Débat – Quand on demande à Yann Barthès comment lui et son équipe se qualifient, il répond “journalistes”. La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), elle, a donné un avis différent en juin 2012 en ne renouvelant qu’une partie des cartes de presse de l’équipe. Le motif ? L’émission était trop souvent à la frontière entre information et divertissement.
Qu’en est-il plus d’un an après, alors que Le Petit Journal bat des records d’audience, avec plus de 1,5 million de fidèles ? Sylvain Ernault et Gary Dagorn, téléspectateurs réguliers de l’émission et eux-mêmes journalistes, débattent sur les limites du mélange des genres. Derrière le statut de l’émission : la crédibilité du journalisme.
Au-delà des erreurs factuelles du Petit Journal, il y a surtout pour moi le mélange de l’information et du divertissement (infotainment) qui est préjudiciable pour tous les autres journalistes.
Il est d’ailleurs amusant de remarquer que l’émission reprend le nom de ce quotidien conservateur “à un sou” (1863 – 1944), dont les romans feuilletons étaient l’un des premiers arguments de vente (avec les faits divers). Les Plenel de l’époque y voyaient une dérive vers le mercantilisme autant que l’avilissement d’une presse préférant l’émotion à la raison. On sortait à peine de la Révolution et les journaux étaient encore vus par les intellectuels comme les vecteurs presque sacrés de la démocratie. C’est une vision trop radicale, mais les termes du débat ont 150 ans.
De mon point de vue, les “bourdes” sont très représentatives de l’esprit de cette émission.
S’ils doivent choisir entre respecter la réalité et et la tordre pour que la blague fonctionne, ils tordront la réalité. Ils sacrifient l’info et choisissent le divertissement.
Le contrat de lecture est vicié dès le départ. Sur quel pied le téléspectateur doit-il danser ? L’humour n’empêche pas la réflexion, c’est le rôle de la satire, représentée sur la même chaîne par les Guignols de l’Info. Mais les Guignols pastichent, détournent, ils n’enquêtent pas et les auteurs ne demandent rien d’autre que de rester des auteurs.
Le plus tragique étant que Le Petit Journal lève des lièvres. Il a été le seul à s’apercevoir que Marine Le Pen utilisait des figurants pour organiser des tables rondes (24 octobre 2013). Quel statut donner à cette information révélée dans une émission d’humour ? Et par ricochet, que faisaient les confrères journalistes ? Le Front national peut avoir beau jeu de retourner cette histoire à son avantage en pointant les failles du programme.
Oui, ils se décrédibilisent tout seuls. Mais malgré ça, le Petit Journal a déjà montré dans le passé que l’humour n’était pas incompatible avec l’info ou la réflexion. Leur ironie sur les faiblesses et les incohérences de la communication politique durant les présidentielles était assez pédagogique et ils étaient un peu les seuls à désacraliser la parole politique en remettant le contexte, les absurdités et les incohérences.
Depuis, la formule du Petit Journal est moins politique et plus “divertissante” : la Minute pop d’Ophélie Meunier, le défi Musca, etc.
Martin Weill, qui a à peu près notre âge et celui du public visé, est un moyen d’identification parfait pour tous les jeunes qui se rêvent globe-trotters. J’ose espérer que ça ne devienne pas le modèle des futurs grands reporters, car sur le terrain, ses reportages s’apparentent à une suite de gags qui prennent l’actualité géopolitique pour prétexte.
Que retient-on de son voyage en Israël et Palestine ? Que les journalistes courent pour obtenir une interview de François Hollande. Qu’un joueur de trompette joue faux. Quels scoops ! Mais au fait, il était là pourquoi Hollande ? La mise en contexte est sommaire, il n’y a pas d’angle et le tout est surjoué.
Un extrait : “François Hollande s’apprête à repartir, du coup les journalistes français remontent dans les bus de la délégation française pour le suivre jusqu’à Jérusalem. Mais nous, on décroche, la caravane ça suffit”. “Voyez comme on est vertueux par rapport aux autres”, s’attend-on presque à l’entendre dire. C’est une parodie d’investigation, mais ce n’est même pas drôle.
C’est dommage car il y a là une formule qui tente une approche assez pragmatique et simple : Martin se rend sur place et tente de comprendre la vie des gens dans des territoires dont la situation est complexe. Les reportages gagneraient à faire plus d’info, comme ce qu’ils ont pu faire pour Détroit. Et même si ça reste assez survolé à la vue de la complexité du sujet, la démarche entreprise ici est vraiment une formule qui marche car Martin ne parle pas comme un journaliste, c’est un voyageur avec ses observations propres et cette approche très simple amène à vulgariser les sujets. C’est un pari intéressant pour amener un public vers des informations qu’il ne “consommerait” pas forcément s’il les trouvait dans un journal classique, voire spécialisé (Le Monde Diplo par exemple).
“La démarche entreprise ici est vraiment une formule qui marche car Martin ne parle pas comme un journaliste.” Gary
Je vois plus de sensationnalisme que de journalisme dans cette séquence. Faire un reportage à la première personne ne me dérange pas tellement. Que Martin Weill soit au centre de la narration est une façon comme une autre de raconter une histoire, de capter l’attention du téléspectateur. Une méthode sans doute adaptée à la cible. Mais pour que ça devienne intéressant, il faudrait lui accorder plus de temps de manière à développer. Et il faudrait surtout éviter les approximations contraires à toute déontologie. En trois mois, Acrimed et Arrêt sur Images ont déjà pointé des erreurs lors de plusieurs étapes : au Mexique et en Russie.
Or, cette critique n’est que superficielle. Jamais Le Petit Journal n’analysera, par exemple, quelle finalité poursuit peut-être TF1 en truquant le son des sifflets contre François Hollande le 11 novembre. Il n’est jamais question des relations troubles entre les industriels et les patrons de médias. La connivence entre journalistes vedettes et politiques, le cercle très restreint de propriétaires de médias, ils sont là les vrais scandales qui nuisent gravement à la crédibilité de notre travail. Elle est là l’origine de la défiance toujours plus grande du public, qui aboutit sur un rejet en bloc des productions, même les meilleures, au profit des manipulateurs.
En restant dans le registre de la farce et en dépolitisant leurs analyses, les responsables du Petit Journal sont des “chiens de garde” comme les autres.
“En restant dans le registre de la farce et en dépolitisant leurs analyses, les responsables du Petit Journal sont des “chiens de garde” comme les autres.” Sylvain
Ils appartiennent à un grand groupe qui a des intérêts, donc leur critique des médias n’est pas très subversive. De plus, les critiques de Serge Halimi et Gilles Balbastre ont quelque part une logique “anti-système” et très politisée.
Eux restent dans la critique douce parce que d’une certaine façon, ils ne sont pas en position de faire plus subversif, et n’en ont sûrement pas la volonté. Le fait de ne pas être en position n’excuse pas pour autant la superficialité de leurs moqueries. Je pense qu’il s’agit surtout, pour eux, de rester divertissant. Le côté “on ne se prend pas la tête”, le côté “cool” en pâtirait et les audiences aussi.
Le Petit Journal est une machine à cash, qui met à disposition des publicitaires du “temps de cerveau disponible”, au dernier moment de la journée où c’est possible sur Canal +, en clair. Il s’agit d’en profiter jusqu’au bout.
Certes, c’est le cas de tous les programmes de divertissement sur les chaînes privées et souvent aussi les chaînes publiques. Là où je trouve que c’est pernicieux, c’est que Le Petit Journal prétend être autre chose ou apporter plus que du divertissement. Dans la famille des émissions sur les médias, il est pourtant à ranger dans la même catégorie que Touche pas à mon poste (D8) et non dans celle de Médias le magazine (France 5).
Après, là où je pense qu’il “subit” aussi la nécessité de garder son audience, c’est le petit remaniement qu’est la venue d’Ophélie Meunier et de Maxime Musca pour cibler un public précis. Je pense que c’est un choix plus dicté par la chaîne que par les ambitions éditoriales de Barthès.
L’apothéose, ce fut lorsque les candidats se présentèrent les uns après les autres sur le plateau. Yann Barthès, qui avait pointé l’envers de la communication de Nicolas Sarkozy sans relâche pendant tout le quinquennat, s’est retrouvé face à l’ “accusé” Sarkozy. Mais ce qui s’est produit, c’est qu’au lieu de passer sur le gril, Sarkozy est paradoxalement apparu sympathique en plaisantant avec son “procureur”. Surtout, les faits qui lui étaient reprochés paraissaient tellement ridicules (les discours copier-coller, les tics…) que sa communication a été au contraire relégitimée.
L’écume sur laquelle Barthès a construit son émission s’est envolée en un coup de vent.
Jamais une émission vraiment impertinente – aujourd’hui il est question évidemment de l’être avec le pouvoir PS – n’aurait pu devenir le théâtre communicationnel de celui qui était moqué pendant cinq ans. Pour ça, il aurait fallu attaquer les points sensibles : les discours haineux de Dakar et de Grenoble, la complaisance avec les régimes dictatoriaux de Kadhafi, Ben Ali et Al Assad, l’affaire du vaccin contre le H5N1, etc. Tant d’occasions ratées d’être impertinent tout en provoquant les sourires.
Le fil rouge qui guide la ligne du Petit journal est que ça reste cool. À mon sens, pour faire de l’info et rester engagé, Barthès devra aussi montrer qu’il est capable de faire du sérieux. Ce qu’il a tenté face à Frigide Barjot, sans grande réussite parce qu’il ne pouvait pas franchir la ligne qui aurait fait passer la discussion dans la polémique, le débat houleux. Donc au final, l’impertinence de surface du Petit Journal me paraît assez conformiste.
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