La Gazette des confiné·es #11 – Rentrée des demi-classes, 1er mai et sorties sous surveillance

Le 11 mai s’approche, date virtuelle d’une rentrée des classes sous surveillance et dans des conditions flippantes. Les plans du gouvernement et de son conseil scientifique pour endiguer l’épidémie sont aussi angoissants : ils préfigurent davantage des sorties limitées au travail et surveillées à grand renfort d’informatique qu’une véritable libération. Mais avant le 11 mai, concentrons-nous sur le 1er !

Nos plus ou moins bons plans pour participer quand même au 1er mai

C’est une première en « temps de paix ». A l’aube d’une catastrophe sociale annoncée, les manifs du 1er mai sont annulées. Comment diable crier son envie d’en découdre quand on est confiné·e ? La Gazette se penche sur ce dilemme.

Que vous soyez militant·e trotskiste à La Poste, prof’ d’histoire membre des Amies et amis de la Commune de Paris ou trompettiste dans la fanfare invisible, vous surveillez habituellement le parcours déclaré dans votre ville par la CGT. Problème, Démosphère reste désespérément vide. Et pour cause, puisque la centrale de Montreuil concentrera, comme beaucoup d’autres, ses efforts sur le web.

« Prenez-vous en photo avec une pancarte », « signez notre pétition #PourLeJourdAprès »… Les camarades d’Astérix rattraperont-iels vingt ans de retard dans la communication numérique ? Dans certaines villes, le traditionnel discours craché par d’antiques enceintes à une foule distraite sera diffusé sur Youtube et Facebook, en qualité HD. Au cas où le télétravail et les cours à distance vous manqueraient…

Dans un communiqué signé avec la FSU, Solidaires, l’Unef et trois associations lycéennes, la CGT n’exclut toutefois pas de sortir « pancartes et banderoles ». Un appel à l’insoumission ? Plutôt à rejoindre le #cortègedefenêtres. Une note interne de Solidaires passée entre nos mains, explique que « l’idée est de disposer/coller/accrocher le maximum de messages syndicaux dans l’espace public […] en utilisant les déplacements autorisés. Il faudra particulièrement viser les espaces d’alimentations, les lieux de travail… avec une vigilance particulière pour les supermarchés qui annoncent ouvrir le 1er mai. »

200427 - Banderole Vous ne confinerez pas notre colère car on est là Marseille by Downscaler - La Déviation
Banderole de fenêtre à Marseille immortalisée par Julien Girardot.

Le placement en garde à vue d’une Toulousaine pour crime de lèse-majesté le 23 avril a mis en lumière cette pratique qui tend à se répandre. « Soutien aux personnels hospitaliers » et « Macronavirus à quand la fin ? » étaient inscrits sur deux bâches accrochées sur un mur donnant sur la rue. Dans le 19e à Paris, un couple a également reçu la visite des papas 22 pour un joli « Macron on t’attend à la sortie ». D’autres coups de pression sont recensés à Marseille et Caen.

Le passage au dépôt vous sera épargné si vous arrivez à convaincre suffisamment d’ami·es. Un détour par le site iaata.info ou par le compte Twitter des Fenêtres en lutte peut vous dépanner, si jamais vous manquez d’inspiration. Un bon « Rends l’ISF, l’hôpital est sous perf’ ! » fera l’affaire.

Quitte à vouloir animer sa rue, autant demander l’expertise d’Attac. Cheval de Troie gonflable pour dénoncer les tribunaux d’arbitrage privés, transformation d’un Apple Store en service d’urgence, parodie de Star Wars devant le palais de justice de Paris… L’Association pour la taxation des transactions financières (et l’action citoyenne) raffole des mises en scène autant que des tableurs Excel. Cette fois, elle propose un kit « actions en confinement » pour satisfaire petits et grands.

Rien ne se perd, tout se recycle chez les altermondialistes. Des rouleaux de PQ vides peuvent ainsi se transformer en maracas militantes, un vieux t-shirt en masque revendicatif et les restes de votre garde-manger en gâteau allégé !

Le 1er mai est aussi l’occasion de revisiter son répertoire de musiques révolutionnaires. Si l’on peut applaudir à sa fenêtre, on peut tout aussi bien y chanter. C’est la réflexion de Lillois·es, qui ont choisi la dernière création de la Cie Jolie Môme, sur l’air des Gilets jaunes. Mettez une alarme à 20 h.

200428 - Le Télégramme Une manifestation solitaire mais solidaire à Châteaulin Finistère rogné - La Déviation

Toujours pas convaincu·e ? Si vous craignez de passer pour un cédétiste en puissance, envisagez la désobéissance. A Châteaulin dans le Finistère, le gérant du tabac-presse a déjà expérimenté la manif’ solitaire, au milieu d’un pont désert. Toujours en Bretagne, Sud-PTT estime que « si les travailleurs et les postiers sont bons pour aller en masse travailler, s’ils sont bons pour qu’on leur supprime jusqu’à 10 jours de RTT ou de congés alors ils doivent avoir le droit de manifester le 1er mai, même sous des formes adaptées aux mesures sanitaires nécessaires. » Aucun rendez-vous n’est toutefois fixé.

Ce qui n’est ni le cas à Paris, où le Comité de solidarité avec grèves et résistance (GDDK) convoque les plus motivé·es place de la République, à 10 h, ni à Gap (Hautes-Alpes) où un tract non signé annonce un rassemblement en chair et en os devant la préfecture. Après tout, « les manifestations du 1er mai, depuis 1886 à Chicago ou 1891 à Fourmies, ont toujours été déterminées à arracher du progrès social, et ont toujours été sévèrement réprimées », relèvent les organisateur·ices (masqué·es).

Revêches mais prévoyant·es, les Gapois·es espèrent tenir suffisamment longtemps pour y partager l’apéro. « Les mauvais petit-fours finiront ! »

Hommage aux syndicalistes qui luttent contre les abus patronaux durant le confinement

Si la critique du syndicalisme est nécessaire, il est essentiel de distinguer les syndicalistes qui luttent sur le terrain de l’institution bureaucratique. Car de nombreux·ses syndicalistes font tous les jours et encore plus depuis le confinement un travail conséquent.

200427 - Affiches crise Coronavirus by infocom CGT - La Déviation
Le syndicat CGT Info’Com produit des visuels qui renouvellent les code du syndicalisme, quitte à se fâcher avec la maison-mère.

Depuis son lancement le 30 mars, le numéro vert de Solidaires a reçu plus de 800 appels. Les syndicats ont produit des ressources abondantes pour aider à mieux connaître nos droits.

Et en cette période d’incertitude, tout ce travail est plus que nécessaire car les classes populaires sont en première ligne, souvent invisibles. De plus, le droit du travail a été profondément modifié pendant l’état d’urgence sanitaire.

Dans la confusion régnante, il y a de nombreux abus : le droit de retrait est attaqué, des jours de congés ou RTT sont forcés, le chômage partiel est utilisé parfois illégalement.

Alors merci à elleux !

Le bricolage de la réouverture des écoles, collèges et lycées

Emmanuel Macron a annoncé la réouverture des établissements scolaires (hors universités) à partir du 11 mai à la surprise de son conseil scientifique. Celui-ci recommandait de les laisser fermés jusqu’en septembre. Une diversité d’organismes scientifiques s’est d’ailleurs prononcée contre cette mesure et le groupe de travail « enseignement scolaire » du Sénat dénonce même une « impression d’impréparation et d’improvisation » (pdf).

200430 - Les retrouvailles en salle des profs le 11 mai by Varlan Olivier - La Déviation

Mis devant le fait accompli, le conseil scientifique a cependant « pris acte de la décision politique de réouverture prudente et progressive des établissements scolaires » et a proposé, dans une note du 24 avril (pdf), un ensemble de préconisations.

Cette note semble tenter de faire le tour de l’infrastructure scolaire dans son ensemble : retourner à l’école ce n’est en effet pas seulement entrer dans un bâtiment, c’est aussi le nettoyer, y emmener les élèves, leur faire à manger et les surveiller pendant qu’ils et elles mangent, etc.

Les écoles, collèges et lycées sont ainsi au centre d’un réseau d’installations mais aussi de personnes : professeur·es, personnels administratifs, agent·es d’entretien, personnels de cantine, Atsem (agent·e territorial·e spécialisé·e des écoles maternelles), AESH (accompagnant·e des élèves en situation de handicap), AVS (auxiliaires de vie scolaire), AED (assistant·e d’éducation), AP (assistant·es pédagogiques), parents, conducteur·ices de bus… (et leurs équivalents dans le privé pour certains de ces postes qui n’y ont pas le même nom).

C’est ainsi l’organisation de tout un monde que le gouvernement demande de penser… Et pour cela les établissements disposent de moins de deux semaines, dans un contexte où les communications se font à distance, où la coordination n’est pas évidente. Les personnels les plus précaires (Atsem, AESH, AVS, AP et AED, notamment) s’attendent, tout comme lors du confinement, à n’avoir des informations qu’à la toute dernière minute et à devoir se battre pour que les missions qui leur sont confiées restent dans le périmètre défini par les textes réglementaires.

Les enseignant·es, qui devaient assurer une continuité pédagogique à la maison, devront aussi assurer une continuité pédagogique de retour en classe, ceci avec un groupe déstructuré, alors que c’est l’unité de travail en contexte scolaire : les enseignant·es avertissaient déjà en début de confinement que leur travail ne pouvait être réellement continu avec le passage d’une classe à des élèves isolés.

De plus, si seule une moitié de classe est accueillie, comme le suggère Jean-Michel Blanquer, que fera l’autre ? Les enseignant·es doivent-ielles assurer la continuité pédagogique pour celleux qui restent à la maison, soit un double travail ?

Certain·es ont déjà proposé quelques visions humoristiques de ce que pourrait être le retour en classe, comme ce petit échange relayé sur le site de la Fédération des travailleurs de l’éducation (CNT-FTE). N’Autre école donne la parole à toutes les personnes qui interviennent dans le milieu éducatif (pdf) dans son dernier numéro en ligne.

D’autres s’inquiètent des conditions matérielles dans lesquelles les élèves seront accueillis.

Dans l’ensemble, les établissements souffrent pour beaucoup de conditions matérielles dégradées. Et ce n’est pas le boulot amorcé par le ministre qui va aider.

Cette rentrée est basée sur le principe (très relatif) de volontariat : les parents qui le souhaitent et qui le peuvent pourront garder leurs enfants à la maison. Même si le gouvernement souhaite faire passer la réouverture des écoles, collèges et lycées comme un geste social (en remettant tout le monde à l’école, on éviterait de creuser les inégalités), c’est loin d’être le cas.

Il ne s’agit bien sûr pas de nier les différences actuelles dans l’accès à l’éducation, différences mises en avant par de nombreux·ses acteur·es de l’éducation. Une tribune publiée dans Libération rappelle que, tout comme les mesures des gouvernements qui ont accentué les inégalités sociales et scolaires, la décision de réouverture va de nouveau mettre en évidence des inégalités : les familles plus aisées pourront se permettre de garder leurs enfants avec elles et de se protéger, tandis que celles qui ont besoin que les adultes retournent travailler ne pourront pas se le permettre.

Et en fin de compte, la réouverture des écoles permettra simplement de faire garderie pour que les parents retournent bosser.

De nombreuses organisations se sont positionnées contre la réouverture des écoles, collège et lycées tant que les conditions de sécurité sanitaire ne sont pas réunies. La Coordination nationale de l’éducation dénonce un bricolage, des annonces floues et des mesures impossibles à mettre en place. Elle appelle les personnels à exercer leur droit de retrait.

La CNT-FTE dénonce la logique économique qui soutend la réouverture des écoles et appelle à la solidarité, notamment envers les plus démuni·es, celleux qui n’auront pas le choix de remettre ou non leurs enfants à l’école.

Une motion intersyndicale unitaire rappelle aussi de façon plus générale le danger à prendre des mesures dans l’urgence. Le Café pédagogique, qui propose une synthèse des positions de plusieurs syndicats, a aussi interrogé les enseignant·es et rapporte que celleux-ci ne voient pas d’intérêt pédagogique dans la reprise, mais au contraire un véritable danger.

Effacement de la dette africaine : de quoi parlons-nous ?

La crise du Covid fragilise les plus pauvres partout dans le monde et menace donc tout particulièrement les pays africains. C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron fait resurgir un vieux serpent de mer, la promesse de l’annulation de la dette de ces pays. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, plus frileux, appellent simplement à la suspension des paiements.

200430 - Action de prévention contre le Covid-19 à Niamey au Niger par la Ligue panafricaine Umoja - La Déviation
Action de prévention à Niamey au Niger menée par des militants de la Ligue panafricaine – Umoja, en avril 2020.

A la fin des années 1990, l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) avait consisté à financer la lutte contre la pauvreté et annuler la dette de certains pays à la condition qu’ils appliquent des politiques imposées par la Banque mondiale, supposées mener à une « bonne gouvernance démocratique », mais consistant surtout en la privatisation de nombreux secteurs de l’économie, ne laissant que peu de marges de manœuvre aux pays concernés en suivant des méthodes employées notamment au Chili, laboratoire du néolibéralisme.

Ces contraintes avaient contribué à l’augmentation des inégalités et même à un « nivellement par le bas » des ressources. La libéralisation a par ailleurs diminué les revenus des États, les poussant à nouveau dans des spirales d’endettement.

Ce précédent et la conscience de la profonde injustice de cette dette imposée au moment de la décolonisation poussent des associations comme la Ligue panafricaine – Umoja à dénoncer la soudaine générosité occidentale : les pressions imposées pour payer les créancier·ères, le soutien aux gouvernements dictatoriaux, ne sont-ils pas à l’origine de la faiblesse des services publics en Afrique, et en particulier du système de santé ?

Au Brésil, du coup d’Etat manqué au coup de théâtre politique

Jair Bolsonaro s’est exprimé en direct pour commenter la situation. On se souvient que le président brésilien a soutenu que le jeûne religieux serait le rempart contre l’épidémie et qu’il a démis de ses fonctions son ministre de la Santé, Sergio Moro, le 16 avril, pour cause de désaccord sur la façon de gérer la crise.

C’est maintenant son ministre de la Justice qui le quitte, et avec fracas, dans la mesure où Moro est le juge qui a mis Lula en prison et qu’il accuse aujourd’hui Bolsonaro de corruption, notamment via des tentatives d’accès à des documents secrets de la police fédérale, pour espionner ses adversaires ou protéger ses alliés.

200427 - Bolsonaro Protecao contra a Covid-19 by UOL - La Déviation
Quand Bolsonaro tente les gestes barrières

La situation au Brésil est particulièrement explosive. Le 19 avril, Bolsonaro soutient une manifestation qui demande une intervention équivalent à lui donner les pleins pouvoirs. La démission de Moro ajoute une couche à cette période chaotique et les soutiens au président d’extrême-droite, notamment militaires, qui auraient pu lui faire espérer réussir un coup d’Etat, semblent se déliter.

Dernier coup de théâtre : dimanche, le chef de la police fédérale, Maurício Valeixo, est évincé par Bolsonaro et remplacé par un ami de son fils… lui-même trempé dans ces affaires de corruptions. Quand on demande à Bolsonaro de justifier ce choix, ce dernier répond « E daì ? » (et alors ?).

Suite à une de ses dernières prises de parole, certain·es estiment que Bolsonaro est cuit. S’il est destitué, c’est le vice-président qui prendrait la tête du gouvernement, Hamilton Mourão, militaire, connu, tout autant que Bolsonaro, pour ses sorties racistes et sexistes.

Merci à C.E.M. pour les nouvelles fraîches qu’ils nous a apportés directement depuis le portugais, que nous ne lisons pas !

Les grandes lignes du plan de déconfinement du conseil scientifique : surveillance et réactivité

D’après des scientifiques, nous sommes actuellement loin d’être sorti·es de l’épidémie du Covid-19. Un modèle tiré d’un article de l’Institut Pasteur estime que, même dans les zones les plus touchées, moins de 15 % de la population a été infectée par le Covid-19 (la moyenne nationale serait à 5 % avec un intervalle d’incertitude de 3 à 10 %).

200427 - Proportions d'infecté·es au Coronavirus au 11 mai 2020 by Institut Pasteur - La Déviation
Un article scientifique estime qu’il y a moins de 10 % de français·es infecté·es par le Covid-19.

La Gazette des confiné·es ne peut juger de la qualité scientifique de cet article qui se base à la fois sur les données épidémiologiques en France et des hypothèses mathématiques, c’est-à-dire des présupposés qui ne peuvent être vérifiés.

Or, d’autres articles scientifiques estiment que la fameuse « immunité collective » réclamerait plus de 60 % de personnes immunisées pour être efficace. On en est loin et ce même si tout·e infecté·e devient immunisé·e, ce qui est loin d’être sûr !

Mais le calcul est simple : si l’on veut atteindre les 60 % d’immunité collective avec le taux de mortalité estimé du Covid-19, cela fera des centaines de milliers de morts.

Le conseil scientifique – et le gouvernement avec lui -, opte pour une stratégie similaire à la Corée du Sud (mise en avant avec admiration par les médias), à savoir un déconfinement partiel avec surveillance de l’épidémie pour réagir avant que les hôpitaux ne soient débordés.

Si l’on ne trouve pas de vaccin rapidement, ce qui semble probable d’après l’Agence européenne du médicament, alors on peut penser qu’à terme, on arrivera à une immunité collective (avec la mortalité importante qui vient avec, qui peut toutefois être abaissée en cas de traitement efficace).

Tout ce que le confinement et les mesures de distanciation sociale auront permis d’obtenir, c’est d’éviter une surmortalité due au dépassement des capacités des hôpitaux. Cela fait déjà beaucoup de vies de sauvées si l’on regarde le nombre de cas estimé s’il n’y avait eu aucun confinement (voir la Gazette des confiné·es #8 à ce sujet).

Il est tout à fait possible que, même en faisant très attention collectivement, des confinements stricts de plusieurs semaines reviennent régulièrement.

Dans la pratique, qu’est-ce que cela veut dire pour les confiné·es ?

On pourra probablement revoir ses ami·es, reprendre nos activités pendant un moment. Et si l’on entend beaucoup tousser autour de nous ou si des scientifiques estiment (via des tests ou les chiffres des hôpitaux) qu’il y a beaucoup de malades et un pic important en préparation, il faudra probablement penser à se re-confiner sans tarder car l’on risque une nouvelle explosion de cas.

Si l’on attend que les hôpitaux soient débordés pour confiner, il sera trop tard pour éviter la catastrophe (à cause du décalage entre le début du confinement et le pic de besoin en lits de réanimation).

200427 - Nombre de patients en réanimation données gouvernementales au 18 avril 2020 - La Déviation
Il a fallu environ trois semaines après le confinement pour atteindre le pic du nombre de personnes en réanimation.

Plus l’on fera attention collectivement à respecter les distances de sécurité, les gestes barrières et à porter des masques, plus on peut espérer que les moments de confinement strict seront rares. Mais cela est difficile à garantir car le Covid-19 est extrêmement contagieux : il est tout à fait possible que, même en faisant très attention collectivement, des confinements stricts de plusieurs semaines reviennent régulièrement si l’on veut éviter des hôpitaux débordés (c’est l’un des quatre scénarios de sortie envisagés dans un article de l’Inserm).

Concernant l’immunité collective, on pourrait remarquer que ce taux de mortalité varie selon les âges et donc on pourrait être tenté·e de viser les 60 % d’immunisé·es uniquement parmi les personnes les moins à risque. En pratique, on peut juste constater que cela a échoué en France jusqu’ici quand on constate que le Covid-19 a réussi à rentrer dans les Ehpad malgré le confinement avec la mortalité que l’on sait. Cela ne veut pas dire que c’est infaisable.

Le gouvernement choisit un déconfinement à but économique et liberticide plutôt qu’un déconfinement dans la solidarité

La mise en place autoritaire du confinement et du déconfinement sans débat populaire et de manière opaque est à critiquer sans concessions. Elle est anxiogène et peu efficace quand on la compare à l’autogestion et à l’auto-décision locale.

On peut craindre la propagation de l’épidémie à cause du déconfinement, mais les problèmes posés par le confinement, qu’ils soient matériels pour les plus précaires ou psychologiques pour tout le monde, semblent trop importants pour l’éviter complètement.

Le choix d’insister sur les applications de traçage est une diversion et démontre la foi aveugle des classes dominantes en la technologie. Après le débat sur la chloroquine, le « tracking » numérique montre combien nous pouvons être sensibles à toute promesse de solution miracle quand nous avons peur.

Et dans le déconfinement, le diable se cache dans les détails pratiques. On peut être sûr·es que le gouvernement va vouloir tirer la corde au maximum pour que seuls les contacts nécessaires pour faire marcher la machine économique propagent la maladie. Et pour permettre à la machine économique de tourner le plus possible, tous les moyens seront bons à prendre comme les applications de traçage, les restrictions de liberté, et ce même s’ils ne marchent probablement pas !

200427 - Et après vivre autre chose collage publicitaire détourné à Marseille by Julien Girardot - La Déviation

Et c’est là où la lutte future prend tout son sens : d’un côté, le camp de l’économie qui souhaite que l’on travaille et que l’on évite les contacts sociaux non productifs économiquement (par exemple amicaux), de l’autre côté le camp de l’émancipation qui souhaite que la machine économique destructrice tourne le moins possible (qu’il y ait seulement les activités nécessaires à la société pour sa survie) et qu’on autorise autant que possible les contacts sociaux nécessaires à la solidarité, à l’épanouissement de tou·tes. Et à la révolution ?

Il s’agira de naviguer en permanence entre la nécessaire protection collective de la société – via des interdictions que l’on se posera -, et la nécessaire critique des modalités liberticides et orientées pour l’économie choisies par le gouvernement tout en écoutant nos peurs, nos envies (lire La Gazette des confiné·es #9). Et cela ne sera pas facile !

Traçage numérique : la science comme alibi

Avec l’approche du déconfinement souhaité par Macron, le conseil scientifique a planché sur les différents outils censés éviter un retour de l’épidémie et a pondu un avis détaillé, avec des fiches techniques dans lesquelles il décrit ses états d’âme. On s’est attardé un peu sur celles qui parlent des outils numériques, et ça fout franchement les pétoches.

La question de l’utilité des applications de traçage est vite traitée, dans la fiche technique numéro quatre : « Des travaux de modélisation suggèrent que ce type d’approche peut considérablement renforcer l’efficacité du contrôle sanitaire de l’épidémie ».

On appréciera l’absence de référence vers les études en question. Il faut aller tout à la fin du document pour trouver d’où vient cette assertion : un article publié dans la revue Science et un rapport d’une membre du « think tank progressiste » Terra nova financé par Danone, Engie ou même Google

Terra nova avait été épinglée par Le Monde diplomatique pour être un vivier à expert·es, un endroit où on cultive l’entre-soi et le conformisme idéologique des classes dirigeantes. Un chercheur américain commente les notes de Terra nova comme bien plus remarquables par leur profusion étourdissante que par leur contenu.

Ce rapport a une ligne directrice claire : le numérique vient uniquement en soutien à des mesures de contrôle épidémiologique. La question de la vie privée est donc subordonnée à celle de l’efficacité des mesures d’endiguement de l’épidémie. Elle est même complètement secondaire : les applications de traçage de contact sont vues comme un outil d’empowerment, sur la base du volontariat, dans le cadre de la civic tech, permettant de se saisir des enjeux sanitaires. On aimerait bien comprendre comment !?

À défaut, il faudra de toute façon imposer leur usage, puisqu’elles sont efficaces. Tant pis pour le volontariat…

200427 - Capture d'écran Atelier de désintoxification à la langue de bois Franck Lepage - La Déviation
Face à la langue de bois, la Scop Le pavé anime des ateliers de désintoxication et un documentaire en parle. Exercice simple : si vous êtes un·e expert·e, préférez-vous parlez de soumission ou de compliance ?

Tout en rappelant que ce serait mieux d’avoir le consentement de la population, le conseil scientifique envisage de le rendre obligatoire et justifie cela en appelant l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à la barre et son guide sur les questions éthiques de la surveillance de la santé publique : il s’agit de sauver des vies.

Si les usages volontaires sont à privilégier, des options obligatoires ne peuvent être écartées. […] Tout en pouvant techniquement se dispenser du consentement, les outils numériques permettent aussi de le recueillir à travers des usages volontaires. A défaut de consentement, un haut degré de transparence doit s’accompagner d’une information intelligible, y compris pour les personnes éloignées du numérique.

On retrouve le ton martial du gouvernement, que les scientifiques cachent d’habitude sous plus de précautions oratoires : « De manière générale, les mesures sanitaires visant à la protection de la population sont pour un État un devoir. »

On n’observe pourtant jamais autant de volontarisme lorsqu’il s’agit de lutter contre le tabac (78.000 morts par an en France) et l’alcool (49.000 morts).

Conscient·es des réticences que la population pourrait nourrir face à cette surveillance volontaire mais imposée, les éminences prennent par la suite un ton censément rassurant : « Une levée de l’anonymat n’implique pas la levée de la confidentialité. »

On aimerait les croire, ou au moins comprendre ce que ça peut bien vouloir dire. Idem lorsqu’iels insistent sur l’importance de prendre en compte « nos concitoyens éloignés du numérique » avec des « options adaptées […] à partir de moyens humains, matériels ou numériques appropriés ». On aimerait que ce soit déjà le cas en temps normal, alors qu’une partie non négligeable de la population se trouve en difficulté pour la réalisation de démarches administratives informatisées.

200427 - Planche bande dessinée by Moebius - La Déviation
Extrait de L’Incal, tome 1, par Moëbius

Après avoir énuméré une vingtaine de principes de bonne gouvernance typiques de la langue de bois managériale dont on sait qu’ils ne sont que des vœux pieux, des distractions, le conseil se hasarde à aborder la question des effets sur le système de santé, ce qui donne lieu à deux pages de verbiage de cabinet de conseil, garanties sans contenu. Morceaux choisis :

Sans évoquer des scénarios – au demeurant plausibles – d’une « uberisation » du système de santé, une stratégie numérique peut déboucher sur une rupture technologique importante.

La French Tech offre des espoirs prometteurs et se mobilise pour développer de nouvelles solutions en contexte épidémique.

Que peut-on tirer de ces lectures, à part quelques tranches de rire et une bonne chair de poule ? Comme on l’avait déjà remarqué dans une précédente Gazette, le conseil scientifique fait appel à très peu de travaux scientifiques pour étayer ses affirmations. Par ailleurs, il n’y a rien de « scientifique » dans les argumentaires déployés qui sont tellement vagues qu’on ne sait même pas à quels outils numériques ils font référence.

Si le texte ressemble plus à une copie de concours d’entrée à l’ENA qu’à un article de revue scientifique, c’est parce que son objectif n’est pas d’étudier des applications concrètes, pour peser le pour et le contre, mais de donner une caution scientifique à l’action gouvernementale à venir.

Les limites à l’efficacité du traçage, posées par l’absence de libre consentement, le faible nombre d’utilisateur·ices attendu·es et les détournements de l’application ne sont même pas évoquées…

L’amateurisme des scientifiques du conseil sur les enjeux du traçage informatisé est flagrant, sans doute parce que le seul « spécialiste du numérique » parmi elleux est Aymeril Hoang, un habitué du pantouflage et ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi, véritable VRP du traçage. Le conseil scientifique permet au gouvernement de se défausser des responsabilités politiques concernant son action, de manière encore plus flagrante que d’habitude.

Pour plus d’informations sur le traçage automatisé, on vous invite à lire notre hors-série sur la question (à paraître).

Quel déconfinement choisirons-nous ?

Les parties de foot ont repris dans la cour de l’immeuble d’en face. Quelques jours avant déjà, la petite vingtaine de gamin·es de la tour jouait au ballon tou·tes ensemble sur un minuscule carré d’herbe. Le terrain vague de l’autre côté de la rue est devenu un haut lieu de sociabilité, l’avenue se repeuple, les voitures et vélos circulent à nouveau.

Pour tenir le coup, nombreux·ses sont celleux qui, dès le début ou plus tardivement, se sont organisé·es des entorses, plus ou moins grosses, au confinement, comme le raconte plusieurs témoignages de La Gazette déconfinée (pdf), notre jumelle pas maléfique.

Pourtant, les réseaux sociaux et les médias dominants fustigent violemment tou·tes celleux qui dérogent un tant soit peu aux sacro-saintes règles édictées par le gouvernement – y compris les plus irrationnelles et les plus discriminatoires. Le confinement est devenu pour certain·es un code moral plus qu’une mesure sanitaire.

200427 - Footing devant un cinéma MK2 à Paris by Jeanne Menjoulet CC BY-ND 2.0 - La Déviation

La mairie de Paris a interdit le footing entre 10 h et 19 h, entraînant une improbable concentration de joggeur·ses dans les rues en dehors de ces horaires. Le conseil scientifique donne quant à lui son feu vert à la réouverture des écoles et aux déplacement entre régions à partir du 11 mai, sans que l’on comprenne bien ce qui aura changé à cette date… Les règles édictées par les pouvoirs publics, avec l’approbation plus ou moins contrainte des scientifiques, ne sont pas très rationnelles !

Alors, faut-il poursuivre consciencieusement la distanciation sociale ?

Ou peut-on se permettre d’aller voir quelques proches ? Et après le 11 mai, renverrons-nous à l’école les enfants, recommencerons-nous à voyager comme si de rien n’était ? Organiserons-nous une grosse fête avec des dizaines d’ami·es ou nous restreindrons-nous à des contacts distants ?

Débarrassons-nous de la chape moralisatrice qui s’est abattue sur nous.

L’État a suffisamment mal géré cette crise pour que nous ne lui fassions plus confiance sur ce sujet ; pourtant, la charge mentale de définir nos propres règles de conduite semble énorme à porter – nous n’avons pas un conseil scientifique sous la main, nous, et pas forcément le temps de nous pencher sur les dizaines de publications concernant le Covid… Alors, faut-il accepter aveuglément une contrainte extrinsèque, de peur de ne pas arriver à poser soi-même ses propres limitations ?

Que se passe-t-il si nous nous posons la question : vais-je mettre quelqu’un en danger en faisant telle chose ou telle autre ?

Comme l’explique l’Académie de médecine, l’isolement nous fait courir des risques psychologiques certains ; mais aller voir nos proches implique de réfléchir à l’ensemble de la chaîne de transmission qui pourrait conduire le virus jusqu’à une personne fragile.

Ces deux dangers, psychique et viral, et leur évaluation, diffèrent d’une personne, d’une interaction à l’autre, en particulier selon les conditions de son confinement, son activité professionnelle si on a été contraint·e de la poursuivre, son âge, ses facteurs de risque éventuels ainsi que ceux des personnes qui pourraient se retrouver sur nos chaînes de transmission, la probabilité d’avoir déjà été infecté·e, les angoisses des personnes avec lesquelles on vit, etc.

Nous n’avons pas de solution magique à proposer, pas de règle applicable à tou·tes.

Quelques pistes tout de même : réfléchir par nous-mêmes aux dangers que nous courrons ou que nous faisons courir aux autres dans les situations pratiques qui se présentent à nous et non dans un cadre théorique, chercher le consentement des personnes avec lesquelles nous vivons avant d’aller voir quelqu’un·e d’extérieur, voire, idéalement, définir ensemble les modalités de l’entrevue (distance d’un mètre ou câlins autorisés ?).

Cela pose néanmoins des problèmes d’intimité et de spontanéité dans les relations, et suppose une très bonne communication avec les personnes qui vivent sous le même toit que nous – situation dans laquelle sont finalement trop peu d’entre nous.

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