Faire reconnaître par les « Sages de la rue de Montpensier » que les conditions d’autorisation de la centrale au gaz de Landivisiau contrevenaient à la loi fondamentale ne suffit pas à faire échec à sa construction par Total-Direct énergie. « La raison du plus fort est toujours la meilleure », récite le Conseil constitutionnel, qui en vient à faire douter certains juristes du respect de la démocratie.
Saisi par l’association Force 5 par le biais d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le « Conscons » s’est prononcé jeudi 28 mai sur la conformité de l’article L.311-5 du code de l’énergie avec la Charte de l’environnement, texte à valeur constitutionnelle.
Cet article contesté porte sur les critères dont tient compte l’autorité administrative pour autoriser l’exploitation d’une installation de production d’électricité. Or, il ne prévoit aucun dispositif permettant la participation du public à l’élaboration de cette décision, alors même qu’il est évident qu’une telle centrale a une incidence sur l’environnement. « Le législateur a méconnu, [avant le 5 août 2013], les exigences de l’article 7 de la Charte de l’environnement », admet le Conseil.
Victoire des opposant·es à la centrale ? Non, car un nouvel article de loi a réparé cette lacune. Bien que « les dispositions […] doivent être déclarées contraires à la Constitution jusqu’au 31 août 2013 et conformes à la Constitution à compter du 1er septembre 2013 […] la remise en cause des mesures ayant été prises avant le 1er septembre 2013 […] aurait des conséquences manifestement excessives ». Sachant que l’autorisation de la centrale date du 10 janvier 2013 ! Vous suivez ?
Pour un subtil jeu de dates, le Conseil permet la poursuite des travaux, par ailleurs très avancés. « Ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité », conclut-il.
Les écolos nord-finistériens peuvent se sentir marris. L’association S-Eau-S ironise à propos du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, rappelant qu’en 2015 « il frappait de son marteau l’adoption de la résolution de la Cop21 à Paris, qui engageait la France sur la voie de la réduction de son émission de gaz à effet de serre ».
Un porte-parole de Force 5 soupçonne même des pressions politiques et économiques. Si cette accusation de corruption reste à démontrer, la décision n’en fait pas moins hausser les sourcils aux juristes.
« Que l’on ne s’y trompe pas, c’est peut-être une révolution, au sens propre du terme, qui s’est produite rue de Montpensier, et que le Conseil constitutionnel semble avoir assumée, écrit Julien Padovani sur son blog Droit administratifs. Partant, c’est l’ensemble du régime juridique des ordonnances qui semble être reconfiguré. »
Au détour d’une QPC, c’est rien de moins que le rôle du Parlement et l’équilibre des pouvoirs qui semblent redéfinis. « En attribuant valeur législative à l’ordonnance non ratifiée après délai d’habilitation, le Conseil constitutionnel semble pourtant procéder, au mieux à une ratification implicite, mais contra legem, au pire à une mise à l’écart du processus de ratification, contre l’esprit de la Constitution », poursuit le docteur en droit public.
Ce que Cécile Duflot traduit dans un fil Twitter par « ok ça a pas été ratifié dans les délais mais c’est la loi quand même. » L’ancienne ministre et députée Europe écologie Les Verts, visiblement en colère, estime que « ça dépossède totalement le Parlement de son pouvoir, ça dit le contraire de la Constitution et ça prive aussi les citoyens de leur capacité de contester directement des ordonnances obsolètes ». Une interprétation nuancée par le docteur en droit Arnaud Gossement, qui s’exprime lui aussi en 240 caractères.
Ce débat ultra-technique né d’un combat anti-centrale sur les rives de l’Elorn est quoi qu’il en soit d’une actualité brûlante. Car comment le gouvernement fait adopter ses lois à la chaîne en cette période d’état d’urgence sanitaire, si ce n’est justement par ordonnances ?