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Angoulême 2014 en 7 polémiques

Angoulême ne serait pas Angoulême sans ses polémiques. Cette année, les organisateurs, qui attendent 200.000 visiteurs en l’espace de quatre jours, doivent répondre aux critiques sur plusieurs fronts.

Abstention de l’académie des Grand prix, lettre ouverte contre l’entreprises israélienne Sodastream, articles critiques sur la réception des éditeurs ou des journalistes web, pétition japonaise contre une exposition coréenne, voici quelques actions qui font du bruit à Angoulême. On fait le point.

1/ La Cité internationale de la BD

C’est une affaire compliquée qui mériterait un dessin. La prochaine fois, promis.

La société 9eArt+, qui gère le festival, est en conflit avec la Cité internationale de la BD, ouverte depuis 2008 à Angoulême. Cet établissement public de production, de commerce et d’exposition, avait pourtant été créé par les pouvoirs publics pour venir en aide au festival.

En novembre, le président du Conseil général de la Charente, Michel Boutant, a imposé que les structures s’entendent pour que le festival obtienne des subventions. Les organisateurs l’ont vécu comme un chantage.

Gilles Ciment, directeur de la Cité de la BD sur la sellette, a même fait un burn-out la semaine dernière après une entrevue houleuse avec Michel Boutant. Il est en arrêt maladie pendant le week-end du festival.

Pour compliquer le tout, le journaliste Didier Pasamonik, éditorialiste du site Actuabd.com, a publié une missive incendiaire, dans laquelle il s’en prend aux organisateurs.

Eric Loret remarque dans Libération qu’on “comprendra surtout que c’est affaire de haines intestines un peu plus compliquées que les Atrides et loin, très loin de quelque pensée que ce soit pour le public“.

2/ Le nouveau règlement du Grand Prix

Le changement de mode de désignation du Grand prix de la ville d’Angoulême, seule récompense vraiment marquante du week-end, a provoqué l’abstention d’une majorité des membres de l’académie des Grands prix.

Sur les 26 académiciens, récompensés lors des 40 éditions précédentes, qui devaient désigner leur successeur, 16 n’ont pas voté cette année. Ils sont courroucés de devoir partager l’urne avec l’ensemble de leurs confrères présents à Angoulême. Philippe Druillet parle même de “mépris”. L’académie s’est donc dissoute, mais une grande partie des anciens distingués voteront tout de même dans le nouveau collège unique.

La BD évolue, s’internationalise, et les avis de l’académie étaient souvent jugés old school et ethno-centrés. Cette année, il en sera forcément autrement. Les finalistes sont Bill Watterson, Katsuhiro Otomo et Alan Moore.

Alan Moore - Grand Prix potentiel du festival d'Angoulême 2014 - La Déviation
“J’ai décidé de ne plus accepter de prix, il ne faut pas m’en vouloir. […] Je ne me rends plus dans les festivals, je n’accepte plus aucune récompense. Je conçois et j’apprécie les sentiments de tous ces gens qui me choisissent, mais je ne veux assumer que ce que j’ai décidé moi-même d’entreprendre, pas ce que les autres veulent de moi.” Alan Moore

Le pire est peut-être à venir, puisque l’Anglais Alan Moore a fait savoir qu’il n’accepterait pas la distinction s’il était élu. Bill Watterson, quant à lui, ne veut plus rencontrer un seul journaliste. Problèmatique quand on sait que le Grand prix d’une année devient le président de l’édition suivante.

3/ Le partenariat avec l’Israélien Sodastream

9eArt+ a perdu plusieurs sponsors privés d’envergure ces derniers temps. Les centres Leclerc et la Fnac ont retiré leurs billes. Un nouvel acteur entre dans le jeu cette année, la compagnie de gazéification de l’eau à domicile Sodastream. L’affaire fait des bulles qui piquent.

Sodastream est une entreprise israélienne. L’association Charente Palestine solidarité est montée au créneau, dénonçant l’implantation d’une usine dans une colonie israélienne en Cisjordanie.

Charente Palestine solidarité appelle au boycott de la marque et prévient d’une action coup de poing pendant le festival.

Sodastream Angoulême 2014 - Page Facebook - La Déviation
Photo de l’espace Sodastream au festival d’Angoulême. Crédits Sodastream page Facebook

Alertés, plusieurs dessinateurs ont signé une lettre ouverte contre ce partenariat, dont Siné, Joe Sacco ou Willis From Tunis. Le délégué général du festival Franck Bondoux défend l’entreprise qui “n’a jamais été condamnée en France”, note-t-il.

4/ La réception de l’éditeur Bamboo

Le septième éditeur en nombre de nouveautés publiées en 2013 ne posera pas ses tréteaux à Angoulême cette année. Bamboo, connu pour ses séries Les Profs ou Les Gendarmes, se sent “méprisé” par les organisateurs.

Dénonçant en bloc le prix trop élevé des stands, le désintérêt des journalistes, le fait d’être tenu à l’écart des distinctions ou le système des dédicaces, qualifiées “d’abattage“, Olivier Sulpice préfère se rendre dans des festivals “à taille humaine”. Ce qu’aurait cessé d’être le FIBD.

5/ La réception de la presse web

Bédéo sèche le festival d’Angoulême” et le revendique.

La position est osée. Considérant qu’il est délaissé au profit des médias de masse, le site spécialisé n’envoie aucune équipe couvrir le premier événement bédé hexagonal.

“Avec les autres sites BD, nous nous étions coordonnés pour proposer un partenariat à la hauteur de l’évènement. Avec cinq sites BD motivés qui captent l’essentiel des bédéphiles du web, nous nous sommes dit que nous allions enfin pouvoir discuter. Que nenni…”, écrit Laurence Seguy dans son édito coup de gueule, concluant d’un cinglant “la BD vit tous les jours en dehors du FIBD et nous l’aimons comme ça ! En revanche, on se demande si le FIBD aime encore la BD“.

6/ La plagiat des Schtroumpfs noirs

Là, c’est d’une polémique en puissance dont il est question. Les éditions La Cinquième couche vendent une nouvelle version des Schtroumpfs noirs (1963). La BD originelle est accusée de racisme. Le synopsis tient en effet dans une maladie, transmise par une mouche, qui transforme les Schtroumpfs bleus en Schtroumpfs noirs en les rendant méchants.

Dans la version anglophone, les petits personnages de Peyo étaient passés au violet pour que l’album puisse être commercialisé. Dans la BD en vente à Angoulême, l’auteur passe du violet au bleu, tournant ainsi l’histoire au ridicule.

Les mêmes éditeurs s’étaient rendus en 2012 à Angoulême avec des albums de Katz, détournement de Maus d’Art Spiegelmann, dans lesquels tous les personnages avaient des têtes de chat. Face à la colère de Flammarion et Spiegelmann, les albums avaient été détruits pour éviter un procès.

7/ L’exposition coréenne sur les “femmes de réconfort”

Encore plus inattendue : la pétition adressée au festival par une association de femmes japonaises. Japanese Women for Justice and Peace reproche la tenue d’une exposition sur les “femmes de réconfort” sur le stand de la Corée du Sud. Près de 14.000 signatures ont été recueillies et transmises aux organisateurs, aux politiques comme à la presse.

Selon le texte de la pétition (disponible en français), la Corée du Sud mènerait une “campagne malveillante anti-japonaise”. Par le biais du festival, elle ferait courir le chiffre de 200.000 esclaves sexuelles coréennes forcées de se prostituer pendant la Seconde Guerre mondiale, au service des militaires japonais.

“On ne nie jamais l’existence des femmes de réconfort. Mais ni 200.000, ni enlevées, ni forcées par l’Armée impériale japonaise ! […] Et au festival, le gouvernement coréen manipule le festival d’Angoulême comme un champ de bataille politique et diplomatique. Il est en train de conspirer contre notre pays”, renchérit l’association japonaise sur un ton nationaliste.

Mercredi, le stand japonais Nextdoor, accusé de négationnisme, a été fermé. La Charente Libre rapporte qu’un huissier est intervenu pour constaté la présence de croix gammées et de saluts nazis sur des planches mises en avant sur le stand.

Difficile d’y voir une apologie de l’Allemagne nazie, chacun en jugera.

Vendredi, l’ambassadeur japonais en France, Yoichi Suzuki, a « regretté vivement que cette exposition ait lieu », estimant qu’il s’agissait « d’un point de vue erroné qui complique davantage les relations entre la Corée du Sud et le Japon ».

Les réactions pro-japonaises sont nombreuses sur les réseaux sociaux.

“La plupart des historiens estiment à 200 000 le nombre de femmes – surtout des Coréennes, Chinoises et Philippines – réduites en esclavage sexuel par Tokyo pendant la Seconde guerre mondiale”, écrit le Nouvel Observateur.

Voici le festival d’Angoulême au cœur d’un conflit diplomatique qui dépasse cette fois de loin les frontières de la Charente. Qui a dit que la BD était un loisir d’enfants ?

Visitez notre dossier Angoulême 2014

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Brignoles, le jour où les médias ont perdu pied

Infographie – À moins d’avoir passé le week-end dans une grotte isolée, perdue au milieu du Vercors, oui vous êtes au courant : le Front national a gagné une importante élection dimanche au soir, à Brignoles. Oui, le Front national a triomphé ! Oui, le Front National progresse inévitablement dans le cœur des électeurs !

Mais au fait, de quelle élection parle-t-on ? De l’élection présidentielle ! Non ? Ah non. Il s’agit d’une législative partielle alors ? Le FN progresse à l’Assemblée nationale ? Non non. Une élection régionale peut-être ? Non, rien de tout cela car il s’agissait en réalité d’une élection cantonale. Qu’est-ce qu’une cantonale ? Tout simplement l’élection des conseillers généraux.

Quoi, seulement ?

Oui, il ne s’agit seulement que d’un seul conseiller général. Pourquoi cette question ? Parce que la couverture médiatique dont cette petite cantonale partielle a bénéficié est incroyable tant elle est démesurée. Voyez plutôt :

La presse écrite affiche des unes qui font peur, les chaînes d’info en continu sont en couverture spéciale pendant toute la soirée, alternant entre une déclaration de Marine Le Pen sur le recul de la pensée unique et le candidat frontiste nouvellement élu affichant fièrement ses ambitions et sa fierté de travailler pour les “vrais Français”.

Les mots employés sont cruels, terribles : le front républicain est mort, le Front National progresse à vue d’œil. Vraiment ?

Sur les onze élections partielles (législatives et cantonales) tenues depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012, le Front national a été éliminé dès le premier tour huit fois, soit 72 % du temps.

Le front républicain a été appelé trois fois et a fonctionné deux fois. Cette élection est donc la première à voir le front républicain faillir face au Front national. De là à parler de sa mort (c’est-à-dire de sa totale incapacité à refonctionner à l’avenir) c’est totalement précipité et probablement faux.

Sur les résultats des dernières législatives partielles, on peut d’ailleurs constater que les bons scores du Front national sont réalisés dans des départements où le vote d’extrême-droite est déjà un peu plus élevé que la moyenne nationale.

De plus, si l’on prend le premier tour, on s’aperçoit que le Front national perd des voix dans certaines circonscriptions. Dans l’Hérault, le FN avait rassemblé 11.329 voix aux législatives de juin 2012 et seulement 8.240 en décembre 2012, soit une baisse de 28 %.

Dans l’Oise, la frontiste Florence Italiani qui est arrivée au second tour, a réuni au premier tour 7.249 électeurs en mars 2013 contre 11.185 en juin 2012, soit là aussi une baisse conséquente (35 %) ! Ce qui montre que le vote d’adhésion seul ne permet pas au Front National de faire de gros scores. Il lui faut atteindre le second tour pour que son score bondisse, parfois du simple au double. Il y a donc clairement un vote de rejet qui profite au FN. Ce vote de rejet étant systématiquement dirigé contre l’UMP, une partie de l’électorat de gauche alimente le vote Front national, comme l’explique très justement Nicolas Lebourg, historien des droites extrêmes, au Monde.fr.

La couverture délirante et dérangeante de cette minuscule élection fait une publicité incroyable au Front national et laisse à penser que le parti progresse et qu’il s’agit d’une importante victoire. Mais il y a 4.030 conseillers généraux en France ! Et il ne s’agit que d’un seul siège, oui un seul !

Pour rappel, voici le nombre de conseillers généraux par parti politique en France.

Alors pourquoi avoir parlé de cette cantonale en particulier ?

Saviez-vous que deux autres cantonales partielles ont eu lieu cette année, dans l’anonymat médiatique le plus complet ? Et vous savez quoi ? Le FN y a fait des scores inférieurs (troisième place avec 11,6 % à Mantes-la-Jolie et quatrième place avec 15,89 % à Aubenton).

Ce qui revient à dire que sur les trois cantonales partielles de 2013, le FN a fait un bon score sur une élection sur trois. Voilà qui remet les choses en perspective, loin de la surenchère dangereuse d’une bonne partie des médias à Brignoles.

Finalement, ceux qui en parlent le mieux, ce sont encore les guignols de l’info.

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« Y’a autant de Plogoff que de gens qui ont vécu les événements »

C’est une bande dessinée engagée que signent le dessinateur Alexis Horellou et sa compagne Delphine Le Lay. Le récit d’une part de l’histoire contemporaine de la Bretagne, racontée du côté des militants antinucléaires. Ces militants, ce sont les habitants de Plogoff, ce village de la Pointe du Raz, qui s’est soulevé, il y a plus de trente ans, contre l’implantation d’une centrale nucléaire sur ses terres.

C’est l’histoire érigée en légende des Plogoffites. De leur prise de conscience des dangers de l’atome, au moment où la Bretagne se lasse de laver ses côtes souillées par le pétrole, au renoncement de l’État sous la nouvelle présidence Miterrand, en 1981. Des années marquées par des combats épiques contre les forces de l’ordre, des rassemblements géants qui marquent les débuts de l’écologie politique, mais aussi des coup de blues et des trahisons. “Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait“, aurait pu écrire d’eux Mark Twain. Delphine Le Lay souhaitait mettre en valeur cet exemple de résistance populaire. Interview.

Sylvain Ernault – Vous êtes originaire de Quimper, mais vous n’aviez qu’un an lors des événements de Plogoff. Qu’est-ce que cette lutte représente pour vous ?

Delphine Le Lay.
Delphine Le Lay est née à Quimper en 1979. Après de multiples expériences professionnelles, elle rencontre Alexis Horellou, dessinateur de bandes dessinées, à Bruxelles, en 2007. Elle met ainsi le pied dans le monde la BD.

Delphine Le Lay – C’était vraiment une légende pour moi Plogoff, le petit village d’irréductibles qui avait résisté à l’envahisseur et qui était sorti vainqueur ; ça n’allait pas très loin, mais ça faisait rêver. Et puis il y a deux ans, il y a eu évidemment la catastrophe à Fukushima et puis en même temps Plogoff fêtait ses trente ans. Là, j’ai entendu une émission de radio qui retraçait les événements. Ça m’a éclairé et ça m’a enthousiasmé bien plus. J’ai découvert une mobilisation, un acte de désobéissance civile très fort et qui était arrivé à une victoire.

Votre ouvrage s’inscrit dans un corpus déjà assez riche, il y a déjà eu un film, des reportages télé, des livres…

…Mais pas encore de BD. Voilà c’est chouette, on est contents de compléter le tableau. J’ai lu, je le pense, tous les ouvrages qui existent sur le sujet et chacun apporte, je trouve, un éclairage différent sur les événements. Il y a deux reportages (télé, NDLR) et chaque personne qui s’est intéressée au sujet pour un média ou pour un autre apporte quelque chose de différent et j’espère qu’on apporte aussi un éclairage par la BD.

Vous avez été surprise de la violence de l’opposition entre les antinucléaires et les policiers, lors de l’enquête d’utilité publique, au printemps 1980 ?

Oui, c’est même choquant. Le film des Le Garrec (Des Pierres contre des fusils, NDLR) est vraiment étonnant. Je le dis assez souvent, même c’est vrai que si notre génération n’avait eu que les témoignages des gens qui ont vécu les événements, moi je ne les aurai pas cru. Je me serais dit “oui bon, l’émotion prend le dessus. Ils ont cru qu’ils allaient mourir mais c’était pas vrai“. En fait quand on voit les images et le son du film des Le Garrec on se dit “mais c’est dingue“, c’est vraiment des scènes de combat et d’affrontements hyper violents et qui n’ont pas eu lieu qu’à Plogoff. Dans d’autres endroits aussi.

“Trois ans après Creis-Malville,
ils faisaient la même à Plogoff.
C’est dingue, c’est énervant en fait.”

À Creis-Malville il y a eu un mort, et c’était trois ans avant les événements à Plogoff, et quelqu’un était déjà tombé, un manifestant sous les grenades offensives des gardes mobiles. Trois ans après, ils faisaient la même à Plogoff et c’est dingue, c’est énervant en fait. Du coup c’est chouette si cette histoire peut en réveiller d’autres et se transmettre.

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, affrontements.
De nombreuses pages sont sans dialogue, laissant parler les images qui sont souvent très fortes. Elles laissent aussi une grande place aux paysages.

Nicole et Félix Le Garrec ont écrit la préface de votre BD. Ils sont donc les auteurs d’un film, réalisé pendant la guérilla rurale qui s’est tenue pendant l’enquête d’utilité publique dans le canton de Plogoff en 1980. Comment ont-ils apprécié votre ouvrage ?

Eux, je crois qu’ils sont contents de passer le flambeau, d’après ce qu’ils mettent dans leur préface. Et puis ils sont contents qu’on s’y soit intéressés. Ils y voient un intérêt que des jeunes générations, qui n’ont pas connu les événements, s’emparent du sujet et le racontent. Et puis à la fois que ce soit une BD parce que c’est aussi un médium qui est approché par d’autres générations, par des gens qui ne se sont peut-être pas intéressés par le sujet et qui par la BD vont y venir.

Après, j’ai des retours de gens qui ont vécu les événements et la plupart disent qu’ils s’y retrouvent bien et ils reconnaissent bien les événements et l’ambiance de l’époque et, du coup, on est contents de ne pas avoir trahi les personnes, que ce soit juste.

Vous rencontrez de nouveaux témoins des événements depuis la sortie du livre ?

J’ai rencontré des gens en dédicace. Alexis est allé à Rennes et ensuite, ensemble, on est allés à Brest et à Quimper. On a rencontré des gens qui ont vécu les événements, même parfois très proches. Il y a un tas d’anecdotes qui sont revenues et que j’ignorais, donc je crois que je n’ai pas fini d’en apprendre sur le sujet. Je crois qu’il y a autant de Plogoff que de gens qui ont vécu les événements. C’est assez marrant.

“Un deuxième tome ?
C’est une idée que je laisse à d’autres.
Mais bon, pourquoi pas ?”

J’ai découvert un tas de documentation supplémentaire. On pourrait presque faire un autre livre, avec tout ce que je recueille en dédicaces pour l’instant (rires).

Un deuxième tome, c’est une idée !

Une idée que je laisse à d’autres. Mais bon, pourquoi pas. Il y a encore beaucoup à dire sur le sujet, j’ai dû quand même faire des choix et je n’ai pas pu tout raconter. Déjà tout ce que je savais, je n’ai pas pu tout raconter, alors tout ce que j’ignorais et que j’apprends maintenant, c’est très riche.

Vous avez des contacts avec des policiers qui se sont opposés aux Plogoffites, parfois violemment, pendant l’enquête d’utilité publique ?

Non, je n’ai pas de contact. Je n’ai pas cherché à en avoir parce que leur point de vue était mis en images dans le documentaire de Brigitte Chevet, qui a fait un reportage vingt ans après les événements, et qui est allée à la rencontre de différents acteurs de tous bords. Donc ça rend son reportage très intéressant.

Bon, j’avais ce point de vue là, je devais choisir une trame, donc je suis restée sur ma lignée de départ. Par contre, des gens qui ont vécu les événements m’ont dit que de leur point de vue – c’est un témoignage qui revenait souvent – certains gardes mobiles n’étaient pas bien d’être là.

C’était compliqué pour eux à vivre, ils étaient là parce que c’était leur métier et qu’ils devaient le faire, mais ils étaient mal à l’aise et pas très heureux d’être là. Ça, je l’ai mis dans l’histoire parce que ça me semblait important. Ça revenait beaucoup. C’était pas eux les méchants, en tout cas pas tous (rires), malgré les apparences.

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, affrontements.
Les violences policières et le désiquilibre d’armement avec les manifestants antinucléaire est abondamment illustré.

Plogoff reste une lutte emblématique pour les écologistes et altermondialistes bretons. Comment vous l’expliquez ?

Même au niveau national ça reste le combat populaire contre le nucléaire qui a été finalement victorieux. Il n’y a pas eu de centrales à Plogoff. Après, c’est à mettre un peu en demi-mesure parce qu’il y a eu un certain nombre d’éléments qui se sont bien accordés et puis une conjoncture qui a fait qu’en fin de lutte, la victoire est arrivée.

La mobilisation n’a pas été aussi simple que ça. C’est pas comme je le pensais enfant, une bande d’habitants de Plogoff qui ont jeté quelques cailloux à la tête des CRS et les CRS qui ont dit “d’accord on s’en va“. Ça a été, évidemment, bien plus complexe que ça, bien plus long et il y a eu beaucoup d’acteurs qui ont tissé la mobilisation, mois après mois, années après années et puis le contexte politique de la fin avec l’élection de Mitterrand qui a fait que l’opportunité était là, après cette résistance, de finalement mettre un terme au projet.

“C’est plein d’espoirs et, en même temps,
on se rend compte que c’est compliqué,
le pouvoir est quand même très fort.”

Donc ça reste une lutte emblématique au niveau de la Bretagne, mais aussi hors de la Bretagne ; et au niveau du nucléaire et au niveau de toutes les oppositions qu’on peut avoir envie de faire vivre. Celle-ci a abouti par plein d’événements intéressants. C’est pas si simple de réussir une mobilisation comme ils ont réussi la leur. Il a fallu pas mal d’ingrédients qui se connectent les uns avec les autres et au bon moment pour arriver à ça. C’est plein d’espoirs et, en même temps, on se rend compte que c’est compliqué, le pouvoir est quand même très fort.

Mitterrand avait promis que Plogoff ne se ferait pas, mais vous rappelez que depuis 1982, 39 réacteurs ont été mis en service en France.

Malgré des oppositions aussi, des gens se sont opposés partout où des centrale devaient être construites et dans les territoires frontaliers des centrales. Le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse ont soutenu la France dans ces oppositions. Pour le coup, ça ne s’est pas passé comme à Plogoff…

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, manifestation.
Plogoff, ce furent aussi des fêtes et des manifestations géantes, tenues sur ce bout du monde qu’est la Pointe du Raz.

Malgré la promesse de Mitterrand, d’autres projets de centrales ont été sérieusement étudiés en Bretagne. Finalement, c’est la catastrophe de Tchernobyl qui a réglé la question. Dans ce flou, comment avez-vous décidé de poser le crayon ?

Le nucléaire en Bretagne - Sortir du Nucléaire
Le nucléaire est bien présent en Bretagne, en particulier à l’Île Longue, près de Crozon. Cliquez sur l’image pour l’agrandir. Crédits Sortir du Nucléaire

Le sifflet de l’arbitre, c’était clairement Mitterrand, malgré le fait qu’il y a eu des rebondissements après ça, la fin n’a pas été aussi simple que ça effectivement. Pour installer quelque chose en Bretagne, depuis c’est compliqué. Je pense qu’on montre les dents assez facilement sur ce territoire là, surtout qu’il y a quand même du nucléaire en Bretagne, militaire ou civil.

Dans l’écriture de la BD, ça s’arrête à 81. En 81, Mitterrand dans ses propositions il y a une proposition qui a trait aux énergies. Ça coupe là et après on arrive à 2012, puisque c’est en 2012 qu’on a terminé notre album. On fait le bilan de la situation énergétique en France, avec 39 réacteurs nucléaires depuis et puis un référendum qu’on attend toujours, des crédits alloués aux énergies renouvelables, des choses comme ça. C’est un bilan finalement assez gris par rapport aux promesses.

Aujourd’hui, Notre-Dame-des-Landes représente une nouvelle lutte des écologistes en Bretagne. Vous avez pensé en faire une BD ?

Non, peut-être dans trente ans, on verra, pour l’instant déjà je ne connais pas très bien le sujet, je sais qu’il y a des parallèles de faits, mais qui ne sont pas évidents non plus. Et puis, il y a un collectif qui a sorti une BD sur Notre-Dame-des-Landes aussi.

Il n’est jamais question de Radio Plogoff dans votre BD. Pourquoi ?

Oui c’est vrai. Non, malheureusement. J’ai quelques regrets de gens que j’ai vite fait mentionné, mais qui avaient une part plus importante que celle que je leur ai laissée dans le bouquin et la radio en fait partie. J’ai eu assez peu d’infos a priori sur ce sujet et du coup je n’en ai pas cherché davantage. J’avais beaucoup beaucoup de choses et c’est passé à côté. Comme Jean Kergrist, le “clown atomique”, ça fait partie des personnages forts de l’histoire que j’ai à peine montré. J’espère qu’ils ne m’en voudront pas trop !

Sur Radio Plogoff, j’ai trouvé très peu d’infos dans les livres. Et puis les gens qui m’ont parlé de Plogoff ne m’ont pas trop parlé de la radio, sauf à dire qu’il y avait une radio. Je ne sais pas qui l’animaient, je ne sais pas combien de temps par jour, par semaine, je n’en sais rien du tout.

Votre prochain projet de BD, il a un rapport avec l’actualité, les luttes…

On a tout le temps plein de projets avec Alexis, mais celui qui, a priori, se fera le plus facilement c’est aussi une forme de mobilisation et c’est aussi en Bretagne. Mais bon, pour l’instant je ne sais pas exactement sous quelle forme ni rien, donc je n’en parle pas tout de suite. Le premier livre qu’on avait fait (Lyz et ses cadavres exquis, NDLR) va être réédité par un autre éditeur et assorti de la suite et fin de l’histoire, donc en 2014 normalement le bouquin sortira, avec 100 pages supplémentaires.

Le couple sera en dédicace, à Lannion, le 25 mai, de 15 h à 18 h, à la librairie Gwalarn.

Plogoff, Delphine Le Lay et Alexis Horellou, Delcourt, mars 2013, 14,95 €.

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La Déviation est ouverte

C’est une journée spéciale le 6 mai. Une journée de frictions, de choix, de contrastes, d’émotions. Nous avons élu nos deux derniers présidents de la République, au suffrage universel, un 6 mai.

Ce fut un point de bascule. En 2007 et 2012, chaque fois, une longue campagne prenait fin. Une nouvelle séquence politique s’ouvrait. Ce jour rythme nos vies de citoyens.

C’est ce jour symbolique que nous avons choisi pour lancer notre média.

Parce que c’est un jour d’expression. Dans les urnes, dans les salons, dans les cafés, parfois jusque dans la rue, la parole se libère les jours d’élection.

Donner notre point de vue, apporter notre regard sur les événements, aiguiser notre sens critique, c’est justement ce que nous permettra ce site.

Nous sommes des amis jeunes journalistes, rencontrés à l’IUT de Lannion et aujourd’hui dispersés un peu partout en France pour pratiquer notre passion. Nous souhaitons partager nos coups de cœur et nos coups de gueule. Présenter nos découvertes. Tester des outils, interroger notre métier. Garder espoir dans un pays tourmenté et en pleine crise de la presse.

Parce que le web nous permet de dialoguer avec nos lecteurs, parce que nous n’écrivons pas pour nous, le débat fait partie de l’ADN de “La Déviation”.

Si le 6 mai est éminemment une journée politique, c’est aussi une journée médiatique. Une journée excitante pour les journalistes. Aujourd’hui, même sans élection, notre 6 mai est une journée spéciale.

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Hollande vs Mélenchon en album photo

Infographie – Qui de François-Hollande ou de Jean-Luc Mélenchon agite le plus de drapeaux français ? Qui d’entre eux deux porte le mieux la cravate ? Nos meilleurs statisticiens se sont penchés sur ces questions, à l’occasion de la sortie de deux albums photos qui retracent leurs campagnes respectives.

Six mois après la présidentielle, les leaders de la gauche s’opposent de nouveau dans nos calculettes.

Disclaimer

Les illustrations présentes dans cette infographie sont issues des deux ouvrages sus-cités. Ces albums permirent de récolter – le plus sérieusement du monde – les présentes données, qui donnèrent forme aux compteurs, diagrammes et autres camemberts que vous venez d’admirer. Nous vous prions de croire que bien que maintes fois manipulés, les livres n’ont à aucun moment souffert.
L’album de campagne de François Hollande est réalisé par le reporter-photographe indépendant et “Corrézien de souche” Marc Chaumeil, né en 1962, qui a “partagé depuis février 2011 l’essentiel du quotidien de campagne” du candidat PS “des premiers meetings à la victoire”.
L’éditeur, Privat, avait déjà publié l’essai du candidat à la candidature socialiste, intitulé “Le rêve français”, pendant l’été 2011. Bien qu’il s’agisse d’un livre à la gloire de notre monarque républicain (et que son nom soit sanctifié, amen), les auteurs revendiquent un regard avec “distance et ironie” et veulent produire un compte-rendu “apaisé, sincère et lumineux” de la campagne.L’album de Jean-Luc Mélenchon, ou plutôt du Front de Gauche, est réalisé par Stéphane Burlot “photographe autodidacte, né à Sarcelles en 1969“. Il est de la famille, on lui dit “tu, camarade” puisque photographe officiel du Parti de Gauche et membre du Front de Gauche.
La maison d’édition, Bruno Leprince, propose en premier lieu des livres sur la gauche, mais aussi des ouvrages érotiques et des BD. Rarement les trois à la fois, bien qu’il faudrait y penser… Bref.
L’album de François Hollande compte 29 pages de moins que celui de Jean-Luc Mélenchon du Front de Gauche, il est aussi deux fois plus petit. Il est pourtant plus cher de 30 %. Il y a 2,4 fois plus de photos de communistes (dont 17 doubles-pages, 131 vignettes et 77 photos en noir et blanc) que de socialistes (dont 25 doubles-pages, 75 vignettes et aucune photo en noir et blanc). Ce calcul d’apothicaire permet de déterminer que la photo du PS coûte 13,17 centimes, alors que celle du FDG coûte 4,21 centimes ! Deux visions du monde. Mais que voulez-vous ? C’est la rigueur le sérieux de gauche.


4/5Le militant, transi d’admiration, saura vite choisir le bon bouquin chez le libraire. Il faut dire qu’ils sont déjà bien partis, l’un à la fête de la rose de Bihlac, l’autre à la fête de l’Huma. Mais le Français normal ma bonne dame, celui qui chôme dur ou pointe au chômage, lequel de ces précieux témoignages de photojournalistes il doit acheter ? Je vous le demande ! Le Hollande à 20 € ou le Merluche à 15 ? Après des heures de débats, nos statisticiens ont ménagé la chèvre et le chou avant de pondre une motion de synthèse molle. La voici en exclusivité :

“Considérons A, François Hollande, 32 drapeaux étoilés sur fond bleu, les deux pieds dans la bouse, la cravate de travers, un verre à la main, de plus en plus entouré par la foule, mais de plus en plus séparé d’elle par les vitres, les journalistes ou ses soutiens politiques. Puis considérons B, Jean-Luc Mélenchon, 34 drapeaux syndicaux dont 29 CGT, un petit livre rouge à la main, parmi les ouvriers, de plus en plus entouré par la foule, souvent sur des podiums et parfois derrière la banderole de tête. Sachant que A rencontre Jacques Chirac et B Éva Joly, compte tenu que A serre des mains à 14 personnes et B à 3, mais que les deux prient parfois avec leurs mains. Alors A (devenu président) + B (membre de l’opposition) sont très différents, mais pas fâchés à jamais. Équation valable dans cinq ans.”

Références

François Hollande. Président élu, Marc Chaumeil, Serge Raffy, Sibylle Vincendon, Editions Privat, 19€50.

Résistance. L’album de campagne du Front de gauche, Stéphane Burlot, Bruno Leprince éditions, 15 €.

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