Le gouvernement trie les « fake news » sur son site : qui se sent morveux se mouche

Sur bien des domaines, l’épidémie de coronavirus permet aux dirigeant·es d’avancer leurs pions. En matière de droit du travail, comme nous l’avons déjà vu, mais aussi de contrôle de l’information. La sélection d’articles de presse publiée sur le site officiel d’un gouvernement profondément falsificateur traduit plus une volonté de désamorcer les critiques qu’une reconnaissance du travail journalistique.

« La crise du Covid-19 favorise la propagation de fake news. Plus que jamais, il est nécessaire de se fier à des sources d’informations sûres et vérifiées. » Ce constat est d’une grande banalité, mais la suite nous a étonné·es. « C’est pourquoi le site du gouvernement propose désormais un espace dédié. » Dans son tweet publié le 30 avril, la porte-parle du gouvernement Sibeth Ndiaye fait la promotion d’une revue de presse officielle, jusqu’ici passée inaperçue.

La page « désinfox coronavirus » recense jusqu’au 2 mai seize pages de liens vers Libération, 20 Minutes, l’AFP, France Info et Le Monde. Les articles nous promettent d’apprendre « pourquoi l’OMS ne recommande pas le port du masque à toute la population ? », si « la commande de drones du ministère de l’Intérieur est bien liée au contrôle du confinement ? » ou encore que « non, Emmanuel et Brigitte Macron ne font pas de Jet-Ski pendant le confinement ».

Un paragraphe en petits caractères précise que « sont référencés sur cette page les articles des médias français, depuis le 15 avril, disposant d’une rubrique « fact checking » depuis au moins 2 ans ; d’une équipe fact checking spécialisée ; et d’un accès gratuit au contenu. » Des critères arbitraires qui éliminent Mediapart ou Médiacités, dont l’indépendance éditoriale repose sur le choix du payant. La presse régionale, dépourvue de tels services, n’a pas non plus le droit de cité.

Loin de se réjouir d’une telle reconnaissance, plusieurs journalistes des rédactions concernées perçoivent le piège que représente une assimilation aussi directe au pouvoir. Chez Libération, Laurent Joffrin lui-même assure que la rédaction qu’il dirige a été mise devant le fait accompli. Sans demander la suppression de cette page, il souhaite que les internautes en soient avertis. Sûr de son fait, le Service d’information du gouvernement (SIG) propose au contraire de le contacter, « afin que les articles de votre rédaction soient recensés ».

Libé est d’ailleurs bien placé pour pointer les inévitables biais d’un tel exercice puisque son enquête sur la dissimulation de la pénurie de masques qui met gravement en cause l’exécutif (payant) ne figure pas dans les articles conseillés par le gouvernement. Pas plus qu’un article du service Checknews qui montre que le ministère de l’Intérieur a prétendu à tort que le vélo de loisir était interdit pendant le confinement.

Nous n’épiloguerons pas sur la définition du « fact-checking » et des « fake news », nous en avons déjà parlé dans La Gazette #10, et elles ont été longuement décortiquées par Frédéric Lordon dans un billet aux airs de pamphlet contre Les Décodeurs publié en janvier 2018. Rappelez-vous des gommettes de couleur attribuées par le « journal de référence » à ses concurrents. Disons simplement que la vérification des faits, un des fondements de l’éthique journalistique, nous anime tout autant pour écrire cette présente Gazette que des titres prétendument « neutres » ou « objectifs ».

200502 - Capture d'écran du Decodex concernant Rebellyon by Le Monde - La Déviation
Le Décodex du journal Le Monde accordait des notes en couleurs aux sites d’information ce qui a créé un tollé, Fakir étant classé orange par exemple, et les couleurs ont disparu depuis.

En revanche, nous ferons deux remarques.

La première, c’est que ce gouvernement soudain épris de vérité ne cesse d’entraver la liberté de la presse. C’est à la demande d’Emmanuel Macron qu’a été promulguée la loi sur le secret des affaires, consolidant le mur érigé par les multinationales pour se protéger des citoyen·es. Tout comme la loi anti-« fake news », qui élargit les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ainsi que des plateformes numériques, en bonnes auxiliaires de la censure.

Le Secrétaire d’Etat au Numérique Cédric O a précisé les intentions du pouvoir dans une interview donnée à Reuters en juin 2019.

« Je considère qu’il doit y avoir un Conseil de l’ordre des journalistes, des journalistes entre eux, qui prennent des décisions et qui disent à l’Etat : “Vous devez retirer l’agrément de tel ou tel canard, mettre des avertissements.” […] S’ils ne le font pas, ce sera l’Etat qui le fera, au bout du bout. »

Dans le même temps, un nombre record de reporters ont été blessés par les forces de l’ordre lors de manifestations sociales. Le collectif Reporters en colère en a recensé 25 pour la seule journée du 5 décembre 2020, après que le Syndicat national des journalistes (SNJ) en a compté « près de 200 molestés, blessés, intimidés, empêchés de travailler par des policiers des gendarmes, des magistrats », en un an de Gilets jaunes. Les plus subversifs étant même placés en garde à vue ou convoqués devant la DGSI.

La seconde remarque, c’est que la communication étatique s’insinue désormais dans chaque pores du débat public. Sans parler des relais serviles qui nichent dans les rédactions (lire à ce sujet le communiqué acide du SNJ France TV sur le 20 Heures de France 2), les encarts dans la presse, les spots télé et radio et plus insidieusement les bannières des géants du capitalisme numérique nous ramènent immanquablement vers les consignes gouvernementales.

200502 - Rediction vers la communication gouvernementale sur le coronavirus par Twitter - La Déviation
Quoi que vous cherchiez sur le coronavirus en ligne, les géants du capitalisme numérique vous dirigeront en premier lieu vers le site du gouvernement.

N’êtes-vous pas avertis par Twitter au moindre clic sur le hashtag Covid-19 que pour « connaître les faits, de l’information et des recommandations sont disponibles sur le site officiel du Gouvernement (sic) » ? Une foire aux questions préparée par le gouvernement ne s’affiche-t-elle pas tout en haut sur Google lorsque vous interrogez le moteur de recherche à propos du coronavirus ? Facebook ne vous conseille-t-il pas d’« écouter les consignes de votre gouvernement » quand vous tapez le mot-clé « Sras-cov2 » dans la barre de recherche ?

S’agit-il de se racheter une conduite après avoir accumulé des millions grâce un business de la désinformation ? Ou bien de proposer ses services à l’Etat, dans le contrôle de l’information et des populations ?

Le gouvernement remballe son projet sous la pression

Mise à jour du 5 mai 2020

Interrogé lors des questions au gouvernement, le ministre de la Culture, Franck Riester, annonce mardi 5 mai le retrait du service « Désinfox coronavirus » sur le site du gouvernement.

Les sociétés de journalistes de 32 médias ont protesté par le biais d’une tribune intitulée « L’Etat n’est pas l’arbitre de l’information », dimanche. Le Syndicat national des journalistes a annoncé lundi le dépôt d’un référé-suspension devant le Conseil d’Etat.

A l’instar de Clément Viktorovict, d’aucuns estiment que la mise en ligne d’un article par Les Décodeurs du Monde démontant une fausse affirmation d’Olivier Véran a précipité la mort de ce service. Le gouvernement étant pris au piège de sa propre communication.

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