De la grève des loyers au soulèvement général ?

Si la grève des loyers ne dépasse pas le seuil de l’invocation en France, le mouvement semble s’amplifier outre-Atlantique. Les actions sont répertoriées sur un planisphère accessible en ligne.

Depuis notre précédent article sur la crise du logement publié fin avril, le nombre de New-Yorkais·es inscrit·es au chômage est passé d’environ 1,1 million à plus de 2 millions. Huit pour cent d’entre-elleux n’ont toujours pas touché l’allocation qui leur est due ; un taux qui bondit à près de 50 % dans l’Etat voisin du Connecticut.

A l’échelle des Etats-Unis, les destructions d’emplois sont comparables par leur ampleur et leur vitesse foudroyante aux débuts de la grande dépression de 1929. Le taux de chômage a gagné plus de 11 points en deux mois pour atteindre 14,7 % en avril. Il pourrait encore doubler, selon certaines projections.

Dans l’impossibilité de payer leurs loyers, de nombreux foyers se retrouvent entre le marteau et l’enclume. Reste alors à transformer cette impasse individuelle en cause politique.

La création d’une simple discussion de groupe sur un logiciel de messagerie instantanée peut parfois déboucher sur une telle initiative. C’est l’histoire racontée par Emily Witt, qui s’est rendue à Brooklyn pour The New Yorker. « Fin mars, environ les deux tiers des locataires ont décidé de faire grève des loyers, un groupe qui comprenait ceux qui avaient perdu leur emploi et d’autres qui retenaient leur loyer par solidarité. »

Le 1er mai, ce sont 12.000 locataires représentant 100 immeubles new-yorkais qui ont refusé de payer leur loyer, selon l’organisation Housing justice for all. Une goutte d’eau par rapport aux 2,2 millions d’appartements dédiés à la location dans la capitale économique des Etats-Unis, mais un signe encourageant pour ses initiateur·ices.

Des draps blancs sur lesquels étaient peints des slogans revendicatifs sont apparus aux fenêtres et un groupe de manifestant·es s’est rendu devant la résidence du gouverneur. Iels réclament plus que le moratoire qui interdit toute expulsion jusqu’au 20 juin. Par exemple l’annulation des loyers et des prêts immobiliers. Cette dernière mesure est soutenue par la jeune figure de gauche au Congrès, Alexandria Ocasio-Cortez, qui se verrait bien à la tête d’un mouvement plus large contre la politique de l’administration Trump.

200520 - Des locataires du 105 East 86th à East Flatbush Brooklyn New York déploient une banderole pour la grève des loyers by CHTU CancelRent - La Déviation
Des locataires déploient une banderole pour l’annulation des loyers sur un immeuble de Brooklyn, à New-York, le 17 mai.

Ce mouvement ne laisse cependant pas les propriétaires sans réaction. Celleux-ci s’organisent également, ainsi que le raconte le magazine spécialisé dans l’immobilier The Real Deal. Une grève des impôts fonciers est ainsi agitée pour exercer une pression sur les élu·es.

Si les yeux du monde se tournent immanquablement vers Big Apple, d’autres grandes villes américaines abritent cette contestation grandissante. C’est notamment le cas de Chicago, Seattle et surtout San Francisco, selon la carte proposée par l’Anti eviction mapping project. Dans le détail, plus de 190.000 internautes déclarent au 20 mai participer à la grève des loyers aux Etats-Unis, selon l’organisation We Strike Together.

La mobilisation semble moins avancée en Europe, en dehors de la Grande-Bretagne et de l’Italie. Les villes de Rome et de Bologne concentrent la majorité des actions répertoriées. Les habitant·es d’un immeuble de la capitale d’Emilie-Romagne ont su braquer les projecteurs sur leur mobilisation. Situé dans le quartier populaire de Bolognina, dans l’ancien bastion rouge, chacun de ses appartements coûte 800 € par mois.

« Il y a un jardinier au chômage avec un diplôme en agriculture dans sa poche, un tatoueur, un éducateur précaire, il y a des travailleurs du secteur du divertissement, des musiciens et des enseignants, des experts en communication », détaille le quotidien communiste Il Manifesto, qui ajoute que l’immeuble est « peut-être l’initiative la plus visible au milieu d’une mer agitée d’initiatives en ligne ».

Droit au logement manifestera les 30 et 31 mai

200520 - Affiche Grève des loyers by Masereel - La Déviation

En France, la trêve des expulsions locatives n’a certes plus d’hivernale que le nom, mais le répit semble de courte durée. Les associations s’attendent à une explosion des procédures sitôt passée l’échéance de juillet. Le délégué général de la Fédération des acteurs de la solidarité demande d’« étendre cette trêve sur toute l’année 2020, le temps de trouver des solutions stables aux sans-abri ».

Avant même le Coronavirus et son cortège de drames, la Fondation Abbé-Pierre estime que quatre millions de personnes étaient mal logées en France et plus de douze millions en situation de fragilité, dont 1,2 million de locataires en impayés.

L’association Droit au logement réitère sa demande de réquisition des trois millions de logements vacants. « Pour l’instant, le gouvernement ne nous répond pas. Silence radio, alors que nous avons sollicité des rendez-vous. Mais le ministre du Logement ne semble pas vouloir discuter avec le DAL. C’est la première fois, depuis 25 ans, que l’on ne rencontre pas un ministre », déplore son porte-parole Jean-Baptiste Eyraud cité par France Culture.

Comme à New York ou Bologne, le rapport de force semble inévitable. Le DAL annonce d’ailleurs un weekend de mobilisation les 30 et 31 mai. Des collectifs se sont créés à Marseille ainsi que dans le grand Ouest. Des guides et des foires aux questions apparaissent sur le web, notamment sur le site belge francophone Grevedesloyers.be, qui publie aussi une lettre type, des visuels et un annuaire d’associations. Sa caisse de grève en ligne affiche 5.730 € de dons, au douzième jour de collecte. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.

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