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Une radio comète au gaz hilarant

Des centaines de radios naissent en 1981, presque autant meurent quelques mois plus tard. Toutes ces étoiles filantes ont disparu des mémoires. Toutes, sauf une. Carbone 14, de nuit sûrement la plus scintillante des parisiennes, fait l’objet d’un livre événement.

Si David Grossexe avait raconté à Supernana et Jean-Yves Lafesse que leurs délires radiophoniques feraient un jour l’objet d’un ouvrage de chercheur, qui plus est édité par l’Ina, ses deux compères l’auraient sans doute inondé d’insultes à l’antenne. Les trois vedettes de la station avaient beau être spécialistes de la farce, une telle prédiction n’aurait pas été prise au sérieux par leurs milliers d’auditeurs franciliens. Habitué à faire la une de la presse, tantôt pour avoir prétendu faire coucher en direct une prostituée avec un homme devant les micros, tantôt pour l’interview exclusive de l’écrivain provocateur Jean-Edern Hallier suite à son faux enlèvement, l’étrange directeur de la station n’aurait sûrement pas plus goûté à cette reconnaissance institutionnelle.

Ce directeur, c’est Gérard (ou Dominique) Fenu, un publicitaire “dingue” croisé d’un “kamikaze”. Dingue, parce-qu’il croit dur comme fer que Carbone 14 peut être retenue par la Commission Holleaux créée par les socialistes, pour figurer légalement sur la bande FM. Associé au député de droite du XIVe arrondissement, Yves Lancien, il lance cette radio comme une fusée, c’est-à-dire en se séparant rapidement de ses lourds réacteurs. La station mise sur orbite, il lâche Lancien et tente le rapprochement avec le PS. En vain. Kamikaze, parce-que non content de laisser survenir tous les débordements possibles en studio, il surenchérit lui-même constamment. Au point de surnommer le président “François la francisque” lors des dernières heures d’émission, évocation du passé vichyste de Mitterrand, que révèlera au grand public Pierre Péan dans son livre Une jeunesse française, onze ans plus tard.

Carbone 4 - photos des studios
Supernana (à gauche) et Guy Dutheil (à droite), lors du tournage du film Carbone 14, Coll. Jean-François Gallotte.

Si cet hommage universitaire peut contrarier les libertaires de Carbone 14, eux-mêmes avaient une certaine idée du devoir de mémoire. À la fin de l’été 1982, David Grossexe, alias Jean-François Gallotte, convainc Gérard Fenu de tourner un film sur la radio, déjà menacée à l’époque. Trois nuits de tournage avec du matériel volé permettent de retranscrire l’atmosphère des émissions phares de la chaîne, séquences entrecoupées par les propos délirants de Fenu. Les auditeurs appellent, parlent sexe et frustrations. Le ton est libertin. Sélectionné pour le festival de Cannes, le film atterre les critiques. À l’époque diffusé dans seulement quelques salles du Marais, ce témoignage fictionnel est sorti en DVD récemment.

Carbone 14 - photos tournage film
L’affiche de Siné pour Carbone 14, le film (1983). Coll. Jean-François Gallotte.

Le côté trash de Carbone 14 ne doit pas faire oublier les émissions plus sérieuses programmées sur la grille. Si la prise d’antenne de Lafesse à minuit est devenu mythique, les talk-show et la musique constituent la majorité des tranches horaires. Progressivement toutefois, ces programmes cèdent la main à l’agitation permanente. Le climat se dégrade, les retards de paiement s’accumulent. Fin 1982, finis la rue Paul-Fort et le XIVe, bonjour Bayeux. La pression politique, l’absence de soutien dans la presse et la coordination vacillante des radios menacées n’arrangent rien. Le 17 août 1983, à 6 heures, les policiers débarquent et saccagent les studios. Dès lors, la fréquence de Carbone 14, trop proche de France Culture, ne répond plus.

Un jour de plus ou de moins, quelle différence, 30 ans après sa mort ? Carbone 14 de Thierry Lefebvre est un livre référence sur l’histoire de la radio, à travers un emblème de la libération des ondes. De l’explosion des associatives à leur regroupement au sein de réseaux uniformisés comme NRJ et Skyrock en passant par leur sélection par la commission Fillioud et la légalisation de la publicité, aucun fait marquant ne manque. L’auteur poursuit son minutieux travail d’enquête sur un combat perdu, celui de la prise de contrôle de média par les citoyens, commencé avec La Bataille des radios libres, 1977-1981, paru en 2008. Passionné de radio, sans doute un peu nostalgique de ce temps des pionniers, Thierry Lefebvre a réuni les témoignages des principaux acteurs de l’épopée. Parions que comme nous, Lafesse et Grossexe apprécient finalement l’hommage.

Références

Carbone 14, Légende et histoire d’une radio pas comme les autres, Thierry Lefebvre, Ina éditions, collection Médias histoire, 20 €.

Logo Carbone 14“La radio qui t’encule par les oreilles”

Piste 1. Générique de “Lafesse Merci” sur fond d’Human League

Piste 2. Générique de “Poubelle Night” avec Supernana

Piste 3. Auditeur invité à sodomiser le chien d’un animateur

Piste 4. Lafesse, Grossexe, Lopez et Lehaineux jouissent en cœur lors d’une fausse saisie

Piste 5. Témoignage de Supernana et Gino après la réelle saisie, sur Radio Libertaire

Plus d’archives ici et .

Par Sylvain Ernault

Journaliste professionnel basé à Lannion, dans les Côtes-d'Armor, j'ai cofondé le média d'enquêtes « Splann ! » afin d'éclaircir les zones d'ombre de la société bretonne. Sur « La Déviation », j'écris sur les luttes sociales, les atteintes à l'environnement et parfois, encore, sur les festivals. Vous pouvez suivre ma revue de presse quotidienne à travers mes profils sur les réseaux sociaux.

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