Algérie, “Dans l’ombre de Charonne”

18 mars 1962, la France signe les accords d’Evian, mettant fin à huit années de guerre en Algérie. L’occasion de se replonger à hauteur d’hommes, dans la France d’alors. L’une de l’avant, l’autre, de l’après…

L’une située au cœur des affrontements parisiens, qui ont déplacé la guerre d’Algérie à Paris dans les dernières années du conflit. « Dans l’ombre de Charonne », le récit de Désirée et Alain Frappier, publié aux éditions Mauconduit, retrace les souvenirs d’une jeune juïve égyptienne, sympathisante communiste, témoin du massacre qui s’est déroulé à la station de métro éponyme, le 8 février 1962.

L’histoire vraie de Maryse Douek-Tripier, pudiquement racontée par ce duo d’auteurs débutants, est à l’image de la guerre d’Algérie : longtemps tue, veut s’exposer au grand jour. Pour Maryse, c’est un problème de santé qui l’a décidé à parler, à raconter ce qu’elle a vu et vécu ce soir du 8 février 1962.

Dans l'ombre de Charonne, Désirée et Alain Frappier« Dans l’ombre de Charonne » replace le témoignage de cette soirée sanglante dans le contexte de la guerre. C’est avec les mots de la vieille femme que la lycéenne de 17 ans reprend vie, pour raconter sa vie marquée par le conflit, ses questionnements politiques, son engagement. Le graphisme rond et la ligne claire ne sont pas sans rappeler les comics américains, que la mise en page vient corroborer. Les reproductions de coupures de journaux croisent quelques pages de récit où les illustrations achèvent de donner le ton de ce témoignage engagé.

Finalement, le massacre de Charonne auquel Maryse a assisté n’occupe pas la majeure partie de l’histoire mais donne à entendre les cris de la foule et la folie policière, aux ordres de Maurice Papon, alors préfet de Police de Paris. Le reste de cet ouvrage, en noir et blanc évoque le Paris nocturne des couvre-feux pour les maghrébins, des réunions secrètes de militants pour la paix, des nombreux corps d’Algériens retrouvés noyés dans la Seine. La couleur, on l’imagine dans l’épilogue. Où cinquante ans plus tard, on retrouve Maryse à une soirée de projection débat d’un film documentaire de Daniel Kupferstein, « Mourir à Charonne, pourquoi ? ». Les enfants ou amis des dix victimes mortes d’étouffement ou le crâne écrasé par la foule qui s’était engouffrée dans le métro à la recherche d’un abris évoquent les responsables, jamais jugés de cette soirée macabre. En film, ou en BD, quel que soit le support, la parole se libère et la France commence enfin à assumer son passé.

Avec Là-bas, voilà deux bandes-dessinées à lire ou relire pour l’occasion. Parce que la France a attendu 1999 pour reconnaître les « événements » d’Algérie comme guerre, parce que les programmes scolaires de terminale ne lui consacrent toujours pas plus de deux heures, parce que les auteurs d’actes de torture ne seront jamais tous jugés parce qu’enfin, la société civile a le droit de savoir.

Dans l’ombre de Charonne, de Désirée et Alain Frappier, éditions Mauconduit, 18,50 €

Dans l'ombre de Charonne, Désirée et Alain Frappier

Dans l’ombre de Charonne, Désirée et Alain Frappier, Mauconduit, 18,50 €.

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