C’est une première en « temps de paix ». A l’aube d’une catastrophe sociale annoncée, les manifs du 1er mai sont annulées. Comment diable crier son envie d’en découdre quand on est confiné·e ? La Gazette se penche sur ce dilemme.
Que vous soyez militant·e trotskiste à La Poste, prof’ d’histoire membre des Amies et amis de la Commune de Paris ou trompettiste dans la fanfare invisible, vous surveillez habituellement le parcours déclaré dans votre ville par la CGT. Problème, Démosphère reste désespérément vide. Et pour cause, puisque la centrale de Montreuil concentrera, comme beaucoup d’autres, ses efforts sur le web.
« Prenez-vous en photo avec une pancarte », « signez notre pétition #PourLeJourdAprès »… Les camarades d’Astérix rattraperont-iels vingt ans de retard dans la communication numérique ? Dans certaines villes, le traditionnel discours craché par d’antiques enceintes à une foule distraite sera diffusé sur Youtube et Facebook, en qualité HD. Au cas où le télétravail et les cours à distance vous manqueraient…
Dans un communiqué signé avec la FSU, Solidaires, l’Unef et trois associations lycéennes, la CGT n’exclut toutefois pas de sortir « pancartes et banderoles ». Un appel à l’insoumission ? Plutôt à rejoindre le #cortègedefenêtres. Une note interne de Solidaires passée entre nos mains, explique que « l’idée est de disposer/coller/accrocher le maximum de messages syndicaux dans l’espace public […] en utilisant les déplacements autorisés. Il faudra particulièrement viser les espaces d’alimentations, les lieux de travail… avec une vigilance particulière pour les supermarchés qui annoncent ouvrir le 1er mai. »
Le placement en garde à vue d’une Toulousaine pour crime de lèse-majesté le 23 avril a mis en lumière cette pratique qui tend à se répandre. « Soutien aux personnels hospitaliers » et « Macronavirus à quand la fin ? » étaient inscrits sur deux bâches accrochées sur un mur donnant sur la rue. Dans le 19e à Paris, un couple a également reçu la visite des papas 22 pour un joli « Macron on t’attend à la sortie ». D’autres coups de pression sont recensés à Marseille et Caen.
Le passage au dépôt vous sera épargné si vous arrivez à convaincre suffisamment d’ami·es. Un détour par le site iaata.info ou par le compte Twitter des Fenêtres en lutte peut vous dépanner, si jamais vous manquez d’inspiration. Un bon « Rends l’ISF, l’hôpital est sous perf’ ! » fera l’affaire.
Quitte à vouloir animer sa rue, autant demander l’expertise d’Attac. Cheval de Troie gonflable pour dénoncer les tribunaux d’arbitrage privés, transformation d’un Apple Store en service d’urgence, parodie de Star Wars devant le palais de justice de Paris… L’Association pour la taxation des transactions financières (et l’action citoyenne) raffole des mises en scène autant que des tableurs Excel. Cette fois, elle propose un kit « actions en confinement » pour satisfaire petits et grands.
Rien ne se perd, tout se recycle chez les altermondialistes. Des rouleaux de PQ vides peuvent ainsi se transformer en maracas militantes, un vieux t-shirt en masque revendicatif et les restes de votre garde-manger en gâteau allégé !
Le 1er mai est aussi l’occasion de revisiter son répertoire de musiques révolutionnaires. Si l’on peut applaudir à sa fenêtre, on peut tout aussi bien y chanter. C’est la réflexion de Lillois·es, qui ont choisi la dernière création de la Cie Jolie Môme, sur l’air des Gilets jaunes. Mettez une alarme à 20 h.
Toujours pas convaincu·e ? Si vous craignez de passer pour un cédétiste en puissance, envisagez la désobéissance. A Châteaulin dans le Finistère, le gérant du tabac-presse a déjà expérimenté la manif’ solitaire, au milieu d’un pont désert. Toujours en Bretagne, Sud-PTT estime que « si les travailleurs et les postiers sont bons pour aller en masse travailler, s’ils sont bons pour qu’on leur supprime jusqu’à 10 jours de RTT ou de congés alors ils doivent avoir le droit de manifester le 1er mai, même sous des formes adaptées aux mesures sanitaires nécessaires. » Aucun rendez-vous n’est toutefois fixé.
Ce qui n’est ni le cas à Paris, où le Comité de solidarité avec grèves et résistance (GDDK) convoque les plus motivé·es place de la République, à 10 h, ni à Gap (Hautes-Alpes) où un tract non signé annonce un rassemblement en chair et en os devant la préfecture. Après tout, « les manifestations du 1er mai, depuis 1886 à Chicago ou 1891 à Fourmies, ont toujours été déterminées à arracher du progrès social, et ont toujours été sévèrement réprimées », relèvent les organisateur·ices (masqué·es).
Revêches mais prévoyant·es, les Gapois·es espèrent tenir suffisamment longtemps pour y partager l’apéro. « Les mauvais petit-fours finiront ! »
Illustration de une : Atelier Mc Claine