Les collapsologues marquent des points, est-ce l’effondrement qui vient ?

Pablo Servigne avait mentionné la possibilité d’une pandémie stoppant l’économie dans son livre Comment tout peut s’effondrer (en collaboration avec Rapahël Stevens). Cette figure française de la collapsologie s’est exprimée dans de nombreux médias au sujet du Covid-19 : dans une tribune signée dans Le Monde appelant à ne pas redémarrer l’économie (payant), dans un entretien avec l’Agence France presse (AFP) ou encore dans une interview peu intéressante (et payante) de nouveau publiée par Le Monde.

Ce succès médiatique de la théorie de l’effondrement ne date pas d’hier comme le rappelle cet article du Monde diplomatique, signé par Jean-Baptiste Malet l’an dernier. Greta Thunberg est l’une des ambassadrices.

Qu’est-ce qu’exactement la théorie de l’effondrement ou la collapsologie ?

Il faut avouer que la définition de Wikipedia est très vague : « Un courant de pensée récent qui étudie les risques d’un effondrement de la civilisation industrielle. » Pour mieux comprendre de quoi il en retourne, jetons un oeil vers les critiques de la collapsologie.

En effet, la théorie de l’effondrement est loin de faire l’unanimité au sein de la gauche radicale. Ainsi Comment tout peut s’effondrer avait été critiqué pour son invitation au fatalisme, à la passivité et son apolitisme. Il n’y aurait pas de coupable de l’effondrement et tout le monde serait logé à la même enseigne. De plus, il est reproché à cette théorie de naturaliser les rapports sociaux de pouvoir, comme l’explique Elisabeth Lagass dans un article de la revue critique communiste Contretemps.

« Derrière cette idée de l’effondrement de la société réside une vision du monde qui met en avant le système plutôt que les acteur.rices et les rapports sociaux de pouvoirs. […] Pour prouver cet effondrement, les collapsologues s’en réfèrent généralement à des données quantitatives, issues des sciences naturelles. Ce faisant, ils effectuent un glissement entre les sciences naturelles et les sciences sociales, en étudiant la société comme un « écosystème », et en déduisant de données « physiques », un effondrement social. »

Mais depuis, les collapsologues ont légèrement modifié leurs discours, notamment dans le livre Une autre fin du monde est possible (Pablo Servigne (encore lui), Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle), suite de Comment tout peut s’effondrer. Ils intègrent des dimensions de luttes, l’importance du capitalisme dans la destruction des écosystèmes et la nécessité de projets alternatifs. Cependant, Daniel Tanuro explique dans un article de Contretemps en quoi cet ouvrage ne va pas assez loin et reste confus. La lutte anticapitaliste et écologiste serait uniquement invoquée et sa réalisation concrète ne serait pas assez approfondie. D’autre part, les collapsologues utiliseraient des théories réactionnaires comme celles de Carl Gustav Jung.

Un article du média belge L’Entonnoir se penche sur la volonté hégémonique du discours de l’effondrement. En voulant mettre toutes les dimensions de l’effondrement dans un unique melting pot théorique, les collapsologues ne pensent que de manière systémique et négligent les histoires locales qui nourrissent les luttes et leur permettent de tenir dans la durée.

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Une bande dessinée humoristique sur le principe du Grand détournement (La Classe américaine) qui s’amuse des théories de l’effondrement, a été repérée par Lundi matin qui a interviewé ses auteurs.

Les collapsologues feraient-ils de la pseudo-science, à l’inverse de leur forte prétention à la scientificité via la citation de nombreux articles scientifiques ? En d’autres termes, ne tomberaient-ils pas dans le scientisme ? C’est en tout cas ce que défend un article très fourni de Perspectives Printanières, blog de tendance communiste libertaire.

On peut légitimement se demander si l’approche collapsologue répond aux critères de scientificité de Karl Popper quand l’on constate que tout nouveau fait pouvant invalider la théorie de l’effondrement peut juste être ajouté à l’ensemble théorique de la collapsologie ce qui la rend ainsi non réfutable. À vouloir intégrer absolument toutes les connaissances dans un unique discours, on se prend les pieds dans le tapis et on ne se rend pas compte de ses propres erreurs et errements.

Tout cela fait dire à un article récent du collectif Autonomie de classe que la collapsologie est une pseudo-théorie de la crise pour une non-action politique. Au lieu de penser en termes de crises, Mark Alizart invite à parler de coup d’état climatique et soutient que le désastre climatique ne fait courir aucun risque au capitalisme. Au contraire, il a même vocation à l’entretenir.

Malgré tout, n’abandonnons pas trop vite toute convergence avec Pablo Servigne et les collapsologues. Iels peuvent participer à populariser des initiatives intéressantes comme Covid-entraide et leurs théories ont le mérite de poser un diagnostic plutôt juste de la situation. N’oublions pas que d’autres intellectuel·les de gauche ont été critiqué·es dans un premier temps avant d’évoluer sur leurs positions jugées problématiques. Ainsi Frédéric Lordon, dont les billets sont aujourd’hui plutôt appréciés, était fortement bousculé il y a peu comme dans cet article publié par le Pressoir, en 2016 ou dans cette vidéo de Lundi matin datant de 2015.

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