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La Gazette des confiné·es #7 – Guerre, cocarde et propagande

Les soignant·es du Kremlin-Bicêtre ont-iels applaudi Macron en pleine épidémie de Covid-19 ou est-ce l’Élysée qui pratique la propagande des temps de guerre ? La guerre, ce n’est pas nous qui en parlons c’est l’État qui la nomme, la fait aux Zad et y prépare la jeunesse par le SNU. Quelques réflexions et un tour d’horizon dans une gazette qui se détache de la rumeur des bottes et du bruit des grenades.

Technopolice & stratégie du choc

On s’y attendait, c’est maintenant sûr ! Les gouvernements veulent profiter de la crise du coronavirus pour imposer leurs réformes destructrices.

C’est ce que Naomi Klein appelle la stratégie du choc. Et là, on peut être certain·e que les promoteurs de la technopolice se frottent déjà les mains : Thalès, Huawei, IBM… Les projets de surveillance les plus démentiels fleurissent dans les médias.

Bornage téléphonique, GPS, cartes bancaires (rendues presque obligatoires puisque le liquide est de moins en moins accepté) cartes de transport, vidéosurveillance avec reconnaissance faciale : de nombreuses options existent pour nous espionner, comme les a recensées Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État au Numérique reconverti en VRP attitré des outils de traçages pour lutter contre le virus.

200410 - La Stratégie du choc affiche film Michael Winterbottom Mat Whitercross et Naomi Klein - La Déviation
Le « best-seller » de Naomie Klein a été adapté en film documentaire par Michael Winterbottom et Mat Whitecross, en 2010.

Il note aussi trois finalités au traçage : observer les pratiques collectives de mobilité, tracer les contacts des gent·es et contrôler des confinements individuels. Pour le moment, le gouvernement communique uniquement sur une application pour tracer toutes nos rencontres, sur la base du volontariat.

Est-ce qu’une telle application sera seulement utile pour lutter contre le coronavirus ? Il se peut même qu’un tel projet ait des effets pervers en incitant les gent·es à cacher leur maladie pour ne pas devenir des pestiféré·es sociaux et sociales… Mais le gouvernement n’a pas besoin de justifier quoi que ce soit : après tout, la moindre augmentation de son pouvoir de surveillance est bonne à prendre ! Encore une fois, on nous vend des « solutions » technologiques (voir la notion de religion du progrès) à un « problème écologique ».

Avant de nous précipiter sur des remèdes miracles, utilisons les outils déjà à notre disposition. Le gouvernement a retardé autant que possible des mesures simples, comme porter un masque en tissu pour éviter de contaminer les autres en toussant, soit-disant parce qu’il n’y avait aucune preuve scientifique que ça marchait (ce qui est faux). Il semble pourtant se précipiter aujourd’hui vers des technologies qui n’ont jamais été testées…

Contre la surveillance généralisée, informons nous, parlons-en et agissons. Individuellement, nous pouvons nous renseigner sur la Quadrature du Net ou lire des brochures d’Infokiosques.net.

200410 - Nothing to hide Jérémie Zommermann La Quadrature du Net - La Déviation
Marc Meillassoux et Mihaela Gladovic ont réalisé le docu « Nothing to hide », sorti en 2017. N’avez-vous vraiment rien à cacher ? Cliquez sur la photo pour accéder un film

Réapproprions-nous nos vies en utilisant, dès que possible, des « low tech » et inventons des façons de lutter contre l’épidémie qui ne nécessitent pas un recours massif à des technologies de surveillance et à un Etat autoritaire.

On peut aussi montrer le documentaire « Nothing to hide » à ses proches. Et on peut utiliser Tor et Tails ou encore remplir les cartes collaboratives des caméras de sécurité.

De l’usage des crises quand on annonce la guerre…

…et des titres à déconstruire : nous ne sommes pas rentré·es en guerre, en tout cas pas contre ce virus. De plus, la guerre était déjà bien présente : la France intervenait déjà dans des conflits armés avant l’apparition du covid-19, et continuera à le faire ; on nous parlait déjà de guerre contre le terrorisme, contre la drogue, contre les incivilités, etc.

La dénomination « crise », quant à elle, nous laisse une impression de distance : tout comme une crise de nerfs est faite par une personne, la crise sanitaire est faite par le virus, ou la crise climatique est faite par le climat. Or, tant pour le climat que pour le virus, ces « crises » sont les conséquences de rapports sociaux.

200410 - L'anthropocène contre l'histoire livre d'Andreas Malm aux éditions La Fabrique - La Déviation
Anthropocène ou capitalocène. Le maître de conférence en géographie humaine en Suède Andreas Malm se penche sur ce débat dans un essai traduit et publié par La Fabrice en 2017.

Ne transposons cependant pas le type de mesures prises dans le cas de la pandémie covid-19 à l’environnement : les temporalités (à priori brève / longue), les acteurs (humain·es / tout le vivant) ne sont pas les mêmes.

Ce qui reste bien commun entre ces deux phénomènes, c’est l’utilisation qui peut en être faite par les systèmes politiques et économiques. Le « business as usual » du capitalisme continue de tourner, dans une classique privatisations des profits – socialisation des pertes, qu’il s’agisse d’externalités environnementales ou d’exploitation de nos vies, avec toutes les conséquences délétères associées.

Les situations dites de crise offrent aux systèmes en place des occasions de se débarrasser de plus en plus des garde-fous démocratiques, utilisant ainsi une « stratégie du choc ». Et dans les scénarios de cette stratégie, on peut trouver le coup d’Etat climatique tout comme le coup d’Etat pandémique, des « coup[s] d’Etat ne nécessitant de tirer aucun coup de feu ».

SNU : stoppez la note urgemment !

Garde à vous ! Le Service national universel (SNU) plie, mais ne rompt pas (les rangs). Le secrétaire d’État en charge de la Jeunesse, Gabriel Attal, a simplement annoncé le 5 avril une inversion du programme. Les « engagé·es volontaires » commenceront par une mission d’intérêt général fin juin-début juillet avant un séjour de cohésion dans une brigade, « quand les conditions sanitaires le permettront ».

200410 - Pétition dites non au SNU - La Déviation
Plusieurs pétitions réclament l’abandon du Service national universel (SNU). Celle de Samuel Béguin a recueilli 6.000 signatures en ligne.

« Le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant », déclarait quasi-mystique Emmanuel Macron lundi 16 mars, au moment d’annoncer le confinement. Peut-être ressemblera-t-il plutôt au siècle précédent, tant le SNU sent la naphtaline.

L’uniforme bleu marine et blanc des participant·es est floqué d’une immense cocarde tricolore. Quant aux activités, elles parleront d’avantage aux bidasses qu’aux Copains du monde du Secours pop’. Lever au drapeau à 5 h 30, parcours d’obstacles, culture patriotique, cérémonies en tout genre… Souvenez-vous des malaises survenus pendant l’inauguration d’une statue du général de Gaulle, à Evreux, en plein cagnard, l’an passé.

« L’architecture initiale a en partie été construite par le général Menaouine et son groupe de travail », prévenait Gabriel Attal en janvier 2019. L’armée est décidément un vivier de recrutement majeur pour la macronie, qui vient de charger le général Lizurey d’un auditeur sur la crise du covid-19. Nous en parlions dans notre précédente gazette.

Le site gouvernemental etudiant.gouv.fr fait moins semblant que l’exécutif lorsqu’il explique que le SNU comporte en réalité trois phases et que la dernière, facultative, est celle de l’engagement, notamment dans un corps en uniforme. Les ambitions d’un pouvoir pour sa jeunesse, en somme.

Si cette promesse présidentielle ravit certainement l’électorat réactionnaire, le SNU n’en a pas moins un coût. Sa généralisation à l’horizon 2024 pèserait entre 2,4 et 3 milliards d’euros par an dans le budget de l’État, estime un rapport remis au premier ministre en 2018. Entre 1 et 1,5 milliard, communique plus timidement le gouvernement. Ce qui ne comprend dans aucun des cas les lourds investissements de base pour retaper les casernes.

Il est toutefois permis de douter que ce projet dépassera le stade de l’expérimentation.

S’il était plutôt aisé de trouver 2.000 jeunes intéressé·es par l’armée, la police ou les pompiers lors du lancement, le ministre de la Jeunesse se garde bien d’annoncer un chiffre pour cette année. Le syndicat Solidaires Jeunesse et Sport avance que seules 8.000 inscriptions étaient enregistrées avant le confinement. Or, la barre officielle a été ramenée subrepticement de 40.000 à 30.000.

D’ailleurs, les inscriptions sont prolongées, malgré les relances incessantes auprès des profs, dont a pris connaissance la Fédération nationale de la libre pensée, qui milite pour l’abrogation du SNU.

Quant au coût, il faudra d’autant plus le justifier à l’heure où les CHU créent des cagnottes Leetchi. Sans parler des associations qui s’asphyxient, malgré leurs qualités reconnues en termes d’émancipation, de solidarité et de mixité.

De l’art de la com’

Aucun journaliste n’est accrédité pour suivre Emmanuel Macron depuis le très peu opportun attroupement déclenché lors de son passage à Pantin, mardi 7 avril. Une situation qui émeut la très modérée Association de la presse présidentielle.

200410 - Twitter Elysée et Elexis Poulin Emmanuel Macron soignants CHU Kremlin-Bicêtre le 9 avril 2020 - La Déviation
Deux extraits du même échange filmé le 9 avril au CHU du Kremlin-Bicêtre. Le premier sert la propagande présidentielle, le second en montre les limites.

Aucun·e journaliste… ou presque, puisque La Gazette des confiné·es avait des yeux et des oreilles à l’hôpital universitaire du Kremlin-Bicêtre, jeudi 9 avril, lors d’un déplacement présidentiel cette fois très verrouillé. Témoignage.

« On a su que Macron venait un quart d’heure avant qu’il ne mette effectivement les pieds dans le hall du bâtiment Barré-Sinoussi. Les soignant·es le regardaient depuis les mezzanines aux étages, on n’avait pas le droit de descendre (et nos patient·es qui arrivaient en ambulance des maisons de retraite étaient bloqué·es dehors).

Plusieurs soignant·es l’ont interpellé sur sa politique de gestion de l’hôpital avant le covid et ont fait référence aux « gilets jaunes ».

Il a répondu qu’il n’était pas responsable des politiques des précédents gouvernements, ce à quoi on lui a répondu qu’il avait empiré la situation depuis qu’il était là.

On a applaudi à deux moments : quand une des infirmières l’a interpellé un peu plus agressivement que les autres, et ensuite lorsqu’une a demandé à ce qu’on s’applaudisse entre nous, soignant·es.

C’est là qu’il a applaudi avec nous, et je pense que c’est cette image que l’Élysée a fait tourner ensuite.

Pendant ce temps, des mecs en costard tournaient dans les trois étages de mezza pour empêcher les gens de filmer, sans doute pour pas perturber la com’ officielle. Il faut dire que ça ne se balade pas tout seul, un président de la République, il y avait au moins une trentaine d’agents de sécurité postés un peu partout dans et autour du bâtiment.

Le soir, tout ce beau monde était à Marseille pour rencontrer Raoult : en termes de stratégie de confinement, trimbaler autant de gens dans des hôpitaux plein de malades du covid, alors même qu’on empêche les familles des malades de venir, est une aberration… »

Même sans caméra de télé et malgré la surveillance des agent·es de l’Elysée, une vidéo montrant la teneur des débats circule sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas celle que diffusent les JT.

Des dons au goût amer

Les soignant·es du Kremlin-Bicêtre et d’ailleurs ne goûteront probablement pas plus la com’ des multinationales que celle de l’Elysée.

Tandis que certain·es se rendent compte des conséquences des attaques infligées au système de santé, qui en est réduit à servir de plateforme de publicité pour les différentes entreprises se lançant dans la philanthropie, ou que d’autres se souviennent qu’il existe une plateforme de « crowdfunding » efficace, l’impôt, d’autres encore ne perdent pas de vue leurs intérêts.

191114 - Manifestation hôpital Lannion Tout droits réservés Sylvain Ernault - La Déviation
Les manifestations du personnel soignant se succèdent depuis des années, le plus souvent dans une indifférence polie des médias comme des pouvoirs publics. Ici devant l’hôpital de Lannion à l’automne 2019.

Amazon (13 milliard d’euros de bénéfice en 2019), dont le dirigeant, Jeff Bezos est la personne la plus riche du monde, a fait appel aux dons publics pour… payer des congés maladie à ses salarié·es qui tomberaient malades.

Les syndicats français préféraient éviter les chambres de réa. Solidaires, se bat sur le terrain judiciaire pour obtenir la fermeture de six sites. Le tribunal judiciaire de Nanterre se prononcera mardi 14 avril. Onze dossiers de salarié·es souhaitant faire valoir leur droit de retrait ont par ailleurs été transmis aux prud’hommes, indique Laurent Degousée, co-secrétaire de Sud Commerce.

La CGT de Douai a assigné l’entreprise en référé pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

La CFDT a déclenché une grève mercredi, quelques jours après les mises en demeure prononcées par l’inspection du travail, dont nous vous parlions dans notre précédent numéro.

Quant à l’ultimatum de Muriel Pénicaud, lancé le 5 avril et arrivant à échéance le 8, il ne semble pas avoir le moins du monde perturbé les petites affaires de la firme de Seattle.

Industrialisation & coronavirus

Et si la pandémie en cours avait été causée par la société industrielle dans laquelle nous vivons ?

Un article du Monde diplomatique rappelle que la transmission des virus des animaux vers les humain·es est favorisée par la destruction des habitats des espèces, comme la déforestation, en prenant de multiples exemples antérieurs à la pandémie actuelle : ébola, maladie de Lyme, etc.

De plus, les zones détruites sont souvent utilisées pour faire de l’élevage industriel qui offre les « conditions idéales pour que les microbes se muent en agents pathogènes mortels ».

Mais ne tombons pas pour autant dans l’excès en prétendant que le virus est une vengeance contre notre société car cela nous orienterait vers un éco-fascisme destructeur.

Tout cela n’empêche pas l’agrobusiness de continuer comme si de rien n’était : alors que quasiment tout le monde est confiné, des transports de veaux à travers l’Europe dans des conditions scandaleuses sont maintenus comme le dénonce l’association L214 !

Évacuation de Zad pendant le confinement

Ce qui est pratique quand on est un État qui met en confinement toute sa population, c’est qu’on peut ne pas respecter ses propres règles.

200411 - Zad de la Dune expulsée et brûlée à Bretignolles-sur-mer en Vendée le 8 avril 2020 2 - La Déviation
La Zad de la Dune en Vendée a été expulsée le 8 avril au soir par un important dispositif policier. Des habitant·es de la charmante cité de Bretignolles ont ensuite brûlé les cabanes et brutalisé les animaux, selon les témoignages des zadien·nes.

C’est ce qui s’est passé en Vendée lors de l’évacuation, ce mercredi 8 avril vers 20 h, de la Zad de la Dune, installée pour lutter contre un projet de port de plaisance destructeur (la mairie affirme que les lieux étaient vide et que ce n’était pas légalement une expulsion). Dans leur communiqué, les zadistes parlent de 70 habitant·es de Brétignolles aidé·es par les services techniques municipaux brûlant leurs cabanes…

La gazette envoie tout son soutien à la vingtaine de zadistes évacué·es et abandonné·es dans la rue en fin de soirée par la police en pleine crise sanitaire.

Nous aurons besoin des Zad plus que jamais pour lutter contre tous les projets imposés, inutiles et destructeurs qui se préparent avec la relance économique dont le capitalisme va avoir besoin (en Chine, le gouvernement lance des plans d’investissements massifs). Alors préparons-nous !

Illustration de une : visuel du site technopolice.fr

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Fabrice Nicolino témoigne contre les pesticides

Dans « Pesticides : Révélations sur un scandale français », paru en 2007, Fabrice Nicolino, journaliste pour Charlie Hebdo, revenait sur l’exploitation des découvertes chimiques de la Seconde Guerre mondiale par l’agriculture intensive.

Plus de cinquante ans après les révélations de la scientifique américaine Rachel Carson, les dangers des pesticides pour la santé n’empêchent pas leur utilisation massive, en particulier en Bretagne.

Le 20 octobre dernier, Fabrice Nicolino témoignait au tribunal de Guingamp (22) en faveur de sept « faucheurs », poursuivis pour avoir dégradé des produits à base de glyphosate (dont le Roundup de Monsanto) dans des jardineries des Côtes-d’Armor.

« Depuis 1962, on sait que les pesticides sont dangereux »

« Au point de départ, après la Seconde Guerre mondiale où il fallait nourrir la France – il y avait des tickets de rationnement jusqu’en 1949 -, l’agriculture était ruinée. La découverte de molécules chimiques qui paraissaient miraculeuses comme le DTT a entraîné un véritable enthousiasme dans les milieux agricoles, dans les milieux de recherche, l’Inra venait de naître.

Pendant une quinzaine d’années ça a été la « belle vie » si j’ose dire. Ces molécules nouvelles ou redécouvertes sur fond de guerre mondiale ont permis à l’agriculture de se débarrasser de beaucoup de ravageurs des récoltes, donc ça paraissait être formidable, jusqu’au moment où en 1962, une Américaine, Rachel Carson, océanologue, grande vulgarisatrice, écrit un livre sensationnel qui s’appelle « Printemps silencieux », dans lequel elle révèle que les pesticides, le DDT au premier chef, sont des poisons terribles pour tous les organismes vivants : les oiseaux, mais aussi les hommes.

Entreprise de désinformation

Le livre de Rachel Carson, marque le commencement d’une période de très mauvaise foi, où l’industrie chimique devenue puissante, qui a beaucoup d’intérêts commerciaux à défendre se lance dans des entreprises de désinformation pour tromper l’opinion pour essayer de lui faire croire que les pesticides ne sont pas dangereux.

On peut dire que depuis 1962, on sait que les pesticides sont dangereux pour la santé, mais l’industrie chimique, qui a des moyens collossaux, dont le chiffre d’affaires souvent dépasse celui d’Etat de la planète, l’industrie chimique, celle des pesticides, essaye de cacher par tous les moyens la vérité simple, scientifique sur la dangerosité des pesticides. »

Complément

La présidente du tribunal correctionnel de Saint-Brieuc a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne avant de se prononcer sur d’éventuelles sanctions contre les militants anti-glyphosate jugés à Guingamp. Elle a donc accepté les cinq questions préjudicielles posées par l’avocat des accusés, à la grande satisfaction de ceux-ci, et n’a pas rendu de délibéré le 15 décembre.

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Non « Marianne », le “fact-checking” n’est pas une mode

Controverse – Un récent article de « Marianne » intitulé « On a fact-checké les fact-checkeurs »  critiquait sévèrement  le fact-checking, cette « lubie journalistique » qui « se prétend science exacte », mais qui est bien plus subjective que ce qu’on voudrait nous faire croire. Voici donc ma réponse.

Le journalisme est en pleine mutation. À tous les niveaux. Si vous qui me lisez êtes journaliste, vous savez toutes les inquiétudes qui guettent les directions et toutes les questions qui assaillent les journalistes.

Des mutations économiques, des changements de technologies qui induisent un changement de rythme, de culture, etc. Tout ceci provoque une accélération permanente des (r)évolutions de la profession que chaque journaliste perçoit selon son histoire, ses convictions et ses doutes.

Le fact-checking (un anglicisme qui a l’équivalent français peu usité de “vérification factuelle”) fait partie de ces évolutions dans le traitement de l’information et a connu un certain succès en France.

Ces dernières années, nous avons pu observer que ce genre, importé des États-Unis, a fait son bout de chemin en France jusqu’aux grandes rédactions parisiennes. Europe 1 (Le Vrai/Faux de l’info), France Info (Le vrai du faux) ou Le Monde.fr (Les décodeurs) ont développé cette formule éditoriale et d’autres suivront sans doute dans les prochaines années.

En revanche, d’autres médias, ce n’est pas une surprise, ne suivront pas ce chemin (et, d’un côté, c’est tant mieux pour la diversité de la presse) et certains s’en expliquent. Une « mode », un « lubie journalistique », une « pseudo-science », voici quelques qualificatifs utilisés par certains journalistes pour décrire le fact-checking. Vraiment ?

 « La vérification, c’est la base du journalisme ». Oui mais…

Un argument que j’entends souvent et que je lis souvent au sujet du fact-checking, c’est que la vérification des faits est la base du métier de journaliste et que, par conséquent, il ne s’agit en aucun cas d’une (r)évolution. D’où aussi la perception de certains que ce genre essaye de réinventer le journalisme en vain.

En vérité, ce que l’on appelle le fact-checking ne consiste pas à vérifier bêtement certaines assertions ou à vérifier la véracité de certains faits.

Le fact-checking est plutôt une évolution très poussée de la vérification au sens où il répond à l’évolution des usages et de la société. La communication a très largement pris le pas sur le factuel, tout spécialement en politique ou les approximations et les mensonges sont quotidiens.

La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes.

Avec l’utilisation, devenue massive, des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter, la circulation de l’information est plus rapide qu’elle ne l’a jamais été. Dans cette évolution, le rôle des médias a décru puisque les journalistes ne sont plus un relais indispensable entre le public et l’actualité. Tout juste sont-ils devenus optionnels. Le fact-checking a pour objectif de répondre à ces nouvelles exigences.

La communication est un enjeu crucial pour les acteurs politiques et économiques. Le fact-checking n’est ni une mode ni un lubie mais bien une vérification poussée et une confrontation plus frontale entre les faits ou les indicateurs qui prennent la mesure de la réalité et la parole politique.

La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes. Elle ambitionne de démonter les coups de communication, qu’ils viennent de partis politiques ou d’entreprises multinationales.

Dire le vrai du faux ?

Dans la famille des arguments tordus, il y a ceux qui s’en prennent au mode binaire de traitement, à savoir que le fact-checking ne saurait donner que deux réponses : vrai ou faux.

Là encore, il n’y a rien de plus éloigné de la réalité que ce cliché éhonté. À vrai dire, la pratique du fact-checking tend à laisser bien plus de place au doute et à la nuance que ne laisserait transparaître la promesse initiale de distinguer le « vrai » du « faux ».

La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de proposer une lecture simpliste du monde, mais au contraire de restituer sa complexité.

Si l’on prend Les décodeurs du Monde.fr, lancés en mars dernier, les articles ne tranchent que rarement sur un « tout à fait vrai » ou un « tout faux ». Et pour cause, les nuances sont nombreuses, expliquées, sourcées, et les biais des statistiques exposées. Ainsi, vous lirez souvent un « pourquoi c’est plus compliqué » ou un « pourquoi c’est exagéré ». La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de donner un monde simpliste, binaire, au lecteur. Au contraire, la promesse est de restituer la complexité du monde.

Car c’est là aussi l’une des clefs qui rend la pratique du fact-checking si intéressante. Le monde, tel qu’il est, est complexe. Pourtant, les idées reçues sont innombrables et tenaces. La pauvreté, les immigrés, la vie politique : ni les sujets minés d’a priori et d’idéologie ni les récupérations politiques ou médiatiques ne manquent. Les couvertures du Point sont là pour le rappeler chaque semaine.

Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.
Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.

L’idée du fact-checking, c’est de remettre les faits, rien que les faits, au cœur du débat. C’est une façon indispensable de dépassionner le débat avec des éléments matériels ou statistiques tangibles, susceptibles d’éclairer la compréhension du public.

Le fact-checkeur est-il objectif ?

C’est une fausse question soulevée par certains journalistes qui critiquent volontiers la prétendue objectivité des chiffres et des faits avancés par le journaliste fact-checkeur.

Quand je lis par exemple qu’on critique le choix des « victimes » politiques des décodeurs du Monde, je ris jaune. Selon ce billet, 47% des articles visent les hommes et femmes politiques de droite, ce qui démontrerait une certaine subjectivité des journalistes dans le choix des propos à vérifier.

C’est bien-sûr totalement ridicule car, comme Raphaël da Silva, qui est datajournaliste à Strasbourg, le rappelle, la bêtise ne peut être symétriquement répartie.

Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité.

De plus, tous les mensonges/approximations ne se valent pas, loin de là. Cela dépend de la gravité des propos, de l’ampleur de l’intox, de l’influence de son auteur, etc. En fonction de ces paramètres, les journalistes font des choix et les assument. Si la droite est plus contredite par la gauche en ce moment, il y a fort à parier que les bullshits sont plus nombreux de ce côté de l’échiquier politique.

Notez aussi que le journaliste qui fait bien son métier se voit constamment soupçonné d’être complaisant ou complice d’un côté ou d’un autre. Un jour il est marxiste, un autre jour il fait le jeu du FN. Demandez à Samuel Laurent (journaliste au Monde.fr, coordinateur des Décodeurs), il est passé par toutes les couleurs politiques.

Deux articles du "vrai / faux" de l’info d’Europe 1.
Deux articles du “vrai / faux” de l’info d’Europe 1.

Quand ce n’est pas le journaliste qu’on accuse d’être subjectif, ce sont ses sources et les chiffres cités. C’est une critique qui peut se valoir dans le sens où les chiffres découlent d’une méthode de recueillement des données qui comporte ses avantages et ses limites. Il est important de connaître ces biais, pas toujours faciles à détecter, afin de bien repérer les limites de certaines sources.

Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité, ce qui est très différent. Tous ne prennent pas ce recul sur les sources, mais certains le font. Je cite encore une fois Les décodeurs pour bien connaître leur travail, mais ils ne sont pas les seuls à prendre les précautions qui s’imposent sur leurs sources.

Au final, le fact-checking est-il une fausse bonne idée comme certains le prétendent ? Je ne le crois vraiment pas.

Contextualiser les actualités, vérifier systématiquement les coups de com’ des politiciens, évaluer l’efficacité de certaines mesures politiques, démonter les hoax et les idées reçues, c’est un travail d’information impérieux. Si certains croient encore que c’est aussi simple que ça et que c’est la base du métier, qu’ils s’y mettent, on en reparlera après.

Quant aux critiques, si les avis constructifs sont nécessaires et la prise de recul indispensable pour que la profession puisse sainement remettre en cause ses pratiques, les journalistes réfractaires devraient réaliser que le monde a changé, sans quoi ils ne serviront bientôt plus à rien si ce n’est qu’à publier des pamphlets creux et des unes sur Nabilla.

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Une semaine sur les ondes #10 – 13 octobre

Dans cette période, cette journée en particulier, au cours de laquelle les valeurs démocratiques sont mises à mal au profit d’un ratatinement intellectuel, accompagné par bon nombre de médias, cette revue de web sur la radio est dédiée aux grands reporters. Celles et ceux qui portent haut les valeurs du journalisme.

Cliquez ici pour ouvrir la frise chronologique en plein écran et profiter d’une meilleure expérience de lecture. Rafraichissez la page si la frise ne s’affiche pas.

Manifestement, à l’heure où le prix Bayeux des correspondants de guerre est remis aux courageux qui bravent la mort en Syrie pour nous informer et nous rendre plus libres, alors que quatre journalistes français, dont deux de radio, sont retenus et bâillonnés là-bas (une centaine de petites mains de l’information y ont été tués), le grand reportage apparaît comme le parent pauvre des genres journalistiques sur les ondes.

La soirée de remise des prix Bayeux est à réécouter sur WGR, la toute nouvelle webradio des reporters de guerre et des grands voyageurs.

Marine Olivesi, journaliste indépendante, a remporté le prix Bayeux du reportage radio pour Moussa et Al Omari, livreurs sur une ligne de front, diffusé sur la radio canadienne CBC (à écouter, en anglais, ci-dessous). Ses reportages sont disponibles sur Soundcloud ici.

Paradoxalement, les entreprises de radio ne consacrent guère de budget pour les reportages sonores, mais elles mettent de l’argent pour développer leur site web, avec des contenus souvent de qualité, comme ce nouveau webdoc proposé par France Info sur la Marche des Beurs de 1983.

Dans cette dixième Semaine sur les ondes, il est aussi question de voix, d’hier et d’aujourd’hui, à l’image de Pierre Bouteiller, Alba Ventura et Robert Arnaut, dans des registres divers. Et puis ça vous manquerait si nous ne mettions pas dans la lumière une radio locale. Cette semaine, notre “page des régions” est consacrée à la Radio des Meilleurs Jours. C’est tout ce qu’on se souhaite.

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