L’histoire de deux amis fâchés qui mettent à nu en public leurs différends, c’est ce que raconte Stronger, le premier film d’Hugo Benamozig et Victor Rodenbach. Deux jeunes réalisateurs et surtout amis, qui se sont liés dès leur premier jour à la Fémis, grande école parisienne du 7e Art. Interview du duo depuis le festival du Film Court de Brest, après la projection du film, présenté mercredi 14 novembre en compétition française, quelques jours avant l’obtention du Prix France 2.
Sylvain Ernault – Vous avez co-écrit et co-réalisé Stronger. Vous avez tourné ce film ensemble parce que vous étiez camarades de promo ?
Hugo Menamozig – Oui, en fait Victor est la première personne que j’ai rencontré à la Fémis, et il m’a dit qu’il s’appelait Victor et moi Hugo et je me suis “tiens c’est marrant, on pourrait faire des trucs ensemble” et Stronger c’est notre premier court métrage. Là on vient d’en terminer un, enfin on était en tournage jusqu’à avant-hier et on poursuit la co-écriture et la co-réalisation ensemble.
SE – Qu’est-ce qui vous a inspiré pour faire Stronger ?
Victor Rodenbach – L’envie de départ était de parler d’amitié avant tout, quelque chose qui nous intéressait beaucoup. Après Stronger c’était un cas un peu particulier car c’était d’une certaine manière une commande, puisque c’était dans le cadre du travail de fin d’étude d’un élève producteur de notre école. Et pour ces travaux de fin d’étude de producteur ils font appel à d’autres élèves, qui sont pas forcément destinés à faire un film à ce moment là. Et donc Stronger rentre un projet plus collectif d’un élève qui s’appelle Pierre-Louis Garnon, plus largement autour de la musique et du rock. Il savait qu’on avait un intérêt pour la comédie et il aimait ce qu’on pouvait écrire dans cette veine-là. Avec pas mal de contraintes à la fois budgétaires et de temps, tout s’est fait très vite, notamment en termes de décor, d’où le huit-clos et tout se passe dans un seul lieu. On a écrit et tourné le film en l’espace d’un peu plus d’un mois et demi-deux mois donc vraiment en très très peu de temps.
SE – Les acteurs c’est les camarades de promo aussi ?
VR – Euh, non quasiment, des acteurs qu’on connaissait par ailleurs, qui sont des amis à nous. Et qu’on avait envie de faire jouer. Y’en a un qui est pas du tout acteur et qui nous fait beaucoup rire et qui a un corps qu’on trouvait amusant. C’est vraiment ce truc d’écrire, fin, y’a tout un truc dans l’école qu’on a faite qui est de faire des films sur les corps des acteurs et tout ça et nous on a voulu un peu amener de la dérision. Vraiment, écrire une comédie sur deux jeunes hommes qui a priori ne sont pas du tout fiers de leurs corps mais qui pour cette séance de pose nue sont amenés à dévoiler leurs corps. Et à se mettre à nu. Et à régler leurs problèmes, enfin, une sorte de rupture d’amitié qui a eu lieu entre eux. C’est un peu leur laisser l’opportunité eux de se mettre à nu et d’assumer leurs corps comme ils sont c’est à dire des corps normaux en fait. Et qui sont drôles par moment, émouvants par d’autres. Travailler un peu le truc d’une esthétique qu’on a pas trop l’habitude de voir en général au cinéma.
“On leur a promis beaucoup d’argent pour jouer nus. Ils l’attendent toujours…”
SE – Dans le film les personnages sont convaincus de poser nus pour les beaux yeux d’une jeune fille. Les acteurs ce sont vos amis, c’est donc vous qui avez dû les convaincre de jouer nus. Ça n’a pas été trop difficile ?
VR – Si, si, on leur a promis beaucoup d’argent pour le faire. Ils l’attendent toujours… Non, en fait on les a convaincu sur la base d’un scénario. Eux ne se connaissaient pas du tout. Ils sont devenus potes sur ce projet aussi quoi. Et tout le défi pour nous c’était vraiment d’essayer de travailler une complicité entre eux quoi. Et donc on a fait énormément de répétitions. C’est les acteurs aussi qui ont amené beaucoup de leurs répliques, des dialogues qu’ils avaient envie d’ajouter au scénario. Mais du coup on les a impliqué très tôt dans le processus même, même si ça a été assez court comme processus de réalisation (sourires).
HB – Ça s’est fait progressivement, y’a eu un effeuillage progressif de répétition en répétition. Pour se faire à l’idée.
SE – Ça leur a pas pris beaucoup d’heure de rester nus sur leur petit promontoire ?
VR – Si, si, les premières répétitions nues étaient le plus difficile. Après, le mal était fait. Les mâles étaient faits (rires).
Célia Caradec – Comment est financé le film ?
HB – On a la chance d’avoir été élèves dans une école qui s’appelle la Fémis, qui est une école publique, assez bien dotée, qui a les moyens de produire les films de ses étudiants sur fonds propres. On n’a d’ailleurs pas le droit de chercher des financements ailleurs pour pas porter de concurrence aux sociétés de production qui font appel à des guichets. Donc la production a été entièrement prise en compte par l’école, avec du matériel de l’école en grande partie et voilà.
“C’est une vie qui fait un peu peur, mais qu’on attaque ensemble”
CC – Aujourd’hui vous n’êtes plus étudiants. Vous avez un deuxième projet en cours. Ça fait peur de se lancer vraiment dans le cinéma ?
HB – Oui, ça fait un peu peur forcément, nous on a la chance d’avoir rencontré un partenaire de production en la personne de Pierre-Louis (Garnon NDLR) qui produit Stronger. Et qui du coup est devenu producteur par la suite dans une société de production et qui a produit notre nouveau cours métrage. C’est une collaboration qu’on poursuit. On grandit ensemble. Oui c’est une vie qui fait un peu peur mais qu’on attaque ensemble donc c’est rassurant. Et aussi notre équipe technique autour de nous, le chef opérateur de Stronger est le chef opérateur de notre nouveau film, on avance ensemble quoi. Donc on sait que ça va pas être facile, mais au moins on sait qu’on est un peu en famille.
VR – Et puis y’a quand même quelque chose de très excitant dans le fait de se lancer là-dedans. Et avec une équipe avec qui on a envie de grandir. Et c’est vrai que tous, sur ce deuxième court métrage par exemple, on est tous assez inexpérimentés. C’est tous quasiment notre deuxième expérience. Et mine de rien, faire ce deuxième court métrage, aller plus loin dans la comédie, mais essayer d’avoir plus de fond, de raconter quelque chose qui nous tient à cœur, on est poussés en avant, c’est vraiment quelque chose d’assez enthousiasmant.
SE – Justement, sur ce deuxième film, ça répond à une commande ?
VR – C’est pas du tout une commande, c’est vraiment quelque chose qui vient de nous. Et là pour le coup ça parle de l’enfance, qui est vraiment quelque chose dont on a envie de parler. C’est une journée que passent à la piscine un père et son fils…
HB – Une comédie douce amère sur l’enfance.
VR – C’est l’apprentissage de la séduction.
SE- Et vous une date de fin de production ?
HB – Non, on aimerait bien, là on va commencer le montage dans une semaine.
VR – On devrait finir le film pour le printemps prochain je pense, un peu avant.
SE – Après pour la diffusion, c’est le producteur qui va gérer ?
HB – Ouais voilà, c’est à peu près ça. C’est un peu difficile de savoir pour le moment.
VR – On espère que le film sera de nouveau à Brest. Par exemple. Mais… d’autres festivals, peut-être.
CC – On était avec les Paillowski Brothers plus tôt aujourd’hui, des Français, qui nous disaient “nous, attendre des subventions pendant six mois, ça nous plait pas, nous ce qu’on aime bien c’est avoir une idée, faire avec les moyens qu’on a et tourner”. Vous avez peut-être une vision différente en sortant de la Fémis sur la façon de procéder ?
HB – On a pas vraiment été confrontés à cette attente-là, sur notre nouveau film, on a eu la chance que les choses se fassent assez vite. Je peux comprendre cela. Après nous le temps entre l’idée et l’écriture est quelque chose qui nous plaît aussi. Avant d’être réalisateurs on est peut-être scénaristes. Et donc pour nous c’est un temps important, d’écriture de développement, qui a du sens. Après je pense qu’il est possible d’être impatient par rapport à tout ça. On n’y a pas vraiment été confrontés, ça ne saurait tarder sans doute.
SE – Pour vous le court-métrage, c’est une passerelle vers le long, un passage obligé ou alors en soi déjà un objectif qui peut représenter toute une carrière, ou mener vers d’autres genres comme le clip ou la publicité ?
VR – En fait a priori pour nous c’était pas du tout un objectif de faire un court-métrage, ni même de se dire “il faut qu’on en passe par là pour arriver long métrage”, mais il se trouve que ce premier court on l’a fait dans l’énergie de l’école, avec l’énergie de… voilà, on nous commande ce thème et on avait envie de raconter cette histoire. Mais, le deuxième court pour nous s’est imposé, car il se trouve qu’on a écrit cette histoire, qui se racontait en très peu de temps, et qu’on avait très très envie de raconter. Du coup, en fait c’est pas l’idée de “on va aller le long avec ça”, mais c’est juste que peu importe le temps qu’on a, mais de toutes façons on a envie de raconter cette histoire et ça aurait pas de sens de la raconter en plus de temps. C’est un truc très court et c’est arriver à cette émotion là en moins de vingt minutes. La forme dépendant directement de l’histoire.
“On a aussi des désirs d’histoires plus longues et de formats plus longs”
HB – Ouais c’est ça. Je pense qu’initialement nous notre désir de cinéma et de réalisation vient d’un format long dans lequel on a été exposé en tant que spectateurs, qui nous a donné goût au cinéma plus naturellement et on a plus découvert le court à travers nos études pour des raisons de production et de moyens et on a appris à aimer cette forme-là et donc comme disait Hugo on allait très naturellement vers ce nouveau scénario sans en avoir le besoin, sans se dire, “il faut qu’on fasse un court avant de passer au long” même si c’était sans doute le cas, c’est pas ça qui a motivé notre envie. Y’avait juste un désir d’histoire très forte qui allait là-dedans. Mais on a aussi des désirs d’histoires plus longues et de formats plus longs.
SE – En termes de réalisateurs, de genres cinématographiques que vous appréciez, spécialement, vous avez des goûts différents ?
HB – Ben on est tous les deux, très fans, de Hong Sang-Soo, sur la comédie touristique coréenne (rires) je ne sais pas comment on pourrait décrire le genre d’Hong Sang-Soo. Non mais on s’est très vite rencontré à la Fémis, sur un amour de la comédie en fait déjà. Ou mine de rien, c’est vrai que dans notre école c’est pas très répandu. En fait la plupart des gens aiment ça, mais c’est pas ce qu’ils font spontanément comme cinéma quoi. C’est plus souvent des trucs sur le deuil quoi. Ce genres de choses. (rires) Et du coup ce désir de raconter des trucs de manière drôle, comme la comédie américaine ou la comédie italienne de Dino Risi, la grande année (sic) de la comédie italienne, ça nous a rapproché tout de suite. De films comme Le Fanfaron (1962). Aujourd’hui Hong Sang-Soo fait un truc qu’on aime beaucoup.
VR – Voilà, Comédies de tous horizons.
SE – Vous parliez du deuil comme thème qui revient souvent, c’est pas l’impression laissée par la programmation du festival, mais c’est vrai qu’on dit le format court plutôt sombre. Vous, vous avez quel regard sur les films d’auteurs plus tristes…
HB – C’est une catégorie assez large quand même. Je pense que y’a des bons films et mauvais films qui pourraient répondre à ça.
SE – Mais vous, c’est quelque chose qui vous intéresse ?
“Dès qu’on essaye d’être un peu moins légers forcément on a un truc qui est plus sombre”
HB – On est plus portés par la comédie en tant qu’auteurs effectivement, même si on développe pas que ça non plus ; et en tant que spectateurs on aime, mais on a des goûts très divers et éclectiques. Bien sûr ça ne se limite pas à la comédie.
VR – Mais en l’occurrence…
HB – (le coupe) Je pense que y’a des très mauvais films sur le deuil comme y’a des très bons films sur le deuil…
VR (rires) C’est clair ! Mais le deuxième là qu’on a fait, justement c’est une comédie encore et pour nous c’était important d’affirmer un truc sur… essayer de faire rire quoi, essayer d’être dans cette énergie-là… Un truc humoristique, mais c’est vrai que c’est très difficile quand on veut raconter une histoire qui a du sens, de pas être rattrapé par un truc un peu plus grave… Enfin “grave” non, mais un peu plus lourd. Dès qu’on essaye d’être un peu moins légers forcément on a un truc qui est plus sombre. Et notamment c’est vrai que ce deuxième film a une tonalité qui est plus amère, c’est vrai que y’a un truc qui s’ancre plus.
CC – On parle souvent de l’effet de salle, qu’est-ce que vous avez ressenti ce soir ?
HB – On a été à l’écoute, ouais, bah c’était une bonne projection. La salle était pas pleine.
VR – Ouais, en fait globalement, moins la salle est pleine, moins ça rigole en fait ! (rires) Pour la comédie, enfin pour notre film, c’est assez radical. Plus les gens sont nombreux, plus le rire se propage. Donc là la salle était à moitié pleine. (rires)
HB – Y’a un jugement immédiat dans la comédie c’est celui du rire et ça s’est bien passé ce soir.
VR – C’est vrai que le verdict de la salle qui ne rit pas au moment où on s’y attend, c’est une bonne école aussi.
SE – Vous présentiez où le film avant ?
VR – On l’a présenté dans différents festivals, il était à…
HB – Ici et demain…
VR – Il était à Ici et demain à Paris, il était au festival d’humour de Meudon, puis il a un peu voyagé à l’étranger, on a eu cette chance. Il est parti à Toronto, il est parti en Corée, il est parti aux Pays-Bas…
VR et HB – A Saint-Pétersbourg…
VR – Apparemment les Russes sont très fans du films (rires) ! On n’y est pas allés mais, ça devait rigoler pas mal à Saint-Pétersbourg…
SE – Ils sont peut-être extrêmement pudiques alors c’est ça qui les fait rire ?!
HB – (rires) c’est ça, exactement.
“Stronger” n’étant pas visible sur le web, voici sa BO, interprétée par La Pompe Moderne, collée sur un autre montage court.
Stronger, Victor Rodenbach et Hugo Benamozig, avec Maxime Tebeka et David Caviglioli, 22 minutes, La Fémis, 2011.