Certains médias se sont fait l’écho d’un article d’une équipe de la Pitié-Salpêtrière publié le 24 avril par la prestigieuse Académie des sciences. On y lit que « la nicotine pourrait être suggérée comme potentiel agent préventif contre l’infection du Covid-19 » et cette phrase est justifiée par l’observation que les fumeur·ses étaient sous-représenté·es parmi les patient·es atteint·es de Covid-19.
Mais les médias n’ont pas pris les mêmes précautions de langage que l’article original, comme le relève Acrimed. La palme revient à France Inter qui titre le 22 avril, « La nicotine, une arme contre le Covid ? »
Depuis, l’information s’est diffusée et il est probable que beaucoup moins de gens n’aient été confronté·es aux développements de cette controverse scientifique. Faisons un bref état des lieux des informations publiées sur le sujet depuis le 24 avril 2020.
Dès le 27 avril, l’Inserm publie une note qui nuance les résultats de l’article du 24 avril. « Se tourner vers la cigarette pour prévenir le développement de la maladie n’est pas indiqué et l’arrêt du tabac chez les patients présentant des comorbidités est une priorité », tranche-t-elle.
Le 11 mai, l’OMS publie une note qui affirme, sans citer aucune source, que « les fumeur·ses risquent davantage de contracter une forme sévère de la Covid-19 que les non-fumeur·ses ».
Le 12 mai, un article étudie les liens entre le fait de fumer et le fait de développer une forme grave de la maladie parmi les personnes atteintes de Covid-19. L’étude conclut que les fumeur·ses ont 1,91 fois plus de risques de développer une forme sévère que les non-fumeur·ses.
Alors comment savoir qui a raison ? Tout cela illustre bien que les mécanismes de la recherche scientifique ne sont pas évidents à comprendre. Dans des domaines comme la médecine, différents articles ont régulièrement des résultats contradictoires et cela n’implique pas que l’un ou l’autre de ces articles soit faux. C’est seulement quand il semble y avoir une nette tendance dans un sens que l’on peut réellement conclure. Il existe d’ailleurs alors des outils statistiques pour établir si les tendances observées dans tous ces articles forment bien significativement une tendance majoritaire.
La recherche se construit sur le temps long contrairement aux actualités qui périment extrêmement vite. D’où un cocktail parfois explosif quand des articles de presse reprennent des articles scientifiques récents : on a pu le voir pour l’hydroxychloroquine à multiples reprises, on le voit ici pour la nicotine.
De plus, dans ce cadre, il est compliqué de conclure définitivement tant les facteurs de risques potentiels sont imbriqués les uns dans les autres : tabac, hypertension, diabète, etc. Il est extrêmement complexe de passer d’une corrélation statistique à un effet de causalité comme le rappelle ce très complet article de The Conversation sur les liens entre Nicotine et Covid-19. Par ailleurs, le simple fait que les patient·es qui meurent du Covid sont en moyenne plus âgé·es, et que la cigarette raccourcit la durée de vie, peut entraîner certains biais statistiques.
On peut rappeler cependant, comme nous le faisions dans un article de La Gazette des confiné·es #13 sur le même sujet, que les liens entre nicotine et Covid-19 ne sont pas clairs, mais que les effets négatifs du tabac sur la santé sont, eux, prouvés de longue date.
Dès les premiers articles sur le sujet, de nombreuses associations ont demandé à la presse et aux politiques de faire preuve de prudence, sans trouver beaucoup de relais. C’est le cas par exemple de l’Association interentreprises pour la santé au travail du Vaucluse.