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Les raisons d’abandonner l’appli StopCovid sont plus nombreuses que vous ne le pensez

« La Corée fait ce qu’on appelle du “tracking”. La Corée a équipé tous les téléphones pour prévenir tout l’entourage lorsqu’une personne était malade. Est-ce que vous êtes prête, madame Obono, à avoir ce débat dans le cadre de cette Assemblée nationale ? Moi je ne suis pas convaincu et je vous le dis, à titre personne, non plus. » Ainsi parlait Olivier Véran dans l’hémicycle le 24 mars. Depuis, le gouvernement s’atèle à présenter une application de traçage de la population, en dépit des alertes. Il est encore temps d’y renoncer.

Dès La Gazette des confiné·es #7, nous mettions en garde contre le risque de voir la pandémie servir de prétexte à l’imposition de nouvelles technologies de surveillance. Entre-temps, le pouvoir s’est focalisé sur une des nombreuses options disponibles : le traçage automatisé des contacts, via une application dénommée StopCovid.

À lui seul, le nom laisse présager d’une opération marketing : le logiciel est déjà présenté comme un moyen d’arrêter le Covid-19, alors qu’on ne sait toujours pas selon quelles modalités il fonctionnera.

Nous allons vous expliquer pourquoi il n’est pas nécessaire d’attendre sa version définitive pour rejeter l’application. Pour le plaisir des yeux, nous avons choisi de faire une chronique entièrement à charge. La communication du gouvernement et des multinationales du numérique remplissent suffisamment nos écrans.

Nous en profiterons aussi pour réfléchir plus largement aux risques posés par le solutionnisme technologique, qui se répand partout en période de crise sanitaire.

Introduction

Il existe de nombreuses variantes du traçage automatisé des contacts. Le principe général est toujours le même : l’application permet de garder une trace des contacts prolongés entre ses utilisateur·ices. Lorsqu’une personne est testée positive, on peut donc tester les personnes avec qui elle a été en contact.

Le traçage de contacts existe déjà, mais il repose sur des entretiens durant lesquels une personne infectée se remémore l’ensemble des relations prolongées qu’elle a connues dans les dernières semaines.

Quelles sont donc les différences apportées par sa version automatisée ?

Le traçage automatisé n’est pas un simple prolongement du traçage de contacts traditionnel.

Comme à chaque fois qu’il s’agit de nous vendre une nouvelle technologie numérique, les autorités commencent par insister sur la continuité avec ce qui existe déjà, en mettant en avant l’efficacité accrue de la version informatique. Pourtant, la traçage automatisé est bien différent de sa version manuelle, réalisée par des équipes d’enquête.

Dans un entretien avec un·e épidémiologiste, on peut en effet choisir d’omettre de mentionner un événement ou un contact. On n’est pas obligé de dire exactement quand ni où on a rencontré une personne, puisque l’important est seulement de savoir qui est à risque. Cette possibilité disparaît avec le traçage automatisé.

Par ailleurs, un entretien individuel permet d’évaluer le risque lié à un contact en particulier, selon sa durée, son contexte et les précautions prises. L’application n’offre aucun équivalent. Contrairement à ce qui est avancé, le traçage automatisé n’est pas un simple prolongement du traçage de contacts traditionnel.

Pour justifier l’utilisation du traçage automatisé, ses défenseur·euses font généralement appel à son efficacité. D’une part l’application permettrait de tester plus vite les personnes contacts. D’autre part, elle serait plus exhaustive : les ordinateurs n’oublient pas. Avec StopCovid, enrayer l’épidémie semble donc simple comme bonjour : dès qu’une personne est infectée, on pourrait repérer les personnes qu’elle a pu contaminer avant que celles-ci aient le temps de transmettre le virus et donc casser la chaîne de propagation.

Ce scénario est tentant, au point que beaucoup sont prêt·es à oublier les risques importants qu’il fait peser sur la vie privée. Mais est-il réaliste ?

Le piège du consentement

Pour établir les contacts entre utilisateur·ices, l’application utilise les émetteurs-récepteurs Bluetooth des téléphones portables. Une fois qu’ils sont activés, le téléphone émet en permanence un signal permettant de l’identifier. Les téléphones qui passent à proximité immédiate enregistrent ce signal, ce qui leur permet de garder la mémoire des contacts.

Pour qu’un contact entre deux personnes soit enregistré, il faut donc qu’elles aient sur elles leur téléphone, avec l’application activée. La proportion des contacts qui sont enregistrés est donc égale, au mieux, au carré de la proportion des utilisateur·ices de l’application. Par exemple, si cette dernière est utilisée par une personne sur cinq, seul un contact sur 25 est enregistré. Pour que le traçage automatisé fonctionne, il faut donc qu’il soit utilisé massivement.

200503 - Capture d'écran vidéo promotionnelle application Stop Covid Autriche - La Déviation
En Autriche, l’application de traçage des contacts Stopp Corona est utilisée par moins de 5 % de la population, un mois après son lancement.

À Singapour, l’application de traçage automatisé du gouvernement est utilisée par seulement 18 % de la population, ce qui ne permet de relever que 4 % des contacts.

En France, il sera déjà difficile d’atteindre une telle proportion. Pour commencer, 77 % de la population dispose d’un smartphone. Parmi ces personnes, beaucoup n’installeront pas l’application, par conviction ou simplement par manque de motivation. Ceci a mené les défenseur·euses de StopCovid à envisager de forcer la main des gen·tes.

Christophe Barbier a par exemple proposé de rendre les utilisateur·ices de l’application prioritaires pour être testé·es, ce qui est profondément stupide en plus d’être dégueulasse : vu les faibles capacités de tests mises en place par le gouvernement, il vaut mieux les réserver aux personnes très susceptibles d’être contaminées plutôt que de les distribuer comme des chèques-cadeaux en échange du renoncement à une portion de vie privée.

Le conseil scientifique, de son côté, envisage très clairement de rendre le consentement obligatoire si trop peu de personnes se prêtent au jeu. C’est ce que nous décortiquions dans La Gazette des confiné·es #11.

Comme le remarque le Chaos computer club, l’application ne peut fonctionner que si elle repose sur un consentement éclairé. Toute forme de coercition, y compris par un avantage fourni aux personnes qui l’utilisent, la rendrait inefficace, puisqu’il suffirait de la désactiver une fois l’avantage obtenu, de laisser son téléphone à la maison, ou de l’envelopper dans du papier alu.

Rendre l’application obligatoire conduirait donc à des sacrifices majeurs sur la vie privée, en échange d’un artifice inutile pour lutter contre l’épidémie.

L’application est-elle seulement utile ?

Quand bien même tout le monde utiliserait l’application, il n’existe pour le moment aucune preuve de son utilité. Il faudrait qu’elle soit déployée à grande échelle dans plusieurs pays pendant assez longtemps pour essayer de la déterminer.

En attendant, on peut remarquer que l’appli risque d’être contre-productive si elle ne dispose pas d’un calibrage assez fin. En effet, il faudrait déterminer ce qui est considéré comme un contact prolongé : quelle durée, et à quelle distance il faut se trouver. Si on est trop lâche sur cette définition, on risque de se retrouver avec beaucoup trop de contacts : personnes croisées dans la rue, occupant·es de la voiture d’à-côté – on parle alors de faux positifs.

Dans cette situation, on ne disposerait pas d’assez de tests. Si on a au contraire des critères très restrictifs, l’application n’apporte plus grand chose, puisqu’on est général capable de se souvenir qu’on a passé une demi-heure à moins d’un mètre de quelqu’un.

Rouler une pelle pendant trente secondes ne donnera pas nécessairement lieu à un enregistrement, contrairement à passer quinze minutes dans deux voitures côte à côte pendant un bouchon.

Même correctement paramétrée, l’application n’est pas capable de prendre en compte la façon dont les contacts se déroulent. Dans le traçage de contacts conventionnels, la personne infectée détermine en concertation avec l’enquêteur·ice si les contacts présentaient un risque. L’utilisation des gestes barrières et la nature de l’interaction sont prises en compte.

L’application de traçage, au contraire ne fait aucune différence entre des interactions de durées égales et ne prend pas en compte les écrans éventuels. Rouler une pelle pendant trente secondes ne donnera pas nécessairement lieu à un enregistrement, contrairement à passer quinze minutes dans deux voitures côte à côte pendant un bouchon, ou se trouver des deux côtés d’une cloison perméable aux ondes radio du bluetooth. Le nombre de faux positifs risque d’être élevé.

L’application risque aussi de donner lieu à beaucoup de faux négatifs : c’est-à-dire des personnes qui ne reçoivent pas de notification alors qu’elles ont été infectées.

Bien sûr, il est complètement déraisonnable de faire confiance à une application pour déterminer son état de santé. Mais il y a un risque que l’illusion d’omniscience créée par la technologie et les discours triomphants de ses partisan·nes ne poussent une partie de la population à s’en remettre aveuglément aux notifications de StopCovid. Les faux négatifs deviendraient alors très problématiques.

Dans un billet de blog publié le 11 avril, l’un des responsables du système de traçage singapourien, Jason Bay, explique qu’aucune application de ce type, quelles que soient les technologies prétendument miraculeuses sur lesquelles elle repose, ne peut remplacer le traçage de contacts manuel. Cliquez sur l’image pour y accéder

Qu’est-ce qu’un traçage efficace ?

Pour tout vous dire, nous espérions franchement nous tromper et tomber sur des arguments montrant que l’application serait en mesure d’éradiquer l’épidémie, malgré les difficultés évoquées précédemment. En effet, des expert·es chantent les louanges du traçage automatisé un peu partout. Nous sommes alors revenus sur l’avis du conseil scientifique publié le 20 avril.

Nous avons déjà présenté dans notre onzième Gazette des confiné·es l’argumentation technophile et technocrate de ce rapport en faveur du numérique. Nous avons regardé toutes les sources de ce rapport à la recherche d’études sur les applications de traçage. Seules deux d’entre elles en parlent.

La première est un rapport de Terra nova que nous avons déjà largement démonté dans précédent article.

La deuxième est un article scientifique publié dans la revue Science. Cet article est apparemment le premier à avoir proposé de développer une application de traçage. C’est vers lui que renvoient le conseil scientifique et Terra nova et c’est donc lui qui sert à justifier le traçage. Intéressons-nous donc de plus près à ce qu’il établit.

Le principal apport de l’article est de fournir un modèle de propagation de l’épidémie et d’en tirer des estimations de plusieurs paramètres essentiels pour la comprendre.

Ces paramètres concernent la probabilité qu’une personne malade en infecte d’autres, en fonction du temps. Ils permettent de calculer le nombre moyen de personnes infectées par une personne malade, appelé taux de reproduction et noté R dans l’article.

L’apport de ce travail est de décomposer ce coefficient en plusieurs composantes associées à des modes de transmission différents : symptomatique, pré-symptomatique, asymptomatique et environnemental.

La transmission est symptomatique si la personne qui contamine l’autre présente des symptômes apparents du Covid-19.

Elle est pré-symptomatique si cette personne ne présente pas de symptômes au moment de la transmission mais en développera par la suite.

Elle est asymptomatique si la personne n’a pas de symptôme et n’en développera pas.

Enfin, elle est environnementale si on ne peut pas l’attribuer à une personne en particulier.

D’après le modèle développé par les chercheur·euses, le taux de reproduction vaut 2, dont 0,9 pour les transmissions pré-symptomatiques, 0,8 pour les transmissions symptomatiques, 0,2 pour les transmissions environnementales et 0,1 pour les transmissions asymptomatiques.

D’après l’étude de Science, il faut agir dans les deux jours après l’apparition des symptômes pour avoir une chance d’endiguer l’épidémie grâce au traçage de contacts.

L’incertitude sur ces valeur est élevée, mais la conclusion est que les transmissions pré-symptomatiques et symptomatiques jouent un rôle prépondérant. C’est donc sur elles qu’il faut agir en priorité pour endiguer la propagation de la maladie. Pour que l’épidémie régresse, il faut que le taux de reproduction soit inférieur à 1, ce qui signifie qu’une personne porteuse du virus contamine en moyenne moins d’une personne.

Grâce au modèle de transmission fourni par l’étude, on peut estimer l’impact des mesures de traçage de contacts en fonction du temps qu’on met à isoler les contacts et de l’efficacité de cet isolement.

Les conclusions sont qu’il faut agir vite, dans les deux jours après l’apparition des symptômes, pour avoir une chance d’endiguer l’épidémie grâce au traçage de contacts. Il faut par ailleurs être efficace pour retrouver et isoler les contacts : il faut au moins y parvenir dans 30 % des cas, dans l’hypothèse très favorable où on isole instantanément les contacts dès qu’une personne présente des symptômes.

Ces résultats sont assez désespérants. Ils indiquent que le traçage de contacts doit être redoutablement efficace pour endiguer seul l’épidémie. Il faut cependant les nuancer. D’une part, ils reposent sur un modèle qui peut être affiné, ce qui pourrait changer les valeurs des paramètres. D’autre part, le taux de reproduction dépend de nombreux facteurs, qui varient d’une situation à l’autre. On peut le réduire par l’application de gestes barrières, l’utilisation de matériel de protection ou des mesures comme le confinement.

Le taux de reproduction à la sortie du confinement ne sera pas le même qu’au début de l’épidémie, puisqu’on aura entre-temps changé nos habitudes. Si les mesures préventives permettent de le réduire suffisamment, les contraintes d’efficacité sur le traçage de contacts seront donc moins sévères que celles qu’on vient de présenter.

Le traçage automatisé marche parce qu’il doit marcher : le dangereux argument circulaire des épidémiologistes

Jusqu’ici, on n’avait rien à redire quant à la démarche de l’article, qui donne une idée de l’ampleur de la tâche à accomplir pour arrêter le virus. La suite pose en revanche franchement question. La deuxième moitié de l’article ne comporte plus ni modèle, ni équation, ni donnée, mais une proposition d’utiliser une application de traçage de contacts, pour rendre ce dernier instantané.

Ce genre de proposition a sa place dans un article scientifique, mais on s’attendrait à ce qu’elle repose sur une justification du fait que le traçage permettrait effectivement d’atteindre les objectifs fixés.

Malheureusement pour nous, les auteur·ices se contentent d’enchaîner les affirmations injustifiées. Par exemple le fait que l’application permettra d’isoler instantanément les contacts. On doit sans doute se contenter de l’idée que comme c’est une application, ce sera instantané. Il n’y aurait donc pas d’authentification du fait que la personne est bien malade, pas de délai pour traiter et diriger l’information, pas de problèmes de connexion ?

Il semble plus important de contrer les nombreuses raisons de ne pas déployer le traçage automatisé, que de donner des preuves de son utilité.

On n’aura pas non plus droit à un questionnement sur la proportion d’utilisateur·ices qu’on pourrait espérer atteindre dans la population. Pas plus qu’on ne verra la moindre réflexion sur la proportion de contacts qu’on arrivera à détecter : les chercheur·euses préfèrent imaginer les fonctionnalités qu’on pourrait ajouter à l’application, comme un accès à des informations médicales ou la possibilité de commander des repas pendant la quarantaine. La pensée start up a pénétré profondément dans l’université d’Oxford.

Finalement, on a même droit à une demi-page de considérations éthiques, qui insistent lourdement sur le fait que la pandémie est grave. Comme chez le conseil scientifique ou Terra nova, il semble plus important de contrer les nombreuses raisons de ne pas déployer le traçage automatisé, que de donner des preuves de son utilité.

L’argumentation en faveur de la solution technologique proposée repose sur un seul ressort, sous forme de pétition de principe : il faut que le traçage automatisé soit extrêmement performant pour endiguer l’épidémie, il est donc forcément efficace. Ça n’a aucun sens, mais c’est précisément ce qui fait que ça fonctionne. Comme la situation est désespérée, il faut des solutions désespérées. On est plus dans l’acte de foi que dans la recherche scientifique.

On pourra répliquer qu’il s’agit uniquement d’une proposition de solution, qui mérite d’être étudiée, par d’autres chercheur·euses capables de fournir d’autres éclairages sur la faisabilité et l’efficacité du dispositif.

On s’attendrait en effet à ce que des chercheur·euse qui proposent une suggestion pour lutter contre l’épidémie, qui échappe visiblement à leur domaine de compétence concluent ainsi : « Nous avons proposé un outil, qui devra être plus sérieusement étudié afin d’évaluer sa pertinence et son intérêt dans la situation actuelle. »

Au contraire, l’article se conclut sur l’idée que l’application permettrait d’abaisser le taux de reproduction en dessous de 1, sans avoir fourni la moindre preuve de ce résultat, qui sera pourtant repris en chœur par toutes celles et ceux qui promeuvent aujourd’hui des solutions numériques à la pandémie.

Les risques pour la vie privée

StopCovid présente donc plusieurs limitations de principe, sans même qu’on sache quel fonctionnement concret sera retenu. Ces limitations réduisent l’efficacité attendue, voire pourraient la rendre contre-productive si elle se substituait à d’autres mesures barrières. Pour trancher pour ou contre son utilisation, il faut peser les résultats attendus, avec l’efficacité qui vient d’être mentionnée, contre les risques encourus. Nous allons voir que ceux-ci ne sont pas négligeables.

Le traçage des contacts pose des questions majeures de sécurité et de vie privée. Les différentes applications en cours de développement mettent en avant le concept de privacy by design : elles sont conçues pour minimiser les informations émises. Peut-on avoir confiance ?

Il existe deux enjeux principaux.

D’une part la sécurité du protocole de l’application, afin d’éviter des attaques malveillantes qui permettraient de récupérer des informations médicales confidentielles, d’exercer des pressions sur des gen·tes ou encore de rendre StopCovid inutile.

D’autre part la question de la gestion des données générées par l’application.

Ces deux enjeux sont complexes et dépendent notamment des détails de la conception de l’application. Un collectif de chercheur·euses spécialistes des questions de cryptographie, sécurité informatique et droits numériques a publié un argumentaire sur ces questions (en français), dont nous vous recommandons la lecture attentive.

Leurs conclusions sont claires :

Ces scientifiques battent en brèche la plupart des éléments de langage en faveur de StopCovid. Iels formulent de multiples scénarios montrant comment l’application peut être détournée pour rompre l’anonymat et obtenir des informations médicales confidentielles sur des personnes infectées.

Ces détournements peuvent être effectués par l’État, des entreprises, ou de simples particulier·es, comme l’illustre le scénario 4.

« M. Ipokondriac voudrait savoir si ses voisins sont malades. Il récupère son vieux téléphone dans un placard, y installe l’application TraceVIRUS, et le laisse dans sa boîte aux lettres en bas de l’immeuble. Tous les voisins passent à côté à chaque fois qu’ils rentrent chez eux, et le téléphone recevra une notification si l’un d’entre eux est malade. »

Une seule personne, sans connaissance en informatique, pourrait donc utiliser l’application pour obtenir des informations médicales confidentielles sur ses voisin·es ou ses collègues.

Ce genre de scénario montre les risques que fait peser le traçage automatisé, qui plus est dans une période particulièrement anxiogène.

Quand on voit que les soignant·es sont traité·es comme des pestiféré·es par certaines personnes, tandis que d’autres laissent des messages homophobes dans les boîtes aux lettres de leurs voisin·es, les accusant de propager l’épidémie, on imagine le genre de dérive qui va nécessairement arriver avec de tels outils.

Une entreprise pourrait utiliser StopCovid pour déterminer si un·e employé·e potentiel·le est entré·e en contact avec une personne infectée entre son entretien d’embauche et son recrutement. Visitez le site Risque traçage en cliquant sur l’image

Le doigt dans l’engrenage du solutionnisme technologique

En plus des risques directs de détournements, StopCovid est susceptible de mener à des dérives plus générales liées à l’utilisation de la technologie et des données pour lutter contre le virus.

Comme le remarque la Quadrature du net, une fois l’application installée par la majorité de la population, il sera aisé d’y ajouter des fonctions coercitives et sécuritaires.

Les nombreux scandales concernant l’utilisation des données personnelles, dont l’affaire Cambridge analytica, sont là pour nous rappeler à quel point les garde-fous sont vite contournés une fois que la base de données existe.

L’espoir placé dans une résolution rapide de l’épidémie grâce à la technologie va peser sur le dispositif, le poussant à être toujours plus intrusif. L’Académie de médecine, par exemple remarque dans son communiqué sur StopCovid que « les données anonymes de géolocalisation recueillies au cours de ce protocole pourraient être utilisées pour suivre l’évolution de l’épidémie sur l’ensemble du territoire national », ce qui va déjà bien plus loin que l’application proposée pour le moment.

Les techno-béats n’a pas attendu cette application pour diffuser leurs prêches. Depuis le début de l’épidémie, l’attention est tournée vers des solutions miracles reposant sur les données.

Le collectif CoData, par exemple, regroupe « plus de 800 ingénieurs, développeurs et data-scientists aguerris sur les nouvelles technologies de valorisation de données ». Et, surtout, une quarantaine de start-up spécialisées dans la data à savoir l’art de présenter les données des entreprises comme une matière première valorisable par des consultant·s payé·es à prix d’or.

Action désintéressée ou stratégie de com’, pour des entreprises à la durée de vie très faible qui vivent en grande partie sur les espoirs placés dans la technologie ? À moins qu’il ne s’agisse vraiment de fanatisme, comme le laisse transparaître leur communication :

« Dans [le contexte de la crise sanitaire], la data constitue une matière première qu’il nous faut exploiter. Elle est le reflet de toute [sic] ce qui se passe et devra éclairer nos actions futures. »

La communauté de l’intelligence artificielle a aussi sauté sur l’occasion, avec des initiatives variées, allant d’outils de diagnostic de la maladie à des études de millions de tweets, pour tirer la conclusion que les habitant·es des villes parlent plus des contraintes liées au confinement que celleux des campagnes…

À Cannes, la mairie LR a fait appel à une start-up pour déployer des caméras capables de mesurer la proportion de personnes portant un masque.

200410 - Technopolice illustration de couverture La Quadrature du Net- La Déviation
Technopolice est une plateforme permettant de renseigner sur les technologies de surveillance mises en place dans les villes, qui risquent de se multiplier sous prétexte de lutter contre l’épidémie. Cliquez sur l’image pour accéder au site

L’intelligence artificielle repose sur la production et l’exploitation de gigantesques quantités de données. La production de ces données est encouragée par les géants du numérique, à travers notamment l’obligation de créer des comptes pour accéder à des services et l’incitation à produire ou noter du contenu sur internet (voir l’article intitulé Combattre le capitalisme identitaire de cette brochure).

Nul doute que ces entreprises, qui poussent les consommateur·ices à produire toujours plus de données, lorgnent avec avidité sur les applications de traçage. Contrairement au mythe fondateur de l’intelligence artificielle, l’exploitation de ces données reste largement effectuée par des êtres humains, généralement des populations précarisées payées à la tâche dans les pays du Nord et des travailleur·euses du clic dans les pays du Sud.

La fuite en avant technologique est un leurre, qui cache des mécanismes de surveillance et de domination incarnés dans les outils numériques eux-même.

L’illusion de la toute-puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie.

Contrairement à l’idéologie défendue par les défenseur·euses du progrès à tout prix, les technologies ne sont pas neutres. Les algorithmes d’intelligence artificielle mentionnés précédemment ne fonctionneraient pas sans l’exploitation de travailleur·euses. Les applications de traçage ne peuvent pas être pensées indépendamment du risque de détournement par les États qui les mettent en place.

Mais ces chimères ont d’autres effets pervers, à travers le rôle symbolique qu’elles jouent dans nos sociétés.

Comme le remarque Félix Tréguer de la Quadrature du net, le solutionnisme technologique, en plus des risques qu’il fait peser sur les libertés, restreint nos imaginaires. Plutôt que d’inventer des solutions humaines à l’épidémie, par des gestes barrières décidés collectivement et une distanciation sociale réfléchie et autogérée, on préfère se tourner vers une gestion en apparence individualisée, mais qui repose sur des fondements autoritaires.

L’illusion de la toute-puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie. Dans le cas de la ville de Cannes, demander des retours aux agent·es municipaux qui encadrent le marché ne serait-il pas plus simple que de déployer de la vidéosurveillance et des équipes d’ingénieur·es ?

Plus grave encore, le gouvernement français a par exemple tergiversé pendant plus d’un mois sur les masques, dont l’utilité n’était soit-disant pas prouvée scientifiquement. Il s’apprête pourtant à foncer vers des applications liberticides, qui n’ont jamais été testées, en évacuant complètement la question de leur efficacité. Si c’est numérique, ça marche forcément…

Illustration de une : TXMX 2 CC BY-NC-ND 2.0

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La Gazette des confiné·es #8 – Révoltes, perspectives et travail

Contre quoi faudra-t-il lutter et comment le ferons-nous dans les prochaines semaines et mois ? Comment limiter l’influence du pouvoir politique sur nos propres corps ? C’est par des questions ouvertes que la gazette commence et vous apporte ensuite les dernières nouvelles. Des révoltes éclatent dans les centres de rétention administrative, les sous-traitants du nucléaire bossent pour EDF comme si de rien n’était, l’été s’assombrit pour les intermittent·es et Amazon subit un sérieux revers.

Il faudra lutter un peu plus…

Le Medef et le gouvernement se lâchent en petites phrases pour préparer les esprits à des attaques d’envergure contre le code du travail. Contre la musique du « travailler plus pour sauver l’économie », il va falloir lutter encore plus pour la détruire !

On peut craindre des manifestations interdites pour « raisons sanitaires » pendant encore longtemps surtout vu que les services de renseignement s’inquiètent d’un embrasement. Il va falloir réfléchir à comment continuer à se révolter, à lutter. D’autant plus que la situation d’une crise non prévue par le capitalisme ouvre le champ des possibles révolutionnaires et contre-révolutionnaires : d’un côté l’émancipation, de l’autre l’extrême droite qui vient et la surveillance généralisée (comme le montre ce reportage glaçant en Chine diffusée par Arte).

Les pistes envisagées à la fin du long article de Jérôme Baschet dans Lundi Matin sont les suivantes : amplifier la colère légitime (notamment vis-à-vis de la situation de l’hôpital public), profiter du temps du confinement pour réfléchir à des modèles alternatifs (stratégie de L’An 01 mais seulement applicable pour les privilégié·es du confinement), ne pas redémarrer l’économie (stratégies de blocages, de ZAD), multiplier les initiatives d’auto-organisation et d’entraides locales (on en a parlé dans la gazette numéro 6). Il y a de quoi faire !

200417 - CQFD Janvier 2020 Vos grèves seront exaucées - La Déviation
Espérons que la prédiction de la Une du numéro de janvier 2020 de CQFD se réalise !

D’autres histoires à partir de nos corps

Le gouvernement, dans cette gestion de la crise sanitaire, s’attache particulièrement à gérer nos corps. Certains corps vont être sommés de ne plus sortir de chez eux tandis que d’autres sont forcés de servir les flux économiques qui « doivent » être maintenus dans des conditions plus que critiquables.

Et ils sont violentés s’ils contreviennent aux règles édictées. Ces corps sont des territoires où les politiques s’expriment : barrières individuelles contre une propagation, pions des flux économiques, externalités d’un système carcéral qui veut conserver sa maîtrise hégémonique.

200417 - Triptych Left Panel 1981 by Francis Bacon - La Déviation
Panneau gauche d’un triptyque fait en 1981 par Francis Bacon qui anticipait deux policiers à cheval allant verbaliser une personne qui ne respecte pas le confinement.

Sur les corps des femmes se matérialise aujourd’hui de façon accentuée la violence du système patriarcal, notamment pour les femmes confinées avec des partenaires violents. Nous pouvons dire que leur interdire de fuir est une violence supplémentaire que l’on peut signaler.

Dans nos corps se matérialise aussi l’incompréhension de la situation présente : nombre d’entre nous ont des règles chamboulées, décalées, retardées. Bien sûr, des explications biologiques existent et sont cohérentes pour cela.

Cependant, souhaitons-nous accepter tout cela ? Nous pouvons nous donner des outils pour modifier ces emprises sur nos corps. On nous enjoint à prendre soin de nous et de nos proches : mais la guérison et le soin, ce sont aussi des processus de transformation politique.

Collectivement, proposons de nouvelles histoires, qui guérissent, à partir de nos vécus et de ceux que les autres partagent avec nous.

Révoltes aux CRA de Mesnil-Amelot et de Vincennes

Le 11 avril au soir, les sans-papiers détenu·es dans le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot occupent la cour du bâtiment et bloquent la promenade pour protester contre leurs conditions de détention, notamment après qu’une personne porteuse du coronavirus est temporairement enfermée dans le centre, risquant de contaminer nombre de prisonnièr·es.

Les détenu·es (ainsi que les policièr·es du centre) ne disposent ni de masque, ni de gel hydro-alcoolique. La répression policière s’abat sur le CRA le lendemain matin, et plusieurs détenu·es sont déporté·es vers d’autres centres en France, menaçant d’y répandre l’épidémie.

Le 12 avril, au CRA de Vincennes, des affrontements éclatent entre sans-papiers et policièr·es, ces dernièr·es refusant le transport d’un détenu malade à l’hôpital ; les détenu·es obtiennent finalement gain de cause.

Le 25 mars, la demande de fermeture des CRA pour circonstances exceptionnelles déposée par plusieurs associations dont le Gisti devant le Conseil d’État avait été rejetée. Le ministre de l’Intérieur soutenait alors que « la condition d’urgence n’[était] pas remplie et que ne [pouvait] être retenue aucune carence de l’autorité publique de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors que les mesures de rétention actuellement en cours sont nécessaires et proportionnées, que des mesures de prévention ont été prises et que l’accès aux soins en rétention est garanti ».

On voit ce qu’il en est dans la réalité des faits…

200417 - Mur par mur nous détruirons les Cra A bas les Cra- La Déviation
Le site abaslescra.noblogs.org propose des ressources et analyses pour lutter contre les CRA.

Pour plus d’infos, on vous invite à consulter le suivi détaillé sur Paris-luttes.

Sous-traitants et illuminations nucléaires

EDF s’est vanté en début de confinement de réussir à faire tourner les centrales nucléaires avec une petite fraction de ses salarié·es. Or, les salarié·es d’EDF ne sont que des cadres : toutes les opérations de manipulation sur ses sites sont assurées par des sous-traitants.

C’est donc oublier que le monde de la production énergétique nucléaire ne se restreint pas à un contrôle depuis une salle couverte digne d’un film de science-fiction. Les installations nucléaires nécessitent aussi un entretien, qu’il soit celui, basique, du nettoyage, ou celui moins classique des opérations à réaliser sur les tranches (c’est à dire les réacteurs) comme les arrêts qui permettent de renouveler le combustible.

200417 - Dans les servitudes nucléaires Revue Z by Damien Rondeau - La Déviation
Dessin de Damien Rondeau pour illustrer l’enquête parue dans la Revue Z en 2012 sur les sous-traitants du nucléaire.

Lorsqu’on a que des salarié·es qui peuvent travailler à distance, il devient bien plus simple d’afficher des chiffres de télé-travail élevés. Les salarié·es des sous-traitants, quant à eux, sont pour pas mal au boulot.

Les syndicats continuent à réclamer des conditions de travail conformes aux mesures sanitaires, dénoncent une ambiance anxiogène, et s’inquiètent d’une communication imprécise. Les salarié·es partent parfois en « grand déplacement » d’une centrale à l’autre sans être testé·es et sans savoir si du boulot est disponible là-bas plutôt qu’ici.

Et c’est le contexte choisit par le gouvernement pour publier un décret accordant un délai supplémentaire à l’EPR de Flammanville, pour lequel les retards et dépassements de budget sont déjà bien nombreux. Plus localement, la préfecture de la Meuse a autorisé le 10 avril l’Andra à capturer et recenser des amphibiens dans le cadre du projet d’enfouissement Cigéo.

Pour finir sur une note joyeuse : de très jolies illuminations sont apparemment prévues pour l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl (c’est le 26 avril, préparez-vous) !

Amazon : le tribunal de Nanterre fait un carton chez les salarié·es

« Première victoire syndicale » jubile Solidaires mardi 14 avril. L’Union syndicale fait plier Amazon France devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Le risque d’attraper le covid-19 dans les entrepôts de la firme justifie la réduction drastique de ses activités. La décision est relayée par CNN.

Les critiques répétées de Muriel Pénicaud à l’endroit du géant du commerce en ligne ne disaient rien qui vaille. Ce n’est toutefois pas l’action de ses services qui contraint Amazon à réduire la voilure, mais l’assignation en référé d’un syndicat.

200417 - Amazon España por dentro vue d'ensemble by Álvaro Ibáñez CC BY 2.0 - La Déviation

L’inspection du travail s’était contentée d’une mise en demeure à partir du 3 avril concernant quatre sites où l’absence de matériel de prévention et de mesures de distanciation entraînaient un risque de contagion des travailleur·ses. Nous vous en parlions dans notre sixième numéro. Affaire classée cinq jours plus tard pour trois d’entre eux. Aux yeux du ministère, mais pas de la justice !

La juge Pascale Loué-Williaume observe dans l’ordonnance que nous nous sommes procuré·es (à partir de la page 9) que les représentant·es des salarié·es n’ont pas été associé·es à l’évaluation des risques, en ce qui concerne le portique d’entrée ou l’utilisation des vestiaires.

Au sujet des transporteurs, « il n’est toujours pas justifié des protocoles de sécurité prévus par le code du travail ». Le risque de contamination par le biais des chariots automoteurs sur les quais de livraison n’a pas été suffisamment évalué. Pas plus que celui lié à la manipulation des cartons. Sur le site nordiste de Lauwin-Planque, des « non-respects » ponctuels des mesures de distanciation ont été relevées et partout les formations dispensées tout comme la prise en compte des risques psycho-sociaux sont insuffisantes.

« Il y a lieu […] d’ordonner […] à la société de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux tant que la société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distributions. »

Pour s’assurer d’être entendue, la première vice-présidente du tribunal assortit sa décision d’une astreinte d’un million d’euros par jour et par infraction constatée. Une somme qui doit être rapportée aux 4,5 milliards de chiffres d’affaires déclarés en 2018 sur le territoire. Conséquence, la multinationale ferme ses entrepôts jusqu’au lundi 20 avril, minimum.

Les salaires seront maintenus à 100 % durant ces cinq jours, mais la firme qui emploie environ 10.000 personnes dans le pays, dont un tiers en intérim envisage de les subventionner grâce au chômage partiel. Une demande qui ne manquerait pas d’audace pour une multinationale suspectée de dissimuler des milliards au fisc. Sur France Info, le directeur général d’Amazon France prend une posture de victime, tout en agitant la carte du chantage à l’emploi.

200417 - Carte implantation Amazon en France rapport Attac Solidaires 2019 - La Déviation
L’implantation d’Amazon en France a été cartographiée par Attac et l’Union syndicale Solidaires dans un rapport su l’impunité fiscale, sociale et environnementale de la firme, mis en ligne en novembre 2019. Cliquez sur l’image pour y accéder

Solidaires espère que ce jugement permettra de donner raison aux salarié·es qui ont tenté d’user de leur droit de retrait. Et même qu’il « ouvre la voie à d’autres actions ». Dans ce dossier éminemment politique, le juge d’appel peut néanmoins revenir sur cette décision dans les prochains jours, par exemple si Amazon arrive à fournir les pièces manquantes à son dossier.

Le tribunal des référés de Paris avait rendu le 9 avril une décision similaire, dans l’affaire qui oppose Sud-PTT et la direction de La Poste. Le groupe doit « recenser les activités essentielles et non essentielles à la vie de la nation » et associer le personnel à une évaluation des risques liés à l’épidémie.

Les intermittent·es fragilisé·es

La culture n’aura jamais semblé aussi accessible. De nombreux contenus sont désormais disponibles en ligne, temporairement ou pendant toute la durée du confinement : collections de musées (Giacometti, Louvre), expositions (Frida Kahlo…), musique (Opéra de Paris…), littérature ou encore théâtre (par exemple le Théâtre des Amandiers…).

Cette soudaine manne de libre accès ne doit pourtant pas nous faire oublier que les artisan·nes de la culture, et notamment du monde du spectacle, déjà précaires, sont fragilisé·es par le confinement.

200417 - Spectacles reportés Théâtre des Amandiers Nanterre - La Déviation
La liste des annulations s’allonge au théâtre des Amandiers de Nanterre. Le site web propose en revanche des captations. Accédez-y en cliquant sur l’image

Pour bénéficier de leurs indemnités sur les périodes où iels ne travaillent pas, les intermittent·es du spectacle doivent faire un minimum de 507 heures (ou recevoir au moins 43 cachets) en 365 jours.

Le gouvernement a fait un premier pas en banalisant toute la période du confinement (à partir du 15 mars), qui ne comptera donc pas dans les 365 jours. De plus, les intermittent·es qui arrivent en fin de droits verront ceux-ci prolongés jusqu’à la fin du confinement. La déclaration mensuelle auprès de Pôle emploi reste d’ailleurs de rigueur.

Néanmoins, nombre de spectacles ont été annulés à partir du 4 mars, date des premières restrictions de rassemblement ; par ailleurs, la liste des événements annulés (Aucard de Tours, etc.) jusqu’à mi-juillet est longue, faisant non seulement disparaître des contrats mais aussi les bénéfices escomptés des répétitions menées au cours des derniers mois.

Un premier décret publié le 14 avril est jugé très incomplet par la CGT Spectacle, qui réclame une facilitation du recours à l’activité partielle pour les personnes en CDD d’usage, notamment. Une pétition qui anticipe une longue période de vaches maigres demande la prolongation des droits un an après la date de reprise, pour tous les artistes, technicien·nes et intermittent·es.

Sur ce dossier comme sur d’autres – pensons aux pigistes, nous vous vous parlions dans notre cinquième gazette -, l’attentisme du ministère inquiète. Franck Riester n’a fait qu’ajouter à la cacophonie en déclarant jeudi 16 avril sur France Inter que les « petits festivals » pourraient se tenir à partir du 11 mai. On se pince, quand on sait que les hôtels et restos garderont portes closes et surtout que les scientifiques craignent une « seconde vague ».

Dans l’attente d’une probable interdiction de tous les événements estivaux, les organisateur·ices peuvent théoriquement poursuivre leur travail et leurs dépenses, mais c’est bien pour une annulation qu’iels optent majoritairement. Une option qui, en l’absence d’arrêté les sécurisant financièrement, remet en cause leur pérennité, dans un secteur très soumis aux aléas.

Dans ces conditions, le plan spécifique du ministre de la Culture dont l’annonce est prévue dans quinze jours promet de susciter d’instances manœuvres en coulisses.

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La Gazette des confiné·es #7 – Guerre, cocarde et propagande

Les soignant·es du Kremlin-Bicêtre ont-iels applaudi Macron en pleine épidémie de Covid-19 ou est-ce l’Élysée qui pratique la propagande des temps de guerre ? La guerre, ce n’est pas nous qui en parlons c’est l’État qui la nomme, la fait aux Zad et y prépare la jeunesse par le SNU. Quelques réflexions et un tour d’horizon dans une gazette qui se détache de la rumeur des bottes et du bruit des grenades.

Technopolice & stratégie du choc

On s’y attendait, c’est maintenant sûr ! Les gouvernements veulent profiter de la crise du coronavirus pour imposer leurs réformes destructrices.

C’est ce que Naomi Klein appelle la stratégie du choc. Et là, on peut être certain·e que les promoteurs de la technopolice se frottent déjà les mains : Thalès, Huawei, IBM… Les projets de surveillance les plus démentiels fleurissent dans les médias.

Bornage téléphonique, GPS, cartes bancaires (rendues presque obligatoires puisque le liquide est de moins en moins accepté) cartes de transport, vidéosurveillance avec reconnaissance faciale : de nombreuses options existent pour nous espionner, comme les a recensées Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État au Numérique reconverti en VRP attitré des outils de traçages pour lutter contre le virus.

200410 - La Stratégie du choc affiche film Michael Winterbottom Mat Whitercross et Naomi Klein - La Déviation
Le « best-seller » de Naomie Klein a été adapté en film documentaire par Michael Winterbottom et Mat Whitecross, en 2010.

Il note aussi trois finalités au traçage : observer les pratiques collectives de mobilité, tracer les contacts des gent·es et contrôler des confinements individuels. Pour le moment, le gouvernement communique uniquement sur une application pour tracer toutes nos rencontres, sur la base du volontariat.

Est-ce qu’une telle application sera seulement utile pour lutter contre le coronavirus ? Il se peut même qu’un tel projet ait des effets pervers en incitant les gent·es à cacher leur maladie pour ne pas devenir des pestiféré·es sociaux et sociales… Mais le gouvernement n’a pas besoin de justifier quoi que ce soit : après tout, la moindre augmentation de son pouvoir de surveillance est bonne à prendre ! Encore une fois, on nous vend des « solutions » technologiques (voir la notion de religion du progrès) à un « problème écologique ».

Avant de nous précipiter sur des remèdes miracles, utilisons les outils déjà à notre disposition. Le gouvernement a retardé autant que possible des mesures simples, comme porter un masque en tissu pour éviter de contaminer les autres en toussant, soit-disant parce qu’il n’y avait aucune preuve scientifique que ça marchait (ce qui est faux). Il semble pourtant se précipiter aujourd’hui vers des technologies qui n’ont jamais été testées…

Contre la surveillance généralisée, informons nous, parlons-en et agissons. Individuellement, nous pouvons nous renseigner sur la Quadrature du Net ou lire des brochures d’Infokiosques.net.

200410 - Nothing to hide Jérémie Zommermann La Quadrature du Net - La Déviation
Marc Meillassoux et Mihaela Gladovic ont réalisé le docu « Nothing to hide », sorti en 2017. N’avez-vous vraiment rien à cacher ? Cliquez sur la photo pour accéder un film

Réapproprions-nous nos vies en utilisant, dès que possible, des « low tech » et inventons des façons de lutter contre l’épidémie qui ne nécessitent pas un recours massif à des technologies de surveillance et à un Etat autoritaire.

On peut aussi montrer le documentaire « Nothing to hide » à ses proches. Et on peut utiliser Tor et Tails ou encore remplir les cartes collaboratives des caméras de sécurité.

De l’usage des crises quand on annonce la guerre…

…et des titres à déconstruire : nous ne sommes pas rentré·es en guerre, en tout cas pas contre ce virus. De plus, la guerre était déjà bien présente : la France intervenait déjà dans des conflits armés avant l’apparition du covid-19, et continuera à le faire ; on nous parlait déjà de guerre contre le terrorisme, contre la drogue, contre les incivilités, etc.

La dénomination « crise », quant à elle, nous laisse une impression de distance : tout comme une crise de nerfs est faite par une personne, la crise sanitaire est faite par le virus, ou la crise climatique est faite par le climat. Or, tant pour le climat que pour le virus, ces « crises » sont les conséquences de rapports sociaux.

200410 - L'anthropocène contre l'histoire livre d'Andreas Malm aux éditions La Fabrique - La Déviation
Anthropocène ou capitalocène. Le maître de conférence en géographie humaine en Suède Andreas Malm se penche sur ce débat dans un essai traduit et publié par La Fabrice en 2017.

Ne transposons cependant pas le type de mesures prises dans le cas de la pandémie covid-19 à l’environnement : les temporalités (à priori brève / longue), les acteurs (humain·es / tout le vivant) ne sont pas les mêmes.

Ce qui reste bien commun entre ces deux phénomènes, c’est l’utilisation qui peut en être faite par les systèmes politiques et économiques. Le « business as usual » du capitalisme continue de tourner, dans une classique privatisations des profits – socialisation des pertes, qu’il s’agisse d’externalités environnementales ou d’exploitation de nos vies, avec toutes les conséquences délétères associées.

Les situations dites de crise offrent aux systèmes en place des occasions de se débarrasser de plus en plus des garde-fous démocratiques, utilisant ainsi une « stratégie du choc ». Et dans les scénarios de cette stratégie, on peut trouver le coup d’Etat climatique tout comme le coup d’Etat pandémique, des « coup[s] d’Etat ne nécessitant de tirer aucun coup de feu ».

SNU : stoppez la note urgemment !

Garde à vous ! Le Service national universel (SNU) plie, mais ne rompt pas (les rangs). Le secrétaire d’État en charge de la Jeunesse, Gabriel Attal, a simplement annoncé le 5 avril une inversion du programme. Les « engagé·es volontaires » commenceront par une mission d’intérêt général fin juin-début juillet avant un séjour de cohésion dans une brigade, « quand les conditions sanitaires le permettront ».

200410 - Pétition dites non au SNU - La Déviation
Plusieurs pétitions réclament l’abandon du Service national universel (SNU). Celle de Samuel Béguin a recueilli 6.000 signatures en ligne.

« Le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant », déclarait quasi-mystique Emmanuel Macron lundi 16 mars, au moment d’annoncer le confinement. Peut-être ressemblera-t-il plutôt au siècle précédent, tant le SNU sent la naphtaline.

L’uniforme bleu marine et blanc des participant·es est floqué d’une immense cocarde tricolore. Quant aux activités, elles parleront d’avantage aux bidasses qu’aux Copains du monde du Secours pop’. Lever au drapeau à 5 h 30, parcours d’obstacles, culture patriotique, cérémonies en tout genre… Souvenez-vous des malaises survenus pendant l’inauguration d’une statue du général de Gaulle, à Evreux, en plein cagnard, l’an passé.

« L’architecture initiale a en partie été construite par le général Menaouine et son groupe de travail », prévenait Gabriel Attal en janvier 2019. L’armée est décidément un vivier de recrutement majeur pour la macronie, qui vient de charger le général Lizurey d’un auditeur sur la crise du covid-19. Nous en parlions dans notre précédente gazette.

Le site gouvernemental etudiant.gouv.fr fait moins semblant que l’exécutif lorsqu’il explique que le SNU comporte en réalité trois phases et que la dernière, facultative, est celle de l’engagement, notamment dans un corps en uniforme. Les ambitions d’un pouvoir pour sa jeunesse, en somme.

Si cette promesse présidentielle ravit certainement l’électorat réactionnaire, le SNU n’en a pas moins un coût. Sa généralisation à l’horizon 2024 pèserait entre 2,4 et 3 milliards d’euros par an dans le budget de l’État, estime un rapport remis au premier ministre en 2018. Entre 1 et 1,5 milliard, communique plus timidement le gouvernement. Ce qui ne comprend dans aucun des cas les lourds investissements de base pour retaper les casernes.

Il est toutefois permis de douter que ce projet dépassera le stade de l’expérimentation.

S’il était plutôt aisé de trouver 2.000 jeunes intéressé·es par l’armée, la police ou les pompiers lors du lancement, le ministre de la Jeunesse se garde bien d’annoncer un chiffre pour cette année. Le syndicat Solidaires Jeunesse et Sport avance que seules 8.000 inscriptions étaient enregistrées avant le confinement. Or, la barre officielle a été ramenée subrepticement de 40.000 à 30.000.

D’ailleurs, les inscriptions sont prolongées, malgré les relances incessantes auprès des profs, dont a pris connaissance la Fédération nationale de la libre pensée, qui milite pour l’abrogation du SNU.

Quant au coût, il faudra d’autant plus le justifier à l’heure où les CHU créent des cagnottes Leetchi. Sans parler des associations qui s’asphyxient, malgré leurs qualités reconnues en termes d’émancipation, de solidarité et de mixité.

De l’art de la com’

Aucun journaliste n’est accrédité pour suivre Emmanuel Macron depuis le très peu opportun attroupement déclenché lors de son passage à Pantin, mardi 7 avril. Une situation qui émeut la très modérée Association de la presse présidentielle.

200410 - Twitter Elysée et Elexis Poulin Emmanuel Macron soignants CHU Kremlin-Bicêtre le 9 avril 2020 - La Déviation
Deux extraits du même échange filmé le 9 avril au CHU du Kremlin-Bicêtre. Le premier sert la propagande présidentielle, le second en montre les limites.

Aucun·e journaliste… ou presque, puisque La Gazette des confiné·es avait des yeux et des oreilles à l’hôpital universitaire du Kremlin-Bicêtre, jeudi 9 avril, lors d’un déplacement présidentiel cette fois très verrouillé. Témoignage.

« On a su que Macron venait un quart d’heure avant qu’il ne mette effectivement les pieds dans le hall du bâtiment Barré-Sinoussi. Les soignant·es le regardaient depuis les mezzanines aux étages, on n’avait pas le droit de descendre (et nos patient·es qui arrivaient en ambulance des maisons de retraite étaient bloqué·es dehors).

Plusieurs soignant·es l’ont interpellé sur sa politique de gestion de l’hôpital avant le covid et ont fait référence aux « gilets jaunes ».

Il a répondu qu’il n’était pas responsable des politiques des précédents gouvernements, ce à quoi on lui a répondu qu’il avait empiré la situation depuis qu’il était là.

On a applaudi à deux moments : quand une des infirmières l’a interpellé un peu plus agressivement que les autres, et ensuite lorsqu’une a demandé à ce qu’on s’applaudisse entre nous, soignant·es.

C’est là qu’il a applaudi avec nous, et je pense que c’est cette image que l’Élysée a fait tourner ensuite.

Pendant ce temps, des mecs en costard tournaient dans les trois étages de mezza pour empêcher les gens de filmer, sans doute pour pas perturber la com’ officielle. Il faut dire que ça ne se balade pas tout seul, un président de la République, il y avait au moins une trentaine d’agents de sécurité postés un peu partout dans et autour du bâtiment.

Le soir, tout ce beau monde était à Marseille pour rencontrer Raoult : en termes de stratégie de confinement, trimbaler autant de gens dans des hôpitaux plein de malades du covid, alors même qu’on empêche les familles des malades de venir, est une aberration… »

Même sans caméra de télé et malgré la surveillance des agent·es de l’Elysée, une vidéo montrant la teneur des débats circule sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas celle que diffusent les JT.

Des dons au goût amer

Les soignant·es du Kremlin-Bicêtre et d’ailleurs ne goûteront probablement pas plus la com’ des multinationales que celle de l’Elysée.

Tandis que certain·es se rendent compte des conséquences des attaques infligées au système de santé, qui en est réduit à servir de plateforme de publicité pour les différentes entreprises se lançant dans la philanthropie, ou que d’autres se souviennent qu’il existe une plateforme de « crowdfunding » efficace, l’impôt, d’autres encore ne perdent pas de vue leurs intérêts.

191114 - Manifestation hôpital Lannion Tout droits réservés Sylvain Ernault - La Déviation
Les manifestations du personnel soignant se succèdent depuis des années, le plus souvent dans une indifférence polie des médias comme des pouvoirs publics. Ici devant l’hôpital de Lannion à l’automne 2019.

Amazon (13 milliard d’euros de bénéfice en 2019), dont le dirigeant, Jeff Bezos est la personne la plus riche du monde, a fait appel aux dons publics pour… payer des congés maladie à ses salarié·es qui tomberaient malades.

Les syndicats français préféraient éviter les chambres de réa. Solidaires, se bat sur le terrain judiciaire pour obtenir la fermeture de six sites. Le tribunal judiciaire de Nanterre se prononcera mardi 14 avril. Onze dossiers de salarié·es souhaitant faire valoir leur droit de retrait ont par ailleurs été transmis aux prud’hommes, indique Laurent Degousée, co-secrétaire de Sud Commerce.

La CGT de Douai a assigné l’entreprise en référé pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

La CFDT a déclenché une grève mercredi, quelques jours après les mises en demeure prononcées par l’inspection du travail, dont nous vous parlions dans notre précédent numéro.

Quant à l’ultimatum de Muriel Pénicaud, lancé le 5 avril et arrivant à échéance le 8, il ne semble pas avoir le moins du monde perturbé les petites affaires de la firme de Seattle.

Industrialisation & coronavirus

Et si la pandémie en cours avait été causée par la société industrielle dans laquelle nous vivons ?

Un article du Monde diplomatique rappelle que la transmission des virus des animaux vers les humain·es est favorisée par la destruction des habitats des espèces, comme la déforestation, en prenant de multiples exemples antérieurs à la pandémie actuelle : ébola, maladie de Lyme, etc.

De plus, les zones détruites sont souvent utilisées pour faire de l’élevage industriel qui offre les « conditions idéales pour que les microbes se muent en agents pathogènes mortels ».

Mais ne tombons pas pour autant dans l’excès en prétendant que le virus est une vengeance contre notre société car cela nous orienterait vers un éco-fascisme destructeur.

Tout cela n’empêche pas l’agrobusiness de continuer comme si de rien n’était : alors que quasiment tout le monde est confiné, des transports de veaux à travers l’Europe dans des conditions scandaleuses sont maintenus comme le dénonce l’association L214 !

Évacuation de Zad pendant le confinement

Ce qui est pratique quand on est un État qui met en confinement toute sa population, c’est qu’on peut ne pas respecter ses propres règles.

200411 - Zad de la Dune expulsée et brûlée à Bretignolles-sur-mer en Vendée le 8 avril 2020 2 - La Déviation
La Zad de la Dune en Vendée a été expulsée le 8 avril au soir par un important dispositif policier. Des habitant·es de la charmante cité de Bretignolles ont ensuite brûlé les cabanes et brutalisé les animaux, selon les témoignages des zadien·nes.

C’est ce qui s’est passé en Vendée lors de l’évacuation, ce mercredi 8 avril vers 20 h, de la Zad de la Dune, installée pour lutter contre un projet de port de plaisance destructeur (la mairie affirme que les lieux étaient vide et que ce n’était pas légalement une expulsion). Dans leur communiqué, les zadistes parlent de 70 habitant·es de Brétignolles aidé·es par les services techniques municipaux brûlant leurs cabanes…

La gazette envoie tout son soutien à la vingtaine de zadistes évacué·es et abandonné·es dans la rue en fin de soirée par la police en pleine crise sanitaire.

Nous aurons besoin des Zad plus que jamais pour lutter contre tous les projets imposés, inutiles et destructeurs qui se préparent avec la relance économique dont le capitalisme va avoir besoin (en Chine, le gouvernement lance des plans d’investissements massifs). Alors préparons-nous !

Illustration de une : visuel du site technopolice.fr

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La Gazette des confiné·es #4 – Travail du sexe, Ehpad et barricades

Les travailleur·euses du sexe, encore plus stigmatisé·es et isolé·es

Pour les travailleuses et travailleurs du sexe (TDS) aussi, l’heure est à la réflexion sur la réorganisation du travail, mais pas que. Le Syndicat du travail sexuel en France (Strass) conseille aux TDS de s’orienter plutôt vers le travail via internet, tout en prévenant des dérives possibles (vol de vidéos, cyberharcèlement, etc.) et en donnant aussi des outils à toustes celleux à qui les faibles entrées d’argent de ces activités numériques ne suffiront pas.

Beaucoup d’entre elleux se trouvent contraint·es d’accepter des situations qu’elleux refuseraient en temps normal, pour leur santé et leur sécurité : des rendez-vous pris uniquement par mèl, des clients qui demandent des passes sans préservatif, des clients qui rognent sur l’argent donné parce qu’« ils prenaient beaucoup de risques »…

Car rien n’est fait par le gouvernement pour aider les TDS, pendant cette crise, pas plus qu’à l’ordinaire. Ielles ne sont pas considéré·es comme ayant un travail (sauf quelques un·es au statut d’auto-entrepreneur·e) et n’ont pas les droits du travail associés.

Les hôtels, lieux de vie pour une partie d’entre elleux, ferment. La stigmatisation sociale et l’isolement dont ielles font déjà l’expérience quotidienne se renforcent, le stigmate de  « la pute qui attrape toutes les maladies parce que c’est bien sa faute vu son activité » se réactive pour y inclure maintenant le coronavirus. Et aujourd’hui, travailler dans la rue, c’est aussi risquer de se faire violenter par une police à cran pour faire respecter le confinement.

Face à tout cela, certain·es ont l’impression de ne plus exister. Les associations et collectifs qui les soutiennent habituellement ont dû réduire leur action, alors que la communauté des TDS est la meilleure actrice de la prévention. Pour les soutenir financièrement pendant cette période, des cagnottes ont été créées. Les associations et le Strass continuent de revendiquer pour les TDS les mêmes droits que pour toustes.

Nos vieux meurent en silence

Manque de masques et de personnels, difficultés à faire accepter le confinement à des personnes atteintes de troubles cognitifs… les contagions s’enchaînent dans au moins 100 à 150 Ehpad d’Île-de-France, malgré des mesures de confinement drastiques qui privent les résident·es, confiné·es dans leurs chambres de leurs dernières interactions sociales.

Le nombre de décès menace d’être très élevé parmi ces personnes âgées fragiles, mais les morts survenant dans les maisons de retraite ne sont pour l’heure pas incluses dans les statistiques officielles, malgré les remontées faites aux agence régionales de santé (ARS). Edouard Philippe a promis samedi qu’un bilan serait communiqué cette semaine.

Là encore, le gouvernement ne pourra pas dissoudre ses responsabilités. La baisse des financements de ces établissements pour personnes âgées dépendantes, décidée en 2018, a pu favoriser la propagation du coronavirus et accentuer la souffrance des résident·es. Alors que de grands groupes font des bénéfices importants sur les Ehpad privatisés, rappelons que les revendications syndicales sont restées lettre mortes à ce sujet.

« Ne nous applaudissez pas, soutenez nous ! »

La radinerie des directions d’hôpital force depuis des années les soignant·es à multiplier les heures supplémentaires, faute d’effectifs suffisants. Alors, quand la crise permet de le justifier, pourquoi ne pas avoir recours à des bénévoles comme les secouristes au Samu ou des scouts pour la manutention et le standard à l’hôpital ?

D’après nos sources, certains hôpitaux auraient également essayé de faire travailler gratuitement les étudiant·es en médecine comme aide-soignant·e ou infirmier·ère dans les unités Covid, avant de faire machine arrière devant une levée de boucliers des concerné·es, soucieux·ses de ne pas dévaloriser et précariser un peu plus le travail de leurs collègues paramédicaux.

Avoir de quoi vivre, un peu de temps pour soi et un toit au-dessus de la tête, est-ce trop demander ?

Les personnels sont en lutte depuis plusieurs mois pour sauver l’hôpital public, au bord de la rupture bien avant le coronavirus !

Par ailleurs, si les initiatives pour soutenir, et notamment héberger les soignant·es se multiplient, certain·es les traitent comme de véritables pestiféré·es, leur demandant poliment de quitter leur immeuble pour ne pas risquer de contaminer les voisin·es !

Comme les profs ou les agriculteur·ices, les soignant·es sont apprécié·es pour leur utilité mais nié·es dans leurs besoins fondamentaux – avoir de quoi vivre, un peu de temps pour soi et un toit au-dessus de la tête -, est-ce trop demander ?

La surveillance s’installe… pour toujours ?

Alors que la loi sur l’état d’urgence sanitaire, qualifiée de scélérate par l’avocat Raphaël Kempf, est validée par le Conseil constitutionnel de manière douteuse (le délai de 15 jours n’ayant pas été respecté à cause de « circonstances exceptionnelles »…), il se peut que le confinement s’installe pour longtemps dans nos sociétés.

C’est du moins ce que pense un journaliste scientifique américain, une information à prendre avec des pincettes car elle se fonde sur des prédictions mathématiques incertaines vu qu’on sait encore peu de choses sur le Covid-19.

Mais on peut être certain que l’Etat poussera pour garder ses nouveaux joujoux sécuritaires (comme il a pu le faire pour le terrorisme en 2015) : utilisation des données téléphoniques pour géolocaliser les personnes (avec l’approbation de la commission nationale informatique et libertés (Cnil)…), drones pour surveiller les Parisien·nes, interdiction de se déplacer sans attestation, etc.

Si on croyait encore en les « gardes-fou » de l’état de droit (Conseil constitutionnel ou Cnil), il y a de quoi être déçu ! Pour la Cnil, on était prévenu depuis longtemps !

Le confinement n’arrête pas les violences policières !

On le sait, les contrôles de police sont d’une violence inouïe dans les quartiers populaires, cela ne s’est pas arrêté avec le confinement comme le dénoncent de nombreuses associations.

Au contraire, les policiers ont la meilleure des excuses pour arrêter n’importe qui dans la rue, vérifier le bon respect des mesures de confinement et même contrôler nos courses. Un recensement avec vidéos a été publié sur Paris-Luttes Infos.

Merci pour ce travail, celui de David Dufresnes, qui poursuit sa série « Allô, Place Beauvau » et celui de l’Observatoire des violences policières et continuons de lutter contre toutes les discriminations !

« Le fait divers fait diversion »

Depuis le début du confinement, une petite musique s’invite en boucle dans les communications du gouvernement, les médias de masse et les réseaux sociaux. Elle accompagne le mot d’ordre « restez chez vous » et sonne un peu trop le tambour et le clairon visant à nous mettre au pas.

Cette musique, c’est la stigmatisation des gen·tes qui sortiraient pour des motifs injustifiés.

De nombreuses personnes, à commencer par les keufs, les politicien·nes, les éditorialistes, mais aussi les soignant·es et voisin·es de palier se sentent légitimes à décider quelles sorties sont justifiées. Évidemment, certaines personnes ou populations sont davantage visées. Les JT se sont attardés longtemps sur le marché de Barbès. Les syndicats de flics n’hésitent pas à balancer des « fake news » pour s’en prendre encore aux quartiers populaires.

Quand on y regarde de plus près, on se demande si tout ça ne sert pas aussi à nous enfumer en rejetant la faute de la propagation du virus sur les individus.

Après dix jours de confinement, 225.000 personnes ont été verbalisées (ça fait au moins 30 millions d’euros, et l’amende vient de passer à 200 balles). Soit moins de 25.000 personnes par jour, en comptant celleux qui se sont pris une prune parce que les flics ont jugé qu’aller acheter des protections hygiéniques, laver ses vêtements ou faire un test de grossesse ne fait pas partie des motifs de première nécessité ou qu’on doit rester confiné chez soi même lorsqu’on a pas de domicile.

À comparer aux dizaines de millions de déplacements pour les municipales, mais surtout aux millions de personnes qui continuent d’aller travailler tous les jours, la plupart du temps sans aucune protection…

Frontières nationales ou barricades villageoises

Alors qu’en Europe les États se barricadent à coup de lois, de décrets et d’amendes, il y a des régions du mondes où littéralement, des barricades sont élevées.

Au Chili, l’archipel de Chiloe ne compte pour l’instant que deux cas de contamination. Les organisations sociales avaient obtenu des autorités un isolement réel avec pour seule exception l’approvisionnement en produits de base. Face au non respect de l’accord par l’industrie de la pêche, les habitants ont décidé que seules émeutes et barricades permettraient de fermer les accès aux îles.

En Algérie, en plein mouvement de contestation populaire, la confiance dans la capacité de l’État à gérer la situation est inexistante, et dans certains villages, forts d’une tradition d’auto-organisation, les habitants décident d’anticiper et de fermer les routes. On voit le même phénomène en zones rurales, dans d’autres pays où le vent de la révolte a soufflé cette année, comme en Inde ou au Liban.

À comparer avec la situation que l’on vit en France, où la gestion de nos déplacements se décide au « 20 heures » ou dans les préfectures et reste bien le monopole de l’État, dans les faits comme dans les pensées. Quand en janvier des villageois chinois décident de s’organiser ainsi, pour France 2, ils « paniquent » et  « font la loi».

Pour vivre heureuses, vivons masquées !

C’est une des questions que tout le monde se pose en ce moment : où sont passés les masques ? Si vous voulez la réponse, on vous invite à lire cet article.

Le gouvernement et la haute administration sont tellement en PLS sur cette question qu’iels préfèrent prétendre que les masques ne servent à rien plutôt que d’admettre à quel point iels se sont planté·es à force de suivre le dogme néolibéral. Sauf que les masques sont un moyen essentiel de lutter contre la propagation de l’épidémie.

Réapproprions nous les moyens de production !

N’attendons pas que Macron et sa bande fassent venir des stocks de Chine.

Réapproprions nous les moyens de production ! Avec une machine à coudre et les tutos et patrons disponibles sur internet, on peut fabriquer des masques en tissus réutilisables.

Ces masques sont moins efficaces que ceux qui sont utilisés dans les hôpitaux, mais c’est toujours mieux que de ne rien porter.

Ils permettent de réduire le risque de contaminer les gens que vous croisez et font sans doute l’affaire si vous n’êtes pas entouré·es de personnes porteuses du virus. C’est pas pour rien qu’ils sont obligatoires aujourd’hui dans plusieurs pays d’Asie, y compris à Hong-Kong où ils avaient été interdits suite aux manifs.

Faites-en pour vous, vos potes et les soignant·es de ville et des Ehpad, qui manquent de masques. Si vous êtes déter, vous pouvez même coudre des blouses avec des vieux draps !

Illustration : Un baiser masqué à Bryne en Norvège by Daniel Tafjord

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