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Angoulême 2014 en 7 polémiques

Angoulême ne serait pas Angoulême sans ses polémiques. Cette année, les organisateurs, qui attendent 200.000 visiteurs en l’espace de quatre jours, doivent répondre aux critiques sur plusieurs fronts.

Abstention de l’académie des Grand prix, lettre ouverte contre l’entreprises israélienne Sodastream, articles critiques sur la réception des éditeurs ou des journalistes web, pétition japonaise contre une exposition coréenne, voici quelques actions qui font du bruit à Angoulême. On fait le point.

1/ La Cité internationale de la BD

C’est une affaire compliquée qui mériterait un dessin. La prochaine fois, promis.

La société 9eArt+, qui gère le festival, est en conflit avec la Cité internationale de la BD, ouverte depuis 2008 à Angoulême. Cet établissement public de production, de commerce et d’exposition, avait pourtant été créé par les pouvoirs publics pour venir en aide au festival.

En novembre, le président du Conseil général de la Charente, Michel Boutant, a imposé que les structures s’entendent pour que le festival obtienne des subventions. Les organisateurs l’ont vécu comme un chantage.

Gilles Ciment, directeur de la Cité de la BD sur la sellette, a même fait un burn-out la semaine dernière après une entrevue houleuse avec Michel Boutant. Il est en arrêt maladie pendant le week-end du festival.

Pour compliquer le tout, le journaliste Didier Pasamonik, éditorialiste du site Actuabd.com, a publié une missive incendiaire, dans laquelle il s’en prend aux organisateurs.

Eric Loret remarque dans Libération qu’on “comprendra surtout que c’est affaire de haines intestines un peu plus compliquées que les Atrides et loin, très loin de quelque pensée que ce soit pour le public“.

2/ Le nouveau règlement du Grand Prix

Le changement de mode de désignation du Grand prix de la ville d’Angoulême, seule récompense vraiment marquante du week-end, a provoqué l’abstention d’une majorité des membres de l’académie des Grands prix.

Sur les 26 académiciens, récompensés lors des 40 éditions précédentes, qui devaient désigner leur successeur, 16 n’ont pas voté cette année. Ils sont courroucés de devoir partager l’urne avec l’ensemble de leurs confrères présents à Angoulême. Philippe Druillet parle même de “mépris”. L’académie s’est donc dissoute, mais une grande partie des anciens distingués voteront tout de même dans le nouveau collège unique.

La BD évolue, s’internationalise, et les avis de l’académie étaient souvent jugés old school et ethno-centrés. Cette année, il en sera forcément autrement. Les finalistes sont Bill Watterson, Katsuhiro Otomo et Alan Moore.

Alan Moore - Grand Prix potentiel du festival d'Angoulême 2014 - La Déviation
“J’ai décidé de ne plus accepter de prix, il ne faut pas m’en vouloir. […] Je ne me rends plus dans les festivals, je n’accepte plus aucune récompense. Je conçois et j’apprécie les sentiments de tous ces gens qui me choisissent, mais je ne veux assumer que ce que j’ai décidé moi-même d’entreprendre, pas ce que les autres veulent de moi.” Alan Moore

Le pire est peut-être à venir, puisque l’Anglais Alan Moore a fait savoir qu’il n’accepterait pas la distinction s’il était élu. Bill Watterson, quant à lui, ne veut plus rencontrer un seul journaliste. Problèmatique quand on sait que le Grand prix d’une année devient le président de l’édition suivante.

3/ Le partenariat avec l’Israélien Sodastream

9eArt+ a perdu plusieurs sponsors privés d’envergure ces derniers temps. Les centres Leclerc et la Fnac ont retiré leurs billes. Un nouvel acteur entre dans le jeu cette année, la compagnie de gazéification de l’eau à domicile Sodastream. L’affaire fait des bulles qui piquent.

Sodastream est une entreprise israélienne. L’association Charente Palestine solidarité est montée au créneau, dénonçant l’implantation d’une usine dans une colonie israélienne en Cisjordanie.

Charente Palestine solidarité appelle au boycott de la marque et prévient d’une action coup de poing pendant le festival.

Sodastream Angoulême 2014 - Page Facebook - La Déviation
Photo de l’espace Sodastream au festival d’Angoulême. Crédits Sodastream page Facebook

Alertés, plusieurs dessinateurs ont signé une lettre ouverte contre ce partenariat, dont Siné, Joe Sacco ou Willis From Tunis. Le délégué général du festival Franck Bondoux défend l’entreprise qui “n’a jamais été condamnée en France”, note-t-il.

4/ La réception de l’éditeur Bamboo

Le septième éditeur en nombre de nouveautés publiées en 2013 ne posera pas ses tréteaux à Angoulême cette année. Bamboo, connu pour ses séries Les Profs ou Les Gendarmes, se sent “méprisé” par les organisateurs.

Dénonçant en bloc le prix trop élevé des stands, le désintérêt des journalistes, le fait d’être tenu à l’écart des distinctions ou le système des dédicaces, qualifiées “d’abattage“, Olivier Sulpice préfère se rendre dans des festivals “à taille humaine”. Ce qu’aurait cessé d’être le FIBD.

5/ La réception de la presse web

Bédéo sèche le festival d’Angoulême” et le revendique.

La position est osée. Considérant qu’il est délaissé au profit des médias de masse, le site spécialisé n’envoie aucune équipe couvrir le premier événement bédé hexagonal.

“Avec les autres sites BD, nous nous étions coordonnés pour proposer un partenariat à la hauteur de l’évènement. Avec cinq sites BD motivés qui captent l’essentiel des bédéphiles du web, nous nous sommes dit que nous allions enfin pouvoir discuter. Que nenni…”, écrit Laurence Seguy dans son édito coup de gueule, concluant d’un cinglant “la BD vit tous les jours en dehors du FIBD et nous l’aimons comme ça ! En revanche, on se demande si le FIBD aime encore la BD“.

6/ La plagiat des Schtroumpfs noirs

Là, c’est d’une polémique en puissance dont il est question. Les éditions La Cinquième couche vendent une nouvelle version des Schtroumpfs noirs (1963). La BD originelle est accusée de racisme. Le synopsis tient en effet dans une maladie, transmise par une mouche, qui transforme les Schtroumpfs bleus en Schtroumpfs noirs en les rendant méchants.

Dans la version anglophone, les petits personnages de Peyo étaient passés au violet pour que l’album puisse être commercialisé. Dans la BD en vente à Angoulême, l’auteur passe du violet au bleu, tournant ainsi l’histoire au ridicule.

Les mêmes éditeurs s’étaient rendus en 2012 à Angoulême avec des albums de Katz, détournement de Maus d’Art Spiegelmann, dans lesquels tous les personnages avaient des têtes de chat. Face à la colère de Flammarion et Spiegelmann, les albums avaient été détruits pour éviter un procès.

7/ L’exposition coréenne sur les “femmes de réconfort”

Encore plus inattendue : la pétition adressée au festival par une association de femmes japonaises. Japanese Women for Justice and Peace reproche la tenue d’une exposition sur les “femmes de réconfort” sur le stand de la Corée du Sud. Près de 14.000 signatures ont été recueillies et transmises aux organisateurs, aux politiques comme à la presse.

Selon le texte de la pétition (disponible en français), la Corée du Sud mènerait une “campagne malveillante anti-japonaise”. Par le biais du festival, elle ferait courir le chiffre de 200.000 esclaves sexuelles coréennes forcées de se prostituer pendant la Seconde Guerre mondiale, au service des militaires japonais.

“On ne nie jamais l’existence des femmes de réconfort. Mais ni 200.000, ni enlevées, ni forcées par l’Armée impériale japonaise ! […] Et au festival, le gouvernement coréen manipule le festival d’Angoulême comme un champ de bataille politique et diplomatique. Il est en train de conspirer contre notre pays”, renchérit l’association japonaise sur un ton nationaliste.

Mercredi, le stand japonais Nextdoor, accusé de négationnisme, a été fermé. La Charente Libre rapporte qu’un huissier est intervenu pour constaté la présence de croix gammées et de saluts nazis sur des planches mises en avant sur le stand.

Difficile d’y voir une apologie de l’Allemagne nazie, chacun en jugera.

Vendredi, l’ambassadeur japonais en France, Yoichi Suzuki, a « regretté vivement que cette exposition ait lieu », estimant qu’il s’agissait « d’un point de vue erroné qui complique davantage les relations entre la Corée du Sud et le Japon ».

Les réactions pro-japonaises sont nombreuses sur les réseaux sociaux.

“La plupart des historiens estiment à 200 000 le nombre de femmes – surtout des Coréennes, Chinoises et Philippines – réduites en esclavage sexuel par Tokyo pendant la Seconde guerre mondiale”, écrit le Nouvel Observateur.

Voici le festival d’Angoulême au cœur d’un conflit diplomatique qui dépasse cette fois de loin les frontières de la Charente. Qui a dit que la BD était un loisir d’enfants ?

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La cigarette en BD, le quizz qui pue la clope

Questionnaire – Ils bouffardent, tirent, gazent, bombardent, font du brouillard, tichent, smokent, chiffardent, comme une vache, un sapeur ou une cheminée. En un mot, ils fument, nos héros de BD. Et ne leur parlez pas de cigarette électronique, la fumasse doit fouetter, quitte à refouler du goulot. Mais qui sont ces auteurs vicelards qui aiment quand ça dégringole du tiroir ?

Le quizz est en train de charger, veuillez patienter… En cas de problème, rechargez la page. Bonne chance !

Collage de la cigarette en bande dessinée - La Déviation

Cliquez ici pour ouvrir la planche du quizz dans une nouvelle page pour zoomer sur les cases.

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Angoulême 2014 en chiffres

Et voilà il est arrivé, comme un bon cru qu’on attend chaque année avec impatience. Le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) a débute pour le plus grand plaisir des passionnés du neuvième art et ceux qui ne découvrent que chaque année que la BD n’est pas estampillée “moins de 15 ans”.

Jusqu’au 2 février, la planète littérature met sous le feu des projecteurs la bande dessinée, mise à l’honneur depuis 1974 par le festival d’Angoulême. Côté auteurs, on s’échauffe le poignet en vue des nombreuses dédicaces. Côté festivaliers, on s’organise pour être le plus opérationnel possible une fois dans le grand bain. Et côté Déviation, on vous propose de revenir sur l’événement en quelques chiffres.

Suivez nos reporters Justine Briot et Klervi Le Cozic sur Twitter pour vivre le festival dans leurs bagages et n’oubliez pas de consulter notre revue de presse augmentée pour suivre jour après jour le festival en reportages vidéos, photos, émissions de radios, articles de presse et tweets.

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Parité à Angoulême : vers le début des quotas ?!

Infographie – En cette période électorale, j’ai eu envie d’aller voir où en était le milieu de la BD avec la parité. J’ai analysé les maisons d’éditions présentes au Festival international de la BD d’Angoulême (#FIBD 2014), en me limitant à celles qui font venir cinq auteurs ou plus sur les 128 présentes (histoire d’épargner vos rétines).

Infographie réalisée à partir des données fournies par le festival (pdf).

Chez Glénat, 9 femmes contre 73 hommes font partie des auteurs présents sur le salon, soit 11 % de femmes au total, le ratio est plus impressionnant sur un grand nombre d’auteurs (Glénat compte le nombre le plus importants d’invités).

La médaille d’or est décernée à une maison qui tient bien son nom… Ego comme X : avec parmi ses auteurs, 3 femmes pour 36 hommes présents (8 %). Elle est suivie de près par Dargaud qui affiche 4 femmes pour 36 hommes présents (10 %).

Rappelons aussi que sur les 42 auteurs ayant reçu le prestigieux Grand Prix de la ville d’Angoulême seules 2 femmes ont été distinguées (5 %) : Claire Brétécher (en 1982) et Florence Cestac (en 2000).

La Déviation fait un peu de discrimination positive

Cette petite balade parmi 1.600 auteurs a été l’occasion de croiser quelques noms d’artistes à la virilité revendiquée (merci El Diablo, Terreur graphique, Ancestral Z, je n’ai pas eu à googliser vos noms pour savoir que vous êtes des messieurs) et de se bidonner devant le sérieux de certains autres… B-gnet, Muzotroimil, Mojojojo et la palme revient sans doute à Sarah Fist’hole.

Illustration - Crédits Sébastien Thibault - La DéviationL’occasion aussi de redécouvrir quelques perles au-dessus du panier de crabes (faut bien que ça serve d’être sous-représentées, mesdames). Des pépites qui seront, bien entendu, présentes au FIBD. Saluons donc la Danoise Anneli Furmark qui a signé “Peindre sur le rivage”, en 2010 : un journal intime qui tend vers l’autobiographie, d’une étudiante en arts en proie aux doutes sur sa vocation d’artiste et sur son orientation sexuelle. Un autre de ses bouquins à ne pas manquer : Le Centre de la Terre.

À ne pas louper non plus, la dessinatrice et caricaturiste congolaise Fifi Mukuna. En RDC, elle a publié dessins et caricatures, avec le soutien des rédacteurs, jusqu’en 2000 où elle a remporté la deuxième place au Grand Prix des Médias dans la catégorie caricature. Une reconnaissance qu’il l’a faite connaître, mais sa “couverture” en a pris un coup, puisque beaucoup pensaient que c’était un homme qui se cachait sous son pseudo.

Formose, de Li-Chin Lin, édition Cà-et-là
Formose, de Li-Chin Lin, éditions Cà-et-là.

Émigrée politique, Fifi Mukuna vit aujourd’hui en France et a rejoint, notamment, l’association L’Afrique dessinée, qui œuvre pour la promotion de la bande dessinée africaine. Pour elle, “trop souvent la place d’une femme est jugée comme étant singulière dans un environnement encore essentiellement masculin. La protection et le respect dont je peux bénéficier aujourd’hui ne sont pas le fruit du hasard et quand il s’agit de plancher, je le fais, comme tout dessinateur le ferait. Homme ou femme… même si en tant que femme, je pense avoir apporté un autre regard sur la femme dans le domaine de la caricature”.

Et puis il y en aurait plein d’autres : Li-Chin Lin et son premier roman graphique très prometteur Formose, sur son enfance dans la campagne taïwanaise ; Émilie Plateau, l’auteur du tout petit livre carré “Comme un plateau” qui raconte la vie d’une Française à Bruxelles ; la friponne Aurélia Aurita qui a signé “Fraises et chocolat“, un récit hautement érotique des premières semaines d’une passion amoureuse, cru, franc, tendre et amusant, à dévorer !

Anouk Ricard n’est pas non plus en reste avec son récent “Plan-plan cucul” chez les Requins Marteaux.

À vous maintenant de vous promener dans les allées et de tendre le stylo, l’oreille,ou la main aux artistEUs du neuvième art !

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L’art de Catherine Meurisse

Connaissez-vous Catherine Meurisse ? Non ? Allez un petit effort… Vous avez peut-être déjà croisé son nom dans les pages de Charlie Hebdo et d’autres titres car elle est dessinatrice de presse. Parallèlement, elle réalise des publications en solo ou en collaboration, à l’image de l’édition anniversaire 2010 du Petit Larousse, en illustrant des mots de la langue française. 

En 2008, elle fut saluée par ses pairs pour Mes hommes de lettres, une bande dessinée qui met en scène les grands noms de la littérature française avec une certaine dose d’humour. EN mars 2012, elle est revenue avec un nouvel opus toujours autant bourré de talent. Cette fois-ci le bébé se prénomme Le pont des Arts et revient sur les relations parfois amicales, passionnées ou tumultueuses, qu’ont pu entretenir peintres et écrivains français à travers différentes époques.

Le pont des Arts © Catherine Meurisse

C’est ainsi qu’au fil de ces 110 pages, nous sommes amenés à croiser un Charles Baudelaire en pleine visite guidée nous apprenant la différence entre un chef-d’œuvre et une croûte, plus loin nous saurons enfin pourquoi le vol de La Joconde a fait gagner un poème à Guillaume Appolinaire. Marcel Proust, Pablo Picasso, Denis Diderot, et j’en passe, sont également du voyage.

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Divertissante et enrichissante, cette BD ne se veut pas élitiste, loin de là, c’est justement un moyen efficace de s’instruire pour éviter les biographies fleuves de grandes figures françaises ou la file d’attente devant le musée.

Catherine Meurisse, tout en gardant son style, a reproduit avec soin de nombreux tableaux (Le bain turc d’Ingres, Impression, soleil levant de Claude Monet, Un enterrement à Ornans de Gustave Courbet). L’idéal est de lire l’une des dix histoires présentes et de pianoter ensuite sur son ordinateur le nom des œuvres rencontrées au cours de sa lecture pour en savoir plus, les comparer avec les traits de la dessinatrice.

À la fin de la bande dessinée vous trouverez également un index des personnalités citées pour ne pas se perdre durant la visite. Le pont des Arts, un véritable concentré d’anecdotes pour enfin briller au Trivial Pursuit et remporter ce fichu camembert marron.

Le Pont des Arts, Catherine Meurisse, Éditions Sarbacane, 2012, 19,90 €.

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« Y’a autant de Plogoff que de gens qui ont vécu les événements »

C’est une bande dessinée engagée que signent le dessinateur Alexis Horellou et sa compagne Delphine Le Lay. Le récit d’une part de l’histoire contemporaine de la Bretagne, racontée du côté des militants antinucléaires. Ces militants, ce sont les habitants de Plogoff, ce village de la Pointe du Raz, qui s’est soulevé, il y a plus de trente ans, contre l’implantation d’une centrale nucléaire sur ses terres.

C’est l’histoire érigée en légende des Plogoffites. De leur prise de conscience des dangers de l’atome, au moment où la Bretagne se lasse de laver ses côtes souillées par le pétrole, au renoncement de l’État sous la nouvelle présidence Miterrand, en 1981. Des années marquées par des combats épiques contre les forces de l’ordre, des rassemblements géants qui marquent les débuts de l’écologie politique, mais aussi des coup de blues et des trahisons. “Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait“, aurait pu écrire d’eux Mark Twain. Delphine Le Lay souhaitait mettre en valeur cet exemple de résistance populaire. Interview.

Sylvain Ernault – Vous êtes originaire de Quimper, mais vous n’aviez qu’un an lors des événements de Plogoff. Qu’est-ce que cette lutte représente pour vous ?

Delphine Le Lay.
Delphine Le Lay est née à Quimper en 1979. Après de multiples expériences professionnelles, elle rencontre Alexis Horellou, dessinateur de bandes dessinées, à Bruxelles, en 2007. Elle met ainsi le pied dans le monde la BD.

Delphine Le Lay – C’était vraiment une légende pour moi Plogoff, le petit village d’irréductibles qui avait résisté à l’envahisseur et qui était sorti vainqueur ; ça n’allait pas très loin, mais ça faisait rêver. Et puis il y a deux ans, il y a eu évidemment la catastrophe à Fukushima et puis en même temps Plogoff fêtait ses trente ans. Là, j’ai entendu une émission de radio qui retraçait les événements. Ça m’a éclairé et ça m’a enthousiasmé bien plus. J’ai découvert une mobilisation, un acte de désobéissance civile très fort et qui était arrivé à une victoire.

Votre ouvrage s’inscrit dans un corpus déjà assez riche, il y a déjà eu un film, des reportages télé, des livres…

…Mais pas encore de BD. Voilà c’est chouette, on est contents de compléter le tableau. J’ai lu, je le pense, tous les ouvrages qui existent sur le sujet et chacun apporte, je trouve, un éclairage différent sur les événements. Il y a deux reportages (télé, NDLR) et chaque personne qui s’est intéressée au sujet pour un média ou pour un autre apporte quelque chose de différent et j’espère qu’on apporte aussi un éclairage par la BD.

Vous avez été surprise de la violence de l’opposition entre les antinucléaires et les policiers, lors de l’enquête d’utilité publique, au printemps 1980 ?

Oui, c’est même choquant. Le film des Le Garrec (Des Pierres contre des fusils, NDLR) est vraiment étonnant. Je le dis assez souvent, même c’est vrai que si notre génération n’avait eu que les témoignages des gens qui ont vécu les événements, moi je ne les aurai pas cru. Je me serais dit “oui bon, l’émotion prend le dessus. Ils ont cru qu’ils allaient mourir mais c’était pas vrai“. En fait quand on voit les images et le son du film des Le Garrec on se dit “mais c’est dingue“, c’est vraiment des scènes de combat et d’affrontements hyper violents et qui n’ont pas eu lieu qu’à Plogoff. Dans d’autres endroits aussi.

“Trois ans après Creis-Malville,
ils faisaient la même à Plogoff.
C’est dingue, c’est énervant en fait.”

À Creis-Malville il y a eu un mort, et c’était trois ans avant les événements à Plogoff, et quelqu’un était déjà tombé, un manifestant sous les grenades offensives des gardes mobiles. Trois ans après, ils faisaient la même à Plogoff et c’est dingue, c’est énervant en fait. Du coup c’est chouette si cette histoire peut en réveiller d’autres et se transmettre.

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, affrontements.
De nombreuses pages sont sans dialogue, laissant parler les images qui sont souvent très fortes. Elles laissent aussi une grande place aux paysages.

Nicole et Félix Le Garrec ont écrit la préface de votre BD. Ils sont donc les auteurs d’un film, réalisé pendant la guérilla rurale qui s’est tenue pendant l’enquête d’utilité publique dans le canton de Plogoff en 1980. Comment ont-ils apprécié votre ouvrage ?

Eux, je crois qu’ils sont contents de passer le flambeau, d’après ce qu’ils mettent dans leur préface. Et puis ils sont contents qu’on s’y soit intéressés. Ils y voient un intérêt que des jeunes générations, qui n’ont pas connu les événements, s’emparent du sujet et le racontent. Et puis à la fois que ce soit une BD parce que c’est aussi un médium qui est approché par d’autres générations, par des gens qui ne se sont peut-être pas intéressés par le sujet et qui par la BD vont y venir.

Après, j’ai des retours de gens qui ont vécu les événements et la plupart disent qu’ils s’y retrouvent bien et ils reconnaissent bien les événements et l’ambiance de l’époque et, du coup, on est contents de ne pas avoir trahi les personnes, que ce soit juste.

Vous rencontrez de nouveaux témoins des événements depuis la sortie du livre ?

J’ai rencontré des gens en dédicace. Alexis est allé à Rennes et ensuite, ensemble, on est allés à Brest et à Quimper. On a rencontré des gens qui ont vécu les événements, même parfois très proches. Il y a un tas d’anecdotes qui sont revenues et que j’ignorais, donc je crois que je n’ai pas fini d’en apprendre sur le sujet. Je crois qu’il y a autant de Plogoff que de gens qui ont vécu les événements. C’est assez marrant.

“Un deuxième tome ?
C’est une idée que je laisse à d’autres.
Mais bon, pourquoi pas ?”

J’ai découvert un tas de documentation supplémentaire. On pourrait presque faire un autre livre, avec tout ce que je recueille en dédicaces pour l’instant (rires).

Un deuxième tome, c’est une idée !

Une idée que je laisse à d’autres. Mais bon, pourquoi pas. Il y a encore beaucoup à dire sur le sujet, j’ai dû quand même faire des choix et je n’ai pas pu tout raconter. Déjà tout ce que je savais, je n’ai pas pu tout raconter, alors tout ce que j’ignorais et que j’apprends maintenant, c’est très riche.

Vous avez des contacts avec des policiers qui se sont opposés aux Plogoffites, parfois violemment, pendant l’enquête d’utilité publique ?

Non, je n’ai pas de contact. Je n’ai pas cherché à en avoir parce que leur point de vue était mis en images dans le documentaire de Brigitte Chevet, qui a fait un reportage vingt ans après les événements, et qui est allée à la rencontre de différents acteurs de tous bords. Donc ça rend son reportage très intéressant.

Bon, j’avais ce point de vue là, je devais choisir une trame, donc je suis restée sur ma lignée de départ. Par contre, des gens qui ont vécu les événements m’ont dit que de leur point de vue – c’est un témoignage qui revenait souvent – certains gardes mobiles n’étaient pas bien d’être là.

C’était compliqué pour eux à vivre, ils étaient là parce que c’était leur métier et qu’ils devaient le faire, mais ils étaient mal à l’aise et pas très heureux d’être là. Ça, je l’ai mis dans l’histoire parce que ça me semblait important. Ça revenait beaucoup. C’était pas eux les méchants, en tout cas pas tous (rires), malgré les apparences.

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, affrontements.
Les violences policières et le désiquilibre d’armement avec les manifestants antinucléaire est abondamment illustré.

Plogoff reste une lutte emblématique pour les écologistes et altermondialistes bretons. Comment vous l’expliquez ?

Même au niveau national ça reste le combat populaire contre le nucléaire qui a été finalement victorieux. Il n’y a pas eu de centrales à Plogoff. Après, c’est à mettre un peu en demi-mesure parce qu’il y a eu un certain nombre d’éléments qui se sont bien accordés et puis une conjoncture qui a fait qu’en fin de lutte, la victoire est arrivée.

La mobilisation n’a pas été aussi simple que ça. C’est pas comme je le pensais enfant, une bande d’habitants de Plogoff qui ont jeté quelques cailloux à la tête des CRS et les CRS qui ont dit “d’accord on s’en va“. Ça a été, évidemment, bien plus complexe que ça, bien plus long et il y a eu beaucoup d’acteurs qui ont tissé la mobilisation, mois après mois, années après années et puis le contexte politique de la fin avec l’élection de Mitterrand qui a fait que l’opportunité était là, après cette résistance, de finalement mettre un terme au projet.

“C’est plein d’espoirs et, en même temps,
on se rend compte que c’est compliqué,
le pouvoir est quand même très fort.”

Donc ça reste une lutte emblématique au niveau de la Bretagne, mais aussi hors de la Bretagne ; et au niveau du nucléaire et au niveau de toutes les oppositions qu’on peut avoir envie de faire vivre. Celle-ci a abouti par plein d’événements intéressants. C’est pas si simple de réussir une mobilisation comme ils ont réussi la leur. Il a fallu pas mal d’ingrédients qui se connectent les uns avec les autres et au bon moment pour arriver à ça. C’est plein d’espoirs et, en même temps, on se rend compte que c’est compliqué, le pouvoir est quand même très fort.

Mitterrand avait promis que Plogoff ne se ferait pas, mais vous rappelez que depuis 1982, 39 réacteurs ont été mis en service en France.

Malgré des oppositions aussi, des gens se sont opposés partout où des centrale devaient être construites et dans les territoires frontaliers des centrales. Le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse ont soutenu la France dans ces oppositions. Pour le coup, ça ne s’est pas passé comme à Plogoff…

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, manifestation.
Plogoff, ce furent aussi des fêtes et des manifestations géantes, tenues sur ce bout du monde qu’est la Pointe du Raz.

Malgré la promesse de Mitterrand, d’autres projets de centrales ont été sérieusement étudiés en Bretagne. Finalement, c’est la catastrophe de Tchernobyl qui a réglé la question. Dans ce flou, comment avez-vous décidé de poser le crayon ?

Le nucléaire en Bretagne - Sortir du Nucléaire
Le nucléaire est bien présent en Bretagne, en particulier à l’Île Longue, près de Crozon. Cliquez sur l’image pour l’agrandir. Crédits Sortir du Nucléaire

Le sifflet de l’arbitre, c’était clairement Mitterrand, malgré le fait qu’il y a eu des rebondissements après ça, la fin n’a pas été aussi simple que ça effectivement. Pour installer quelque chose en Bretagne, depuis c’est compliqué. Je pense qu’on montre les dents assez facilement sur ce territoire là, surtout qu’il y a quand même du nucléaire en Bretagne, militaire ou civil.

Dans l’écriture de la BD, ça s’arrête à 81. En 81, Mitterrand dans ses propositions il y a une proposition qui a trait aux énergies. Ça coupe là et après on arrive à 2012, puisque c’est en 2012 qu’on a terminé notre album. On fait le bilan de la situation énergétique en France, avec 39 réacteurs nucléaires depuis et puis un référendum qu’on attend toujours, des crédits alloués aux énergies renouvelables, des choses comme ça. C’est un bilan finalement assez gris par rapport aux promesses.

Aujourd’hui, Notre-Dame-des-Landes représente une nouvelle lutte des écologistes en Bretagne. Vous avez pensé en faire une BD ?

Non, peut-être dans trente ans, on verra, pour l’instant déjà je ne connais pas très bien le sujet, je sais qu’il y a des parallèles de faits, mais qui ne sont pas évidents non plus. Et puis, il y a un collectif qui a sorti une BD sur Notre-Dame-des-Landes aussi.

Il n’est jamais question de Radio Plogoff dans votre BD. Pourquoi ?

Oui c’est vrai. Non, malheureusement. J’ai quelques regrets de gens que j’ai vite fait mentionné, mais qui avaient une part plus importante que celle que je leur ai laissée dans le bouquin et la radio en fait partie. J’ai eu assez peu d’infos a priori sur ce sujet et du coup je n’en ai pas cherché davantage. J’avais beaucoup beaucoup de choses et c’est passé à côté. Comme Jean Kergrist, le “clown atomique”, ça fait partie des personnages forts de l’histoire que j’ai à peine montré. J’espère qu’ils ne m’en voudront pas trop !

Sur Radio Plogoff, j’ai trouvé très peu d’infos dans les livres. Et puis les gens qui m’ont parlé de Plogoff ne m’ont pas trop parlé de la radio, sauf à dire qu’il y avait une radio. Je ne sais pas qui l’animaient, je ne sais pas combien de temps par jour, par semaine, je n’en sais rien du tout.

Votre prochain projet de BD, il a un rapport avec l’actualité, les luttes…

On a tout le temps plein de projets avec Alexis, mais celui qui, a priori, se fera le plus facilement c’est aussi une forme de mobilisation et c’est aussi en Bretagne. Mais bon, pour l’instant je ne sais pas exactement sous quelle forme ni rien, donc je n’en parle pas tout de suite. Le premier livre qu’on avait fait (Lyz et ses cadavres exquis, NDLR) va être réédité par un autre éditeur et assorti de la suite et fin de l’histoire, donc en 2014 normalement le bouquin sortira, avec 100 pages supplémentaires.

Le couple sera en dédicace, à Lannion, le 25 mai, de 15 h à 18 h, à la librairie Gwalarn.

Plogoff, Delphine Le Lay et Alexis Horellou, Delcourt, mars 2013, 14,95 €.

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Carnet de bord d’un apprenti écrivain

Il a Pascal Quignard pour maître, Amélie Nothomb pour modèle. Son projet ? Écrire un livre. Sur quoi ? Il n’en sait rien, il verra bien. Ce recueil de strips désopilant est l’anti-recette de l’auteur accompli.

Sur un scénario de Jean-François Kierzkowski, accompagné de Mathieu Ephrem au dessin, « En route pour le Goncourt » paru aux Éditions Cornelius, retrace les tribulations d’un amateur pas éclairé du tout qui se lance dans l’écriture. Mais attention, par n’importe laquelle, l’écriture d’un livre à succès, d’un livre à prix littéraire même !

Hé hé ! c’est parti pour le roman du siècle

Du choix de l’intrigue, au nom du héros, de l’hésitation sur le titre, à la relecture des amis…On suit le scribouillard dans l’écriture de sa prose. « Syndrome de Stockholm », « insomnies », ou « vachement truc », chaque strip est précédé d’un titre décalé, à l’image de ses pérégrinations cérébrales.

En route pour le Goncourt, Kierzkowski et Ephrem, Cornelius | So Ouest

Le graphisme minimaliste présente le héros à sa table de travail, sa table à manger, sa chambre à coucher ou dans une scène figée de promenade à bicyclette, il ne reste plus qu’à glisser quelques bons mots dans les bulles pré-dessinées. On ne leur en veut même pas pour ces scènes répétées inlassablement car l’efficacité de l’écriture transcende le reste.

L’apprenti écrivain accumule les déboires, et son désarroi égale sa personnalité comique. Faute de méthode, il s’inscrit à des cours d’écriture par Internet, qui se révéleront fertiles en conseils avisés… employés à tort.

Désopilant jusqu’à la fin, notre écrivain en herbe imagine déjà ses répliques pour briller dans les salons littéraires (« Yasunari Kawabata ? La traduction fait perdre beaucoup à l’oeuvre »)… avant même d’avoir envoyé son manuscrit !

“Ecrire, trouver le mot juste, c’est éjaculer soudain”

En route pour le Goncourt, Kierzkowski et Ephrem, Cornelius | So OuestLe joyeux drille aux allures de Mister Bean n’en finit pas de faire des erreurs et chaque strip est un gag subtilement emprunt de grandes références littéraires (Amélie Nothomb pour ne nommer qu’elle) et de faits divers historiques. Albert Camus s’est tué en voiture avec Michel Gallimard : « si je croise un éditeur et qu’il me supplie de monter sur le porte-bagages, je refuse catégoriquement ».

La propension de l’écrivain à citer les autres, à défaut de composer lui-même, nous fait découvrir des perles insoupçonnables mais véridiques. « Pascal Quignard (mon maître) a dit : Écrire, trouver le mot juste, c’est éjaculer soudain. Oh oh, j’espère que je n’aurai pas d’idée géniale en dormant ».

C’est parce qu’il n’est ni spirituel, ni poète, ni philosophe que l’on s’attache à cet écrivain sans nom. Tellement plus spontané mais tous aussi assoiffé de succès que ceux qui publient irrémédiablement un roman avant la rentrée littéraire.

« En route vers le Goncourt », n’est pas à l’image de son protagoniste, c’est un petit ouvrage sans prétentions qui parvient à atteindre l’universel. Le festival d’Angoulême dans ses bons choix, (notamment un autre ouvrage des éditions Cornelius, Une vie dans les marges) en a toutefois oublié certains. C’est dommage, on leur aurait bien donné un fauve d’or aussi.

En route pour le Goncourt, Jean-François Kierzkowski, Mathieu Ephrem, Editions Cornelius, 11 €

En route pour le Goncourt, crédits J.F. Kierzkowski, M. Ephrem | So Ouest

En route pour le Goncourt, crédits J.F. Kierzkowski, M. Ephrem

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Afghanistan, la bande décimée

Ils ont l’âge des soldats mais ces six illustrateurs se sont fixés une autre mission : témoigner pour eux et raconter la guerre d’Afghanistan en BD. Un récit entre invraisemblance et dénonciation.

C’est un anniversaire tout rond, dix ans. Dix ans que l’Armée française a commencé à envoyer des soldats en Afghanistan. « Nous sommes tous américains » qu’ils disaient, au lendemain du 11 septembre. La France, membre de la Force internationale d’assistance et de sécurité comme quarante autres pays, s’engage aux côtés des Etats-Unis pour chasser l’ennemi commun : Oussama Ben Laden, renverser le régime taliban en place et lutter contre Al Qaida. Des centaines de milliards de dollars plus tard, 8980 morts du côté des forces ingérantes, dont 78 soldats français, de 76 à 108 000 talibans et plus de 116 000 civils tués*…voilà qu’on annonce le retrait des troupes.

Tout se chiffre, sauf le traumatisme de la guerre. Pour les éditions FLBLB, Lisa Lugrin, Clément Xavier, Guillaume Heurtault, Lucie Castel, Maxime Jeune et Robin Cousin ont l’âge des soldats, mais ces jeunes recrues se sont engagées dans une autre mission : mettre des visages sur ces soldats envoyés en mission.

Par l’humour, l’imaginaire, le burlesque ou la satire, ils nous donnent à voir une guerre autrement plus humaine qu’un décompte quotidien du nombre de blessés. Afghanistan, récits de guerre, ou comment une « psy-op », tombe en embuscade, quand d’autres organisent des gueuletons pour satisfaire un ministre de la défense en visite, et sa cour de journalistes. En Afghanistan, la vie s’écoule entre les bitures avec des soldats de l’Alliance afghane, l’attente interminable d’un ordre de la hiérarchie ou la guerre du protocole pour savoir qui doit ouvrir les portes ou céder son lit quand on a eu l’audace d’enfreindre les règles.

Aquarelle, fusain, feutre, ambiance comics ou cahier à coloriage, finalement la critique prend tournure et les graphismes se mélangent pour n’en former plus qu’un : celui d’un groupe de jeunes dessinateurs plein d’espoirs et qui ont eu le talent de dessiner l’absurdité d’une guerre dont les acteurs ne communiquent pas, où les soldats ne savent pas, ou plus ce qu’ils font là…

De ce recueil on ne retient pas toutes les histoires, qui tournent parfois au cauchemar d’un trauma post-combat, ni tous les personnages, mais on comprend un peu mieux ces soldats, toujours anonymes, sauf lorsqu’il s’agit de leur remettre des légions d’honneur posthumes. De quoi encourager le rapatriement des 3800 soldats français encore stationnés sur place.

* les chiffres sont extrait d’un article du site d’information OWNI.

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Afghanistan, récits de guerre, Éditions FLBLB, 15 €.

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C’est l’histoire d’une fille qui aime une autre fille

Un texte poignant pour un récit efficace et militant, le premier roman graphique de Julie Maroh questionne la place des homosexuels dans la société.

Le bleu est une couleur chaude, c’est une histoire d’amour entre deux jeunes filles. Tout commence par une rencontre, un regard échangé dans la rue qui dure quelques secondes seulement et pourtant, Clémentine est perturbée par cette fille aux cheveux bleus. Incapable de mettre des mots sur cette obsession, elle se met à faire des rêves, érotiques, où l’amant est… une femme. Auto-censure, honte, déni, voilà la jeune lycéenne en proie aux doutes. Chaque point bleu qui l’entoure est comme une oriflamme à la mémoire de cette rencontre.

« Je suis une fille et une fille ça sort avec des garçons. »

Le récit se fait à travers le journal intime de Clémentine, les dessins à travers son regard. Afin d’éloigner ses idées qui la surprennent, elle va se jeter dans les bras d’un garçon car après tout, « je suis une fille et une fille ça sort avec des garçons » répète t-elle. L’idylle ne dure pas, et tout bascule un soir, où elle recroise la fille aux cheveux bleus, Emma. Étudiante aux Beaux-arts, plus âgée, plus affirmée aussi, elle considère son orientation sexuelle comme un acte politique, une source d’identification dans un courant artistique.

Clémentine refuse d’admettre qu’elle est « lesbienne » même si elle doute. « J’ai l’impression que tout ce que je fais est contre nature, contre ma nature ». Entre les réflexions homophobes de ses parents, ses amis qui lui tournent le dos, elle réalise que son histoire d’amour ne peut être qu’intime, mais s’inscrit dans un contexte social, où il faut sans cesse s’assumer, revendiquer son droit à une sexualité différente… Parfois elle se laisse gagner par le doute, « Pour Emma, sa sexualité est un lien vers les autres. Un lien social et politique.. Pour moi, c’est la chose la plus intime qui soit. » Peu à peu, Clémentine va se laisser apprivoiser par Emma, l’amitié va se transformer en tendresse, puis en amour, malgré la pression qui l’entoure.

Représenter une réalité qui n’existe pas dans la littérature

L’histoire est une succession de flash-back rondement menés par Julie Maroh : le temps du souvenir est en sépia teinté de bleu parfois, le présent est lui tout en couleur. Tout au long du récit, l’auteur nous suggère des regards, des visages qui souffrent, qui s’interrogent, des mains qui se frôlent, qui s’accrochent. Le couple se cherche, lutte contre l’attirance réciproque puis la partage, enfin. Les scènes d’amour, se situent entre érotisme et poésie et nous ramènent à une réalité : est-ce à ce point tabou pour qu’on en retrouve si peu en bande dessinée ?

Lauréate du prix du public à Angoulême en 2011, l’auteur a déclaré au magazine Têtu (un mensuel gay et lesbien) qu’elle était heureuse « d’avoir reçu, plus particulièrement, le prix du public (…) Je trouve ça bien qu’une thématique lesbienne ait réussi à toucher le public dans son ensemble. Les lecteurs ont reçu cette histoire entre deux femmes comme une histoire d’amour comme toutes les autres. » Dans une autre interview, l’auteur, homosexuelle, a expliqué son envie, son besoin de représenter une réalité qui n’existe pas dans la littérature, une réalité qui est la sienne.

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Le Bleu est une couleur chaude, Julie Maroh, Glénat, 15 €.

Édition : Le 26 mai 2013, le film La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, avec les actrices Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, inspiré de cette bande dessinée, a remporté la Palme d’Or, décerné par Steven Spielberg, président du jury du 66e festival de Cannes.

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Paroles d’auteurs : la BD se livre

Un livre sur la bande dessinée, sans case ni phylactère…il fallait oser. Avis d’orage dans la nuit, n’a pas eu besoin de bulles pour parler neuvième art, c’est justement dans le cocon créatif de ses penseurs qu’il nous a introduit.

Pour la première fois à la maison d’édition l’Association, le livre s’accompagne de sons. A la fin de l’ouvrage, on découvre un CD de 6h40, où 26 scénaristes et dessinateurs se sont laissés approcher par Christian Rosset, producteur à France Culture, dans le cadre de l’émission des « Passagers de la Nuit » (un rendez vous de création radiophonique aujourd’hui malheureusement disparu).

« Si on m’empêche de dessiner : je meurs.»

Avec David B, Anne Baraou, Fanny Dalle-Rive, Jean-Christophe Menu ou encore Riad Sattouf (La vie secrète des jeunes), on évolue d’ateliers en ateliers, au son des plumes qui grattent le papier, des bruits de gommes et des traits de crayons. Car si ces rencontres se démarquent par la qualité du dialogue mené, Christian Rosset a su mettre en résonance les souvenirs des auteurs. Tandis qu’Emmanuel Guibert (Le photographe, Sardine de l’espace, Des nouvelles d’Alain) donne une définition poétique du livre, « un cœur qui bat, des pages qui se tournent », Pascal Rabaté évoque le manque de pudeur du cinéma tandis qu’en BD, « c’est beaucoup plus dur de faire chialer ». Pour dessiner, Joanna Hellgren (Frances, mon frère nocturne) écoute la radio, regarde la télévision, aime qu’on lui parle « pour résister à l’envie d’aller dehors », se promener. Baudouin, lui, “dessine pour que la vie se continue“, comme en écho, Florence Cestac (Le concombre masqué, La véritable histoire de Futuropolis) annonce “si on m’empêche de dessiner : je meurs“.

Avis d’orage dans la nuit est également un livre, un recueil d’e-mail échangé entre Thomas Baumgartner et Christian Rosset tout deux passionnés de radio…et de BD. Intimement convaincus de l’existence d’une passerelle entre ces deux moyens d’expression.

«Une bande dessinée est unique à son lecteur, une émission de radio est unique à son auditeur…»

…explique le producteur des Passagers, qui poursuit, « la radio nous donne les voix et les sons. À nous d’imaginer le reste, les couleurs, les décors, les visages, les espaces. La bande dessinée nous donne les couleurs, les décors, les visages, des indices d’espaces. À nous d’imaginer les sons et les voix ». Derrière les voix des artistes, on découvre ou on redécouvre leur univers graphique, leur engagement, leur vision de la vie. Faute d’images illustrant le travail de chacun, Avis d’orage dans la nuit nous invite à se remémorer les lectures passées, ou à aller découvrir les auteurs inconnus, un petit jeu de piste en forme d’intéro visuelle.

Bien plus que de banales interviews d’auteurs, ces paroles dévoilées, pudiques et sincères annonceraient plutôt le soleil, après l’orage. Comme pour les Passagers, la nuit est une invitation à la confession. Sous forme de regards croisés, où les deux hommes de radios ont mis sur papier leur sentiment et où les artistes du pinceaux et du crayon se sont laissés parler, tous les protagonistes de cet album se mettent à nu, dévoilant leurs rêves, leurs envie de créer (en dessins, ou en sons) toujours à la recherche de nouvelles formes d’expression.

Avis d’orage en fin de journée, Christian Rosset, L’Association, 19,29 €.

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Diego, un phoque candidat au prix Nobel de l’amour

C’est l’histoire, soyons originaux, d’un animal que l’on a peu l’habitude de voir traîner en ville… une âme romantique… un garçon sensible…”.

Diego est maladroit, marche au son des cliquetis de ses béquilles, et réfléchit au ralentit. Et même si Diego est un phoque, il semblerait bien qu’il soit l’incarnation de la bonté humaine, sentiment obsolète, dont on a oublié, à New York-sur-Loire, jusqu’à la définition. Symbole des métropoles qui jonchent la planète, New York-sur-Loire réunit tous les excès : des gratte-ciel les plus étourdissants aux bas-fonds crapuleux ou encore aux « 30 millions d’âmes et tout autant de voitures ».

Ce sera le décor de cette pièce en trois tomes, ou sitôt les trois coups donnés, Diego se fait embarquer dans une aventure particulière : il devient l’élève unique d’une formation intensive, en vue de participer au prix Nobel de l’amour, un concours organisé tous les cent ans et que la gente pédagogico-municipale est bien décidé à remporter. Quitte à tricher un peu avec les règles du jeu. Très vite l’histoire s’emballe, Diego, nouveau « Messie préfabriqué », « cynocéphale excréteur », devient la cible du Diable, un petit monstre en salopette à carreaux qui a des canines bien acérées. Lui aussi veut gagner, mais même le diable n’est plus ce qu’il était, alors il va se débrouiller tout seul, sans sa troupe de monstres cornus.

Dans le périple du « Bibendum céleste », Nicolas de Crécy réussit un tour de maître : nous faire partager son délire mystique et intellectuel autour d’une histoire aux mille rebondissements grâce à un graphisme enivrant. Les cases passent du rouge feu de l’enfer, à la ville gris et or et on suit ces déplacements dans le temps et dans l’espace comme on assiste à un rêve.

C’est en allégorie que Nicolas de Crécy nous raconte une histoire et transmet la peur, l’impuissance ou l’excitation, d’un veau marin décidément très manipulé, qui se laisse berner par les apparences et veut croire à l’amitié. Son minois et son accoutrement attendrissent ou agacent mais il n’y peut rien, les obsessions des humains le dépassent et même les gargouilles et autres caryatides, qui l’insultent du haut de leur piédestal.

Dans « Le bibendum céleste », les dialogues sont savoureux, on s’insulte, on se ment, on se bagarre et on triche. Heureusement qu’il y a le narrateur, une gentille tête en forme de babybel, qui nous emmène un peu partout, comme on visiterait des studios de tournage. Sauf que là, toutes les bobines sont mélangées, il faudrait des heures pour résumer les trois actes de ce roman graphique, paru pour la première fois en 1994 aux Humanoïdes associés.

Sachez, en guise d’excuse, que très vite, le diable vole la narration pour mieux la maîtriser… à vous de voir si vous oserez tourner les pages à la poursuite de ces cochons, chiens ou humains sans humanité, atteints depuis longtemps « par un déluge de neurones avariés dans leur cervelles moisies »… Il suffit de savoir s’y prendre, et il se pourrait bien que Belzébuth en personne, dans sa salopette à carreaux, vous laisse écouter la suite…

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Le bibendum céleste, de Nicolas de Crecy, Les Humanoïdes Associés, 40 € les trois volumes.

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Quand la BD part en road-trip

Ça fait toujours rêver ces histoires d’hommes et de femmes qui, un beau jour, osent mettre fin à la routine et s’en aller. Ils partent pour un ailleurs plus gai, plus calme, plus exotique, toujours à la recherche d’un je ne sais quoi qui excuserait presque leur absence.

Au cinéma, Paris Texas est de ces films-là qui nous invitent à monter en voiture et nous trimballe un peu partout, du fin fond du désert, aux faubourgs les plus conventionnels. En bande dessinée, l’invitation au voyage passe tout aussi bien.

Les princesses aussi vont au petit coin

Citons tout d’abord le dernier ouvrage de Chabouté, en noir et blanc comme à son habitude, reflet de ses histoires pleine d’humanité qui se heurtent toujours à la réalité. “Les princesses aussi vont au petit coin”, c’est le titre pour le moins original de cet album, qui donne le ton.

Princesses1L’ouvrir, c’est se plonger dans une aventure sombre et burlesque. Celle d’un couple peu pressé par la vie, qui a décidé de sillonner les chemins à bord de son camping-car, en route pour nulle part et partout à la fois.

Quand il tombe sur un auto-stoppeur étrange, à l’air maladif et dérangé, leur périple n’en devient que plus excitant. Et plus dangereux aussi. Incrédule sur ses racontars, le couple se laisse pourtant mener par l’auto-stoppeur, cette fois-ci, pour une fuite en avant. Peu à peu, la folie de l’homme est remise en question pour laisser la place à… la psychose. La vie, qui s’écoule au rythme des stations essences, finira même par prendre une odeur de soufre et d’amertume. Cette BD nous attrape dès les premières cases, sans bulles, silencieuse, pour mieux nous laisser plonger au cœur de ce polar rondement mené, à la chute vertigineuse.

Les princesses aussi vont au petit coin, Chabouté, Vents d’Ouest, 17,99 €. 

Far Away

Si vous aimez les grands espaces, les forêts canadiennes à l’été indien et les jolies histoires d’amour, ce road-trip là devrait vous plaire. “Far Away” c’est l’histoire de Martin Bonsoir, chauffeur routier célibataire et bourru, qui se fait surprendre par la neige, un soir, en traversant les Laurentides, une province du Québec.

C’est chez Esmé qu’il trouvera refuge, la seule habitante à des lieux à la ronde. Le jour de son départ, elle demande à Martin de l’emmener avec elle. L’histoire est haute en couleur. Sans doute grâce au coup de pinceau de Gabriele Gamberini qui magnifie les paysages traversés, et retransmet les sentiments des personnages avec délicatesse.

On pourra être surpris de voir de la peinture sur des cases de BD, mais ça donne un côté roman-photo assez sympathique, qui rend l’histoire encore plus accessible. Il manque peut-être quelques pages à l’album pour finaliser la narration d’un périple sur les highways canadiens, qui mènera le tandem, aux sentiments de plus en plus tendres, des chutes du Niagara, aux Rocheuses du Wyoming. Mais les grandes aventures, c’est comme les vacances, ça n’aurait plus de charme si ça n’avait pas de fin. La BD finit doucement, sans mélancolie, laissant la routine reprendre le dessus. Finalement, ce qui compte dans le road-trip, c’est qu’au bout de l’aventure on trouve ce que l’on était venu chercher. Avec une bonne dose de réminiscences en plus, pour les jours suivants.

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Far Away, Maryse et Jean-François Charles, Gabriele Gamberini, Glénat, 25 €.

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