Masqué·es aujourd’hui, bâillonné·es demain ? La loi Avia est adoptée et ça ne va pas

Quelle sera la première loi adoptée sans lien avec le Coronavirus ? Le suspense n’a pas duré longtemps. Dans un hémicycle toujours réduit et en procédure accélérée, c’est la proposition portée par la députée LREM Laetitia Avia « contre la haine sur internet » qui coiffe tous les autres textes au poteau. Avec cette dernière lecture mercredi 13 mai, l’exécutif redouble d’efforts pour contrôler l’info.

Plus d’un an après son dépôt à l’Assemblée et deux lectures dans chaque chambre, la loi Avia boucle sa navette parlementaire substantiellement amendée. Plusieurs articles peuvent toutefois chatouiller le Conseil constitutionnel voire Bruxelles.

Dans une première version, la loi devait permettre à la police et au public de demander la censure des contenus signalés comme haineux aux plateformes recevant entre deux et cinq millions de visiteurs uniques par mois. C’est-à-dire Wikipédia, Youtube ou bien sûr Facebook. Les sites auraient dû répondre et motiver leur décisions sous 24 heures. La vérification de la validité des décisions et de la suppression des contenus « manifestement illicites » aurait été faite à posteriori par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), investi de nouveaux pouvoirs répressifs.

Parmi les organisations non gouvernementales et les autorités administratives indépendantes épouvantées par la loi, La Quadrature du net s’est de nouveau distinguée par ses analyses. Elle a identifié les principaux dangers de cette première mouture pour les libertés publiques : une censure probablement automatisée pour respecter le délai de 24 heures, réalisée par les géants du web sans aucune intervention d’un juge, ouvrant la voie à des abus contre les contenus politiques comme cela s’est déjà vu). Dit autrement, sa rédaction permettait les excès de toutes sortes, grâce au contrôle extravagant accordé à la police sur internet.

200512 - Capture d'écran visites page Facebook Cerveaux non disponibles au 28 août 2019 - La Déviation
Facebook n’a pas attendu cette loi pour censurer les contenus qui ne lui plaisent pas. Ainsi, en août 2019, de nombreuses pages de la gauche radicale ont vu leur audience chuter, à l’image de Cerveaux non disponibles.

La majorité entend-elle les alertes provenant de toutes parts ? Non, bien sûr. Le 21 janvier 2020, un amendement rajouté tardivement et de manière peu démocratique alourdit encore le volet coercitif de la loi. Il accorde directement à l’administration le pouvoir d’obtenir de n’importe quel site la censure de tout contenu considéré comme terroriste sous une heure chrono. En dépit d’une telle célérité, la police peut réclamer le blocage dudit site aux fournisseurs d’accès à internet pour toute la France.

La Quadrature du net revient à la charge contre ce délai d’une heure insensé qui s’applique indifféremment le mercredi midi ou le dimanche en pleine nuit. Comment les sites tenus par des bénévoles, comme ceux du réseau Mutu, peuvent-ils le respecter ?

Mais s’il s’agit de lutter contre pédophilie, les discriminations ou le terrorisme, quel est le problème ? Et bien précisément de laisser à l’Etat, ses préfets, sa police, la libre interprétation d’une notion aussi floue que celle de « terroriste ». Il y a peu, des militant·es écologistes faisaient l’objet d’une telle accusation de la part du patronat agroalimentaire breton, comme nous vous le racontions dans notre douzième Gazette. La Quadrature du net envisage aussi que la police ose utiliser cette loi pour des appels à manifester sur les Champs-Élysées ou des vidéos d’altercations entre manifestant·es et CRS.

On imagine que les pandores seront capables de ratisser suffisamment larges pour inclure dans le périmètre des interdictions des brochures subversives comme celles d’Infokiosques.net sur le thème des insurrections ou des émeutes.

D’autre part, la Quadrature du net affirme que :

« Si la police était mal intentionnée, il lui suffirait de publier anonymement et au milieu de la nuit des messages « terroristes » sur les plateformes de son choix pour les faire censurer (car presque aucune plateforme ne peut avoir des modérateurs réveillés toute la nuit pour répondre dans l’heure à la police). Rien dans la loi n’empêche de tels abus. »

Pour analyser les dérives potentielles de cette loi, regardons sur le long terme : de nombreuses dispositions initialement antiterroristes sont passées dans le droit commun au moment de la fin de l’état d’urgence et l’arsenal antiterroriste ne cesse de grandir en France depuis 1986 comme l’analysait en 2015 Le Monde diplomatique.

Cet article de Lundi matin émet l’hypothèse que l’antiterrorisme n’est pas une forme de répression judiciaire mais un mode de gouvernement, le but étant d’utiliser la peur pour faire une guerre psychologique à l’ensemble de la population. Amnesty international rappelle aussi que les réfugié·es sont souvent visé·es par les lois antiterroristes.

La crainte d’être considéré comme une menace pour la sécurité ou comme un « extrémiste » a eu un effet dissuasif, réduisant l’espace laissé à la liberté d’expression.

200512 - Assigné à résidence - La Déviation
En 2015, l’état d’urgence avait été utilisé pour interdire les manifestations écologistes pendant la COP21. Des militant·es écologistes s’étaient retrouvé·es assigné·es à résidence comme le montre cette vidéo.

Le procès en terrorisme est souvent utilisée par les gouvernements contre les opposant·es politiques. Ce fut le cas en Espagne, lors d’une opération de barrages routiers en 2018, en Italie contre des opposants à la ligne TGV devant relier Lyon à Turin, sans oublier l’Afrique du Sud où Nelson Mandela a croupi en prison désigné leader d’une organisation terroriste pendant plus de 20 ans, jusqu’à la fin de l’apartheid.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *