Aucun dispositif ne permet de ressentir la gifle vécue par un·e travailleur·euse qui décachette sa lettre de licenciement. Les statistiques du chômage, aussi impressionnantes soient-elles, euphémisent tout à fait la traduction concrète de cette « mort annoncée ». Une carte ne rend pas plus emphatique qu’un tableur de compta, mais elle représente mieux l’ampleur des dégâts. C’est là que la CGT info’com intervient.
L’ex-syndicat des typographes parisiens creuse un sillon qui lui vaut déjà d’être suivi par 130.000 internautes sur la page Facebook LuttesInvisibles. Sa revue de presse permanente se poursuit sur le site « Alerte licenciements », lancé le 25 mai. La page d’accueil affiche un compteur qui recense, au 5 juin, 21.674 destructions d’emplois effectives ou programmées depuis le 1er janvier.
Si certaines casses spectaculaires ont trouvé un écho dans les médias, comme chez La Halle (1.700 postes supprimés), Conforama (1.900), Michelin à La Roche-sur-Yon (619) et bien sûr Renault (4.600), bien d’autres défaillances d’entreprises aux conséquences non moins désastreuses pour leur région passent sous les radars.
Connaissez-vous Vortex Mobilité, ex-leader du transport scolaire d’enfants handicapés ? La société vient d’être liquidée, un an après son placement en procédure de sauvegarde. Ses 1.300 salarié·es sont les victimes de patrons voyous, qui refusaient notamment de payer une demi-heure journalière. Au fait de sa gloire en 2015, Vortex était qualifiée par L’Humanité de « requin » et son fondateur Eric Heudicourt décrit tel un malfaiteur en col blanc, dévalisant les caisses des départements. Maigre consolation, 21 salarié·es ont fait condamner l’entreprise en appel pour « travail dissimulé » début mars.
Le distributeur de journaux Presstalis vous est peut-être plus familier ? Fondé au sortir de la Seconde Guerre mondiale sous le nom de Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), c’était un bastion du puissant Syndicat du Livre CGT. Le confinement correspond à une étape cruciale de son agonie, puisque Presstalis a déposé le bilan en avril avant d’être placé en redressement judiciaire le 15 mai. La liquidation des filières régionales entraîne la destruction de 500 emplois. La libéralisation du marché porte probablement un coup fatal à l’esprit de la loi Bichet, qui garantissait depuis 1947 une égalité de traitement entre les titres proposés dans les kiosques. Une garantie pour le pluralisme saute.
Dans le secteur du commerce, citons la fin du dernier chausseur de Fougères, en Ille-et-Vilaine, après 99 ans d’existence. La liquidation judiciaire sans poursuite d’activité de JB Martin a été décidée le 3 juin par le tribunal de commerce de Paris. Quarante-cinq stylistes et commerciaux travaillaient encore en Bretagne, sur 120 salarié·es au total. Un témoignage parmi d’autres de la désindustrialisation du pays, quoi qu’on dise le gouvernement à ce sujet.
La carte de France menace de se remplir d’autant plus vite que les ordonnances Macron de 2017 facilitent le recours aux licenciements. Elles favorisent aussi le chantage puisque l’employeur peut négocier une baisse de salaires avec les syndicats en échange d’un engagement sur l’emploi. Ce qui conduit l’avocat en affaires sociales Rudy Ouakrat à citer la ministre du Travail espagnole Yolanda Diaz (IU, communiste), qui a interdit les licenciements résultant de la crise du Covid-19 au motif que « cette crise est une parenthèse ».