L’ignorance pousse souvent à la bêtise, parfois à la tolérance. C’est la seconde issue, bien plus optimiste, que développe la Suisse Maria Nicollier, habituée des documentaires, dans sa première fiction. Comment trois Japonais se méprennent sur le christianisme et font de l’âne un animal sacré au pays du soleil levant.
La comédie de la réalisatrice genevoise nous transporte loin des alpages, mais sous les cerisiers, dans un pays où Maria Nicollier a longtemps vécu et tourné des documentaires, notamment sur le mariage à la sauce occidentale en 2004. C’est d’ailleurs de nouveau un mélange des cultures, traité avec un regard tendre, qu’elle propose aux spectateurs. Nous l’avons rencontrée à l’issue de la projection de Chasse à l’âne – Roba Gari en japonais – en compétition européenne au festival du Film court de Brest vendredi 16 novembre.
Sylvain Ernault – Votre comédie raconte l’histoire de trois Japonais qui cherchent à manger de l’âne sur leur île. D’où vient ce scénario loufoque ?
J’ai eu l’idée du scénario en Roumanie, parce que j’ai été voir un ami roumain et effectivement il voulait manger de l’âne, de la viande d’âne. Ils sont allés chercher un âne, qui s’appelait Igor, mais finalement ils n’ont jamais osé le tuer, même si c’étaient des chasseurs. Donc finalement le scénario vient d’une histoire véritable, mais je l’ai transposée au Japon, pour la simple raison que les Japonais n’ont rien de chrétien et j’avais envie qu’ils aient un regard sur nous. Je trouvais marrant d’utiliser l’âne, qui est dans la crèche de Jésus. Alors après comment est venue cette association d’idées ? C’est un peu difficile de vous dire pourquoi et comment , mais le fait est que j’ai vécu quand même pas mal d’années au Japon et que je parle japonais, donc c’est aussi une source d’inspiration et mon lieu de tournage de prédilection.
C’est la première fiction que vous avez tourné. Avant vous aviez réalisé des documentaires au Japon ?
J’ai tourné des documentaires, des reportages, des news… J’ai tourné beaucoup de choses au Japon, mais jamais de fiction, c’est ma première fiction et pour moi ça allait de soi que j’allais la tourner au Japon en fait. Je pense que c’est plus facile de tourner au Japon qu’en Suisse, parce que déjà les acteurs sont tellement friands de tourner à un niveau international et j’ai pu faire un casting extraordinaire, c’est à dire j’ai vu à peu près 200 acteurs pendant une semaine, un très bon cru. Alors qu’en Suisse ça aurait été beaucoup plus difficile d’avoir les meilleurs acteurs pour un court métrage.
…pour un court-métrage, qui reste un genre qui est peut-être un genre mineur en Suisse et au Japon. D’ailleurs comment on perçoit le film court au Japon ?
C’est aussi un genre mineur je pense, c’est aussi très difficile d’avoir l’argent pour un court. Mais je pense que si les acteurs se sont intéressés à mon film, c’est avant tout parce qu’il était international et que pour une fois ils pouvaient tourner avec des étrangers et que la réalisatrice parlait japonais, donc ça leur permettait de faire ça parce que la plupart des acteurs ne parlent pas anglais. Mais c’est aussi un genre mineur et très difficile à défendre au Japon.
“J’ai beau avoir vécu au Japon, je ne comprends pas toujours les Japonais”
Et d’ailleurs mon film je savais que soit il allait bien fonctionner en Europe et dans le reste du monde, soit au Japon. Bon, soit pas du tout, hein, ça aurait été une autre option (sourire). Et effectivement il fonctionne très bien en Europe et aux États-Unis, mais très très mal au Japon. Alors voilà, maintenant vous dire pourquoi, comment ? Comme quoi j’ai beau avoir vécu au Japon, je ne comprends pas toujours les Japonais.
Célia Caradec – Dans le film on voit un Français un peu tourné en dérision, est-ce que c’est quelque chose que vous avez pu ressentir là-bas, des a priori sur les Européens, sur les Français ?
Oui, alors c’est vraiment par rapport à mon vécu, c’est plus les étrangers qui veulent être plus japonais que japonais. Et en fait je me moque plus des étrangers qui vivent là-bas, et je trouve que les Japonais, mes protagonistes, ont bien raison de rire de lui. C’est ces étrangers qui se disent tout d’un coup maître de thé ou vivent vraiment à la japonaise, d’une façon que les Japonais ne connaissent plus. Le Japonais moderne ne vit plus vraiment sur des tatamis à genoux et à se courber à peu près toutes les vingt secondes, à part dans des milieux très très traditionnels, donc là je ris un peu de mon vécu effectivement et des étrangers qui vont jusqu’à se brider les yeux.
SE : Connaissiez-vous la région dans laquelle le film a été tourné avant d’y tourner Chasse à l’âne ?
Je ne connaissais pas du tout cette partie du Japon avant, qui est dans la préfecture de Nagano, là où ont été tournés des Jeux Olympiques (en 1998, NDLR), c’est à dire au nord de l’île principale (Honshū, NDLR), mais c’est le seul endroit où j’ai trouvé un âne, parce que tous les autres ânes étaient dans des zoos et pour les Japonais c’était hors de question de sortir leur âne du zoo et j’allais pas tourner le film dans un zoo, donc c’est le seul endroit où j’ai trouvé un âne et un propriétaire qui était prêt à me prêter, enfin plutôt à me louer son âne.
Et lui qu’est-ce qu’il faisait avec son âne ? Il lui faisait brouter l’herbe aussi ?
Oui oui, il adorait son âne et c’est vrai c’est une bonne question parce qu’il n’y a tellement pas d’âne au Japon que c’était vraiment quelqu’un de très original finalement. Pourquoi il avait un âne ? Je ne sais toujours pas, mais il l’aimait beaucoup et il en prenait bien soin et on avait besoin de lui pendant le tournage parce que l’âne sans lui ne voulait rien faire.
C’était un Japonais lui, pas un Français ni un Européen ?
Non, non, alors toute la régie et une grosse partie de l’équipe c’étaient des Japonais. Mais toute l’équipe technique je l’ai prise de Suisse, c’étaient des Suisses, notamment parce que j’ai eu des fonds de soutien de l’État suisse. C’est donc évident qu’il faut des salaires suisses. Donc j’ai pris une grosse équipe avec moi, on était sept à prendre l’avion, ce qui était quand même un coût considérable.
Parlons justement d’économie, par rapport à votre parcours d’ex-documentariste, est-ce que c’est plus difficile de financer un documentaire ou une fiction ?
Une fiction est quand même beaucoup plus chère, c’est ça qui est plus difficile. Même un court métrage de fiction m’a coûté beaucoup plus cher qu’un documentaire de 83 minutes. Donc c’est évident que c’est une contrainte énorme de trouver l’argent pour une fiction c’est beaucoup beaucoup plus difficile et je pense que c’est pour ça que j’ai mis aussi longtemps à faire le pas et à passer dans la fiction.
“Même un court métrage de fiction m’a coûté beaucoup plus cher qu’un documentaire de 83 minutes”
C’est beaucoup plus cher déjà, pour la simple raison qu’il faut des acteurs et qu’il faut les payer et puis ensuite il faut une équipe technique beaucoup plus conséquente. Un documentaire on peut presque se permettre suivant le genre de partir caméra à l’épaule, une fiction non.
Et en Suisse quelle sont les aides ?
Alors en Suisse, il y a une aide étatique culturelle, qui est assez importante, qui reste difficile à obtenir, comme chez vous en France. Ensuite il y a différentes aides je dirais régionales, comme chez vous aussi. Après il y a des aides automatiques, si vous obtenez les autres aides. Donc en fait c’est un peu “celui qui commence à avoir de l’argent a toujours plus d’argent, celui qui n’a pas d’argent au départ n’a pas d’argent du tout”, donc c’est un peu quitte ou double. Et pour ce film j’ai tout de suite eu l’aide étatique, ce qui fait que d’autres fonds ont découlé et j’ai réussi assez facilement à boucler mon budget, mais ça m’a pris un an quand même.
Entre le début de l’écriture et le tournage, c’est ça un an ?
Ah non là c’est deux ans.
CC – Quel est votre ressenti par rapport à ce festival du Film court, où vous venez pour la première fois ?
Ce que j’aime bien avec Brest par rapport aux autres festivals que j’ai fait aussi avec ce film-là, c’est que c’est très tourné vers le public et il y a vraiment des salles importantes pour un public important et visiblement ils font une très bonne publicité, parce qu’il y a du monde et c’est toujours très agréable de voir des salles pleines, donc pour ça c’est vraiment génial. Ensuite, on est très bien accueillis. Souvent j’ai été prise dans des festivals de court et de long. Donc le court, malgré tout, est un peu en seconde zone et être pris dans un festival où ce sont que des courts, c’est assez agréable parce qu’on est un peu plus mis en valeur je dirais.
J’imagine que vous êtes attentive aux réactions des spectateurs ? Comment vous l’avez vécu ?
L’angoisse c’était la première en public. Parce que finalement, il y a des moments comiques dans mon film, mais est-ce que les gens vont rire à ces moments-là, est-ce qu’ils ont compris mon humour ? Et c’est la grande angoisse des comédies. Et finalement les gens rient vraiment au moment voulu et ça c’est un immense plaisir et puis après il y a un effet de salle. Parfois les gens réagissent beaucoup moins, parfois beaucoup plus. Cette dernière projection je l’ai trouvée assez bonne, les gens réagissaient pas mal, n’étaient pas trop timides de rire. Et puis après il y a les surprises, où tout d’un coup les gens rient à des moments où vous ne pensiez pas que c’était drôle (rires) donc ça c’est toujours assez amusant.
“Les gens réagissaient pas mal, n’étaient pas trop timides de rire.”
SE – Vous avez d’autres projets de fiction et si oui est-ce que ce sera dans la comédie ?
Ce sera surement une comédie, parce que je crois que je ne serais pas capable de faire autre chose. Et j’espère un long métrage bien sûr, vu que j’ai quarante ans, faut que je me dépêche, pour les fonds, parce que plus on est vieux, plus c’est difficile de trouver des fonds ! (rires)
Trailer de Chasse à l’âne
Chasse à l’âne, Maria Nicollier, avec Shohei Sekimoto, Yuki Okamoto, Shoichiro Akaboshi, 15 minutes, Suisse-Japon, Rec Production, 2011.