Comme à New-York ou en Espagne, les locataires de France refuseront-ils de payer ?

Se loger, se soigner ou se nourrir, les locataires ne veulent pas choisir. En Espagne comme à New-York, des mots d’ordre de grève obligent les gouvernements à réagir. Le mouvement pourrait gagner la France, où l’épidémie de Covid-19 assomme les classes populaires. Le logement y représente un poste de dépense majeur et contraint.

Capitale du capitalisme, New York se flétrit à vue d’oeil. Plus d’1,1 million d’habitant·es y sont désormais inscrit·es au chômage, soit environ 13 % de la population contre 3,4 % il y a trois mois. Les quelques centaines de dollars distribués chaque mois aux allocataires ne suffisent pas, quand les loyers comptent un zéro supplémentaire.

200423 - Grève des loyers Rent Strike Today Cancel Rent Tomorrow - La Déviation
Le mouvement #CancelRent demande le gel des loyers et le remboursement des emprunts immobiliers. Il essaime dans tout le pays, en lien avec des groupes de Youth For Climate.

Dans ces conditions, le Workers’ Day prend une nouvelle dimension. Des militant·es comptent y renouer avec les grandes grèves de locataires (payant) du début du XXe siècle. Le 1er mai, synonyme de jour de paiement, pourrait se transformer un mouvement de désobéissance massif. Pour bon nombre par nécessité, et pour d’autres par solidarité.

La situation est tout aussi critique en Espagne, où le chômage s’apprête à retrouver les sommets connus en 2013, c’est-à-dire supérieur à 26 %. De l’autre côté des Pyrénées, la grève des loyers se dit huelga de alquiler et le mouvement éponyme voit fleurir des comités dans les grandes villes.

Comme un pont entre les peuples en lutte et les époques, le site officiel est illustré par une photo de la grève des loyers new-yorkaise de 1919. D’autres références plus locales sont également agitées, en particulier la grève menée en 1931 à Barcelone derrière le puissant syndicat anarchiste CNT. Le Syndicat des locataires, particulièrement fort en Catalogne, ne se prive pas de le mentionner.

Le premier ministre PSOE (équivalent du PS en Espagne)a décidé de suspendre les expulsions jusqu’au sixième mois suivant la pandémie et de prolonger automatiquement les contrats locatifs arrivant à terme. Mais pas question, à ce stade, de suspendre les loyers et encore moins de les annuler.

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Le site de la grève des loyers espagnole recense 58 comités locaux sur son site web, au 23 avril 2020.
Des draps blancs aux fenêtres françaises

Si le système social français, même attaqué, sert encore d’amortisseur aux crises, le tsunami s’approche. Des banques alimentaires constatent une hausse des demandes de la part des associations comme Les Restos du Cœur, signe de l’arrivée de nouveaux bénéficiaires. Dans toutes les zones où l’économie informelle occupe une place importante, la situation est extrêmement préoccupante.

D’après Le Canard Enchaîné, le préfet de Seine-Saint-Denis redoute des « émeutes de la faim » dans son département. La faim risque aussi de ronger les habitant·es de Guyane et de Mayotte et plus particulièrement les populations sans-papiers, qui ne figurent pas sur les listes officielles.

Le chercheur à l’Institut de recherche économiques et sociales (Ires) Pierre Concialdi estime que 6 à 7 millions de personnes seront ainsi mises en difficulté par la récession [1], dans une note commentée sur Mediapart (payant). Ce qui ne comprend même pas les étudiant·es, une partie des retraité·es et d’autres populations situées aux marges des statistiques comme les sans-abris. L’auteur du rapport trouve la réponse des pouvoirs publics insuffisante et rappelle que la réduction de dépenses sociales n’est pas abandonnée, dans la lignée de la baisse des APL décidée en parallèle d’une quasi-suppression de l’ISF au début du mandat d’Emmanuel Macron.

Droit au logement (DAL) enfonce le clou sur « l’irresponsable inaction du gouvernement » et prend l’initiative d’un appel à la mobilisation pour obtenir un moratoire sur les loyers. Derrière cette revendication phare, l’association demande aussi la suspension des sanctions, un budget pour apurer la dette des ménages en difficulté et l’organisation rapide d’une baisse des loyers. Plusieurs responsables politiques, associatifs et syndicaux la soutiennent.

Le DAL présente son plan sur le site « Loyers suspendus.org ».

« Dans un premier temps, suspendre au plus vite le prélèvement bancaire automatique ; dans un second temps, si le gouvernement reste sourd à la détresse des locataires en difficulté, d’ici la prochaine échéance, suspendre le loyer en s’assurant auparavant de ne pas se mettre plus en difficulté. »

L’association est soutenue par le collectif de DJ Quarantine Sonic Squad, qui lui reversera les bénéfices de l’album « Dal de vivre », à paraître le 1er mai.

La mobilisation prend une forme plus directe et plus autonome dans certaines régions. A Toulouse le collectif « On ne paie plus 31 » entend devenir la bête noire des bailleurs. Son mode d’emploi prend compte les risques encourus. L’un de ses visuels promeut « un monde sans la pire des épidémies : patrons, proprios, flics ». Plus cordiale, une lettre type permet d’informer son propriétaire de son défaut de paiement.

Dans le Nord, l’Atelier populaire d’urbanisme du quartier de Fives a signé dès le 3 avril un communiqué pour soutenir les grévistes. L’association se bat depuis 2014 contre les marchands de sommeil. Elle exige que « que toutes les dettes locatives contractées pendant et des suites de cette période soient nulles et non avenues et que les bailleurs sociaux soient contraints de ne plus percevoir les loyers ».

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Les militants du collectif toulousain « On ne paie plus 31 » ont rendu visite à une agence immobilière.

En Bretagne, des « précaires et solidaires de Brest et alentours » ont lancé un canal sur Telegram pour discuter. Idem à Rennes, où une adresse courriel y est dédiée. A Saint-Brieuc, chef-lieu des Côtes-d’Armor connu pour sa proportion importante de logements vacants, les occupant·es du squat de La Baie Rouge – sous le coup d’une obligation de quitter les lieux -, se préparent à rejoindre le mouvement. Levez la tête, des draps blancs pourraient bientôt flotter aux fenêtres. Et ce sera pas en signe de renoncement.

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