Le préfet des Côtes-d’Armor veille sur la santé des lanceurs d’alerte. Dans un courrier signé le même jour que la reconnaissance par la justice d’un préjudice écologique causé par les algues vertes en baie de Saint-Brieuc, Stéphane Rouvé remonte les bretelles d’André Ollivro. À la prochaine promenade du « Che des grèves » sur la vasière du Gouessant, il saisira le procureur de la République.
« En creusant le sol et en perçant, de fait, des poches de gaz, entraînant la libération d’hydrogène sulfuré, vous vous exposez en toute connaissance de cause à des concentrations de gaz importantes ainsi que les personnes qui vous accompagnent. Cette pratique est dangereuse et irresponsable. […]
Aussi, je vous informe que je serai amené à signaler ces différentes infractions au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale au Procureur de la République près du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, si elles venaient à se reproduire. »
Voici un extrait du mot doux adressé – arrêté municipal à l’appui -, par le préfet des Côtes-d’Armor au lanceur d’alerte André Ollivro, mardi 18 juillet. Stéphane Rouvé fait référence à une scène filmée le 7 décembre 2022, puis diffusée sur W9 le 7 février dans un documentaire à sensation intitulé « 2050 : Le Monde d’après » (voir la vidéo ci-dessus).
« Mourir en scène comme Molière »
Ce jour-là, l’autoproclamé « Che des grèves » se rend dans l’estuaire du Gouessant, en compagnie du Trégorrois Yves-Marie Le Lay (voir notre interview ici) et d’une équipe de tournage. « Faisant le comédien devant M6, j’ai mesuré 340 ppm d’hydrogène sulfuré, mais alors la vase s’écroula et je tomba de tout mon long dans la merde puante, raconte-t-il le lendemain sur Facebook. Évidemment, ensuite troubles de la vue et face rouge par l’oxydation H2S. C’est fini, je ne ferai pas le zozo dans les vasières de la baie de Saint-Brieuc. »
Une promesse réitérée début janvier : « Le reportage sur la plage de la Grandville vous démontrera comment j’ai failli mourir en scène comme Molière. […] Le journaliste a voulu démontrer les risques de ces vasières toxiques. Bon, bien joué, mais cela, je ne le referai pas… »
Veillant personnellement sur la santé de l’ancien syndicaliste gazier (ça ne s’invente pas), le préfet des Côtes-d’Armor met du même coup la dangerosité du site en avant. « Je pense qu’il voulait me faire taire, mais sa missive est opportune dans les recours juridiques en cours », rétorque André Ollivro, qui, à 78 ans, en a vu d’autres.
Avec son comparse Yves-Marie Le Lay, l’increvable militant a jeté en mai les bases d’une nouvelle association pour la défense des victimes des marées vertes. Tous deux entendent faire reconnaître par la justice que la mort du traileur Jean-René Auffray dans l’estuaire du Gouessant est due à cette pollution. Un combat raconté par le film de Pierre Jolivet et Inès Léraud, qui déplace actuellement les foules dans les cinémas bretons.
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, le tribunal administratif de Rennes a reconnu, de façon inédite, le préjudice écologique causé par les algues vertes pour la réserve naturelle de la baie Saint-Brieuc. Et a enjoint l’État à prendre des mesures contraignantes sous quatre mois pour limiter les apports de nitrate, en ciblant explicitement les exploitations agricoles du secteur. Une décision tombée le jour-même où le préfet signait son courrier.
La lettre du préfet à André Ollivro
Echanges salés avec Yves-Marie Le Lay
Yves-Marie Le Lay également reçu un courrier du préfet (recto et verso en pdf), daté du 18 juillet. Outre le tournage de W9, Stéphane Rouvé accuse le président de Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre d’avoir organisé, la veille, une randonnée payante (5 euros) pour observer « la biodiversité qui s’effondre », sur la plage de la Grandville, à Hillion. Muni d’un masque à gaz et d’un détecteur d’hydrogène sulfuré, Yves-Marie Le Lay avait relevé un taux de 200 ppm, témoignait un journaliste du Télégramme.
Accusé d’avoir libéré des poches d’hydrogène sulfuré et de s’être mis en danger, le militant réplique :
« Je m’interroge alors sur l’irresponsabilité d’une telle pratique dont je serais l’auteur. Car, il vous a peut-être échappé que l’arrêté municipal ne mentionne jamais ce type de risques, se contentant de mentionner des “amas d’algues échouées non collectées sur ce secteur”. […] Je détourne alors l’accusation d’irresponsabilité vers Madame la maire de Hillion qui, en omettant cette mention importante, donne l’illusion que l’absence d’algues échouées visibles est synonyme de fin du danger. »
Se prévalant d’une démarche de désobéissance civile, Yves-Marie Le Lay fait le lien avec la condamnation de l’Etat pour préjudice écologique.
« Sans cette pratique adaptée, jamais toutes les personnes qui m’accompagnent depuis des années et moi-même n’aurions pu convaincre les juges de ce préjudice écologique. […] À l’issue de ce jugement, le tribunal attend que vous preniez des mesures adéquates avec des contrôles efficaces sur la base d’objectifs d’atteinte des seuils scientifiques de nitrates dans les rivières des baies à algues vertes avec obligation de résultats. Face à l’effondrement général de la biodiversité, vous avez le devoir de ne pas en rajouter en laissant perdurer la destruction massive des habitats des espèces provoqués par les échouages massifs d’algues vertes. »
Article mis à jour le 19 août 2023 afin de mentionner l’échange de courriers entre le préfet des Côtes-d’Armor et Yves-Marie Le Lay.
Conférence vidéo. L’un des porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, Eric Beynel, a donné une conférence au centre Sainte-Anne, à Lannion, lundi 28 septembre, pour présenter « La raison des plus forts ». Ce recueil des chroniques racontant les 41 jours d’audience du procès France Télécom est sorti en juin, aux éditions de l’Atelier, six mois après la condamnation de l’entreprise et de sept ex-dirigeants pour « harcèlement moral institutionnel ».
L’établissement lannionnais aujourd’hui connu sous le nom d’Orange Labs a connu plusieurs suicides durant le plan Next, qui prévoyait le départ de 22.000 salariés à l’échelle nationale, « par la fenêtre ou par la porte », selon les mots prononcés en 2006 par le P-DG Didier Lombard devant une assemblée de cadres supérieurs. Il s’agissait de la face la plus visible d’un mal-être social très profond causé par un management brutal dans une entreprise récemment privatisée, d’abord identifié par Sud PTT et la CFE-CGC, co-fondateurs d’un observatoire d stress et des mobilités forcées.
« La raison des plus forts » est pensé comme un outil militant pour tirer les enseignements d’un procès hors-norme, à l’heure où la « start-up nation » finit de mettre à genoux le code du travail et que ses députés-managers et autres ministres-DRH semblent incapables de maîtriser la crise sanitaire du Covid-19.
« La Corée fait ce qu’on appelle du “tracking”. La Corée a équipé tous les téléphones pour prévenir tout l’entourage lorsqu’une personne était malade. Est-ce que vous êtes prête, madame Obono, à avoir ce débat dans le cadre de cette Assemblée nationale ? Moi je ne suis pas convaincu et je vous le dis, à titre personne, non plus. » Ainsi parlait Olivier Véran dans l’hémicycle le 24 mars. Depuis, le gouvernement s’atèle à présenter une application de traçage de la population, en dépit des alertes. Il est encore temps d’y renoncer.
Dès La Gazette des confiné·es #7, nous mettions en garde contre le risque de voir la pandémie servir de prétexte à l’imposition de nouvelles technologies de surveillance. Entre-temps, le pouvoir s’est focalisé sur une des nombreuses options disponibles : le traçage automatisé des contacts, via une application dénommée StopCovid.
À lui seul, le nom laisse présager d’une opération marketing : le logiciel est déjà présenté comme un moyen d’arrêter le Covid-19, alors qu’on ne sait toujours pas selon quelles modalités il fonctionnera.
Nous allons vous expliquer pourquoi il n’est pas nécessaire d’attendre sa version définitive pour rejeter l’application. Pour le plaisir des yeux, nous avons choisi de faire une chronique entièrement à charge. La communication du gouvernement et des multinationales du numérique remplissent suffisamment nos écrans.
Nous en profiterons aussi pour réfléchir plus largement aux risques posés par le solutionnisme technologique, qui se répand partout en période de crise sanitaire.
Introduction
Il existe de nombreuses variantes du traçage automatisé des contacts. Le principe général est toujours le même : l’application permet de garder une trace des contacts prolongés entre ses utilisateur·ices. Lorsqu’une personne est testée positive, on peut donc tester les personnes avec qui elle a été en contact.
Le traçage de contacts existe déjà, mais il repose sur des entretiens durant lesquels une personne infectée se remémore l’ensemble des relations prolongées qu’elle a connues dans les dernières semaines.
Quelles sont donc les différences apportées par sa version automatisée ?
Le traçage automatisé n’est pas un simple prolongement du traçage de contacts traditionnel.
Comme à chaque fois qu’il s’agit de nous vendre une nouvelle technologie numérique, les autorités commencent par insister sur la continuité avec ce qui existe déjà, en mettant en avant l’efficacité accrue de la version informatique. Pourtant, la traçage automatisé est bien différent de sa version manuelle, réalisée par des équipes d’enquête.
Dans un entretien avec un·e épidémiologiste, on peut en effet choisir d’omettre de mentionner un événement ou un contact. On n’est pas obligé de dire exactement quand ni où on a rencontré une personne, puisque l’important est seulement de savoir qui est à risque. Cette possibilité disparaît avec le traçage automatisé.
Par ailleurs, un entretien individuel permet d’évaluer le risque lié à un contact en particulier, selon sa durée, son contexte et les précautions prises. L’application n’offre aucun équivalent. Contrairement à ce qui est avancé, le traçage automatisé n’est pas un simple prolongement du traçage de contacts traditionnel.
Pour justifier l’utilisation du traçage automatisé, ses défenseur·euses font généralement appel à son efficacité. D’une part l’application permettrait de tester plus vite les personnes contacts. D’autre part, elle serait plus exhaustive : les ordinateurs n’oublient pas. Avec StopCovid, enrayer l’épidémie semble donc simple comme bonjour : dès qu’une personne est infectée, on pourrait repérer les personnes qu’elle a pu contaminer avant que celles-ci aient le temps de transmettre le virus et donc casser la chaîne de propagation.
Ce scénario est tentant, au point que beaucoup sont prêt·es à oublier les risques importants qu’il fait peser sur la vie privée. Mais est-il réaliste ?
Le piège du consentement
Pour établir les contacts entre utilisateur·ices, l’application utilise les émetteurs-récepteurs Bluetooth des téléphones portables. Une fois qu’ils sont activés, le téléphone émet en permanence un signal permettant de l’identifier. Les téléphones qui passent à proximité immédiate enregistrent ce signal, ce qui leur permet de garder la mémoire des contacts.
Pour qu’un contact entre deux personnes soit enregistré, il faut donc qu’elles aient sur elles leur téléphone, avec l’application activée. La proportion des contacts qui sont enregistrés est donc égale, au mieux, au carré de la proportion des utilisateur·ices de l’application. Par exemple, si cette dernière est utilisée par une personne sur cinq, seul un contact sur 25 est enregistré. Pour que le traçage automatisé fonctionne, il faut donc qu’il soit utilisé massivement.
À Singapour, l’application de traçage automatisé du gouvernement est utilisée par seulement 18 % de la population, ce qui ne permet de relever que 4 % des contacts.
En France, il sera déjà difficile d’atteindre une telle proportion. Pour commencer, 77 % de la population dispose d’un smartphone. Parmi ces personnes, beaucoup n’installeront pas l’application, par conviction ou simplement par manque de motivation. Ceci a mené les défenseur·euses de StopCovid à envisager de forcer la main des gen·tes.
Christophe Barbier a par exemple proposé de rendre les utilisateur·ices de l’application prioritaires pour être testé·es, ce qui est profondément stupide en plus d’être dégueulasse : vu les faibles capacités de tests mises en place par le gouvernement, il vaut mieux les réserver aux personnes très susceptibles d’être contaminées plutôt que de les distribuer comme des chèques-cadeaux en échange du renoncement à une portion de vie privée.
Comme le remarque le Chaos computer club, l’application ne peut fonctionner que si elle repose sur un consentement éclairé. Toute forme de coercition, y compris par un avantage fourni aux personnes qui l’utilisent, la rendrait inefficace, puisqu’il suffirait de la désactiver une fois l’avantage obtenu, de laisser son téléphone à la maison, ou de l’envelopper dans du papier alu.
Rendre l’application obligatoire conduirait donc à des sacrifices majeurs sur la vie privée, en échange d’un artifice inutile pour lutter contre l’épidémie.
L’application est-elle seulement utile ?
Quand bien même tout le monde utiliserait l’application, il n’existe pour le moment aucune preuve de son utilité. Il faudrait qu’elle soit déployée à grande échelle dans plusieurs pays pendant assez longtemps pour essayer de la déterminer.
En attendant, on peut remarquer que l’appli risque d’être contre-productive si elle ne dispose pas d’un calibrage assez fin. En effet, il faudrait déterminer ce qui est considéré comme un contact prolongé : quelle durée, et à quelle distance il faut se trouver. Si on est trop lâche sur cette définition, on risque de se retrouver avec beaucoup trop de contacts : personnes croisées dans la rue, occupant·es de la voiture d’à-côté – on parle alors de faux positifs.
Dans cette situation, on ne disposerait pas d’assez de tests. Si on a au contraire des critères très restrictifs, l’application n’apporte plus grand chose, puisqu’on est général capable de se souvenir qu’on a passé une demi-heure à moins d’un mètre de quelqu’un.
Rouler une pelle pendant trente secondes ne donnera pas nécessairement lieu à un enregistrement, contrairement à passer quinze minutes dans deux voitures côte à côte pendant un bouchon.
Même correctement paramétrée, l’application n’est pas capable de prendre en compte la façon dont les contacts se déroulent. Dans le traçage de contacts conventionnels, la personne infectée détermine en concertation avec l’enquêteur·ice si les contacts présentaient un risque. L’utilisation des gestes barrières et la nature de l’interaction sont prises en compte.
L’application de traçage, au contraire ne fait aucune différence entre des interactions de durées égales et ne prend pas en compte les écrans éventuels. Rouler une pelle pendant trente secondes ne donnera pas nécessairement lieu à un enregistrement, contrairement à passer quinze minutes dans deux voitures côte à côte pendant un bouchon, ou se trouver des deux côtés d’une cloison perméable aux ondes radio du bluetooth. Le nombre de faux positifs risque d’être élevé.
L’application risque aussi de donner lieu à beaucoup de faux négatifs : c’est-à-dire des personnes qui ne reçoivent pas de notification alors qu’elles ont été infectées.
Bien sûr, il est complètement déraisonnable de faire confiance à une application pour déterminer son état de santé. Mais il y a un risque que l’illusion d’omniscience créée par la technologie et les discours triomphants de ses partisan·nes ne poussent une partie de la population à s’en remettre aveuglément aux notifications de StopCovid. Les faux négatifs deviendraient alors très problématiques.
Qu’est-ce qu’un traçage efficace ?
Pour tout vous dire, nous espérions franchement nous tromper et tomber sur des arguments montrant que l’application serait en mesure d’éradiquer l’épidémie, malgré les difficultés évoquées précédemment. En effet, des expert·es chantent les louanges du traçage automatisé un peu partout. Nous sommes alors revenus sur l’avis du conseil scientifique publié le 20 avril.
Nous avons déjà présenté dans notre onzième Gazette des confiné·es l’argumentation technophile et technocrate de ce rapport en faveur du numérique. Nous avons regardé toutes les sources de ce rapport à la recherche d’études sur les applications de traçage. Seules deux d’entre elles en parlent.
La deuxième est un article scientifique publié dans la revue Science. Cet article est apparemment le premier à avoir proposé de développer une application de traçage. C’est vers lui que renvoient le conseil scientifique et Terra nova et c’est donc lui qui sert à justifier le traçage. Intéressons-nous donc de plus près à ce qu’il établit.
Le principal apport de l’article est de fournir un modèle de propagation de l’épidémie et d’en tirer des estimations de plusieurs paramètres essentiels pour la comprendre.
Ces paramètres concernent la probabilité qu’une personne malade en infecte d’autres, en fonction du temps. Ils permettent de calculer le nombre moyen de personnes infectées par une personne malade, appelé taux de reproduction et noté R dans l’article.
L’apport de ce travail est de décomposer ce coefficient en plusieurs composantes associées à des modes de transmission différents : symptomatique, pré-symptomatique, asymptomatique et environnemental.
La transmission est symptomatique si la personne qui contamine l’autre présente des symptômes apparents du Covid-19.
Elle est pré-symptomatique si cette personne ne présente pas de symptômes au moment de la transmission mais en développera par la suite.
Elle est asymptomatique si la personne n’a pas de symptôme et n’en développera pas.
Enfin, elle est environnementale si on ne peut pas l’attribuer à une personne en particulier.
D’après le modèle développé par les chercheur·euses, le taux de reproduction vaut 2, dont 0,9 pour les transmissions pré-symptomatiques, 0,8 pour les transmissions symptomatiques, 0,2 pour les transmissions environnementales et 0,1 pour les transmissions asymptomatiques.
D’après l’étude de Science, il faut agir dans les deux jours après l’apparition des symptômes pour avoir une chance d’endiguer l’épidémie grâce au traçage de contacts.
L’incertitude sur ces valeur est élevée, mais la conclusion est que les transmissions pré-symptomatiques et symptomatiques jouent un rôle prépondérant. C’est donc sur elles qu’il faut agir en priorité pour endiguer la propagation de la maladie. Pour que l’épidémie régresse, il faut que le taux de reproduction soit inférieur à 1, ce qui signifie qu’une personne porteuse du virus contamine en moyenne moins d’une personne.
Grâce au modèle de transmission fourni par l’étude, on peut estimer l’impact des mesures de traçage de contacts en fonction du temps qu’on met à isoler les contacts et de l’efficacité de cet isolement.
Les conclusions sont qu’il faut agir vite, dans les deux jours après l’apparition des symptômes, pour avoir une chance d’endiguer l’épidémie grâce au traçage de contacts. Il faut par ailleurs être efficace pour retrouver et isoler les contacts : il faut au moins y parvenir dans 30 % des cas, dans l’hypothèse très favorable où on isole instantanément les contacts dès qu’une personne présente des symptômes.
Ces résultats sont assez désespérants. Ils indiquent que le traçage de contacts doit être redoutablement efficace pour endiguer seul l’épidémie. Il faut cependant les nuancer. D’une part, ils reposent sur un modèle qui peut être affiné, ce qui pourrait changer les valeurs des paramètres. D’autre part, le taux de reproduction dépend de nombreux facteurs, qui varient d’une situation à l’autre. On peut le réduire par l’application de gestes barrières, l’utilisation de matériel de protection ou des mesures comme le confinement.
Le taux de reproduction à la sortie du confinement ne sera pas le même qu’au début de l’épidémie, puisqu’on aura entre-temps changé nos habitudes. Si les mesures préventives permettent de le réduire suffisamment, les contraintes d’efficacité sur le traçage de contacts seront donc moins sévères que celles qu’on vient de présenter.
Le traçage automatisé marche parce qu’il doit marcher : le dangereux argument circulaire des épidémiologistes
Jusqu’ici, on n’avait rien à redire quant à la démarche de l’article, qui donne une idée de l’ampleur de la tâche à accomplir pour arrêter le virus. La suite pose en revanche franchement question. La deuxième moitié de l’article ne comporte plus ni modèle, ni équation, ni donnée, mais une proposition d’utiliser une application de traçage de contacts, pour rendre ce dernier instantané.
Ce genre de proposition a sa place dans un article scientifique, mais on s’attendrait à ce qu’elle repose sur une justification du fait que le traçage permettrait effectivement d’atteindre les objectifs fixés.
Malheureusement pour nous, les auteur·ices se contentent d’enchaîner les affirmations injustifiées. Par exemple le fait que l’application permettra d’isoler instantanément les contacts. On doit sans doute se contenter de l’idée que comme c’est une application, ce sera instantané. Il n’y aurait donc pas d’authentification du fait que la personne est bien malade, pas de délai pour traiter et diriger l’information, pas de problèmes de connexion ?
Il semble plus important de contrer les nombreuses raisons de ne pas déployer le traçage automatisé, que de donner des preuves de son utilité.
On n’aura pas non plus droit à un questionnement sur la proportion d’utilisateur·ices qu’on pourrait espérer atteindre dans la population. Pas plus qu’on ne verra la moindre réflexion sur la proportion de contacts qu’on arrivera à détecter : les chercheur·euses préfèrent imaginer les fonctionnalités qu’on pourrait ajouter à l’application, comme un accès à des informations médicales ou la possibilité de commander des repas pendant la quarantaine. La pensée start up a pénétré profondément dans l’université d’Oxford.
Finalement, on a même droit à une demi-page de considérations éthiques, qui insistent lourdement sur le fait que la pandémie est grave. Comme chez le conseil scientifique ou Terra nova, il semble plus important de contrer les nombreuses raisons de ne pas déployer le traçage automatisé, que de donner des preuves de son utilité.
L’argumentation en faveur de la solution technologique proposée repose sur un seul ressort, sous forme de pétition de principe : il faut que le traçage automatisé soit extrêmement performant pour endiguer l’épidémie, il est donc forcément efficace. Ça n’a aucun sens, mais c’est précisément ce qui fait que ça fonctionne. Comme la situation est désespérée, il faut des solutions désespérées. On est plus dans l’acte de foi que dans la recherche scientifique.
On pourra répliquer qu’il s’agit uniquement d’une proposition de solution, qui mérite d’être étudiée, par d’autres chercheur·euses capables de fournir d’autres éclairages sur la faisabilité et l’efficacité du dispositif.
On s’attendrait en effet à ce que des chercheur·euse qui proposent une suggestion pour lutter contre l’épidémie, qui échappe visiblement à leur domaine de compétence concluent ainsi : « Nous avons proposé un outil, qui devra être plus sérieusement étudié afin d’évaluer sa pertinence et son intérêt dans la situation actuelle. »
Au contraire, l’article se conclut sur l’idée que l’application permettrait d’abaisser le taux de reproduction en dessous de 1, sans avoir fourni la moindre preuve de ce résultat, qui sera pourtant repris en chœur par toutes celles et ceux qui promeuvent aujourd’hui des solutions numériques à la pandémie.
Les risques pour la vie privée
StopCovid présente donc plusieurs limitations de principe, sans même qu’on sache quel fonctionnement concret sera retenu. Ces limitations réduisent l’efficacité attendue, voire pourraient la rendre contre-productive si elle se substituait à d’autres mesures barrières. Pour trancher pour ou contre son utilisation, il faut peser les résultats attendus, avec l’efficacité qui vient d’être mentionnée, contre les risques encourus. Nous allons voir que ceux-ci ne sont pas négligeables.
Le traçage des contacts pose des questions majeures de sécurité et de vie privée. Les différentes applications en cours de développement mettent en avant le concept de privacy by design : elles sont conçues pour minimiser les informations émises. Peut-on avoir confiance ?
Il existe deux enjeux principaux.
D’une part la sécurité du protocole de l’application, afin d’éviter des attaques malveillantes qui permettraient de récupérer des informations médicales confidentielles, d’exercer des pressions sur des gen·tes ou encore de rendre StopCovid inutile.
D’autre part la question de la gestion des données générées par l’application.
Ces deux enjeux sont complexes et dépendent notamment des détails de la conception de l’application. Un collectif de chercheur·euses spécialistes des questions de cryptographie, sécurité informatique et droits numériques a publié un argumentaire sur ces questions (en français), dont nous vous recommandons la lecture attentive.
Leurs conclusions sont claires :
Ces scientifiques battent en brèche la plupart des éléments de langage en faveur de StopCovid. Iels formulent de multiples scénarios montrant comment l’application peut être détournée pour rompre l’anonymat et obtenir des informations médicales confidentielles sur des personnes infectées.
Ces détournements peuvent être effectués par l’État, des entreprises, ou de simples particulier·es, comme l’illustre le scénario 4.
« M. Ipokondriac voudrait savoir si ses voisins sont malades. Il récupère son vieux téléphone dans un placard, y installe l’application TraceVIRUS, et le laisse dans sa boîte aux lettres en bas de l’immeuble. Tous les voisins passent à côté à chaque fois qu’ils rentrent chez eux, et le téléphone recevra une notification si l’un d’entre eux est malade. »
Une seule personne, sans connaissance en informatique, pourrait donc utiliser l’application pour obtenir des informations médicales confidentielles sur ses voisin·es ou ses collègues.
Ce genre de scénario montre les risques que fait peser le traçage automatisé, qui plus est dans une période particulièrement anxiogène.
Quand on voit que les soignant·es sont traité·es comme des pestiféré·es par certaines personnes, tandis que d’autres laissent des messages homophobes dans les boîtes aux lettres de leurs voisin·es, les accusant de propager l’épidémie, on imagine le genre de dérive qui va nécessairement arriver avec de tels outils.
Le doigt dans l’engrenage du solutionnisme technologique
En plus des risques directs de détournements, StopCovid est susceptible de mener à des dérives plus générales liées à l’utilisation de la technologie et des données pour lutter contre le virus.
L’espoir placé dans une résolution rapide de l’épidémie grâce à la technologie va peser sur le dispositif, le poussant à être toujours plus intrusif. L’Académie de médecine, par exemple remarque dans son communiqué sur StopCovid que « les données anonymes de géolocalisation recueillies au cours de ce protocole pourraient être utilisées pour suivre l’évolution de l’épidémie sur l’ensemble du territoire national », ce qui va déjà bien plus loin que l’application proposée pour le moment.
Les techno-béats n’a pas attendu cette application pour diffuser leurs prêches. Depuis le début de l’épidémie, l’attention est tournée vers des solutions miracles reposant sur les données.
Le collectif CoData, par exemple, regroupe « plus de 800 ingénieurs, développeurs et data-scientists aguerris sur les nouvelles technologies de valorisation de données ». Et, surtout, une quarantaine de start-up spécialisées dans la data à savoir l’art de présenter les données des entreprises comme une matière première valorisable par des consultant·s payé·es à prix d’or.
Action désintéressée ou stratégie de com’, pour des entreprises à la durée de vie très faible qui vivent en grande partie sur les espoirs placés dans la technologie ? À moins qu’il ne s’agisse vraiment de fanatisme, comme le laisse transparaître leur communication :
« Dans [le contexte de la crise sanitaire], la data constitue une matière première qu’il nous faut exploiter. Elle est le reflet de toute [sic] ce qui se passe et devra éclairer nos actions futures. »
La communauté de l’intelligence artificielle a aussi sauté sur l’occasion, avec des initiatives variées, allant d’outils de diagnostic de la maladie à des études de millions de tweets, pour tirer la conclusion que les habitant·es des villes parlent plus des contraintes liées au confinement que celleux des campagnes…
L’intelligence artificielle repose sur la production et l’exploitation de gigantesques quantités de données. La production de ces données est encouragée par les géants du numérique, à travers notamment l’obligation de créer des comptes pour accéder à des services et l’incitation à produire ou noter du contenu sur internet (voir l’article intitulé Combattre le capitalisme identitaire de cette brochure).
Nul doute que ces entreprises, qui poussent les consommateur·ices à produire toujours plus de données, lorgnent avec avidité sur les applications de traçage. Contrairement au mythe fondateur de l’intelligence artificielle, l’exploitation de ces données reste largement effectuée par des êtres humains, généralement des populations précarisées payées à la tâche dans les pays du Nord et des travailleur·euses du clic dans les pays du Sud.
La fuite en avant technologique est un leurre, qui cache des mécanismes de surveillance et de domination incarnés dans les outils numériques eux-même.
L’illusion de la toute-puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie.
Contrairement à l’idéologie défendue par les défenseur·euses du progrès à tout prix, les technologies ne sont pas neutres. Les algorithmes d’intelligence artificielle mentionnés précédemment ne fonctionneraient pas sans l’exploitation de travailleur·euses. Les applications de traçage ne peuvent pas être pensées indépendamment du risque de détournement par les États qui les mettent en place.
Mais ces chimères ont d’autres effets pervers, à travers le rôle symbolique qu’elles jouent dans nos sociétés.
Comme le remarque Félix Tréguer de la Quadrature du net, le solutionnisme technologique, en plus des risques qu’il fait peser sur les libertés, restreint nos imaginaires. Plutôt que d’inventer des solutions humaines à l’épidémie, par des gestes barrières décidés collectivement et une distanciation sociale réfléchie et autogérée, on préfère se tourner vers une gestion en apparence individualisée, mais qui repose sur des fondements autoritaires.
L’illusion de la toute-puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie. Dans le cas de la ville de Cannes, demander des retours aux agent·es municipaux qui encadrent le marché ne serait-il pas plus simple que de déployer de la vidéosurveillance et des équipes d’ingénieur·es ?
Plus grave encore, le gouvernement français a par exemple tergiversé pendant plus d’un mois sur les masques, dont l’utilité n’était soit-disant pas prouvée scientifiquement. Il s’apprête pourtant à foncer vers des applications liberticides, qui n’ont jamais été testées, en évacuant complètement la question de leur efficacité. Si c’est numérique, ça marche forcément…
Contre quoi faudra-t-il lutter et comment le ferons-nous dans les prochaines semaines et mois ? Comment limiter l’influence du pouvoir politique sur nos propres corps ? C’est par des questions ouvertes que la gazette commence et vous apporte ensuite les dernières nouvelles. Des révoltes éclatent dans les centres de rétention administrative, les sous-traitants du nucléaire bossent pour EDF comme si de rien n’était, l’été s’assombrit pour les intermittent·es et Amazon subit un sérieux revers.
Il faudra lutter un peu plus…
Le Medef et le gouvernement se lâchent en petites phrases pour préparer les esprits à des attaques d’envergure contre le code du travail. Contre la musique du « travailler plus pour sauver l’économie », il va falloir lutter encore plus pour la détruire !
Les pistes envisagées à la fin du long article de Jérôme Baschet dans Lundi Matin sont les suivantes : amplifier la colère légitime (notamment vis-à-vis de la situation de l’hôpital public), profiter du temps du confinement pour réfléchir à des modèles alternatifs (stratégie de L’An 01 mais seulement applicable pour les privilégié·es du confinement), ne pas redémarrer l’économie (stratégies de blocages, de ZAD), multiplier les initiatives d’auto-organisation et d’entraides locales (on en a parlé dans la gazette numéro 6). Il y a de quoi faire !
D’autres histoires à partir de nos corps
Le gouvernement, dans cette gestion de la crise sanitaire, s’attache particulièrement à gérer nos corps. Certains corps vont être sommés de ne plus sortir de chez eux tandis que d’autres sont forcés de servir les flux économiques qui « doivent » être maintenus dans des conditions plus que critiquables.
Sur les corps des femmes se matérialise aujourd’hui de façon accentuée la violence du système patriarcal, notamment pour les femmes confinées avec des partenaires violents. Nous pouvons dire que leur interdire de fuir est une violence supplémentaire que l’on peut signaler.
Dans nos corps se matérialise aussi l’incompréhension de la situation présente : nombre d’entre nous ont des règles chamboulées, décalées, retardées. Bien sûr, des explications biologiques existent et sont cohérentes pour cela.
Cependant, souhaitons-nous accepter tout cela ? Nous pouvons nous donner des outils pour modifier ces emprises sur nos corps. On nous enjoint à prendre soin de nous et de nos proches : mais la guérison et le soin, ce sont aussi des processus de transformation politique.
Collectivement, proposons de nouvelles histoires, qui guérissent, à partir de nos vécus et de ceux que les autres partagent avec nous.
Révoltes aux CRA de Mesnil-Amelot et de Vincennes
Le 11 avril au soir, les sans-papiers détenu·es dans le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot occupent la cour du bâtiment et bloquent la promenade pour protester contre leurs conditions de détention, notamment après qu’une personne porteuse du coronavirus est temporairement enfermée dans le centre, risquant de contaminer nombre de prisonnièr·es.
Les détenu·es (ainsi que les policièr·es du centre) ne disposent ni de masque, ni de gel hydro-alcoolique. La répression policière s’abat sur le CRA le lendemain matin, et plusieurs détenu·es sont déporté·es vers d’autres centres en France, menaçant d’y répandre l’épidémie.
Le 12 avril, au CRA de Vincennes, des affrontements éclatent entre sans-papiers et policièr·es, ces dernièr·es refusant le transport d’un détenu malade à l’hôpital ; les détenu·es obtiennent finalement gain de cause.
Le 25 mars, la demande de fermeture des CRA pour circonstances exceptionnelles déposée par plusieurs associations dont le Gisti devant le Conseil d’État avait été rejetée. Le ministre de l’Intérieur soutenait alors que « la condition d’urgence n’[était] pas remplie et que ne [pouvait] être retenue aucune carence de l’autorité publique de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors que les mesures de rétention actuellement en cours sont nécessaires et proportionnées, que des mesures de prévention ont été prises et que l’accès aux soins en rétention est garanti ».
On voit ce qu’il en est dans la réalité des faits…
EDF s’est vanté en début de confinement de réussir à faire tourner les centrales nucléaires avec une petite fraction de ses salarié·es. Or, les salarié·es d’EDF ne sont que des cadres : toutes les opérations de manipulation sur ses sites sont assurées par des sous-traitants.
C’est donc oublier que le monde de la production énergétique nucléaire ne se restreint pas à un contrôle depuis une salle couverte digne d’un film de science-fiction. Les installations nucléaires nécessitent aussi un entretien, qu’il soit celui, basique, du nettoyage, ou celui moins classique des opérations à réaliser sur les tranches (c’est à dire les réacteurs) comme les arrêts qui permettent de renouveler le combustible.
Lorsqu’on a que des salarié·es qui peuvent travailler à distance, il devient bien plus simple d’afficher des chiffres de télé-travail élevés. Les salarié·es des sous-traitants, quant à eux, sont pour pas mal au boulot.
Les syndicats continuent à réclamer des conditions de travail conformes aux mesures sanitaires, dénoncent une ambiance anxiogène, et s’inquiètent d’une communication imprécise. Les salarié·es partent parfois en « grand déplacement » d’une centrale à l’autre sans être testé·es et sans savoir si du boulot est disponible là-bas plutôt qu’ici.
Et c’est le contexte choisit par le gouvernement pour publier un décret accordant un délai supplémentaire à l’EPR de Flammanville, pour lequel les retards et dépassements de budget sont déjà bien nombreux. Plus localement, la préfecture de la Meuse a autorisé le 10 avril l’Andra à capturer et recenser des amphibiens dans le cadre du projet d’enfouissement Cigéo.
Pour finir sur une note joyeuse : de très jolies illuminations sont apparemment prévues pour l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl (c’est le 26 avril, préparez-vous) !
Amazon : le tribunal de Nanterre fait un carton chez les salarié·es
« Première victoire syndicale » jubile Solidaires mardi 14 avril. L’Union syndicale fait plier Amazon France devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Le risque d’attraper le covid-19 dans les entrepôts de la firme justifie la réduction drastique de ses activités. La décision est relayée par CNN.
Les critiques répétées de Muriel Pénicaud à l’endroit du géant du commerce en ligne ne disaient rien qui vaille. Ce n’est toutefois pas l’action de ses services qui contraint Amazon à réduire la voilure, mais l’assignation en référé d’un syndicat.
La juge Pascale Loué-Williaume observe dans l’ordonnance que nous nous sommes procuré·es (à partir de la page 9) que les représentant·es des salarié·es n’ont pas été associé·es à l’évaluation des risques, en ce qui concerne le portique d’entrée ou l’utilisation des vestiaires.
Au sujet des transporteurs, « il n’est toujours pas justifié des protocoles de sécurité prévus par le code du travail ». Le risque de contamination par le biais des chariots automoteurs sur les quais de livraison n’a pas été suffisamment évalué. Pas plus que celui lié à la manipulation des cartons. Sur le site nordiste de Lauwin-Planque, des « non-respects » ponctuels des mesures de distanciation ont été relevées et partout les formations dispensées tout comme la prise en compte des risques psycho-sociaux sont insuffisantes.
« Il y a lieu […] d’ordonner […] à la société de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux tant que la société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distributions. »
Pour s’assurer d’être entendue, la première vice-présidente du tribunal assortit sa décision d’une astreinte d’un million d’euros par jour et par infraction constatée. Une somme qui doit être rapportée aux 4,5 milliards de chiffres d’affaires déclarés en 2018 sur le territoire. Conséquence, la multinationale ferme ses entrepôts jusqu’au lundi 20 avril, minimum.
Solidaires espère que ce jugement permettra de donner raison aux salarié·es qui ont tenté d’user de leur droit de retrait. Et même qu’il « ouvre la voie à d’autres actions ». Dans ce dossier éminemment politique, le juge d’appel peut néanmoins revenir sur cette décision dans les prochains jours, par exemple si Amazon arrive à fournir les pièces manquantes à son dossier.
Le tribunal des référés de Paris avait rendu le 9 avril une décision similaire, dans l’affaire qui oppose Sud-PTT et la direction de La Poste. Le groupe doit « recenser les activités essentielles et non essentielles à la vie de la nation » et associer le personnel à une évaluation des risques liés à l’épidémie.
Les intermittent·es fragilisé·es
La culture n’aura jamais semblé aussi accessible. De nombreux contenus sont désormais disponibles en ligne, temporairement ou pendant toute la durée du confinement : collections de musées (Giacometti, Louvre), expositions (Frida Kahlo…), musique (Opéra de Paris…), littérature ou encore théâtre (par exemple le Théâtre des Amandiers…).
Cette soudaine manne de libre accès ne doit pourtant pas nous faire oublier que les artisan·nes de la culture, et notamment du monde du spectacle, déjà précaires, sont fragilisé·es par le confinement.
Pour bénéficier de leurs indemnités sur les périodes où iels ne travaillent pas, les intermittent·es du spectacle doivent faire un minimum de 507 heures (ou recevoir au moins 43 cachets) en 365 jours.
Le gouvernement a fait un premier pas en banalisant toute la période du confinement (à partir du 15 mars), qui ne comptera donc pas dans les 365 jours. De plus, les intermittent·es qui arrivent en fin de droits verront ceux-ci prolongés jusqu’à la fin du confinement. La déclaration mensuelle auprès de Pôle emploi reste d’ailleurs de rigueur.
Néanmoins, nombre de spectacles ont été annulés à partir du 4 mars, date des premières restrictions de rassemblement ; par ailleurs, la liste des événements annulés (Aucard de Tours, etc.) jusqu’à mi-juillet est longue, faisant non seulement disparaître des contrats mais aussi les bénéfices escomptés des répétitions menées au cours des derniers mois.
Dans l’attente d’une probable interdiction de tous les événements estivaux, les organisateur·ices peuvent théoriquement poursuivre leur travail et leurs dépenses, mais c’est bien pour une annulation qu’iels optent majoritairement. Une option qui, en l’absence d’arrêté les sécurisant financièrement, remet en cause leur pérennité, dans un secteur très soumis aux aléas.
Dans notre gazette numéro 4, nous vous proposions de coudre des masques en tissu réutilisable, en réponse à la pénurie. Alors que le gouvernement s’apprête à revoir sa doctrine, nous déconstruisons les critiques formulées contre le fait maison.
Petit rappel de la situation : au début de l’épidémie de covid, on s’est aperçu que les stocks stratégiques de masques étaient franchement légers. Le gouvernement a alors décrété que le port du masque ne servait à rien pour les personnes qui ne sont pas au contact de malades. Le conseil scientifique recommandait pourtant, dans son premier rapport du 12 mars 2020, de mettre des masques chirurgicaux à disposition des populations.
Ce qui était assez pratique, c’est que l’OMS tenait la même position, en ne plaçant pas le port du masque dans la liste des gestes barrières permettant de lutter contre la propagation du virus.
En regardant un peu autour du monde, on se rend compte que certains pays ne le voient pas de la même manière. En Corée du Sud par exemple, le port généralisé du masque a été encouragé par le gouvernement, qui organise le rationnement pour que tout le monde puisse en acheter deux par semaine. La Corée du Sud partait avec un petit avantage : le port du masque y est déjà répandu à cause de la pollution et il est vu aujourd’hui comme un acte citoyen qui évite de contaminer les autres.
Plutôt que de reconnaître son mensonge initial sur les masques, le gouvernement parle de « réévaluer la doctrine ». On peut donc s’attendre à ce que le port du masque soit recommandé, voire rendu obligatoire pour pouvoir sortir de chez soi.
En République Tchèque, la situation était un peu moins favorable. La tendance était plutôt de se moquer des rares personnes qui portaient des masques. Mais grâce à une grosse mobilisation, les masques cousus se sont imposés en quelques jours et font maintenant partie des recommandations officielles. Le fait que presque tout·es les Tchèques disposent d’une machine à coudre a sans doute aidé.
Ces derniers jours, de nombreux autres pays ont suivi. L’Italie inclut le port généralisé du masque dans son plan de sortie de confinement. En France aussi, l’idée commence à faire son chemin. L’Académie des sciences recommande le port de masques « grand public » pour toute la population, en réservant les masques chirurgicaux et FFP2 pour les soignant·es. Plutôt que de reconnaître son mensonge initial sur les masques, le gouvernement parle de « réévaluer la doctrine ». On peut donc s’attendre à ce que le port du masque soit recommandé, voire rendu obligatoire pour pouvoir sortir de chez soi.
Ces décisions posent de nombreuses questions d’approvisionnement.
La plupart des masques chirurgicaux sont désormais fabriqués en Chine, après la fermeture de nombreuses usines, comme celle d’Honeywell dans les Côtes-d’Armor, en 2018. C’est donc le monde entier qui cherche aujourd’hui à se fournir auprès d’un seul pays, ce qui fait monter les prix et encourage tous les coups fourrés entre pays, voire régions d’un même pays pour rafler les stocks de masques produits.
Une autre difficulté est celle de la répartition des stocks, réquisitionnés par l’État, qui risque de faire l’objet de nombreux arbitrages à tous les niveaux de distribution : vaut-il mieux donner les stocks à la police ou aux facteurs (réponse dans notre gazette numéro 5) ? Aux personnes âgées ou aux travailleur·euses ? Aux cadres ou aux personnes sans domicile ? Ces questions continueront de se poser tant que l’épidémie ne se sera pas arrêtée puisque les masques que le gouvernement envisage d’acheter sont jetables et qu’il faut donc les renouveler souvent (en principe toutes les trois heures).
Vers une production locale et solidaire ?
Une alternative à la consommation effrénée de masques jetables serait de suivre l’exemple tchèque en cousant des masques réutilisables. Cette méthode présente de nombreux avantages, même si les masques obtenus n’ont pas les mêmes propriétés que les masques chirurgicaux et FFP2, comme on le verra ensuite.
Tout d’abord, elle peut être mise en place localement, avec des matériaux facilement accessibles : les masques peuvent être cousus avec du tissu de récup’. Avec une machine à coudre, même sans trop s’y connaître initialement, on peut facilement réaliser quelques dizaines de masques et les partager autour de soi.
En procurer à toute la population semble donc un objectif réaliste.
Dès le début de l’épidémie, le discours officiel sur les masques a été largement critiqué en France et des appels à porter des masques ont été formulés, par des soignant·es, des personnes engagées sur les questions de santé publique et des particulier·es. Le collectif Stop postillons a fait un travail remarquable de collecte d’informations et d’initiatives sur les masques et autres écran de protection pour les particuliers. Par ailleurs, la pénurie de masques a poussé des soignant·es à faire appel à des couturièr·es pour fournir des masques en tissu, à défaut de masques homologués.
De très nombreuses initiatives ont alors essaimé, notamment sur les réseaux sociaux, pour fabriquer des masques et d’autres protections pour les soignant·es, mais aussi les commerçant·es ou ses voisin·es. Les réseaux d’entraide, référencés par Covidentraide, ont relayé dès le début du confinement cette solidarité.
L’agence française de normalisation a produit un guide précieux pour la fabrication en série et la fabrication artisanale de masques barrière.
Les sites et blogs consacrés à la couture ont permis une diffusion rapide des masques en produisant de nombreux tutoriels de couture, ainsi que des articles d’explication sur le fonctionnement des protections respiratoires et la réglementation.
Des entreprises du secteur textile se sont aussi réorganisées pour produire des protections respiratoires. À Lille, le CHU et un réseau d’entreprises et d’associations ont mis au point un protocole de fabrication et procédé à des tests en laboratoire, ce qui a donné lieu à l’initiative des Masques en Nord, pour la fabrication de masques pour les soignant·es. Des kits sont envoyés à des couturièr·es volontaires, puis les masques sont collectés. En une semaine, plus de 15.000 personnes se sont portées volontaires.
De nombreux modèles de masques ont été proposés. Les plus répandus sont un modèle à plis, similaire aux masques chirurgicaux, un modèle « canard », de même forme que les FFP2 et un modèle à couture centrale, diffusé notamment par le CHU de Grenoble au début de la crise. On peut réaliser ces masques de nombreuses façons en changeant le type de tissu et le nombre de couches. Certains modèles utilisent un filtre qui doit être changé.
L’agence française de normalisation a produit un guide précieux pour la fabrication en série et la fabrication artisanale de masques barrière. Ce guide détaille la fabrication des masques et le cadre approprié d’utilisation. Il recommande d’éviter les coutures centrales et propose des protocoles pour fabriquer des masques à plis et canards. Pour obtenir le guide, il faut fournir une adresse mail à l’Afnor afin d’obtenir les mises à jour et les rectificatifs. Des informations sur la façon d’utiliser le guide pour les particulier·es sont disponibles ici.
L’efficacité des masques et le rôle de l’expertise
La pénurie de masques et la gestion de crise qui a suivi posent de nombreuses questions intéressantes sur le rôle de l’expertise.
En France, la gestion gouvernementale s’est basée sur un déni de l’utilité des masques en dehors du cadre médical. Ce choix a probablement été fait pour éviter que les particuliers ne se ruent sur les stocks et pour réserver les masques chirurgicaux et FFP2 pour les soignant·es. Il repose sur une conception pessimiste de la réaction publique, selon laquelle la première réaction des personnes face à la crise serait de chercher des moyens de se protéger, de manière purement égoïste.
Cette vision se retrouve aussi dans la grande importance attachée aux vols et détournements de masques dans les hôpitaux. La classe gouvernante, ainsi que les médias ont ainsi lourdement insisté sur ces vols, au point d’en faire une explication de la pénurie. Comme si les quelques dizaines, voire centaines de milliers de masques dérobés pouvaient être la cause du problème, alors qu’il manque des centaines de millions de masques par rapport aux plans de réaction aux épidémies conçus dans les années 2000 et progressivement déconstruits depuis 2010.
Cette vision d’une foule apeurée, prête à se jeter sur des produits de première nécessité se double aussi d’une infantilisation de la population, qui serait incapable de comprendre les enjeux de l’épidémie, de même que les gestes barrière. Celle-ci peut être perçue dans la manière dont les mesures sont annoncées au dernier moment, sans prendre un temps préalable pour expliquer leur intérêt.
De nombreuses questions essentielles en période d’épidémie sont présentées comme trop techniques pour être accessible au grand public. L’exemple caricatural est celui de la porte-parole du gouvernement qui prétend ne pas savoir utiliser un masque, puisqu’il s’agit d’un geste technique, inaccessible aux personnes non formées.
Par exemple à la mi-mars, les mesures de fermeture des commerces et de confinement ont été annoncées à peine une demi-journée avant leur mise en œuvre à chaque fois, provoquant des mouvements de masse qui ont pu contribuer à propager le virus. Certes, les mesures sont prises en fonction de la situation sanitaire, qui évolue très vite. Cependant, qui peut croire qu’au moment où le confinement a été annoncé, il n’avait pas été envisagé depuis au moins plusieurs semaines.
Communiquer sur le confinement, son intérêt et ses modalités avant de le décréter, en insistant sur le fait qu’il s’agissait d’un outil éventuel qui interviendrait au moment opportun aurait permis d’éviter notamment les nombreux départs de dernière minute.
Cette méthode de gouvernement par l’ignorance pose aussi problème à travers le rôle qu’elle fait jouer à l’expertise. Pour mieux exclure les citoyen·nes de la décision, le gouvernement surjoue en effet le rôle des expert·es. De nombreuses questions essentielles en période d’épidémie sont présentées comme trop techniques pour être accessible au grand public. L’exemple caricatural est celui de la porte-parole du gouvernement qui prétend ne pas savoir utiliser un masque, puisqu’il s’agit d’un geste technique, inaccessible aux personnes non formées.
Cette anecdote permet d’illustrer un élément essentiel, au cœur du débat sur l’utilité et l’efficacité des masques artisanaux. Il est vrai que les protections respiratoires nécessitent d’être utilisées correctement pour être efficaces. Dans le cadre professionnel, leur utilisation est régie par un cadre réglementaire et un ensemble de normes, qui permettent de s’assurer que la filtration est supérieure à un certain seuil. Pour rassurer les membres du gouvernement, on trouve facilement en ligne des ressources sur l’utilisation des protections respiratoires, qui sont employées à l’hôpital, mais aussi dans de nombreux secteurs industriels, dans l’agriculture, etc.
Il va de soi qu’un masque artisanal ne remplit pas les critères réglementaires pour être utilisé, en temps normal, dans le milieu médical. Il n’est donc pas étonnant que des professionnels de la santé aient pris des positions pour expliquer que ces masques ne peuvent pas servir de masques chirurgicaux, comme l’ont rappelé la Société française des sciences de la stérilisation et la Société française d’hygiène hospitalière. En revanche, cela ne signifie pas que ces masques ne permettent pas de limiter la transmission du virus.
Lorsque les masques artisanaux ont commencé à se répandre, de nombreux débats, parfois houleux ont eu lieu sur les réseaux sociaux autour de leur efficacité. Des personnes de bonne foi, qui voulaient simplement se protéger sans avoir la prétention de fabriquer un dispositif médical ont été attaquées sur la base d’arguments d’autorité reposant sur des experts. On pouvait pourtant trouver en ligne des articles scientifiques qui attestaient de l’intérêt des masques artisanaux pour le grand public, même si ils excluaient leur utilisation dans le cadre médical.
Les masques jouent donc un rôle de protection individuelle, mais aussi de protection collective.
Il y a donc eu des mécanismes de marginalisation de connaissances, par un ensemble d’acteur·ices en situation de pouvoir sur les discours concernant l’épidémie, parmi lesquel·les le gouvernement et les agences de l’état en charge de la santé publique, une partie des soignant·es, mais aussi une partie de la presse. En effet, des journalistes, dans le courant de la vérification d’information, ont repris les arguments du gouvernement et des médecins pour conclure que les masques artisanaux étaient inutiles, voire contre-productifs.
Les Décodeurs du Monde concluent par exemple que « seuls les masques normés sont valables pour les malades (suspectés, testés…) et les soignant·es. Pour tous les autres, y compris les personnes en lien avec du public, respecter les distances de sécurité, se laver les mains et éternuer et tousser dans son coude, restent des moyens plus sûrs de se tenir à distance du virus que se couvrir d’un masque fait maison, peu efficace et faussement rassurant ».
Cette marginalisation repose sur une confusion entre deux rôles joués par les masques : porter un masque permet d’éviter d’être contaminé·e en présence d’une personne malade mais aussi de ne pas répandre dans l’air des gouttelettes qui peuvent contaminer les autres si on est soi-même malade. Les masques jouent donc un rôle de protection individuelle, mais aussi de protection collective. En principe, un masque FFP2 vise avant tout à assurer une protection individuelle, tandis qu’un masque chirurgical est conçu d’abord comme un écran anti-postillons. Cependant, ces masques jouent les deux rôles puisqu’ils permettent en pratique de filtrer à la fois l’air inspiré et expiré.
Le rôle de protection collective a été négligé pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la focalisation sur les besoins de masques pour les soignant·es, renforcée par la pénurie, a poussé à considérer les masques avant tout comme des protections individuelles et à mettre l’accent sur leur conditions d’utilisation en milieu médical. On a donc oublié le rôle que les masques peuvent avoir dans la population, à savoir ralentir la propagation de l’épidémie.
Ensuite, le gouvernement a minimisé le rôle des masques, dans le but de faire respecter ses mesures de confinement. D’une part, il ne fallait pas que des personnes se sentent en sécurité avec le port du masque et décident donc de sortir plus. D’autre part, il fallait éviter que les travailleur·euses sommé·es de continuer à faire tourner l’épidémie exercent leur droit de retrait en l’absence de masques. Ceci a aussi conduit à affirmer que les masques ne servent qu’en présence de malades. Ce message, abondamment relayé, ignore totalement la transmission par des personnes asymptomatiques, dont des cas on pourtant été suspectés en Chine et en Allemagne dès la fin du mois de février.
Face à ce premier discours inspiré par les pratiques hospitalières, un deuxième discours s’est propagé, plutôt centré sur une approche épidémiologique, selon laquelle le port du masque généralisé permet de réduire la transmission, notamment par les personnes asymptomatiques qui continuent de travailler. Les partisan·nes de cette approche insistent sur le fait que n’importe quel dispositif, sans homologation peut jouer un rôle dès lors qu’il filtre une partie des gouttelettes exhalées. Le masque est alors vu comme une façon de protéger les autres et non comme une protection individuelle, même si il remplit partiellement ce rôle.
La situation de crise pousse les différent·es acteur·ices à agir de manière non conforme aux normes, réglementations et procédures usuelles, ce qui génère des tensions entre des postures exploratoires et régulatrices.
Ce discours a été renforcé par la situation de crise : en l’absence de matériel aux normes pour l’ensemble de la population, il vaut mieux privilégier le système D et la fabrication maison. Il a donc été largement relayé chez les particuliers habitués à la confection maison, notamment les couturièr·es et les membres de la communauté de l’impression 3D qui s’est tournée vers la fabrication d’écrans faciaux. Il a par ailleurs été porté par des chercheur·ses et des spécialistes de questions de santé publique, notamment porté·es sur l’épidémiologie, la physique et les modélisations numériques et raisonnant à l’échelle des populations.
L’émergence d’un mouvement important de fabrication de masques en tissu, artisanaux et industriels a conduit certains acteurs institutionnels à s’intéresser à la question. Alors qu’il y avait initialement peu de données sur l’efficacité de ces masques, des tests ont été réalisés, par exemple par la DGA qui s’est mise en contact avec des industriels fabriquant des masques. De son côté, l’Afnor a assuré un travail d’élaboration d’exigences, qui ne constituent pas une norme française, mais qui fournissent un cadre de fabrication et d’usage des masques. Elle développe le concept de masque barrière, permettant de limiter la transmission du virus et s’ajoutant aux gestes barrières déjà mis en place, comme la distanciation sociale et le lavage des mains.
De manière remarquable, ces institutions agissent ici en dehors de leur cadre habituel. La situation de crise pousse les différent·es acteur·ices à agir de manière non conforme aux normes, réglementations et procédures usuelles, ce qui génère des tensions entre des postures exploratoires et régulatrices. La remise en question du fonctionnement habituel offre des espaces de liberté et d’expérimentation à des particulièr·es qui créent des patrons de couture, mais aussi des pratiques de santé publique, comme le fait de porter le masque hors des cadres définis par le gouvernement, ou des pratiques culturelles, avec la valorisation du port du masque, notamment en encourageant à poster des photos de soi masqué·e sur internet.
Ces pratiques peuvent ensuite être reprises et légitimées par certain·es acteur·ices institutionnel·les. Elles sont aussi attaquées par d’autres, qui craignent une remise en question de leur situation dominante. Le pouvoir politique s’inquiète de la remise en question de sa doctrine, de même qu’une partie des médecins ne peuvent tolérer l’émergence de pratiques de santé qui ne viendraient du corps médical. Leurs arguments sont joyeusement partagés par des médias qui voient d’un mauvais œil la circulation d’information autrement que par leur biais et ont donc prompt à s’attaquer à ce qu’ils présentent comme des « fake news ».
Sur la question des masques, les positions ne sont pas figées et les mêmes acteur·ices ont pu changer de discours, notamment avec l’évolution de la situation. Un consensus semble en train de se former sur l’utilisation généralisée de masques et le gouvernement est en train de se retourner, avec la reconnaissance du rôle des masques, mais aussi du fait que sa position était dictée par la pénurie.
À nos machines à coudre
Comme on l’a vu, la fabrication de masques, qui s’est lancée spontanément à de nombreux endroits et a donné lieu à un mouvement important, a conduit les institutions, jusqu’au gouvernement à réagir, parfois en accompagnant le mouvement ou en reconnaissant leurs erreurs. Le changement de discours officiel des autorités ne signifie cependant pas que la bataille est gagnée.
En effet, les tentatives de gestion des stocks de la part de l’État vont continuer et se faire d’autant plus pressantes que le port du masque se généralisera. Ce contrôle s’accompagnera d’arbitrages sur les personnes autorisées à en avoir, tant que le stock ne sera pas suffisamment massif pour fournir toute la population.
Par ailleurs, on peut craindre que l’État décide de s’associer avec un partenaire unique de grande taille ou à un faible nombre de partenaires pour la fabrication de masques en tissus, afin de maximiser son contrôle sur l’approvisionnement.
Dans cette hypothèse, la créativité et la réactivité fournies par le grand nombre d’initiatives locales de fabrication de masques seraient perdues. De plus, la gestion de la pénurie de masques par les autorités démontre que la protection du public et la véracité de la communication gouvernementale passent après le contrôle de la population. Il est donc important que la production de masques artisanaux continue, afin de s’assurer que tout le monde dispose d’une protection adéquate, le plus vite possible. À nos machines !
Les travailleur·euses du sexe, encore plus stigmatisé·es et isolé·es
Pour les travailleuses et travailleurs du sexe (TDS) aussi, l’heure est à la réflexion sur la réorganisation du travail, mais pas que. Le Syndicat du travail sexuel en France (Strass) conseille aux TDS de s’orienter plutôt vers le travail via internet, tout en prévenant des dérives possibles (vol de vidéos, cyberharcèlement, etc.) et en donnant aussi des outils à toustes celleux à qui les faibles entrées d’argent de ces activités numériques ne suffiront pas.
Beaucoup d’entre elleux se trouvent contraint·es d’accepter des situations qu’elleux refuseraient en temps normal, pour leur santé et leur sécurité : des rendez-vous pris uniquement par mèl, des clients qui demandent des passes sans préservatif, des clients qui rognent sur l’argent donné parce qu’« ils prenaient beaucoup de risques »…
Car rien n’est fait par le gouvernement pour aider les TDS, pendant cette crise, pas plus qu’à l’ordinaire. Ielles ne sont pas considéré·es comme ayant un travail (sauf quelques un·es au statut d’auto-entrepreneur·e) et n’ont pas les droits du travail associés.
Les hôtels, lieux de vie pour une partie d’entre elleux, ferment. La stigmatisation sociale et l’isolement dont ielles font déjà l’expérience quotidienne se renforcent, le stigmate de « la pute qui attrape toutes les maladies parce que c’est bien sa faute vu son activité » se réactive pour y inclure maintenant le coronavirus. Et aujourd’hui, travailler dans la rue, c’est aussi risquer de se faire violenter par une police à cran pour faire respecter le confinement.
Face à tout cela, certain·es ont l’impression de ne plus exister. Les associations et collectifs qui les soutiennent habituellement ont dû réduire leur action, alors que la communauté des TDS est la meilleure actrice de la prévention. Pour les soutenir financièrement pendant cette période, des cagnottesont été créées. Les associations et le Strass continuent de revendiquer pour les TDS les mêmes droits que pour toustes.
Nos vieux meurent en silence
Manque de masques et de personnels, difficultés à faire accepter le confinement à des personnes atteintes de troubles cognitifs… les contagions s’enchaînent dans au moins 100 à 150 Ehpad d’Île-de-France, malgré des mesures de confinement drastiques qui privent les résident·es, confiné·es dans leurs chambres de leurs dernières interactions sociales.
Le nombre de décès menace d’être très élevé parmi ces personnes âgées fragiles, mais les morts survenant dans les maisons de retraite ne sont pour l’heure pas incluses dans les statistiques officielles, malgré les remontées faites aux agence régionales de santé (ARS). Edouard Philippe a promis samedi qu’un bilan serait communiqué cette semaine.
Là encore, le gouvernement ne pourra pas dissoudre ses responsabilités. La baisse des financements de ces établissements pour personnes âgées dépendantes, décidée en 2018, a pu favoriser la propagation du coronavirus et accentuer la souffrance des résident·es. Alors que de grands groupes font des bénéfices importants sur les Ehpad privatisés, rappelons que les revendications syndicales sont restées lettre mortes à ce sujet.
« Ne nous applaudissez pas, soutenez nous ! »
La radinerie des directions d’hôpital force depuis des années les soignant·es à multiplier les heures supplémentaires, faute d’effectifs suffisants. Alors, quand la crise permet de le justifier, pourquoi ne pas avoir recours à des bénévoles comme les secouristes au Samu ou des scouts pour la manutention et le standard à l’hôpital ?
D’après nos sources, certains hôpitaux auraient également essayé de faire travailler gratuitement les étudiant·es en médecine comme aide-soignant·e ou infirmier·ère dans les unités Covid, avant de faire machine arrière devant une levée de boucliers des concerné·es, soucieux·ses de ne pas dévaloriser et précariser un peu plus le travail de leurs collègues paramédicaux.
Avoir de quoi vivre, un peu de temps pour soi et un toit au-dessus de la tête, est-ce trop demander ?
Les personnels sont en lutte depuis plusieurs mois pour sauver l’hôpital public, au bord de la rupture bien avant le coronavirus !
Par ailleurs, si les initiatives pour soutenir, et notamment héberger les soignant·es se multiplient, certain·es les traitent comme de véritables pestiféré·es, leur demandant poliment de quitter leur immeuble pour ne pas risquer de contaminer les voisin·es !
Comme les profs ou les agriculteur·ices, les soignant·es sont apprécié·es pour leur utilité mais nié·es dans leurs besoins fondamentaux – avoir de quoi vivre, un peu de temps pour soi et un toit au-dessus de la tête -, est-ce trop demander ?
C’est du moins ce que pense un journaliste scientifique américain, une information à prendre avec des pincettes car elle se fonde sur des prédictions mathématiques incertaines vu qu’on sait encore peu de choses sur le Covid-19.
Si on croyait encore en les « gardes-fou » de l’état de droit (Conseil constitutionnel ou Cnil), il y a de quoi être déçu ! Pour la Cnil, on était prévenu depuis longtemps !
Le confinement n’arrête pas les violences policières !
On le sait, les contrôles de police sont d’une violence inouïe dans les quartiers populaires, cela ne s’est pas arrêté avec le confinement comme le dénoncent de nombreuses associations.
Au contraire, les policiers ont la meilleure des excuses pour arrêter n’importe qui dans la rue, vérifier le bon respect des mesures de confinement et même contrôler nos courses. Un recensement avec vidéos a été publié sur Paris-Luttes Infos.
Depuis le début du confinement, une petite musique s’invite en boucle dans les communications du gouvernement, les médias de masse et les réseaux sociaux. Elle accompagne le mot d’ordre « restez chez vous » et sonne un peu trop le tambour et le clairon visant à nous mettre au pas.
Cette musique, c’est la stigmatisation des gen·tes qui sortiraient pour des motifs injustifiés.
De nombreuses personnes, à commencer par les keufs, les politicien·nes, les éditorialistes, mais aussi les soignant·es et voisin·es de palier se sentent légitimes à décider quelles sorties sont justifiées. Évidemment, certaines personnes ou populations sont davantage visées. Les JT se sont attardés longtemps sur le marché de Barbès. Les syndicats de flics n’hésitent pas à balancer des « fake news » pour s’en prendre encore aux quartiers populaires.
Quand on y regarde de plus près, on se demande si tout ça ne sert pas aussi à nous enfumer en rejetant la faute de la propagation du virus sur les individus.
À comparer aux dizaines de millions de déplacements pour les municipales, mais surtout aux millions de personnes qui continuent d’aller travailler tous les jours, la plupart du temps sans aucune protection…
Frontières nationales ou barricades villageoises
Alors qu’en Europe les États se barricadent à coup de lois, de décrets et d’amendes, il y a des régions du mondes où littéralement, des barricades sont élevées.
À comparer avec la situation que l’on vit en France, où la gestion de nos déplacements se décide au « 20 heures » ou dans les préfectures et reste bien le monopole de l’État, dans les faits comme dans les pensées. Quand en janvier des villageois chinois décident de s’organiser ainsi, pour France 2, ils « paniquent » et « font la loi».
Pour vivre heureuses, vivons masquées !
C’est une des questions que tout le monde se pose en ce moment : où sont passés les masques ? Si vous voulez la réponse, on vous invite à lire cet article.
Le gouvernement et la haute administration sont tellement en PLS sur cette question qu’iels préfèrent prétendre que les masques ne servent à rien plutôt que d’admettre à quel point iels se sont planté·es à force de suivre le dogme néolibéral. Sauf que les masques sont un moyen essentiel de lutter contre la propagation de l’épidémie.
Réapproprions nous les moyens de production !
N’attendons pas que Macron et sa bande fassent venir des stocks de Chine.
Réapproprions nous les moyens de production ! Avec une machine à coudre et les tutos et patrons disponibles sur internet, on peut fabriquer des masques en tissus réutilisables.
Ils permettent de réduire le risque de contaminer les gens que vous croisez et font sans doute l’affaire si vous n’êtes pas entouré·es de personnes porteuses du virus. C’est pas pour rien qu’ils sont obligatoires aujourd’hui dans plusieurs pays d’Asie, y compris à Hong-Kong où ils avaient été interdits suite aux manifs.
Faites-en pour vous, vos potes et les soignant·es de ville et des Ehpad, qui manquent de masques. Si vous êtes déter, vous pouvez même coudre des blouses avec des vieux draps !
Pierre Pézerat présente son film documentaire « Les Sentinelles » (2017) disponible en DVD depuis le 16 février 2019, date anniversaire des dix ans de la mort d’Henri Pézerat.
Le père du réalisateur a découvert le caractère cancérigène de l’amiante en 1973 puis animé le Comité anti-amiante de Jussieu. Son activité scientifique et militante a contribué à faire interdire ce silicate en 1997. L’association qui porte son nom défend aussi bien les victimes de l’amiante que celles du nucléaire ou des pesticides de synthèse.
Dans les années 1990, l’amiante devient un enjeu de santé publique ainsi qu’un synonyme de scandale. Des travailleurs meurent de cancers de la plèvre à cause d’un maux identifié vingt ans plus tôt par le toxicologue Henri Pézerat. Il s’était rendu dans l’usine de filage et de tissage d’amiante Amisol, alors en grève, à Clermont-Ferrand, pour alerter les ouvrières et les ouvriers.
Pierre Pézerat a retrouvé Josette Roudaire, qui avait ouvert les portes de l’usine à son père. Le début d’un très long combat pour accompagner les victimes qu’il met en parallèle avec celui de Paul François, un agriculteur intoxiqué par un pesticide produit par Monsanto ainsi que les ex-ouvriers agricoles de Nutréa-Triskalia, devenus hyper-sensibles aux produits chimiques multiples.
Pascal Brigant a rendez-vous aux prud’hommes de Guingamp le 28 février 2019. Claude Le Guyader s’apprête à lancer une procédure pour « faute inexcusable » contre Nutréa-Triskalia. La suite d’un marathon judiciaire pour ces deux anciens salariés du site de stockage des céréales de Plouisy (Côtes-d’Armor), atteints d’hypersensibilité aux produits chimiques multiples et licenciés pour inaptitude à leur poste.
En 2009, l’un travaille dans un bureau accolé au poste de fabrication d’aliments du bétail, l’autre charge les céréales puis les transporte en camion dans les fermes. Leur santé se dégrade rapidement, comme celles de Laurent Guillou et Stéphane Rouxel, deux collègues chargés de réceptionner les céréales amenées depuis les silos.
Quelques mois plus tôt, la direction a décidé de couper la ventilation pour faire des économies. Très vite, la température grimpe et permet aux charançons et aux vers de farine de proliférer, au point de dégager une odeur pestilentielle.
Pour sauver les 20.000 tonnes de céréales, Triskalia décide au printemps 2009 d’asperger du Nuvan Total, un insecticide interdit depuis déjà deux ans. Malgré les premières alertes, le même scénario se reproduit l’année suivante. Les céréales sont cette fois traitées avec du Nuvagrain, avant d’être acheminées dans des exploitations où, ingurgitées par les bêtes, elles intègrent la chaîne alimentaire.
Le combat de leur vie
Mécontents vis-à-vis de la CFDT, qu’ils accusent d’être un « syndicat-maison », les ouvriers trouvent du soutien auprès de Serge Le Quéau, de l’Union syndicale Solidaires, à Saint-Brieuc. Laurent Guillou et Stéphane Rouxel réussissent à déposer plainte à la gendarmerie en mai 2010, ouvrant la procédure pénale.
Défendus par Me François Lafforgue, avocat spécialisé dans la défense des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, Laurent Guillou et Stéphane Rouxel obtiennent en 2014 la condamnation de Nutréa pour faute inexcusable devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc.
Entre-temps Pascal Brigant et Claude Le Guyader rejoignent le combat.
En septembre 2015, c’est la veuve de Gwénaël Le Goffic qui obtient la reconnaissance du suicide de son mari comme accident du travail, contre l’avis de la Mutuelle sociale agricole (MSA). Ce chauffeur s’est pendu dans un hangar du site de Plouisy avec une pièce de son camion. Lui-même avait été victime d’un accident lors du déchargement de sacs d’aliments médicamenteux destinés aux porcelets. Sa lettre d’adieu est écrite sur l’étiquette des produits qu’il suspectait de lui avoir brûlé les yeux.
Les victoires s’enchaînent et en septembre 2016, Laurent Guillou et Stéphane Rouxel obtiennent 100.000 € de dédommagements pour le préjudice subi. Une première pour une affaire d’hypersensibilité dans l’agroalimentaire. Leur licenciement est ensuite jugé « sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de sécurité et insuffisance de recherche de reclassement ». La coopérative leur doit près de 21.000 € chacun.
Claude Le Guyader obtient à son tour une reconnaissance de son hypersensibilité comme maladie professionnelle en mars 2018. Ce n’est pas le cas de Pascal Brigant, auquel une commission reproche l’absence d’une prise de sang.
Interrogés par Le Monde en 2016, les DRH de Nutréa et Triskalia, Frédéric Soudon et Nicolas Douillard, estiment que ce dossier les dépasse. « Certains veulent faire interdire les pesticides le plus vite possible et Triskalia sert de bouc émissaire. […] Nous menons aujourd’hui une politique de protection, de formation des salariés. Il y a vingt ans, les précautions à l’encontre des produits phytosanitaires n’existaient pas, témoigne Frédéric Soudon. Ce sont des produits dangereux, on ne va pas affirmer le contraire. »
Des victimes devenues sentinelles
Si ces affaires n’ont pas encore motivé les industriels à se passer des pesticides de synthèse, elles ont commencé à briser l’omerta dans le milieu agricole. Jusqu’ici dispersés, les opposants à l’agriculture intensive comme la Confédération paysanne, Attac, Solidaires et Eaux et Rivières de Bretagne se sont regroupés pour mener des actions.
Un colloque lors lequel s’est exprimé Laurent Guillou a poussé la sénatrice PS de la Charente, Nicole Bonnefoy, à organiser une mission sénatoriale. Son rapport intitulé « Les pesticides et leur impact sur la santé » rendu en 2012 conclut que « les protections contre les pesticides n’étaient pas à la hauteur des dangers et des risques ». Il débouche sur la loi Labbé, du nom du sénateur EELV du Morbihan, qui réduit l’usage des pesticides par les collectivités et les particuliers.
En 2018, des experts européens ainsi que le commissaire à la santé à Bruxelles, Vytenis Andriukaitis, ont rencontré des victimes des pesticides lors d’une enquête en Bretagne. La commission européenne avait accepté le dépôt d’une pétition portant sur le non respect des directives en matière de pesticides et sur les carences de l’Etat français en matière de contrôle.
L’institution, bien que lointaine, semble montrer plus d’égard envers les victimes des pesticides que la région Bretagne. Le président de cette dernière, le socialiste Loïg Chesnais-Girard, a confirmé en début d’année l’entrée de la collectivité au capital du groupe D’Aucy, dont la fusion annoncée avec Triskalia promet de créer un géant de l’industrie agricole.
Paimpol n’avait pas connu telle démonstration citoyenne depuis longtemps. Peut-être doit-on remonter en février 2003, quand 10.000 personnes avaient manifesté pour défendre la maternité. En vain.
Samedi 9 septembre, c’est encore le comité de soutien à l’hôpital de Paimpol (22), mené par Yves Ballini du PCF et Philippe Couleau de l’UDB, qui a fait descendre entre 3.000 et 5.000 Bretons dans les rues de la cité des Islandais, dans les Côtes-d’Armor. Cette fois, ce sont les urgences qui inquiètent.
En mai, les personnels ont prévenu le comité que l’Agence régionale de santé (ARS) comptait supprimer un poste de médecin de nuit. Plusieurs rassemblements et quelques milliers de signatures plus tard, l’Etat est revenu sur sa décision, inspiré par une lettre des médecins. La partie n’est toutefois pas gagné car rien n’est signé et un poste de médecin urgentiste est désormais menacé en journée. L’ARS s’appuie sur une pénurie de médecins en Bretagne.
Malmenée par la désertification médicale qui touche aussi la côte nord de la Bretagne, la population craint au final la fermeture des urgences, comme l’a déjà connu Tréguier. Environ 42.000 habitants permanents se situent dans la zone de rayonnement du centre hospitalier paimpolais, à 45 minutes minimum du premier hôpital (Saint-Brieuc, Lannion ou Guingamp).
Des délégations d’autres hôpitaux de proximité avaient fait le déplacement, dont la coordination nationale elle-même. Celle-ci dénonce plus largement la loi du marché qui pèse sur les services publics, contraints à des coupes dans les effectifs et les moyens, jusqu’à des fermetures d’hôpitaux. La santé des patients est parfois atteinte et de nombreux agents font des dépressions.
Reportage : Avec Yves Ballini, président du comité de soutien à l’hôpital de Paimpol, Ghislaine Fichou, infirmière aux urgences et Céline Le Doré, aide soignante et représentante CGT.
À dire vrai, les manifestants ne croisent pas grand monde, en ce mardi matin, dans les rues de Bégard. L’hôpital psychiatrique géré par la fondation du Bon Sauveur est le premier employeur de la commune. Cette ville dans la ville emploie près de 800 professionnels aux métiers divers, tandis que le chef lieu de canton des Côtes-d’Armor n’a plus dépassé les 5.000 habitants depuis la fin des 1980.
La nuée de drapeaux rouges se dirige tout naturellement vers la mairie, où les attendent le maire communiste Gérard Le Caër et son adjointe Cindirella Bernard, cheffe du groupe PCF au conseil départemental et candidate aux législatives. Des militants mélenchonistes distribuent des tracts et les soutiens des uns et des autres à la gauche du PS se taquinent gentiment. Le co-secrétaire de l’union locale CGT de Guingamp Thierry Pérennès est présent. Le 16 février, il discourait aux côtés de Philippe Poutou, en meeting à Bégard.