet effroyable montage.
L’analogie ne s’arrête pas là. La vidéo utilise la musique et des figurants pour tenter de mettre en valeur un produit peu sexy. Ici une chaîne de magasins axée sur la décoration à bas-prix, là une école d’ingénieurs régionale.
Comme quoi, on sous-estime les liens entre les grandes écoles et le monde de l’entreprise !
Les Charlots fêtaient l’entreprise en 1971.
Remarquez le patron qui joue de la batterie dans le clip… et tendez l’oreille pour vérifier si cet instrument fait partie du morceau…