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Le New Yorker se dévoile

New York est une sacrée coquine. Toujours prête à se mettre en lumière, cette grosse pomme alimente davantage les flux d’infos qu’un Sarkozy sous pilule thaï. Les Haïtiens la remercient. Mais attention aux caricatures, la nouvelle “Venise des States” a mille visages. Patrie du capitalisme boursier, elle héberge aussi le plus célèbre newsmag littéraire de la planète, auquel un livre en français vient d’être consacré.

Le New Yorker n’a pas d’équivalent. Nous-mêmes, Français, d’habitude si prompts à copier les us d’Outre-Atlantique, nous privons de l’élégance des couvertures sans titraille ni légende. Nous réservons nos unes aux sujets anxiogènes et racoleurs. Nous sous-exploitons nos dessinateurs de talent pour préférer des maquettes au rabais. Nous supportons ces patrons dépassés, de l’Express ou du Point, qui bradent l’âme de leurs titres en entraînant toute la presse vers sa ruine.

Vous le comprenez, si j’avais quelques amis rentiers, je les caresserais dans le sens du poil pour financer un plagiat francophone du classieux titre américain. Car derrière la respectueuse façade se cache un savant mélange d’enquêtes journalistiques et de bandes dessinées, de critiques culturelles et de récits littéraires de haute volée. Malgré sa prétention élitiste, son style art déco un peu “branchouille”, le New Yorker ne méprise personne et surtout pas ses lecteurs. Snob, mais de qualité. Les “mooks” n’ont rien inventé !

Les dessous du New Yorker - page 92-93
Pas question de mettre du sang et des boyaux à la une… à moins de trouver la bonne idée. Ici, Ana Juan se penche sur la guerre en Irak. Couverture de mai 2004.

Pour mettre en valeur ce prestigieux magazine – attirer le chaland sans jouer au camelot – une Française, Françoise Mouly, choisit les unes depuis 1993. C’est elle, directrice artistique du New Yorker, épouse d’Art Spiegelman – le représentant majeur du comics underground -, qui changea les mœurs du journal. Tina Brown remarque le travail de Mouly, alors que cette dernière édite le magazine Raw, dans lequel elle publie les planches de Maus dessinées par son mari. L’exigeante rédactrice en chef recrute le couple. Qualifiée de “grande prêtresse” de Condé Nast pour sa reprise réussie de Vanity Fair, Tina Brown veut insuffler un nouvel élan au magazine, afin que chaque numéro fasse parler de lui dans les dîners.

Françoise Mouly, de l’underground au Condé Nast Building

La réforme est profonde. Le titre se modernise. Brown et Mouly préfèrent les dessins d’actualité aux natures mortes, chères à l’ancien éditeur William Shawn (1952 à 1987). D’anciens collaborateurs sont rappelés, parmi lesquels Jean-Jacques Sempé. C’est le début des secousses, assumées depuis le départ de Tina Brown par David Remnick.

Toujours dépourvues de caricatures, les unes du New Yorker retrouvent les thèmes politiques des débuts, sans chercher à faire rire. “Les bonnes couvertures ne disent pas ce qu’il faut penser : elles incident à penser.” Françoise Mouly insiste auprès des dessinateurs pour qu’ils s’épargnent de tout commentaire. La consigne est claire : “leur image n’est pas prête tant qu’elle a besoin d’une légende pour être présentée”. (Écoutez le grand entretien de Françoise Mouly sur France Inter)

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Dans ces Dessous du New Yorker, Françoise Mouly sélectionne les dessins qui l’ont marquée, mis de côté dans son bureau au fil des ans. Publiés ou refusés, ils retracent l’histoire contemporaine des États-Unis, sous le prisme finement impertinent du magazine. C’est la grande force de l’ouvrage.

Les dessous du New Yorker - Françoise Mouly - La MartinièreLes dessins qu’elle nous présente nous parlent en tant que Froggies. Le Monicagate, l’élection d’Obama, les guerres en Irak, en Afghanistan, le procès de Bambi, la folie Palin ou les frasques de Tiger Woods nous sont familiers tant le soft power américain reste puissant.

Histoire moderne des États-Unis

Le New Yorker, c’est au fond l’Amérique qu’on préfère. L’Amérique progressiste, ouverte et cultivée. Une Amérique sans doute un peu fantasmée, en témoigne notre emballement pour Obama. Un pays plus complexe que son bipartisme ne le laisse présager. Reste que l’hebdomadaire, symbole de cette Amérique là, se diffuse encore à plus d’un million d’exemplaires. Preuve de son aura.

Le livre nous rappelle salutairement que non, tous les Américains ne croyaient pas Bush et sa croisade “contre le terrorisme et les armes de destruction massive”, oui nombreux sont ceux qui défendent le droit à l’IVG, manifestent contre la torture et respectent le mariage gay, autorisé depuis 2011 à New York. Ça me donnerait presque envie de chanter The Star-Spangled Banner.

Une fois n’est pas coutume, le New Yorker se légende. Ses couvertures révèlent leur processus de création. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement des “couvertures auxquelles [nous] avons échappé”, comme le stipule le titre de l’ouvrage. Le célèbre dessin d’Ahmadinejad sur le trône ou celui des tours jumelles noires sur fond noir côtoient les esquisses refusées.

4/5Françoise Mouly s’attache à rappeler le contexte de chaque image, les controverses provoquées dans la rédaction, dans les autres médias, voire dans la société. La polémique n’effraie pas la Française, consciente du formidable argument de vente renouvelé chaque semaine. La puissance de l’image ne se dément pas au temps des réseaux ! L’éditrice explique ses choix, raconte ses commandes dans l’urgence et motive ses refus. Elle met en valeur ses trente dessinateurs, avec au premier rang les habituels Barry Blitt (auteur de la couverture du livre), Anita Kunz et Art Spiegelman.

À travers son texte transparaît aussi le fonctionnement de son fringant magazine de 87 ans. Son témoignage est utile. Il offre le paysage médiatique américain disponible à la comparaison. Une mauvaise note toutefois pour le relecteur, dont le manque de rigueur apporte une ombre au tableau. Les coquilles sont trop nombreuses pour ne pas irriter les yeux. Le charme de la mise en page s’en trouve quelque peu écorné.

Références

Les dessous du New Yorker. Les couvertures auxquelles vous avez échappé, Françoise Mouly, Éditions de la Martinière, 25€.

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“Thank you Mario ! But our princess…”

Mario ? Même ta grand-mère le connaît. Ce mycologue intempéré, coureur de jupons insatiable, tour à tour charpentier, plombier, pilote automobile, tennisman peintre, danseur et peut-être même jardinier traverse les époques et les consoles depuis 1981. Objet de culte, sa plus captivante histoire ne se joue pourtant pas sur écran, comme le défend dans son livre William Audureau.

Pour sa démonstration, l’auteur – journaliste spécialisé de son état – n’y va pas de main morte. Il publie une thèse de 400 pages et quelques, découpée en chapitres chronologiques sur la décennie liminaire. L’auteur explique dans la “warp zone” du livre ou plutôt son “making of“, que seules 100 pages richement illustrées sont d’abord prévues. Le fascicule doit intégrer une hypothétique collection “Qui es-tu” éditée par Pix’n Love.

Mais le risque que les éditeurs n’accordent pas les droits des images est trop grand. Virage à 180°. La masse d’informations déjà récoltées et la passion l’emportent. Dix-huit mois de réécriture sont nécessaires pour remodeler le texte, le nourrir de multiples anecdotes historiques et le rendre passionnant par son exhaustivité.

L'Histoire de Mario - pages intérieures illustrées
Image trompeuse que celle-ci. Les illustrations sont en fait peu nombreuses mais toujours à propos.

Car si les scenarii des aventures de Mario ne sont pas reconnues pour leur inventivité – l’objectif se bornant généralement à traverser des niveaux, battre des boss pour finalement sauver une princesse -, la production de l’œuvre vidéoludique vaut bien, elle, plusieurs volumes.

L'histoire de Mario - William Audureau - 4e de couvertureLes difficultés économiques de la jeune firme nippone Nintendo constituent à elles seules un roman. À ses débuts, le joueur n’est pas casanier. Il pratique sa passion sur des bornes d’arcade, dans des salles spéciales ou au café. Au tournant des années 70-80′, les consoles s’installent dans les salons, mais les frontières restent marquées. Les concepteurs travaillent souvent seuls et de façon artisanale.

Alors que le crack de 1983 fait plonger d’illustres firmes américaines, à commencer par Atari, Nintendo réussit l’export de sa Famicom chez l’oncle Sam. Renommée Nes, elle permet d’imposer ses titres en dehors de son fief. Mario, devenue mascotte, ne serait rien sans les procès intentés par les ayants droits de King Kong, sans la technique balbutiante ni l’habilité commerciale de ses concepteurs.

Mario restera à jamais marqué par cette époque 8-bits aux sprites minimaux, qui remplacent la chevelure du personnage par une casquette et sa bouche par une moustache par nécessité plus que par esthétisme.

Le bonhomme en salopette a depuis longtemps dépassé le statut de mascotte. Un seul exemple suffit à le démontrer, celui de ses thèmes musicaux, composés par Kōji Kondō : ils illustrent encore aujourd’hui maints reportages et génériques d’émissions sur le jeu vidéo. Ni les changements d’univers de Mario, ni ses reconversions, ni même son apparition au cinéma en chair et en os aux côtés de son frères Luigi ne lui coûtent sa peau. Une grosse production au goût de nanar propulse en effet Mario sur grand écran en 1993. William Audureau, en défenseur isolé, y revient allègrement.

Produit à Hollywood, le film aurait dû représenter la consécration du personnage après une décennie de succès. Mêlant dinosaures et humains dans un monde apocalyptique désenchanté, il est heureusement aujourd’hui quasiment oublié. Contrairement à la saga.

4/5L’histoire de Mario est une magnifique enquête – au ton un peu universitaire, mais plaisant à lire -, sur une époque du jeu vidéo, alors toute jeune industrie culturelle. L’auteur s’intéresse davantage à l’entreprise Nintendo, aux contextes économiques et aux inspirations fantastiques qu’au scénario des épisodes. Pas de cheat code, mais des secrets de fabrication, à cheval entre les États-Unis et le Japon. Une histoire humaine, qui n’a rien de virtuelle. Raisons pour lesquelles ce livre, sans équivalent dans le monde, intéressera bien au-delà du cercle des Nintendo maniacs.

Références

L’histoire de Mario. 1981-1991 : L’ascension d’une icône, entre mythes et réalité, William Audureau, Pix’n Love Éditions, 22 €.

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Hollande vs Mélenchon en album photo

Infographie – Qui de François-Hollande ou de Jean-Luc Mélenchon agite le plus de drapeaux français ? Qui d’entre eux deux porte le mieux la cravate ? Nos meilleurs statisticiens se sont penchés sur ces questions, à l’occasion de la sortie de deux albums photos qui retracent leurs campagnes respectives.

Six mois après la présidentielle, les leaders de la gauche s’opposent de nouveau dans nos calculettes.

Disclaimer

Les illustrations présentes dans cette infographie sont issues des deux ouvrages sus-cités. Ces albums permirent de récolter – le plus sérieusement du monde – les présentes données, qui donnèrent forme aux compteurs, diagrammes et autres camemberts que vous venez d’admirer. Nous vous prions de croire que bien que maintes fois manipulés, les livres n’ont à aucun moment souffert.
L’album de campagne de François Hollande est réalisé par le reporter-photographe indépendant et “Corrézien de souche” Marc Chaumeil, né en 1962, qui a “partagé depuis février 2011 l’essentiel du quotidien de campagne” du candidat PS “des premiers meetings à la victoire”.
L’éditeur, Privat, avait déjà publié l’essai du candidat à la candidature socialiste, intitulé “Le rêve français”, pendant l’été 2011. Bien qu’il s’agisse d’un livre à la gloire de notre monarque républicain (et que son nom soit sanctifié, amen), les auteurs revendiquent un regard avec “distance et ironie” et veulent produire un compte-rendu “apaisé, sincère et lumineux” de la campagne.L’album de Jean-Luc Mélenchon, ou plutôt du Front de Gauche, est réalisé par Stéphane Burlot “photographe autodidacte, né à Sarcelles en 1969“. Il est de la famille, on lui dit “tu, camarade” puisque photographe officiel du Parti de Gauche et membre du Front de Gauche.
La maison d’édition, Bruno Leprince, propose en premier lieu des livres sur la gauche, mais aussi des ouvrages érotiques et des BD. Rarement les trois à la fois, bien qu’il faudrait y penser… Bref.
L’album de François Hollande compte 29 pages de moins que celui de Jean-Luc Mélenchon du Front de Gauche, il est aussi deux fois plus petit. Il est pourtant plus cher de 30 %. Il y a 2,4 fois plus de photos de communistes (dont 17 doubles-pages, 131 vignettes et 77 photos en noir et blanc) que de socialistes (dont 25 doubles-pages, 75 vignettes et aucune photo en noir et blanc). Ce calcul d’apothicaire permet de déterminer que la photo du PS coûte 13,17 centimes, alors que celle du FDG coûte 4,21 centimes ! Deux visions du monde. Mais que voulez-vous ? C’est la rigueur le sérieux de gauche.


4/5Le militant, transi d’admiration, saura vite choisir le bon bouquin chez le libraire. Il faut dire qu’ils sont déjà bien partis, l’un à la fête de la rose de Bihlac, l’autre à la fête de l’Huma. Mais le Français normal ma bonne dame, celui qui chôme dur ou pointe au chômage, lequel de ces précieux témoignages de photojournalistes il doit acheter ? Je vous le demande ! Le Hollande à 20 € ou le Merluche à 15 ? Après des heures de débats, nos statisticiens ont ménagé la chèvre et le chou avant de pondre une motion de synthèse molle. La voici en exclusivité :

“Considérons A, François Hollande, 32 drapeaux étoilés sur fond bleu, les deux pieds dans la bouse, la cravate de travers, un verre à la main, de plus en plus entouré par la foule, mais de plus en plus séparé d’elle par les vitres, les journalistes ou ses soutiens politiques. Puis considérons B, Jean-Luc Mélenchon, 34 drapeaux syndicaux dont 29 CGT, un petit livre rouge à la main, parmi les ouvriers, de plus en plus entouré par la foule, souvent sur des podiums et parfois derrière la banderole de tête. Sachant que A rencontre Jacques Chirac et B Éva Joly, compte tenu que A serre des mains à 14 personnes et B à 3, mais que les deux prient parfois avec leurs mains. Alors A (devenu président) + B (membre de l’opposition) sont très différents, mais pas fâchés à jamais. Équation valable dans cinq ans.”

Références

François Hollande. Président élu, Marc Chaumeil, Serge Raffy, Sibylle Vincendon, Editions Privat, 19€50.

Résistance. L’album de campagne du Front de gauche, Stéphane Burlot, Bruno Leprince éditions, 15 €.

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“Comment se maquiller pour un enterrement ?”

“- Bon les mecs, on les attire comment ces gamines ? – Hum… avec un poster de boys band, un conseil fringues et un roman-photo à l’eau de rose ? – Nul et pas cher, ça fera l’affaire !” La formule des patrons de presse marche depuis des lustres, mais un magazine s’en est un temps écarté. À raison, car lui seul est aujourd’hui consacré.

À son époque, à sa grande époque plutôt, de 1993 à 1998, quand la rédactrice en chef mode s’appelait Emmanuelle Alt, 20 ans tranchait radicalement avec ses concurrents de la presse pour midinettes. Le magazine, qui existe depuis 1961, atteint sa quintessence grâce à un ton décalé, inexistant chez ses concurrents Girls et Jeunes & Jolies. Un sale caractère qui casse les codes institués par des féminins comme Elle, Madame Figaro ou Biba. Une liberté pas étrangère à la bienveillance de son actionnaire, le groupe Excelsior de la famille Dupuy.

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Différentes unes du magazine 20 ans, de 1993 à 2001. Crédits Journaux-collection.fr.
Roman photo dans le magazine Girls en 2012
Le vilain roman-photo que les lectrices de “20 ans” se passait dans les années 90′ et auquel celles de Girls sont confrontées chaque mois en 2012.

L’auteure et lectrice assidue de 20 ans, Marie Barbier, co-fondatrice des éditions Rue Fromentin, avait 18 ans en 1995. Elle regrette la disparition de cette parution “drôle”, dotée d’un “humour ni régressif, ni bébête, qui tirait plus souvent que de raison vers la méchanceté ou le désespoir”. Pour une fois, un féminin traitait les jeunes filles “en adultes”.

Le magazine a enfilé plusieurs peaux et connut plusieurs propriétaires depuis les années 60. Le livre raconte les raisons de cette évolution, les idées lumineuses qui viennent à bout des manques de moyens, puis le manque d’imagination et finalement le déclin. Fruit de nombreux entretiens avec les acteurs de la période dorée du journal, l’ouvrage donne notamment la parole à l’ancienne rédactrice en chef du titre, Isabelle Chazot. Elle qui redonna un souffle au vieux magazine, en usant d’un editing agressif et d’iconographies audacieuses.

Au-delà des montages photos osés – bien qu’à moindres coûts – que se permet 20 ans, un style littéraire propre au journal se développe. Pas de recettes de cuisines, mais des astuces maquillages décapantes (à ne surtout pas suivre), des horoscopes délirants et quantité d’articles fleuves qui offrirent entre autres titres “Les détritus d’Hollywood“, “Les frigides“, “Le marxisme expliqué aux jeunes“, “Comment se maquiller pour un enterrement” ou “Les nouveaux pauvres du libéralisme sexuel“.

Parmi les rédacteurs, quelques plumes acides, dont celle de Michel Houellebecq, qui s’inspira du magazine pour son roman La possibilité d’une île, ou encore plus inattendu celle d’Alain Soral, dans sa période communiste, encore drôle et pas encore idéologue néoréac’. D’autres hommes constituaient la rédaction, dont le responsable du courrier des lecteurs Diastème. Lui-même savait écrire à un public en partie masculin, touchant les garçons qui, nombreux, piquaient le magazine à leur grande sœur.

Dix ans après les louanges de l’Huma – qui parlait en 1999 d’un magazine “cultivant l’insolence goguenarde comme signe d’affirmation du moi” –, Vincent Glad révélait les conditions d’un journalisme au rabais, dirigé sur MSN, au moment du retour en kiosques de 20 ans. La déchéance d’un magazine naguère insoumis.

4/5Captivant témoignage sur un ovni de la presse, “20 ans. Je hais les jeunes filles” parlera à ses lectrices nostalgiques comme aux passionnés des médias. Ils découvriront les coulisses d’un magazine hors norme, des recrutements aux conférences de rédaction. Un titre, qui pensait aux lecteurs avant les annonceurs, dont Causette, qui paraît depuis 2008, représente en quelque sorte une heureuse descendance. À défaut d’illustrations des maquettes de l’époque, le livre se nourrit d’un joli corpus d’articles, permettant de répondre notamment à cette question toujours décisive : “Mariage ou débauche, que choisir ?“.

Références

20 ans. Je hais les jeunes filles, coordonné par Marie Barbier, Rue Fromentin, 2011, 20 €.

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Le jeu vidéo sans âme et sans accroche

Une vie ne suffit pas” chantait Lââm, du temps de la Dreamcast. Depuis, la production a grossi, le temps s’est accéléré. Mais il faut bien choisir. Flammarion répond à cette complainte en aidant les gamers. Par sûr toutefois qu’ils apprécient le cadeau, “woh, oh oh”.

Convenez qu’il faut être un peu fou pour lire de A à Z un catalogue de jeux vidéo. Jouer est une pratique avant d’être un objet de lecture. L’ouvrage de presque 1000 pages du journaliste Tony Mott, rédacteur en chef du prestigieux magazine britannique Edge, s’adresse pourtant – à première vue – aux accros du gamepad. Ceux-là mêmes qui chasseront bientôt l’édition de livres de la première place du podium des industries culturelles. Parmi eux se trouvent des apprenants, avides de connaissances.

Ils forment la communauté des retrogamers, méconnue et pourtant très active. Ce sont tantôt des vétérans, possesseurs de Neo-Geo Pocket et d’Atari ST, tantôt des jeunes convertis grâce aux logiciels d’émulation, qui reproduisent sur PC les consoles de leurs parents.

Ils se croisent sur Daily’, dans des boutiques ignorées de 99 % des passants et même en plein jour, dans les allées des brocantes. Plus souvent réfugiés dans leur chambre ou dans leur salon, ils attendent l’ouverture de la Cité du jeu vidéo à la Villette pour programmer leur prochain séjour à Paris. Ils rêvent secrètement d’y croiser le Joueur du Grenier ou les Bretons de Nesblog, Usulmaster, Realmyop et Cœur de Vandale. Marché de niche, le retrogaming était jusqu’à récemment oublié des éditeurs. Puis Pix’n Love naquit. Et Flammarion suivit.

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie - Thief : The Dark Project et  Ocarina of Time
Chaque jeu possède sa petite carte d’identité et pour les plus chanceux, une illustration.

Ces passionnés de vieilleries trouveront dans ce livre plus d’une inspiration. Les entrées sont nombreuses et réfléchies. Or, lister des titres est un bien maigre argument. Édité aux côtés des 1001 chansons, saveurs, greens ou inventions, le pavé aurait pu aider le jeu vidéo à acquérir sa légitimé artistique. Marcus ne s’y trompant pas dans sa préface, quand il parle de “véritable consécration“. Au regard des ambitions – mille fois hélas ! – le pari est raté. Un échec frustrant tant la conservation du patrimoine vidéoludique est nécessaire. Alors pourquoi ce loupé ?

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie - Final Fantasy V
Difficile de s’imaginer manette en main, sans image et en seulement vingt lignes de texte.

Est-ce un problème d’adaptation ? Traduit de l’anglais, l’ouvrage regarde naturellement de l’autre côté de l’Atlantique. L’Europe n’a jamais été une grande puissance du jeu, comparé aux États-Unis et au Japon. Pourtant, sa presse, notamment française, avait sa propre vision, qui n’est pas ici retranscrite.

Est-ce un défaut d’écriture ? Que les plus connaisseurs fassent aussi des découvertes n’est pas un mal en soi. Dommage que le ton, froid comme la viande morte et plat comme un pancake, ne transmette aucun plaisir de jeu.

Une entreprise d’un tel volume pouvait-elle réussir ? Chaque jeu tient sur une page, parfois moins. Trop peu pour détailler la richesse d’un Super Mario World, décrire l’atmosphère oppressante d’un Resident Evil ou expliquer les références filmiques d’un GTA III. Classés par ordre alphabétique, page après page, les titres s’accumulent. Guerre des éditeurs, crack de 1983, passage à la 3D, mise en réseau des machines, retour des oldies grâce aux indés, rien de tout ça n’est raconté. Il manque un contexte, au moins un mot sur chaque console, bref plus d’explications. Car c’est au lecteur de deviner les changements de génération.

Les experts pointeront quelques imprécisions. Loin de ces considérations, les néophytes préféreront tourner les pages, parfois intéressés, bien souvent assommés. Même si la sauce ne prend pas, même si l’ouvrage ne fera pas date, saluons tout de même sa sortie, car elle en appelle d’autres, et retournons vite jouer.

De 1971 avec le jeu éducatif The Oregon Trail à 2010 et le shoot them up Alien Zombie Death, ce sont bien 40 années de cartouches, disquettes et circuits imprimés qui sont visités. Si la première grosse moitié du livre est la plus intéressante, c’est parce-qu’elle ne sera jamais périmée. C’est durant ces premières décennies que tous les genres sont nés. Mettons-le au crédit de l’auteur, leur grande variété est ici bien illustrée.

Mais à vouloir trop en faire, l’ouvrage pêche par gourmandise. La collection plie sous son propre poids. Plus proche d’un catalogue Micromania de Noël gonflé aux hormones que d’une bible, candidat au record de la plus grosse compilation de jaquettes, Les 1001 jeux vidéo de Tony Mott lassera les novices autant qu’il agacera les connaisseurs. Le cul entre deux publics, l’auteur risque de n’en convaincre aucun.

Références

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie, Tony Mott, préface de Marcus, Flammarion, 32 €.

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Une radio comète au gaz hilarant

Des centaines de radios naissent en 1981, presque autant meurent quelques mois plus tard. Toutes ces étoiles filantes ont disparu des mémoires. Toutes, sauf une. Carbone 14, de nuit sûrement la plus scintillante des parisiennes, fait l’objet d’un livre événement.

Si David Grossexe avait raconté à Supernana et Jean-Yves Lafesse que leurs délires radiophoniques feraient un jour l’objet d’un ouvrage de chercheur, qui plus est édité par l’Ina, ses deux compères l’auraient sans doute inondé d’insultes à l’antenne. Les trois vedettes de la station avaient beau être spécialistes de la farce, une telle prédiction n’aurait pas été prise au sérieux par leurs milliers d’auditeurs franciliens. Habitué à faire la une de la presse, tantôt pour avoir prétendu faire coucher en direct une prostituée avec un homme devant les micros, tantôt pour l’interview exclusive de l’écrivain provocateur Jean-Edern Hallier suite à son faux enlèvement, l’étrange directeur de la station n’aurait sûrement pas plus goûté à cette reconnaissance institutionnelle.

Ce directeur, c’est Gérard (ou Dominique) Fenu, un publicitaire “dingue” croisé d’un “kamikaze”. Dingue, parce-qu’il croit dur comme fer que Carbone 14 peut être retenue par la Commission Holleaux créée par les socialistes, pour figurer légalement sur la bande FM. Associé au député de droite du XIVe arrondissement, Yves Lancien, il lance cette radio comme une fusée, c’est-à-dire en se séparant rapidement de ses lourds réacteurs. La station mise sur orbite, il lâche Lancien et tente le rapprochement avec le PS. En vain. Kamikaze, parce-que non content de laisser survenir tous les débordements possibles en studio, il surenchérit lui-même constamment. Au point de surnommer le président “François la francisque” lors des dernières heures d’émission, évocation du passé vichyste de Mitterrand, que révèlera au grand public Pierre Péan dans son livre Une jeunesse française, onze ans plus tard.

Carbone 4 - photos des studios
Supernana (à gauche) et Guy Dutheil (à droite), lors du tournage du film Carbone 14, Coll. Jean-François Gallotte.

Si cet hommage universitaire peut contrarier les libertaires de Carbone 14, eux-mêmes avaient une certaine idée du devoir de mémoire. À la fin de l’été 1982, David Grossexe, alias Jean-François Gallotte, convainc Gérard Fenu de tourner un film sur la radio, déjà menacée à l’époque. Trois nuits de tournage avec du matériel volé permettent de retranscrire l’atmosphère des émissions phares de la chaîne, séquences entrecoupées par les propos délirants de Fenu. Les auditeurs appellent, parlent sexe et frustrations. Le ton est libertin. Sélectionné pour le festival de Cannes, le film atterre les critiques. À l’époque diffusé dans seulement quelques salles du Marais, ce témoignage fictionnel est sorti en DVD récemment.

Carbone 14 - photos tournage film
L’affiche de Siné pour Carbone 14, le film (1983). Coll. Jean-François Gallotte.

Le côté trash de Carbone 14 ne doit pas faire oublier les émissions plus sérieuses programmées sur la grille. Si la prise d’antenne de Lafesse à minuit est devenu mythique, les talk-show et la musique constituent la majorité des tranches horaires. Progressivement toutefois, ces programmes cèdent la main à l’agitation permanente. Le climat se dégrade, les retards de paiement s’accumulent. Fin 1982, finis la rue Paul-Fort et le XIVe, bonjour Bayeux. La pression politique, l’absence de soutien dans la presse et la coordination vacillante des radios menacées n’arrangent rien. Le 17 août 1983, à 6 heures, les policiers débarquent et saccagent les studios. Dès lors, la fréquence de Carbone 14, trop proche de France Culture, ne répond plus.

Un jour de plus ou de moins, quelle différence, 30 ans après sa mort ? Carbone 14 de Thierry Lefebvre est un livre référence sur l’histoire de la radio, à travers un emblème de la libération des ondes. De l’explosion des associatives à leur regroupement au sein de réseaux uniformisés comme NRJ et Skyrock en passant par leur sélection par la commission Fillioud et la légalisation de la publicité, aucun fait marquant ne manque. L’auteur poursuit son minutieux travail d’enquête sur un combat perdu, celui de la prise de contrôle de média par les citoyens, commencé avec La Bataille des radios libres, 1977-1981, paru en 2008. Passionné de radio, sans doute un peu nostalgique de ce temps des pionniers, Thierry Lefebvre a réuni les témoignages des principaux acteurs de l’épopée. Parions que comme nous, Lafesse et Grossexe apprécient finalement l’hommage.

Références

Carbone 14, Légende et histoire d’une radio pas comme les autres, Thierry Lefebvre, Ina éditions, collection Médias histoire, 20 €.

Logo Carbone 14“La radio qui t’encule par les oreilles”

Piste 1. Générique de “Lafesse Merci” sur fond d’Human League

Piste 2. Générique de “Poubelle Night” avec Supernana

Piste 3. Auditeur invité à sodomiser le chien d’un animateur

Piste 4. Lafesse, Grossexe, Lopez et Lehaineux jouissent en cœur lors d’une fausse saisie

Piste 5. Témoignage de Supernana et Gino après la réelle saisie, sur Radio Libertaire

Plus d’archives ici et .

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Les chants marins de Paimpol sur papier glacé

Un festival est éphémère. C’est sa définition. Procurer des émotions avec unité de lieu, de temps. À ce titre, le festival du Chant de Marin remplit pleinement sa tâche. Il célèbre les arts – la musique en premier lieu – autour du port de Paimpol, tous les deux ans. Est-il vain de prolonger l’événement ? Réponse sans emballement.

L’objet débattu c’est un livre, paru cet été. Un album souvenir sur le festival paimpolais, publié par les Rennais de Planète Rêvée éditions, à initiative des organisateurs. Ceux-ci ont confié le projet à Luc Rodaro, photographe-écrivain, installé à Perros-Guirec, autre port costarmoricain. Festival qui soit dit en passant avait fait l’objet d’un dossier sur Report Ouest l’été dernier.

Alors que nous photographions sans pouvoir feuilleter nos souvenirs, l’ouvrage est admirable. Trombinoscope de marins, vrais ou déguisés, clichés de concerts, couleurs du port animé par des centaines de groupes et 130 000 visiteurs, l’ambiance amicale, familiale même, du rendez-vous estival est très bien retranscrite. Jour après jour, de l’arrivée des voiliers le jeudi aux spectacles du dimanche, en passant par les concerts de Moriarty, Carlos Núñez, Dan ar Braz & Cie.

Festival du chant de marin de Paimpol, Planète Rêvée éditions - page des pirates. Crédits Luc Rodaro, Sylvain Ernault

Les têtes d’affiche, parlons-en. Elles attirent de plus en plus de monde tous les deux ans. Elles font rayonner le festival, mais n’en sont pas son âme. Simple Minds, Marianne Faithfull ou Johnny Clegg ont chacun fait vibrer Paimpol, sans voler la vedette au port et ses dizaines d’autres concerts, à cette atmosphère générale de gaité, ou alors juste temporairement. Il n’est d’ailleurs pas question de les épargner. Sinéad O’Connor ? “Affable en coulisses, un peu linéaire sur scène“. Sergent Garcia ? “Catégorie caprice de diva“. Le ton demeure toutefois fort peu grinçant.

Si les photos attirent l’œil, les textes le retienne. Interviews et anecdotes se succèdent au fil des pages. L’ouvrage prolonge le plaisir par l’enseignement. Il répond aux interrogations sur les rayures des chandails marins, liste les superstitions liées aux animaux à bord et rappelle les destinations lointaines et glacées des pêcheurs de morue bretons.

Bien que ce ne soit pas l’ouvrage de la consécration pour le festival, il contentera les festivaliers pressés de plonger dans l’édition 2013. Consacré presque exclusivement aux dernières festivités, il laisse le loisir aux prochains rédacteurs de sonder les origines du rendez-vous paimpolais. Le feuilleton tourmenté de 20 années de labeur associatif mérite cet approfondissement.

La biennale est bien entamée. Le prochain festival arrive à grands pas. Le festivalier devrait tout de même feuilleter pendant longtemps l’ouvrage. Et ce malgré son format.

Car notre regret tient tant dans la taille de l’album que dans son cartonnage. Une couverture rigide et quelques centimètres au garrot le séparent de la catégorie des beaux-livres. Un caractère plus affirmé dans la bibliothèque et les photos prenaient une autre dimension. Elles se seraient en plus dégagées de ces titres et légendes en surimpression. Un peu plus aéré, le livre se serait davantage prêté au plaisir de la contemplation.

Références

Le festival du Chant de Marin de Paimpol, Luc Rodaro, Planète Rêvée éditions, 19,80 €

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Nos petits plaisirs musicaux honteux

La musique mainstream est abondamment conchiée. Jugés sans valeur, sans message, sans âme, les refrains populaires provoquent généralement le dédain de l’intelligentsia. Le rédacteur en chef adjoint du magazine GQ, ancien chroniqueur musical pour Libération, Emmanuel Poncet, prend le contrepied des critiques. Non sans pertinence.

Jeudi 19 juillet, le groupe américain LMFAO monte sur la scène Kerouac du festival des Vieilles Charrues. Il est minuit passé de trente minutes quand Sky Blu et Red Floo entament les premières paroles de Party Rock. Malgré les sarcasmes qui ont animé les discussions du camping toute la journée, malgré les avertissements des Inrocks, des dizaines de milliers de festivaliers rentrent en transe au même moment.

On reconnaît dans la foule les plus prompts à blâmer la programmation d’un groupe dont les initiales signifient “Rire à s’en taper le cul par terre” en français. Curieux et peut-être même contents d’être là, quoiqu’un peu honteux.

Ce récit (presque imaginé) montre à quel point certains morceaux, même affublés de tous les vices, font partie d’une culture commune partagée au moins par toute une génération. Paradoxalement, ces jeunes, qui dansent sur une musique simpliste aux paroles débiles, ont une culture musicale bien plus étendue que leurs parents.

Statistiques de Party Rock de LMFAO sur Youtube
Répartition géographique des visiteurs de la vidéo Party Rock sur Youtube.

Notons, et ce n’est pas un détail, que le clip de Party Rock a été vu quatre-cent-soixante millions sept-cent-cinquante-quatre mille seize (460 754 016) fois sur Youtube au 13 juillet 2012. La carte issue des statistiques de la plateforme vidéo (ci-contre) suffit à nous convaincre de la viralité du clip à l’échelle planétaire. Dans “Mainstream“, Frédéric Martel avait déjà montré comment les États-Unis continuent d’imposer leur pop music à la planète.

Mais pourquoi ça marche ?

Qu’est-ce qui nous marque autant dans ces tuyaux creux ? L’auteur apporte des éléments pour répondre à cette question qui le taraude. Des scientifiques ont ainsi identifié les ingrédients pour qu’un morceau face recette : une louche de phrases musicales longues et détaillées, une pincée de voix mâles récurrentes sans oublier une cuillère à soupe de changements de ton multiples.

Certaines pistes remontent à l’enfance, voire à l’état fœtal. Les battements sourds du cœur associés aux voix parentales ne créent-elles pas la musique primitive entendue dans le cocon du bien-être originel ? Quant aux lallations du petit enfant, ne trouvent-elles pas un écho dans le titre Freed From Desire de Gala ?

Ce tube d’eurodance sorti en 1996 faisait un carton dans les cours d’école. En suivant la démonstration d’Emmanuel Poncet, doit-on lui imputer le succès d’Ilona Mitrecey ou René la Taupe ?

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Les premiers stimuli sonores perçus au stade de fœtus ne quitteront jamais notre inconscient. Crédits Jim Moran

Des tubes aux tunes

La conviction d’Emmanuel Poncet, c’est que du temps des tubes, nous sommes passés à l’ère des tunes, ces aires entêtants, destinés à être consommés sur nos appendices digitaux des années 2000.

Les tubes (ou les tunes) rythment nos vies. Des morceaux complets ou plus souvent des phrases sonores, ils colonisent les bandes originales de films et de jeux vidéo, les génériques télévisés ou nos sonneries de portables. Vecteurs de publicité plus puissants qu’un spot télé, mais aussi plus insidieux, ils servent au commerce et s’éloignent de l’art.

Malgré ce constat, l’auteur confesse dans son livre regarder en cachette une vidéo d’I Gotta Feeling des Black Eyed Peas de façon obsessionnelle. Avouons-le, nous mêmes jetons un œil de temps à autre sur un clip de LMFAO, Abba ou Michael Jackson. À peu près pour les mêmes raisons que le journaliste de GQ invoquent. Fascinés d’observer le même phénomène que des milliers de personnes réparties dans le monde au même moment sur Internet. Rassurés par des sensations enfantines. C’est la force d’attraction inouïe d’un tube, révélateur d’une mondialisation culturelle aussi inquiétante qu’envoûtante.

Références

Éloge des tubes, Emmanuel Poncet, Nil, avril 2012, 18 € 50.

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Le Street Art Stencil book

Un pochoir et un coup de peinture en spray, pas besoin de plus pour la vingtaine d’artistes présentés dans ce très bel ouvrage des éditions Alternatives. En deux pschitt, ils dénoncent, détournent, désamorcent…

L’art du pochoir urbain est rarement au programme des cours d’arts plastiques. Il est pourtant l’un des plus accessibles. Au détour d’une rue ou d’un kiosque à journaux, Jef Aérosol, Btoy, Logan Hicks ou Bandit nous présentent leur version des faits. Politique, société de consommation, solidarité ou tout simplement expression artistique : pas besoin de changer de salles, ou d’étages : le musée est dans la rue et l’expo est partout où le regard voudra bien se poser.

Ça ne date pourtant pas d’hier ces silhouettes prédécoupées dans le carton. Blek le Rat sévissait déjà en France et en Europe dans les années 60 et 70, imposant le pochoir comme un élément phare de l’artiste urbain dans le coup. On a retrouvé à sa suite John Fekner, Jef Aérosol ou encore Ernest Pignon Ernest. Plus rapide qu’un tag, un détail important lorsque le travail se confronte à la police, le pochoir est un graffiti pouvant se reproduire à l’infini sans s’altérer. Ce qui n’est pas sans s’attirer le mépris des puristes du graff…

Crédits Jef Aerosol

Les pochoirs étonnent, détonnent souvent, sans doute car « leur emplacement fait souvent partie intégrante de l’œuvre finale ». L’ouvrage des éditions Alternatives, ne nous inonde pas de textes explicatifs ni de commentaires élitistes. Les photos sonnent simplement comme un appel à l’esprit critique, un coup de poing pour cesser de regarder les panneaux publicitaires de chez Decaux comme on regarde la vie, blasés.

Après l’interview retranscrite de Blek Le Rat, chaque double page présente succinctement le travail et le parcours des artistes urbains et s’accompagne de photos des pochoirs en situation. Et, afin de comprendre la finesse du travail de découpe, ou tout simplement pour s’amuser, on peut aussi utiliser l’un des vingt pochoirs présents dans l’ouvrage. Un lance-missiles, un nain qui skate, ou un globe terrestre qui se met à sonner… c’est au choix. Qu’on le mette sur la boîte aux lettres ou le mur du voisin, ce sera toujours un peu de liberté d’expression, à reproduire à l’infini.

Pochoir (à gauche) présent dans le Street Art Stencil Book

Le Street Art Stencil Book, éditions Alternatives, collectif, 30 €.

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Paroles d’auteurs : la BD se livre

Un livre sur la bande dessinée, sans case ni phylactère…il fallait oser. Avis d’orage dans la nuit, n’a pas eu besoin de bulles pour parler neuvième art, c’est justement dans le cocon créatif de ses penseurs qu’il nous a introduit.

Pour la première fois à la maison d’édition l’Association, le livre s’accompagne de sons. A la fin de l’ouvrage, on découvre un CD de 6h40, où 26 scénaristes et dessinateurs se sont laissés approcher par Christian Rosset, producteur à France Culture, dans le cadre de l’émission des « Passagers de la Nuit » (un rendez vous de création radiophonique aujourd’hui malheureusement disparu).

« Si on m’empêche de dessiner : je meurs.»

Avec David B, Anne Baraou, Fanny Dalle-Rive, Jean-Christophe Menu ou encore Riad Sattouf (La vie secrète des jeunes), on évolue d’ateliers en ateliers, au son des plumes qui grattent le papier, des bruits de gommes et des traits de crayons. Car si ces rencontres se démarquent par la qualité du dialogue mené, Christian Rosset a su mettre en résonance les souvenirs des auteurs. Tandis qu’Emmanuel Guibert (Le photographe, Sardine de l’espace, Des nouvelles d’Alain) donne une définition poétique du livre, « un cœur qui bat, des pages qui se tournent », Pascal Rabaté évoque le manque de pudeur du cinéma tandis qu’en BD, « c’est beaucoup plus dur de faire chialer ». Pour dessiner, Joanna Hellgren (Frances, mon frère nocturne) écoute la radio, regarde la télévision, aime qu’on lui parle « pour résister à l’envie d’aller dehors », se promener. Baudouin, lui, “dessine pour que la vie se continue“, comme en écho, Florence Cestac (Le concombre masqué, La véritable histoire de Futuropolis) annonce “si on m’empêche de dessiner : je meurs“.

Avis d’orage dans la nuit est également un livre, un recueil d’e-mail échangé entre Thomas Baumgartner et Christian Rosset tout deux passionnés de radio…et de BD. Intimement convaincus de l’existence d’une passerelle entre ces deux moyens d’expression.

«Une bande dessinée est unique à son lecteur, une émission de radio est unique à son auditeur…»

…explique le producteur des Passagers, qui poursuit, « la radio nous donne les voix et les sons. À nous d’imaginer le reste, les couleurs, les décors, les visages, les espaces. La bande dessinée nous donne les couleurs, les décors, les visages, des indices d’espaces. À nous d’imaginer les sons et les voix ». Derrière les voix des artistes, on découvre ou on redécouvre leur univers graphique, leur engagement, leur vision de la vie. Faute d’images illustrant le travail de chacun, Avis d’orage dans la nuit nous invite à se remémorer les lectures passées, ou à aller découvrir les auteurs inconnus, un petit jeu de piste en forme d’intéro visuelle.

Bien plus que de banales interviews d’auteurs, ces paroles dévoilées, pudiques et sincères annonceraient plutôt le soleil, après l’orage. Comme pour les Passagers, la nuit est une invitation à la confession. Sous forme de regards croisés, où les deux hommes de radios ont mis sur papier leur sentiment et où les artistes du pinceaux et du crayon se sont laissés parler, tous les protagonistes de cet album se mettent à nu, dévoilant leurs rêves, leurs envie de créer (en dessins, ou en sons) toujours à la recherche de nouvelles formes d’expression.

Avis d’orage en fin de journée, Christian Rosset, L’Association, 19,29 €.

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Il n’y a pas que le rugby dans la vie

Comme tous les quatre ans, l’ovalie prend sa revanche l’espace d’une Coupe du Monde. Ses valeurs de respect, d’humilité, de solidarité, d’effort et de convivialité sont plaquées à la figure des footeux. Oui mais voilà, sans le football, point de rugby !

A l’origine, il y avait la soule. Une pratique sportive née de notre côté de la Manche, qui colonisa petit à petit les îles Britanniques par le biais de Guillaume Le Conquérant. Des siècles et des siècles plus tard, le jeu se modernisa, perdit en violence et gagna des règles. Dans les publics schools, on parla alors de football, puis de rugby pour sa variante pratiquée avec les mains. Une légende attribue la naissance de ce sport à William Webb Ellis et à son jeu de main révolutionnaire, 163 ans avant Maradona. Si cette histoire n’est qu’une fable, le théâtre du schisme se trouve néanmoins planté. En 1963, la Fédération anglaise de football naît dans un pub. Les partisans du ballon porté quittent la négociation et créent huit ans plus tard la Rugby Football Union.

Dès lors et pour aller plus loin, les passionnés de ballon rond sont invités à consulter le DonQui Foot du journaliste Hubert Artus. Son dictionnaire paru aux éditions Don Quichotte multiplie les entrées sur l’histoire du football. A l’image d’Albert Camus qui écrivit que “le football, c’est pour les gens de gauche ; le rugby c’est pour ceux de droite”, l’auteur privilégie les icônes de Sedan aux étoiles du Real. Dans ce livre que l’on dévore aussi vite que Messi traverse une défense, les figures qui marquèrent la planète foot s’entremêlent. On y slalome entre Alfredo di Stefano, Pierre Chayrigues, Éric Cantona, Guy Roux, Lucien Laurent et Just Fontaine. Les palmarès n’ont pas leur place dans cet ouvrage à la hiérarchie très subjective dans lequel les grands oubliés côtoient les stars éternelles.

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Au-delà des grands noms, Hubert Artus s’intéresse aux phénomènes qui ancrent le football dans la société. La “fièvre verte” qui emporte la France de l’après-68, la lutte anti-hooligans sous Thatcher, le Red Star et ses résistants communistes, le Qatar son gaz et sa Coupe du Monde, Rupert Murdoch et le foot business, la Colombie sous cocaïne, ils trouvent tous leur place dans cette encyclopédie. Nourris par un travail de recherche qu’on devine méticuleux, certains articles sur le football ouvrier ou la naissance du football féminin, sa mort et sa renaissance, sont de véritables perles.

L’auteur y dépeint surtout les tourments d’un sport mondialisé, qui survécut aux tranchées de la Grande Guerre, fut pratiqué de chaque côté du rideau de fer puis dans les stades post-apartheid d’Afrique du Sud. Sans concession, mais avec l’amour du maillot, des bad boys et du beau jeu, Hubert Artus réussit à satisfaire les amateurs comme les néophytes. Gageons même qu’il réussira à convaincre les rugbymaniaques les plus fermés, du moment qu’ils se donnent la peine d’ouvrir le DonQui Foot.

Donqui Foot – Hubert Artus

  • DonQui Foot, Hubert Artus, Don Quichotte, 496 pages, 19,90
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