« Rouvrons l’usine de masques de Plaintel », le vœu de Serge Le Quéau exaucé ?

Huit jours après le début du confinement décrété par Emmanuel Macron pour lutter contre la pandémie de coronavirus Sras-Cov-2, l’Union syndicale Solidaires des Côtes-d’Armor publie un communiqué qui fait grand bruit. « Que se cache-t-il derrière la fermeture de l’usine Honeywell de Plaintel ? Un scandale d’Etat ! » Elle propose de redémarrer une production locale et industrielle de masques respiratoires grâce aux compétences locales.

Nous nous sommes entretenus, en visioconférence, avec Serge Le Quéau, l’une des figures du syndicat de lutte Solidaires, retraité de La Poste et membre des instances nationales de l’association altermondialiste Attac. Il a remis dans l’agenda médiatique l’affaire de cette délocalisation de l’usine Honeywell, des Côtes-d’Armor vers la Tunisie, passée sous les radars en 2018.

L’affaire Honeywell raconte le désinvestissement tragique de l’Etat dans la production de masques. Propriété de Spérian jusqu’en 2011, l’usine de Plaintel (22) est alors capable de produire 250 millions de masques respiratoires par an, grâce à plusieurs lignes de production et jusqu’à 280 salarié·es. Ces masques, répondant aux normes européennes FFP2, testés sur place avec rigueur, manquent cruellement au pays aujourd’hui. Nous sommes en pénurie.

C’est aussi le symbole de la désindustrialisation du territoire dans un marché mondial de moins en moins régulé, où la recherche du profit maximum prime avant toute autre considération, en particulier sanitaire ou sociale. Ainsi, non seulement la totalité des effectifs a été licenciée au fil des années et des plans de réorganisation, mais les machines ont été détruites. Envoyées chez le ferrailleur sans émouvoir les pouvoirs publics.

Le Covid-19 oblige les politiques à réagir

Les plus hautes autorités de l’Etat étaient pourtant informées. Un délégué syndical s’est adressé à Emmanuel Macron en 2018, comme en attestent deux courriers de réponse que nous nous sommes procurés, transmis par les chefs de cabinets du président de la République et du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Les échanges se sont arrêtés là.

Toutefois, la proposition de Serge Le Quéau et de Solidaires exprimée dès le 26 mars 2020 pourrait prendre corps, dans un retournement dont l’histoire a le secret. Les collectivités locales (région Bretagne, département des Côtes-d’Armor, ville et agglomération de Saint-Brieuc, commune de Plaintel) discutent du montage d’une coopérative ouvrière de production sous forme de SCIC, dans laquelle d’ancien·nes ouvrièr·es et ingénieur·es d’Honeywell Plaintel pourraient de nouveau exercer leurs compétences. L’apport de l’Etat semble toutefois déterminant. Un geste favorable du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, est donc attendu.

Cette relance est envisagée au mieux pour la fin de l’année 2020 par l’ancien directeur Jean-Jacques Fuan, qui a réuni autour de lui d’ancien·nes salarié·es.

Elle nourrit aussi un bras de fer. Ainsi, l’intersyndicale dont font partie Solidaires et la CGT demande au préfet des Côtes-d’Armor de réunir une table ronde à laquelle ces organisations participeraient. Garantie à leurs yeux pour éviter toute dérive bureaucratique ou récupération politique. La CFDT, majoritaire dans l’ex-usine Honeywell, a dans un premier temps décrit le projet de Solidaires comme aventureux, mais semble s’être depuis rapprochée du dossier.

Tout le monde d’accord, sauf le gouvernement

Mise à jour du 21 avril 2020

Vendredi 17 avril, la secrétaire d’Etat à l’Economie écarte, à ce stade, l’hypothèse d’une participation de l’Etat dans la relance de l’usine de Plaintel. Agnès Pannier-Runacher répond alors au député LR de Loudéac-Lamballe, Marc Le Fur, lors de la première lecture du projet de loi de finance rectificative, dans l’hémicycle de l’Assemblée. Celui-ci estime souhaitable que les 20 à 25 milliards d’augmentation du compte d’affectation spéciale de l’Etat puissent servir à ce type de reconstruction.

« Concernant Plaintel, il s’agit d’une usine dont les locaux ont déjà été repris par une autre entreprise ; les machines ont été soit mises de côté, soit reprises, expose Agnès Pannier-Runacher qui omet de souligner les destructions de machines. Je sais que l’équipe est très motivée pour élaborer un projet. Néanmoins, nous sommes passés de 15 millions de masques produits par mois à 40 millions en avril. Il faut y ajouter 40 autres millions, en provenance de Kolmi Hopen et Paul Boyé Technologies, qui sont en train de renforcer leur capacité de production, ainsi que de Faurecia, de Plastic Omnium, de Michelin, de BB Distribe ; peut-être d’autres viendront-ils de l’usine Cellulose de Brocéliande, pas très loin de Plaintel, mais pas exactement dans le même département, qui démarrera plutôt la production au mois de juin. Nous poussons Cera Engineering, le constructeur français, à travailler avec Michelin, afin d’augmenter sa capacité de production de machines. Je veux vous rassurer : le projet Plaintel constitue peut-être une bonne idée, et j’en ai discuté avec le président de région, mais d’autres pistes existent. » Agnès Pannier-Runacher, secétaire d’Etat à l’économie

« S’il n’y a pas le soutien des pouvoirs publics, je ne vois pas comment on pourra le mener à bien », se désole Jean-Jacques Fuan dans Ouest-France. Directeur de l’usine entre 1991 et 2006, il avait cherché un repreneur local en 2018 avec le groupe d’investisseurs Armor Angels.

Jean-Jacques Fuan est aussi investi politiquement. Il avait été candidat suppléant aux législatives pour le parti de Marc Le Fur en 2017, quelques mois après avoir démissionné de ses mandats, en désaccord avec le maire Modem de Saint-Brieuc, Bruno Joncour. Début avril, c’est à Eric Coquerel qu’il expose la situation dans un entretien diffusé sur Youtube, dans le cadre de la « commission d’enquête de suivi du Covid-19 » lancée par La France Insoumise. L’affaire nourrit depuis la communication du mouvement.

Autre signe qui montre que les frontières politiques sont pour le moins mouvantes sur ce dossier, le principe d’une réouverture est également soutenu par la présidente LREM de l’agglomération briochine, Marie-Claire Diourou, et la section locale du Parti communiste.

Chez Les Républicains, le président du conseil départemental Alain Cadec a envoyé un courrier à Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, après une discussion avec Serge Le Quéau, aux opinions pourtant diamétralement opposées aux siennes sur la plupart des sujets. Il ajoute sa voix aux critiques et « regrette l’ambiguïté » de la secrétaire d’Etat.

« A aucun moment la ministre dit qu’elle ne fera pas le geste, minimise le président PS de la région, Loïg Chesnais-Girard dans Le Télégramme. Elle évoque des alternatives dans l’instant présent mais elle ne dit pas qu’elle ne nous aidera pas. […] A Monsieur Fuan de me prouver que c’est viable. On attend qu’il nous donne les dates et les prix. »

Chacun son secrétaire d’Etat

Le président LREM de l’Assemblée nationale joue les équilibristes. Richard Ferrand, qui siège lui-même dans la majorité régionale (tout comme des élu·es PCF), préfère voir le verre à moitié plein. Il classe Agnès Pannier-Runacher et Loïg Chesnais-Girard dans le même camp, estimant qu’ils « soupèsent les chances de succès d’un projet avant de s’engager ».

Or, c’est bien la Région et non l’Etat qui a missionné l’ancien élu écologiste Guy Hascöet sur ce dossier.

Ce dernier fait actuellement le tour des entreprises bretonnes pour obtenir des engagements d’achats, faisant vibrer la fibre régionaliste pour évacuer la question de la compétitivité. Lui qui rassure l’intersyndicale en tant que créateur du statut de Scic lorsqu’il était secrétaire d’Etat de Lionel Jospin. Lui encore qui relie les élu·es de la majorité régionale PS-LREM lui ayant accordé leur confiance.

Mais sans commande ni investissement de l’Etat, serait-ce suffisant ?

Nouveau rebondissement dans le sillage d’une visite présidentielle

Mise à jour du mercredi 22 avril

Les tractations entre la Bretagne et Paris semblent progresser puisque le ton s’adoucit mercredi 22 avril. Visiblement investie du dossier par Bruno Le Maire, qui ne pipe mot, Agnès Pannier-Runacher exprime au président de région Chesnais-Girard l’intérêt du gouvernement pour ce projet, dans une lettre dont Le Télégramme publie des extraits.

« Je vous confirme que l’État, via Santé publique France, et sous l’autorité d’Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, peut se porter acquéreur de masques de protection pour les besoins du système de santé français. »

La secrétaire d’Etat ajoute qu’il « sera possible d’étudier l’achat par l’État d’une partie des volumes produits ».

Une affirmation assortie de réserves majeures car ces commandes dépendront du « calendrier de la production du site de Plaintel », de la « faisabilité » du projet et surtout de sa « compétitivité ». Cela signifie-t-il que l’usine devra s’aligner sur les coûts de production chinois ou tunisiens ? Ou que la forme coopérative du projet déplaît au gouvernement ? Le diable se cache dans les détails.

Ce rebondissement intervient quelques heures avant la visite présidentielle programmée dans le Finistère Nord, chez les légumiers de Saint-Pol-de-Léon.

Solidaires Côtes-d’Armor n’en garde que l’aspect positif et « se félicite de cette prise de position » dans un communiqué. L’organisation en profite pour rappeler la demande de table ronde formulée par l’intersyndicale au préfet et « invite tous les anciens salarié·es de l’usine d’Honeywell, avec leurs organisations syndicales mais aussi tous les citoyen·nes costarmoricain·es à se mobiliser ».

200422 - Pétition Solidaires 22 réouverture usine masques Plaintel Scic - La Déviation
Cliquez sur l’image pour accéder à la pétition

Pour maintenir la pression, elle lance sa propre pétition en ligne qui appuie sur l’intérêt d’une fabrication de masques gérée par une société coopérative d’intérêt collectif.

« [La Scic] permet d’associer tou·tes les acteur·ices du territoire régional et de la filière, décrit le syndicat. Salarié·es, collectivités locales, associations et groupements d’acheteurs siègent à son conseil d’administration. Ces coopératives savent combiner de meilleures conditions de travail, la stabilité de l’emploi et la qualité de la production. »

Un autre texte connaît un certain succès depuis le 10 avril. Une pétition en ligne signée Alonzo Gabriel a recueilli près de 42.000 signatures au 22 avril, à 15 h. Son titre, « Coronavirus en Bretagne : la région en appelle à l’Etat et à l’Europe pour relancer son usine de masques », renvoie vers un article paru dans 20 Minutes. Elle ne fait pas mention de la Scic et contient notamment les mots clés « Frexit » (slogan de l’UPR) et « Gilets jaunes ». De quoi rappeler quelques mauvais souvenirs au chef de l’Etat.

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