La carte des luttes au travail témoigne du feu qui couve sous la cendre

Après la carte du déconfinement à la méthodologie aléatoire, voici celle des colères au travail, mise en ligne par des militant·es. Si celle-ci vire au rouge, c’est le patronat et le gouvernement qui pourraient tousser.

« Colère covid » est en ligne depuis le 1er mai. « Une manière de faire vivre cette date symbolique dans ces conditions particulières », expliquent ses créatrices et créateurs anonymes. Tout juste devine-t-on un lien avec la plateforme #Covid-entraide, dont nous vous parlions dès notre première Gazette des confiné·es.

Cette carte participative doit servir à recenser les luttes en cours dans le monde du travail. Des conflits ont éclaté pendant le confinement, « mais rien, à notre connaissance, ne permettait de relever le nez et de penser ce phénomène à une échelle plus large », poursuivent les internautes qui épluchent donc la presse locale pour donner de la visibilité aux grèves, droits de retraits et autres expressions du rapport de force entre le travail et le capital.

Un rapide survol de cette France en lutte nous permet de vérifier la sur-représentation des entreprises liées à la distribution et à la vente en ligne. On pense bien sûr à La Poste et à Amazon, qui ont défrayé la chronique. C’est aussi le cas des livreuses et livreurs de Deliveroo et UberEats à Lyon, parfait·es représentant·es de cette nouvelle classe ouvrière hyper-précarisés, aux salarié·es de La Redoute à Wattrelos, d’Orchestra près de Montpellier, de Fedex à Roissy ou d’Oscaro.com à Cergy-Pontoise et Argenteuil.

Les premiers de corvée du nettoyage à l’industrie

Plusieurs sociétés du secteur des déchets et de la propreté ont connu des tensions au sujet – et c’est un comble -, de l’hygiène. On le remarque chez La Pyrénéenne, dont les employé·es nettoient la gare de Toulouse, à Rimma et Urbaser Environnement, dont les éboueur·ses ramassent respectivement les poubelles à Nancy et Poitiers, ainsi que chez Atalian, sous-traitant du groupe Carrefour en Île-de-France.

Le site permet aussi de localiser rapidement quelques affaires emblématiques de la désindustrialisation du pays. Au nord de Clermont-Ferrand, les ex-Luxfer demandent la nationalisation de cette usine qui était capable de produire des bouteilles d’oxygène médicales, jusqu’à sa fermeture l’an dernier. La mobilisation a permis d’empêcher la destruction des machines et les ouvrièr·es estiment pouvoir fournir leur première bouteille en moins de deux mois. Toutefois, malgré des relais politiques et médiatiques, l’État ne bouge pas.

200506 - Fermeture de l'usine Luxfer 136 emplois sacrifiés Gerzat by Cercle 2 Feu Productions - La Déviation
Le gouvernement reste sourd face aux appels à la nationalisation de la dernière usine de bouteilles d’oxygène médicales, fermée par le groupeanglo-américain Luxfer à Gerzat (Puy-de-Dôme). Les salarié·es ont dû mettre fin à l’occupation du site à cause du confinement. Capture d’écran du clip de Cercle 2 Feu Productions, avril 2019

Près de Saint-Brieuc, les ancien·nes d’Honeywell avaient perdu tout espoir depuis leur licenciement, en 2018. La dernière ligne de montage de ce qui fut la plus grande usine de masques médicaux de France après l’épidémie de Sras en 2003 a été découpée puis envoyée à la casse. Toutefois, la crise sanitaire leur donne de nouveaux arguments. Le syndicat Solidaires Côtes-d’Armor a proposé la création d’une coopérative ouvrière se reposant sur ces travailleur·ses et leur savoir-faire. La région Bretagne a lancé une mission pour vérifier la faisabilité du projet. Une promesse de commande formulée par Emmanuel Macron a attiré quelques vautours de la finance le bec rempli d’oseille. Rien n’est fait.

Quelques fleurons industriels ont connu des refus de reprendre le travail. Des mouvements ont été suivis sur Les Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, chez Renault au Mans et Valenciennes ou PSA, notamment à Sochaux. Citons aussi la grève appelée par Sud et la CGT sur le site de traitement des déchets nucléaires Orano (ex-Areva) situé à La Hague, dans la Manche, en avril.

Silence radio dans l’agri-agro

Dans le même département, une trentaine de soignant·es de l’hôpital de Guingamp ont débrayé mercredi 5 mai à l’appel de la CGT. La question des plannings tend les relations déjà dégradées par la diminution du nombre de lits. Le personnel craint « ne pas pouvoir affronter la deuxième vague de l’épidémie s’il y en avait une », rapporte Le Télégramme. Le 1er mai, 17 syndicalistes ont été verbalisés après avoir défilé en voiture entre l’établissement et un Ehpad de la ville.

Si l’heure est encore à la lutte contre le Covid-19 dans une bonne partie des centres hospitaliers du pays, un conflit social a également éclaté le mois dernier à l’hôpital psychiatrique Le Vitanier, à Lyon, contre un plan d’économies.

En revanche, un autre secteur dont l’activité a été maintenue voire augmentée depuis le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire se fait très discret. L’agroalimentaire semble laver son linge sale en famille. On compte bien des mouvements éparses chez Jacquet-Brossard, dans le Puy-de-Dôme, Vandemoortele, à Reims, Marie Surgelés à Airvault dans les Deux-Sèvres et Fromarsac, en Dordogne, mais c’est une goutte d’eau comparé au poids des abattoirs, entrepôts de stockage et autres usines de congélation qui parsèment la campagne.

Ainsi, « Colère Covid » ne recense pas la moindre action dans ce secteur en Bretagne, pourtant première région d’élevage. Les patrons le savent, les intérimaires ne se syndiquent pas. Quant au BTP, qui regroupe de très petites et moyennes entreprises, il est tout simplement absent de la carte.

Les résistances d’aujourd’hui alimenteront-elles celles de demain, comme l’espère l’équipe derrière « Colère Covid » ? En tout cas, les risques de contamination, les carottes qui se transforment en bâtons, le stress qui s’ajoute à la fatigue et tout simplement les menaces sur l’emploi risquent de former un cocktail explosif dans les prochains mois. Les responsables de tous bords seraient biens inspirés de lire le rapport d’enquête publié par l’UGICT-CGT mardi 5 mai, à partir de 34.000 réponses de salarié·es. A moins de souhaiter voir cette carte des luttes se remplir irrésistiblement.

Illustration : Quatre-vingt-sept conflits du travail ont été recensés sur « Colère Covid » depuis février, dont trois à La Réunion. Vingt-neuf concernent le commerce, la distribution, La Poste et les communications, 22 l’industrie, six l’agroalimentaire et aucun le bâtiment et les travaux publics.

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