La photographie de concert marche sur la tête. Les agents d’artistes se croient tout permis. Je ne publierai aucune (autre) photo du festival Panoramas.
Et ça me donne un excellent prétexte pour gueuler un bon coup contre des pratiques en coulisses qui deviennent détestables.
Le petit monde de la photographie de concert est très secoué par la révolution numérique. Les photographes professionnels sont en voie d’extinction, conséquence logique mais non moins regrettable de la démocratisation des appareils reflex et de la multiplication des blogs et webzines accrédités pour chaque festival (désolé). Pourtant, s’il y a bien une cause contre laquelle les photographes professionnels, amateurs et les photo-journalistes (comme nous) doivent se liguer, c’est la généralisation des contrats.
Je ne fréquente les fosses de festival que depuis 2010. Je n’ai pas beaucoup de recul, mais je constate déjà une accélération des dérives. De plus en plus d’artistes refusent la présence de photographes en front de scène pendant leur concert. Que les groupes aient quelques exigences quant à leur mise en scène, soit. Qu’ils empêchent les reporters de rendre compte des événements, non.
Pendant longtemps, la norme était d’accepter les photographes pendant les trois premiers morceaux.
La pratique est déjà aberrante, car globalement il ne se passe rien pendant le premier quart-d’heure. Les chanteurs attendent un peu pour faire tomber la chemise. Amassés dans un périmètre très réduit, en contre-plongée par rapport à la scène, nous avons ont peu de chance de briller par notre originalité. Je l’ai vécu, pendant les festivals, la succession des concerts nous oblige à courir en permanence pour accéder aux sacro-saintes trois premières chansons.
Les conditions de travail étaient déjà compliquées, mais elles se compliquent drastiquement.
La confiance est rompue
Les agents d’artistes réclament désormais que les photographes signent un contrat avant d’accéder aux fosses.En d’autres termes, nous devrions accepter d’expédier nos clichés pour un accord préalable avant publication (lire les consignes ci-dessous, très explicites).
C’est une forme d’extorsion, et je pèse mes mots. Les agents voudraient être juges et parties. Ces contrats contreviennent à la liberté de la presse et il est grand temps de remettre les choses en place. Ne pas les signer est une question d’éthique, un devoir pour ne pas saborder la profession.
Le seul contrat qui doit exister, il n’est pas écrit, il est moral, c’est la confiance mutuelle entre les professionnels. La confiance dans l’honnêteté d’autrui, qui n’empêche pas pour autant l’expression d’opinions négatives. C’est évidemment cette marge qui déplaît aux communicants les plus zélés.
Si nous voulons photographier les pieds d’un DJ, s’il nous prend l’envie de publier la grimace d’un guitariste, si nous voyons un intérêt à montrer le regard embué d’un rappeur, nous devons avoir l’entière liberté de le faire. Sans passer sous les fourches caudines de la censure, cela va de soi ! Peut-être qu’à force de renier les droits des photographes, les agents se sont sentis pousser des ailes. Ne comptez pas sur nous pour accepter ce jeu plus longtemps.
Une pratique illégale
Ces contrats sont illégaux. Une cession de droit ne peut pas être concrétisée avant la réalisation des clichés, selon l’article L131-1 du code de la propriété intellectuelle.
J’aurais donc pu sans crainte balader mon boîtier ce week-end à Panoramas. Mais j’évite de parapher n’importe quel document et tout simplement de rentrer dans un jeu de dupes. Je préfère mettre les choses au point. Participer serait cautionner, or nous devons mettre le holà.
Comme il ne suffirait pas de taper à l’aveugle contre tous les agents, voici la liste des équipes qui ont mené la guerre aux photographes et vidéastes au festival Panoramas : Rone, S-Crew, Bakermat, Klingande, Kölsch, Amide Edge & Dance, Cleavage, Pan-Pot, Sarah W Papsun, Claptone, The Popopopops, Danton Eeprom.
Notez la mention “pour une utilisation strictement à titre promotionnel” de S-Crew, des rappeurs qui connaissent bien les lois du biz. Réduire la presse à un support promotionnel, c’est évidemment tentant vu ses perpétuelles compromissions, mais un tel aveu dénote surtout une belle étroitesse d’esprit. Oui messieurs, parfois, un article peut être critique et la photographie l’illustrer.
Nous ne travaillons pas pour vous, mais pour nos lecteurs.
J’accorde le bénéfice du doute aux artistes qui ont peut-être d’autres chats à fouetter. C’est pour ça que j’adresse mon billet à leurs agents. Je ne les excuse pas pour autant d’accepter ce système qui finira par leur nuire, quand plus personne ne voudra relayer leurs performances.
Pour prévenir toute mauvaise interprétation de mes propos,
- je précise que les organisateurs du festival Panoramas sont également victimes de ces méthodes.
- je n’aborde ici que la question de la fosse, l’espace situé entre la scène et le public, régit par des règles spéciales pour ne nuire ni aux artistes ni aux spectateurs (“no flash”). De nombreux festivals – ou en tout cas de nombreux agents de sécurité – oublient que les photo-reporters (journalistes) ont le droit de prendre des photos à n’importe quel moment de n’importe quel concert, depuis le public. “La jurisprudence considère que les artistes, dans le cadre de leurs activités professionnelles, donnent leur autorisation tacite pour la diffusion. Cette autorisation est néanmoins limitée à des activités artistiques ou d’information de la part du photographe”, pour reprendre les mots de Clovis Gauzy sur son blog.
Disclaimer
J’ai couvert une dizaine de festivals bretons entre 2010 et 2012 en tant qu’accrédité presse, sans être détenteur de la carte de presse, pour des médias associatifs. J’ai de nouveau été accrédité à plusieurs festivals depuis 2013, en possédant cette fois une carte de presse “pigiste”, pour publier mes photos exclusivement sur “La Déviation”, site qui n’a pas le statut d’entreprise de presse, bien qu’il poursuive les mêmes objectifs d’information. Je n’ai jamais cédé mes photos à des tiers et je n’ai tout simplement jamais tiré de revenu de cette activité. Mes photos n’ont d’ailleurs pas de valeur commerciale et je pense ainsi ne pas concurrencer les photographes professionnels. Notez que la carte de presse n’est pas obligatoire pour pratiquer la profession de journaliste.
Bonjour,
Ayant vu votre article sur le mur facebook d’une connaissance Photographe, je me permet de donner mon avis
Je suis chargé de production dans une toute petite structure de production et je peux comprendre que certains agents prennent parfois des décision, disons un peu extrêmes vis a vis de l’image de leurs artistes
Le métier de Journaliste est très encadré, pour se dire Journaliste il faut posséder une carte de Presse … après vous pouvez, comme vous le précisez, très bien faire du journalisme sans, mais vous ne serais pas reconnu Journaliste
En revanche pour le métier de Photographe, c’est différent, il suffit d’avoir un appareil photo pour ce dire Photographe et c’est la ou c’est un peu dommage
Le premier péquin venu qui possède un appareil photo va se dire Photographe et va pouvoir couvrir un concert, un festival,…
Les artistes se vendent d’abord avec la musique qu’ils créaient, mais aussi et beaucoup avec l’ image qu’ils renvoient
Il suffit que ce pseudo Photographe sorte une série en total opposition avec l’esprit, disons graphique du groupe, pour que cela ruine les efforts ou au moins occasionne une gêne en termes d’images et de communication de ce groupe … pour peux qu’ils soit meilleur blogueur que photographe … on peut facilement imaginer les conséquences
Pour ne pas être emmerdé certain agents, il est vrai, ne font pas dans la dentelle et imposent des règles strictes
Je pense qu’entre risquer qu’un ou plusieurs pseudos photographes ne nuisent a l’image d’un groupe et des règlent drastiques vis a vis des Photographes, les agents devraient trouver un juste milieux
Une communication plus carrée, aller a la rencontre des Photographes (amateurs ou pas), leurs donner une tribune sur les réseaux sociaux, sur le site de leurs groupes, …
Pour la vidéo c’est autre chose, la captation d’une partie ou de la totalité d’un spectacle, ainsi que l’utilisation de cette captation est soumis a des règles strictes qui ne sont pas du ressort des agents
Je vous invite a lire la fiche IRMA à ce sujet : http://www.irma.asso.fr/De-la-captation-d-un-spectacle-a
“En revanche pour le métier de Photographe, c’est différent, il suffit d’avoir un appareil photo pour ce dire Photographe et c’est la ou c’est un peu dommage”
C’est bien pour cette raison qu’il faut traiter avec attention les demandes d’accréditations de chacun avec des “preuves” de leur travail.
Et je trouve effectivement les mesures scandaleuses.
Personne ne nous rémunères pour notre travail, ce serait déjà bien de garder cette liberté qui apparement disparaît peu à peu !
Comme le dit Drake, c’est effectivement aux agents de faire confiance aux organisateurs des festivals pour qu’ils accréditent des amateurs éclairés.
C’est pourquoi je ne plaide pas seulement pour ma chapelle, celle des journalistes.
Les agents qui contrôlent autant leur com’ ont tort dans leur stratégie car d’une, on en arrive à des papiers comme le mien, que j’aurais souhaité éviter d’écrire ; de deux le public continuera à prendre des photos crades, qui tourneront sur les réseaux sociaux.
Disons-le, un mauvais photographe n’arrivera pas à vendre ses photos et l’histoire s’arrêtera là. Citez-moi des exemples de photos qui ont nuit à l’image d’un groupe.
Il faut aussi accepter d’autres regards, la critique… mais comme la photo n’est perçue que comme un élément esthétique, on en arrive là ! (certains parleront mieux que moi du rôle des images)
Ce qui se produit, c’est que le soupçon généralisé, voire la répression a priori, se retourne finalement contre les artistes. Ce n’est pas ce que j’appelle de la communication maîtrisée.
Pour moi il y a une seule attitude à avoir, celle choisie par certains à Panoramas comme ailleurs, ne pas mettre de restriction dans la limite de la place disponible en fosse et donc rester dans le cadre de la loi.
“[…] pour se dire Journaliste il faut posséder une carte de Presse…”
FAUX !
On est journaliste à partir du moment où on travail avec la presse.
La CIJP (“Carte d’Identité du Journaliste Professionnel”, a.k.a “Carte de Presse”) est un certificat national, délivré annuellement par une commission qui juge si les revenus de la personne réalisés auprès d’entités de presse (journaux, agences, etc…) atteignent un certains seuil et si ces derniers sont majoritaires parmi ses revenus globaux.
Elle sert donc effectivement à prouver que son porteur est journaliste professionnel régulier, mais d’autres preuves peuvent être apportés.
Dire qu’un journaliste sans carte de presse n’est pas un journaliste, reviendrai à dire qu’un comédien/musicien sans status d’intermittent n’est pas un artiste…
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“En revanche pour le métier de Photographe, c’est différent, il suffit d’avoir un appareil photo pour ce dire Photographe et c’est la ou c’est un peu dommage”
FAUX !
Photographe, c’est un métier, des obligations fiscales, des charges, des taxes… On ne reçoit pas de SIRET en achetant un appareil photo.
“Le premier péquin venu qui possède un appareil photo va se dire Photographe et va pouvoir couvrir un concert, un festival,…”
Par contre, je suis d’accord qu’un appareil photo ne transforme pas automatiquement son porteur en un artiste de talent, ça reste un outils. Je suis même le premier à pester contre les gros malins qui trouvent, dans la photo, seulement un moyen de rentrer gratis sur des événements, encombrant les pit, pour rien.
Mais est-ce que ça reste une raison de taper sur tous le monde sans discernement ? N’est-ce pas le rôle de l’organisateur de choisir qui il accrédite ? Sachant qu’on ne peux pas interdire à un journaliste d’accéder l’information, pourquoi ne pas prendre une heure ou deux pour aller regarder les portfolios des pros et amateurs qui se présentent à votre porte plutôt que laisser tous le monde rentrer et pester que c’est le foutoir à l’intérieur ?
Je décris une méthodologie pour gérer les accréditations ici : http://articles.clovisgauzy.fr/droits-auteur/concert-festival-gestion-photographes ;)
Bonjour, Je suis photo reporter depuis 1990 dans le milieu musique et cinéma… J’ai donc couvert de (très) nombreux concerts et ai arrêté depuis quelques années à cause de ces pratiques mafieuses… Les agents n’ont aucun droit, il faut que ça se sache ! Soit ils acceptent que les journalistes fassent leur taf, soient ils n’acceptent pas, point barre ! Mais ils n’ont pas à intervenir dans notre taf… Pour le reste, j’ai toujours refusé de signer quoi que ce soit de ces gens là et ma réponse était sans équivoque “tes conditions sont illégales, je refuse”, ce à quoi on me rétorquait très souvent “ok, alors pas de photo”, à cet instant précis et à mon tour, je réponds “pas de problèmes pour moi, je m’en tape, j’ai assez de boulot comme ça… Par contre, je dois faire un dossier 5 pages sur les groupes du moment de ce festival pour un support média presse écrite à 30 000 exemplaires, ben y’aura pas ton groupe, mais y’aura un mail à ta prod…”. Au final, les vrais fautifs sont les organisateurs de concerts qui devraient avoir les couilles de faire appliquer la loi. A eux également de ne pas donner d’accred à n’importe qui… je connais de très bonnes salles qui demandent quel support média le photographe représente. Si ce dernier est l’auteur d’un webzine à deux balles, il passe pas. A partir de là, on est pas 50 dans le pit mais à peine dix (et des pros) dans les meilleurs jours… A propos de ce que tu dis Damien : “Je pense qu’entre risquer qu’un ou plusieurs pseudos photographes ne nuisent a l’image d’un groupe et des règlent drastiques vis a vis des Photographes, les agents devraient trouver un juste milieux”, je pense très sincèrement que c’est une fausse idée que bon nombres d’agence pub pourront démonter. Le but du jeu étant que le “produit” soit visible, quoi qu’il arrive, c’est bénéfique. Photo ratée, mais photo diffusée = pub/promo et visibilité conséquente… J’ai même de nombreux amis attachés de presse qui m’envoient les DVD qu’ils sont chargés de défendre et quand je dis à l’un d’entre eux que je ne souhaite pas parler de tel ou tel disque car je ne le trouve pas bon, on me répond très franchement de le chroniquer même si je le descend, car le but du jeu reste la visibilité. A tous les agents/artistes qui soumettent des conditions, il faut dire “ben non, tant pis pour vous”. Si tous les photographes et supports médias avaient les couilles de le faire, on reviendrait comme c’était il y a 20 ans et tout le monde serait content. D’autant qu’aujourd’hui, le moindre abruti avec un iphone va te faire un portrait de merde et le diffuser sur la toile… alors… Ah, et tu n’es pas obligé d’avoir une carte de presse pour être journaliste, j’ai 25 ans de métier, je suis en cdi dans un support presse écrite en tant que journaliste responsable de rubrique et ai été également 7 ans rédacteur en chef et journaliste principal d’un support presse écrite tiré à 30 000 ex. Et j’ai jamais demandé à avoir la carte à laquelle j’ai droit… Bon, faut dire que je ne bosse pas non plus sur Paris, et qu’à la “campagne”, on se connait tous et on a pas besoin de montrer patte blanche pour accéder à tel ou tel spectacle/événements/interview etc…
Hello,
Je trouve la pratique scandaleuse, quand à l’argument “protection de l’image afin de ne pas nuire ou ruiner un visuel et/ou une comm”, les mecs devraient arrêter les psychotropes !!
Car évoquer la protection de l’image d’un artiste à envergure internationale à la limite (quoique…), mais concernant les artistes du festival en question, bonjour la notoriété !
Donc si les “agents” préfèrent commencer à scier la branche sur laquelle leurs poulains sont perchés en filtrant ou censurant les images, faut vite en changer car il me semble que le buzz autour d’un artiste contribue à le faire largement connaître, même si il faut rectifier parfois certains écarts de blogueurs ou webzines abrutis…
Ps : Euh, les restrictions pour Claptone mais c’est carrément du délire et Cashmere Cat faut photographier que ses pieds ?