Avec le déconfinement, certain·es membres de la Gazette vont sortir plus souvent sur le terrain pour lutter, gagner leur croûte ou voir leurs proches. Nous aurons donc moins de temps pour nous renseigner et pour écrire. Nous avons donc décidé de ralentir le rythme de la publication, mais rassurez-vous : il y aura bien une Gazette des confiné·es #15 !
Nous avons profité de ce moment particulier pour tirer un bilan collectif de notre expérience d’écriture de ces quatorze numéros, à mi-chemin entre la revue de presse et la chronique du confinement. Nous vous partageons quelques réflexions que nous nous sommes faites.
Nous nous connaissions avant de commencer la Gazette, à des degrés divers, et cette réflexion et écriture collective a renforcé ces liens, de même qu’elle a en créés dans notre décision de faire collectif.
L’espace de discussion créé par la Gazette a été réconfortant pendant cette période (nous étions toustes confiné·es à distance les un·es des autres) et nous a permis des réflexions communes, partant de l’écriture de la Gazette et au-delà.
Écrire sur l’actualité permet de désamorcer le côté anxiogène de celle-ci et de gagner en sérénité.
Nous avons appris de nombreuses choses sur le « travail journalistique » : recherche d’illustrations, d’informations et de sources.
Nous avons gagné en confiance sur notre capacité à produire des textes et à les diffuser, en particulier sur le réseau Mutu.
Nous avons réalisé un travail de structuration pour faire la Gazette (organisation de l’écriture, de la relecture, etc) et c’est donc bien plus qu’un assemblage de brèves : c’est un apport dans une logique d’autonomisation, individuelle et collective.
Nous sommes plutôt content·es de nos quatorze Gazettes et nous espérons qu’elles vous ont plu à vous, nos lecteur·ices.
Ce succès médiatique de la théorie de l’effondrement ne date pas d’hier comme le rappelle cet article du Monde diplomatique, signé par Jean-Baptiste Malet l’an dernier. Greta Thunberg est l’une des ambassadrices.
Qu’est-ce qu’exactement la théorie de l’effondrement ou la collapsologie ?
En effet, la théorie de l’effondrement est loin de faire l’unanimité au sein de la gauche radicale. Ainsi Comment tout peut s’effondrer avait été critiqué pour son invitation au fatalisme, à la passivité et son apolitisme. Il n’y aurait pas de coupable de l’effondrement et tout le monde serait logé à la même enseigne. De plus, il est reproché à cette théorie de naturaliser les rapports sociaux de pouvoir, comme l’explique Elisabeth Lagass dans un article de la revue critique communiste Contretemps.
« Derrière cette idée de l’effondrement de la société réside une vision du monde qui met en avant le système plutôt que les acteur.rices et les rapports sociaux de pouvoirs. […] Pour prouver cet effondrement, les collapsologues s’en réfèrent généralement à des données quantitatives, issues des sciences naturelles. Ce faisant, ils effectuent un glissement entre les sciences naturelles et les sciences sociales, en étudiant la société comme un « écosystème », et en déduisant de données « physiques », un effondrement social. »
Mais depuis, les collapsologues ont légèrement modifié leurs discours, notamment dans le livre Une autre fin du monde est possible (Pablo Servigne (encore lui), Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle), suite de Comment tout peut s’effondrer. Ils intègrent des dimensions de luttes, l’importance du capitalisme dans la destruction des écosystèmes et la nécessité de projets alternatifs. Cependant, Daniel Tanuro explique dans un article de Contretemps en quoi cet ouvrage ne va pas assez loin et reste confus. La lutte anticapitaliste et écologiste serait uniquement invoquée et sa réalisation concrète ne serait pas assez approfondie. D’autre part, les collapsologues utiliseraient des théories réactionnaires comme celles de Carl Gustav Jung.
Un article du média belge L’Entonnoir se penche sur la volonté hégémonique du discours de l’effondrement. En voulant mettre toutes les dimensions de l’effondrement dans un unique melting pot théorique, les collapsologues ne pensent que de manière systémique et négligent les histoires locales qui nourrissent les luttes et leur permettent de tenir dans la durée.
On peut légitimement se demander si l’approche collapsologue répond aux critères de scientificité de Karl Popper quand l’on constate que tout nouveau fait pouvant invalider la théorie de l’effondrement peut juste être ajouté à l’ensemble théorique de la collapsologie ce qui la rend ainsi non réfutable. À vouloir intégrer absolument toutes les connaissances dans un unique discours, on se prend les pieds dans le tapis et on ne se rend pas compte de ses propres erreurs et errements.
Sauf que l’équipe de surveillance de l’étude a démissionné massivement depuis pour dénoncer une communication hasardeuse de résultats entachés de malhonnêteté intellectuelle. Les critères d’évaluation ont en effet été modifiés en cours de route – sans doute parce que les premiers critères choisis ne permettaient pas de trouver une différence entre le traitement et le placebo.
Les données en question ne sont par ailleurs toujours pas publiées et on ne sait pas précisément quels sont les nouveaux critères retenus, ce qui jette un peu plus le doute sur cette nouvelle molécule miracle – qui contrairement à la chloroquine n’est heureusement pas accessible directement dans toutes les pharmacies, ce qui évitera des empoisonnements.
Cela nous servira de leçon : nous aurions dû garder plus de distance critique vis-à-vis d’une information qui ne se trouvait pas encore dans la presse scientifique, et qui s’est avérée n’être qu’une vaine marque d’autosatisfaction du directeur de l’AP-HP. Par ailleurs, dans l’article que nous citions, publié sur le site du Vidal, pourtant supposément sérieux puisqu’il constitue la référence en matière de médicaments en France, il était fait mention d’une étude chinoise qui non seulement n’avait pas de groupe témoin pour comparer les effets du traitement par rapport au placebo (comme les études du professeur Raoult), mais en plus s’extasiait de la disparition de la fièvre des patient·es traité·es.
Il s’agit en fait d’un effet direct bien connu des anti-IL6, comme du paracétamol, et donc pas du tout d’un signe de régression de la maladie ! La fièvre est un des systèmes de protection de l’organisme, qui peut s’emballer, mais la baisse de la température ne signifie pas que les phénomènes inflammatoires disparaissent… D’ailleurs on peut aussi développer une hypothermie dans une infection sévère.
Il a été proposé de traiter les malades du Covid-19 par des immunosuppresseurs (molécules qui atténuent plus ou moins fortement la réponse immunitaire) comme le tocilizumab car il semblerait que dans certains cas, le Covid-19 entraîne un emballement de la réponse immunitaire, comme dans les formes graves d’hépatite A, par exemple. Cet emballement serait responsable de la destruction pulmonaire par de la fibrose.
Dans d’autres maladies où un sur-emballement du système immunitaire aggrave le pronostic, (par exemple la méningite bactérienne), un immunosuppresseur est ajouté aux antibiotiques qui vont tuer la bactérie. À noter cependant que contrairement aux bactéries, on n’a actuellement pas de traitement qui vienne directement tuer le Coronavirus à la place du système immunitaire qu’on réduit au silence…
Mais admettons que les immunosuppresseurs soient la bonne solution : pourquoi avoir choisi une de ces nouvelles molécules « high-tech », dont le prix journalier est de presque 30 euros et non pas un corticoïde comme la dexaméthasone (environ un euro par comprimé), qui est utilisée dans la méningite ?
Si la recherche médicale concentre beaucoup d’espoirs, souvenons-nous qu’elle n’est exempte ni des jeux d’ego et de la course à la publimétrie qui minent le monde scientifique, ni de conflits d’intérêts avec le privé.
Alors que des écoles rouvrent dans des conditions très inégales et que d’autres ne rouvrent tout simplement pas, Jean-Michel Blanquer continue de communiquer sur la fameuse continuité pédagogique et la force du numérique censée l’avoir permise dans les conditions de la crise sanitaire. Le ministre a même annoncé des états généraux du numérique éducatif à la rentrée 2020 afin de « faire le point sur les enseignements positifs qu’on veut tirer de ce qui s’est passé » (nous soulignons).
De cette période complexe, à laquelle les profs n’étaient pas préparé·es, et surtout à laquelle les services numériques de l’éducation nationale n’ont pas su répondre, il faut donc se forcer à extraire du positif. Les enseignant·es ont déjà insisté sur le fait que la classe à distance n’est pas leur métier et que la charge d’enseignement ne peut pas non plus être transférée aux parents.
Enseigner à distance, en temps de confinement, n’assure pas la continuité pédagogique dans la mesure où c’est une réelle rupture par rapport aux pratiques enseignantes et que l’insistance du ministère sur l’acquisition de nouveaux savoirs implique pour les profs de nombreux renoncements. Iels doivent rénoncer à ne pas creuser les inégalités sociales, renoncer à la démarche d’un·e élève chercheur émancipatrice, renoncer à identifier des indices de progression des élèves… Ainsi que renoncer à l’idée qu’apprendre ensemble est essentiel.
Dans cette période où les enseignant·es, bombardé·es d’injonctions ministérielles, ont été en position de faiblesse, de nombreuses applications sont apparues pour les aider… Dans leur dernier hebdo, N’Autre école propose un dossier Du virtuel au réel qui revient sur la diffusion de Lalilo pendant le confinement.
Ce logiciel est principalement destiné aux élèves de grande section, CP et CE1 pour l’apprentissage de la lecture et a recueilli les inscriptions d’environ 10% des instits du cycle 2 (du CP au CE2) durant les premières semaines du confinement. Startup sélectionnée par le ministère dans le cadre d’un PI2A (partenariat d’innovation intelligence artificielle), Lalilo reçoit ainsi des subventions, la bénédiction du ministère et est diffusée auprès des enseignant·es de façon totalement acritique. Elle a ainsi accès au « marché captif » que constituent les enseignant·es.
Lalilo n’est qu’un exemple des nombreuses startups du numérique éducatif qui souhaiteraient se diffuser auprès des enseignant·es. Un de ses grands représentants en France, Educapital, a d’ailleurs publié un communiqué au titre limpide sur leur intentions : « L’indispensable Edtech, la preuve par le confinement. »
Educapital en profite pour monter un « site solidaire » qui propose gratuitement de nombreuses applications numériques pour les profs et les parents pendant le confinement. Or, Educapital n’est rien de plus qu’une société de gestion de portefeuille, dont le but est par conséquent de se faire des sous en investissant dans ce qui lui semble rentable. Elle propose une stratégie de transition numérique à l’éducation nationale, à base de novlangue sur l’innovation, l’autonomie, la solvabilité de la filière numérique et de champions européens à créer.
Car Educapital a un stratégie bien réfléchie. Sa présidente Marie-Christine Levet est associée au think thank Digital new deal qui publiait fin 2019 un rapport intitulé « Préserver notre souveraineté éducative : soutenir l’EdTech française » (pdf). Ce document fleure bon une espèce de néo-nationalisme, sur la base d’une « spécificité culturelle francophone » à valoriser dans une « exception éducative », afin de retrouver cette « souveraineté éducative » face au danger d’une « vassalité éducative » vis-à-vis des Gafam (ainsi qu’au « déferlement marketing des acteurs monopolistiques américains, et demain chinois »).
Le rapport s’appuie sur des références comme Yuval Noah Harari et le Boston consulting group mais ne présente aucun témoignage ou étude sur les enjeux du numérique en situation pédagogique. Se basant sur le constat que les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ont un poids énorme dans le numérique, il préconise l’émergence de « champions européens » de l’Edtech. Le privé peut bien se faire des sous sur l’éducation et collecter des données sur les élèves et leurs enseignant·es mais il faut que ce soit un privé européen (et si possible français d’ailleurs) ! En fait, rien dans le rapport ne répond réellement au danger de l’emprise des Gafam. Et quasiment rien ne concerne réellement celleux qui sont au centre de l’éducation : profs et élèves. Tout n’est qu’affaire d’économie.
Tout ce qu’ignorent les startups du numérique éducatif
Ce mouvement vers le numérique éducatif est soutenu. Ici aussi, il s’agit pour certain·es, comme Stanislas Dehaene, président du conseil scientifique de l’éducation nationale, de profiter de la crise sanitaire pour « faire tomber des barrières » (article en accès payant mais les premières lignes donnent une bonne idée du reste)… Où l’on voit une nouvelle incarnation de la stratégie du choc, avec rhétorique quasi militariste à base de « sauver les enfants » – pourrait-on savoir qui les met en danger au vu de la politique menée par le gouvernement côté éducation depuis plusieurs années ? – et de « résister au confinement ».
Pour le neuroscientifique proche du ministre, il faut aujourd’hui créer un « Netflix pédagogique, gratuit et centralisé ». Et s’il rit des limites de la comparaison avec Netflix sur le critère de la gratuité, on peut rire jaune devant la perspective d’un ensemble de cours uniformisés, homogénéisés, qui ignore complètement l’apport essentiel de la relation éducative entre un·e enseignant·e et des élèves, fondement des pratiques pédagogiques.
Plus généralement, Julien Cueille pointe une grande incohérence :
« Alors que nous, enseignants, sommes les principaux usagers du numérique éducatif, notre voix, curieusement, ne semble pas porter. Nous sommes même souvent les derniers à être informés des évolutions décidées par les acteurs institutionnels, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités locales chargées de l’équipement des établissements. »
Des questions éthiques, notamment en ce qui concerne l’accès aux données, sont également présentes, de même que des questions sociales, qui ont entre autres été soulevées pendant le confinement par de nombreux·ses enseignant·es. Ces dernièr·es ont tiré la sonnette d’alarme sur les inégalités fortes d’accès au numérique entre élèves, rappelées dernièrement dans une tribune alertant sur les usages acritiques du numérique à l’école.
Enfin, n’oublions pas l’aspect environnemental de la diffusion du numérique éducatif… Il s’agit là d’équipements coûteux en ressources matérielles dont la production a des impacts environnementaux non négligeables. Ces arguments étaient déjà rassemblés en 2015 dans l’appel de Beauchastel contre l’école numérique.
À l’heure où le passage accru au numérique éducatif se profile comme une des caractéristiques de cet après-confinement de longueur indéterminée, il semble d’autant plus important de mettre en commun les réflexions et prises de positions. Un exemple parmi d’autres, à discuter et à s’approprier : pourquoi ne pas faire classe à l’extérieur, afin de donner plus d’opportunités aux enfants dans le contexte des mesures sanitaires à respecter ?
Nous l’évoquions précédemment, une des premières manifestations post-déconfinement a eu lieu le lundi 11 mai à 18 h 30 à l’Île-Saint-Denis. La chaîne humaine contre les violences policières s’est transformée en nasse et a rassemblé jusqu’à 400 personnes.
Le 26 avril, c’est dans cette commune qu’a eu lieu l’interpellation violente, avec passage à tabac et insultes racistes, d’un jeune homme égyptien qui depuis a porté plainte. Suite à la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo tournée par les riverain·es, deux des policiers incriminés ont été suspendus. L’homme, prénommé Samir, fait désormais l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, bien que les charges ont été abandonnées suite à sa garde à vue. Interrogé pour Là-bas si j’y suis, il envisage de porter plainte pour « violence volontaire avec arme et insultes à caractère raciste »->https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/ils-m-ont-frappe-j-etais-comme-un-ballon-de-foot-le-temoignage-de-samir].
Ce genre de kidnapping-tabassage est par ailleurs monnaie courante à Calais et ailleurs, et les sanctions à l’encontre des forces de l’ordre sont plus l’exception que la règle… Faut-il voir dans ce jugement le résultat des nombreuses mobilisations contre les violences policières, qui ont permis une certaine médiatisation, faisant pression sur les tribunaux ?
Mai 2017, des manifs « ni Macron ni Le Pen » agitent l’entre-deux tours de la présidentielle. Le Front social apparaît. Mai 2018, ça bouge dans les facs et dans les gares. De petits tas de pavés poussent sur la chaussée. Un conseiller de Macron fait le coup de poing. Mai 2019, La Pitié-Salpêtrière rime avec souricière. C’est la fête à Blanquer et les samedis se comptent encore en actes. Mai 2020, les rassemblements supérieurs à dix personnes sont prohibés. L’état d’urgence sanitaire est prorogé, mais çà et là, le printemps social fleurit.
Métro, boulot, conso. Tout ce qui est chiant doit repartir. Pour tout le reste, il y a la police nationale.
Les brigades motorisées du préfet Lallement vrombissent place de la République. Ce lundi 11 mai, les amendes pour « participation à une manifestation interdite » ne tardent pas à tomber. Des Gilets jaunes sont arrêté·es.
La même bande de cognes accusée du passage à tabac d’un ouvrier égyptien rapplique à l’Île-Saint-Denis peu de temps après. La chaîne humaine est brisée. On sait dès lors que les nasses font exception à la fameuse doctrine des gestes barrières.
Sur la Canebière, cinq militant·es d’Extinction Rébellion Marseille sur la cinquantaine mobilisée sont conduit·es en garde à vue. Qu’une faute soit reconnue ou non, leur casier comprend désormais un « rappel à la loi pour attroupement sans arme avec refus de se disperser au bout de trois sommations », dixit la procureure.
Les Toulousain·es respirent un peu mieux devant leurs hôpitaux. Plusieurs centaines de citoyen·nes rejoignent les troupes de Sud Santé et de la CGT du CHU. Glorifiées pas celleux qui les dénigraient naguère, les blouses blanches réclament leur dû et la fin des coupes franches. La cause est trop sensible pour envoyer les bleus.
Les consignes préfectorales sont visiblement plus sévères à Rennes, où les autorités plastronnent avec 38 verbalisations et six interpellations pour des contrôles d’identité. Le rassemblement se tient place de la République, peu avant midi, sans qu’il soit aisé de distinguer les manifestant·es des passant·es. Seuls deux groupes de postièr·es Sud PTT se détachent vraiment. Les « distances de courtoisie covidiennes » rappelées par l’organisation résistent mal au contact rapproché avec les agents.
Dans un communiqué qui s’attaque au déconfinement à visée capitaliste, les Gilets jaunes de Rennes, l’Assemblée générale de l’Hôtel Dieu et le groupe Refusons le retour à la normale évoquent de possibles actions dans un supermarché « pour filer un coup de main aux employé·es », à l’Agence régionale de santé pour « obtenir des moyens humains et financiers », dans un service de la mairie « pour l’occuper jusqu’à ce qu’un centre d’hébergement inconditionnel soit ouvert pour les plus démuni·es et les femmes victimes de violences », ou encore au rectorat, dans une plateforme logistique de colis ou chez Samsic, géant du nettoyage qui repose sur une main-d’oeuvre sous-payée.
La Bretagne cultive son image rebelle avec plusieurs rassemblements pour la « libération des plages ». La patience des habitant·es du littoral atteint ses limites dans les Côtes-d’Armor. Plusieurs collectifs, parfois soutenus par les élu·es, rassemblent jusqu’à 100 personnes à Pleumeur-Bodou, Erquy, Binic et Trévou-Tréguignec.
Dans certaines communes, marcher sur le sable ne sera bientot plus passible ni n’amende ni d’emprisonnement. Quand les écoles rouvrent mais pas de larges espaces ouverts, l’État risque de voir fondre le consentement à l’autorité. A moins qu’il convienne que la question n’est pas celle des distances physiques, mais de la mise sous surveillance de chaque centimètre carré. La décision revient d’ailleurs aux préfets, aux ordres du gouvernement et jamais avares en menaces. Une tutelle parisienne à même de raviver un régionalisme latent.
Dans le même département, les ronds-points voient refleurir quelques chasubles jaunes, aux entrées de Lannion, Guingamp et Saint-Brieuc.
Un peu partout, le mouvement social reprend corps, mais à pas mesurés. La colère s’exprime timidement dehors, chez celleux qui triment sans télétravail, souvent sans masques ni protection adaptée. La longueur de la laisse s’est considérablement raccourcie. Il n’est pas dit pour autant qu’elle ne finisse par céder.
Photo de une : compte rendu de la manifestation de déconfinement à Rennes du 11 mai sur Exapnsive.info
Récemment c’est un sabotage coordonné contre le réseau à fibre optique dans le Val-de-Marne (à Ivry-sur-Seine et Vitry-sur-Seine) qui a défrayé la chronique : 20.000 logements et entreprises auraient été privés d’Internet pendant plusieurs jours selon un plan « méthodique et organisé ».
D’après Le Parisien, destinataire d’une note des renseignements assurément très « confidentielle », les enquêteur·ices s’étonnent de l’absence de traces et de l’efficacité de nombreux sabotages du réseau internet ou des antennes relais ayant eu lieu ces derniers temps (plus d’une trentaine) et accusent l’« ultragauche ». D’ailleurs, le parquet antiterroriste n’est pas saisi mais, pas loin !
Ce n’est pas la première fois que la presse agite le spectre de cette « mouvance radicale, qui englobe notamment ultrajaunes et black blocs ». Faire frissonner le bourgeois ne fait apparemment pas de mal aux ventes. En tout cas pas à celles du Point, qui a encore cet hiver consacré à cette menace un long dossier, ridiculisé par le chercheur en sciences politiques Nicolas Sigoillot sur son blog.
Tentons d’autres conjectures. Si les coupes sont dignes de professionnels, ne pourraient-elles pas être l’oeuvre de prestataires en mal de contrats ? Après tout, les habitué·es des chroniques judiciaires savent que certaines revendications peuvent être opportunistes. Tout autant qu’elles peuvent nourrir le récit policier, au moment d’imposer des mesures chaque jour plus liberticides.
Quelle sera la première loi adoptée sans lien avec le Coronavirus ? Le suspense n’a pas duré longtemps. Dans un hémicycle toujours réduit et en procédure accélérée, c’est la proposition portée par la députée LREM Laetitia Avia « contre la haine sur internet » qui coiffe tous les autres textes au poteau. Avec cette dernière lecture mercredi 13 mai, l’exécutif redouble d’efforts pour contrôler l’info.
Plus d’un an après son dépôt à l’Assemblée et deux lectures dans chaque chambre, la loi Avia boucle sa navette parlementaire substantiellement amendée. Plusieurs articles peuvent toutefois chatouiller le Conseil constitutionnel voire Bruxelles.
Dans une première version, la loi devait permettre à la police et au public de demander la censure des contenus signalés comme haineux aux plateformes recevant entre deux et cinq millions de visiteurs uniques par mois. C’est-à-dire Wikipédia, Youtube ou bien sûr Facebook. Les sites auraient dû répondre et motiver leur décisions sous 24 heures. La vérification de la validité des décisions et de la suppression des contenus « manifestement illicites » aurait été faite à posteriori par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), investi de nouveaux pouvoirs répressifs.
Parmi les organisations non gouvernementales et les autorités administratives indépendantes épouvantées par la loi, La Quadrature du net s’est de nouveau distinguée par ses analyses. Elle a identifié les principaux dangers de cette première mouture pour les libertés publiques : une censure probablement automatisée pour respecter le délai de 24 heures, réalisée par les géants du web sans aucune intervention d’un juge, ouvrant la voie à des abus contre les contenus politiques comme cela s’est déjà vu). Dit autrement, sa rédaction permettait les excès de toutes sortes, grâce au contrôle extravagant accordé à la police sur internet.
La majorité entend-elle les alertes provenant de toutes parts ? Non, bien sûr. Le 21 janvier 2020, un amendement rajouté tardivement et de manière peu démocratique alourdit encore le volet coercitif de la loi. Il accorde directement à l’administration le pouvoir d’obtenir de n’importe quel site la censure de tout contenu considéré comme terroriste sous une heure chrono. En dépit d’une telle célérité, la police peut réclamer le blocage dudit site aux fournisseurs d’accès à internet pour toute la France.
La Quadrature du net revient à la charge contre ce délai d’une heure insensé qui s’applique indifféremment le mercredi midi ou le dimanche en pleine nuit. Comment les sites tenus par des bénévoles, comme ceux du réseau Mutu, peuvent-ils le respecter ?
« Si la police était mal intentionnée, il lui suffirait de publier anonymement et au milieu de la nuit des messages « terroristes » sur les plateformes de son choix pour les faire censurer (car presque aucune plateforme ne peut avoir des modérateurs réveillés toute la nuit pour répondre dans l’heure à la police). Rien dans la loi n’empêche de tels abus. »
La crainte d’être considéré comme une menace pour la sécurité ou comme un « extrémiste » a eu un effet dissuasif, réduisant l’espace laissé à la liberté d’expression.
Resterons-nous libres de vous informer encore longtemps ? Cette quatorzième Gazette s’ouvre par la fin. La fin du parcours législatif de la loi Avia, promesse de censure et d’arbitraire. On s’interroge. Est-il permis d’évoquer les sabotages d’antennes et de câbles attribués à l’« ultragauche » par les renseignements ? D’afficher les {startuppers} pour qui l’école numérique est une promesse d’argent ? De critiquer la collapsologie ainsi que Martin Hirsh et ses errements ? Ou serons-nous rattrapés par les chaussettes à clous pour crime de pensée ? Les manifestant·es du 11 mai l’ont appris à leurs dépens. L’ambiance est policière.
Après le confinement, le bâillon : la loi Avia censure la haine en ligne et plus si affinités
Quelle sera la première loi adoptée sans lien avec le Coronavirus ? Le suspense n’a pas duré longtemps. Dans un hémicycle toujours réduit et en procédure accélérée, c’est la proposition portée par la députée LREM Laetitia Avia « contre la haine sur internet » qui coiffe tous les autres textes au poteau. Avec cette dernière lecture mercredi 13 mai, l’exécutif redouble d’efforts pour contrôler l’info.
Plus d’un an après son dépôt à l’Assemblée et deux lectures dans chaque chambre, la loi Avia boucle sa navette parlementaire substantiellement amendée. Plusieurs articles peuvent toutefois chatouiller le Conseil constitutionnel voire Bruxelles.
Dans une première version, la loi devait permettre à la police et au public de demander la censure des contenus signalés comme haineux aux plateformes recevant entre deux et cinq millions de visiteurs uniques par mois. C’est-à-dire Wikipédia, Youtube ou bien sûr Facebook. Les sites auraient dû répondre et motiver leur décisions sous 24 heures. La vérification de la validité des décisions et de la suppression des contenus « manifestement illicites » aurait été faite à posteriori par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), investi de nouveaux pouvoirs répressifs.
Parmi les organisations non gouvernementales et les autorités administratives indépendantes épouvantées par la loi, La Quadrature du net s’est de nouveau distinguée par ses analyses. Elle a identifié les principaux dangers de cette première mouture pour les libertés publiques : une censure probablement automatisée pour respecter le délai de 24 heures, réalisée par les géants du web sans aucune intervention d’un juge, ouvrant la voie à des abus contre les contenus politiques comme cela s’est déjà vu). Dit autrement, sa rédaction permettait les excès de toutes sortes, grâce au contrôle extravagant accordé à la police sur internet.
La majorité entend-elle les alertes provenant de toutes parts ? Non, bien sûr. Le 21 janvier 2020, un amendement rajouté tardivement et de manière peu démocratique alourdit encore le volet coercitif de la loi. Il accorde directement à l’administration le pouvoir d’obtenir de n’importe quel site la censure de tout contenu considéré comme terroriste sous une heure chrono. En dépit d’une telle célérité, la police peut réclamer le blocage dudit site aux fournisseurs d’accès à internet pour toute la France.
La Quadrature du net revient à la charge contre ce délai d’une heure insensé qui s’applique indifféremment le mercredi midi ou le dimanche en pleine nuit. Comment les sites tenus par des bénévoles, comme ceux du réseau Mutu, peuvent-ils le respecter ?
« Si la police était mal intentionnée, il lui suffirait de publier anonymement et au milieu de la nuit des messages « terroristes » sur les plateformes de son choix pour les faire censurer (car presque aucune plateforme ne peut avoir des modérateurs réveillés toute la nuit pour répondre dans l’heure à la police). Rien dans la loi n’empêche de tels abus. »
La crainte d’être considéré comme une menace pour la sécurité ou comme un « extrémiste » a eu un effet dissuasif, réduisant l’espace laissé à la liberté d’expression.
De nombreux sabotages pendant le confinement : les services de renseignements accusent l’« ultragauche »
Voilà probablement un site internet qui serait interdit rapidement si la loi « Haine » dont l’on vous parlait précédemment était promulguée. Le site Sans attendre demain répertorie de nombreux sabotages ayant lieu en Europe et félicite les auteur·ices de ces derniers.
Récemment c’est un sabotage coordonné contre le réseau à fibre optique dans le Val-de-Marne (à Ivry-sur-Seine et Vitry-sur-Seine) qui a défrayé la chronique : 20.000 logements et entreprises auraient été privés d’Internet pendant plusieurs jours selon un plan « méthodique et organisé ».
D’après Le Parisien, destinataire d’une note des renseignements assurément très « confidentielle », les enquêteur·ices s’étonnent de l’absence de traces et de l’efficacité de nombreux sabotages du réseau internet ou des antennes relais ayant eu lieu ces derniers temps (plus d’une trentaine) et accusent l’« ultragauche ». D’ailleurs, le parquet antiterroriste n’est pas saisi mais, pas loin !
Ce n’est pas la première fois que la presse agite le spectre de cette « mouvance radicale, qui englobe notamment ultrajaunes et black blocs ». Faire frissonner le bourgeois ne fait apparemment pas de mal aux ventes. En tout cas pas à celles du Point, qui a encore cet hiver consacré à cette menace un long dossier, ridiculisé par le chercheur en sciences politiques Nicolas Sigoillot sur son blog.
Tentons d’autres conjectures. Si les coupes sont dignes de professionnels, ne pourraient-elles pas être l’oeuvre de prestataires en mal de contrats ? Après tout, les habitué·es des chroniques judiciaires savent que certaines revendications peuvent être opportunistes. Tout autant qu’elles peuvent nourrir le récit policier, au moment d’imposer des mesures chaque jour plus liberticides.
Du parvis des hôpitaux aux ronds-points, les manifs du 11 mai heurtent l’état d’urgence et ses roussins
Mai 2017, des manifs « ni Macron ni Le Pen » agitent l’entre-deux tours de la présidentielle. Le Front social apparaît. Mai 2018, ça bouge dans les facs et dans les gares. De petits tas de pavés poussent sur la chaussée. Un conseiller de Macron fait le coup de poing. Mai 2019, La Pitié-Salpêtrière rime avec souricière. C’est la fête à Blanquer et les samedis se comptent encore en actes. Mai 2020, les rassemblements supérieurs à dix personnes sont prohibés. L’état d’urgence sanitaire est prorogé, mais çà et là, le printemps social fleurit.
Métro, boulot, conso. Tout ce qui est chiant doit repartir. Pour tout le reste, il y a la police nationale.
Les brigades motorisées du préfet Lallement vrombissent place de la République. Ce lundi 11 mai, les amendes pour « participation à une manifestation interdite » ne tardent pas à tomber. Des Gilets jaunes sont arrêté·es.
La même bande de cognes accusée du passage à tabac d’un ouvrier égyptien rapplique à l’Île-Saint-Denis peu de temps après. La chaîne humaine est brisée. On sait dès lors que les nasses font exception à la fameuse doctrine des gestes barrières.
Sur la Canebière, cinq militant·es d’Extinction Rébellion Marseille sur la cinquantaine mobilisée sont conduit·es en garde à vue. Qu’une faute soit reconnue ou non, leur casier comprend désormais un « rappel à la loi pour attroupement sans arme avec refus de se disperser au bout de trois sommations », dixit la procureure.
Les Toulousain·es respirent un peu mieux devant leurs hôpitaux. Plusieurs centaines de citoyen·nes rejoignent les troupes de Sud Santé et de la CGT du CHU. Glorifiées pas celleux qui les dénigraient naguère, les blouses blanches réclament leur dû et la fin des coupes franches. La cause est trop sensible pour envoyer les bleus.
Les consignes préfectorales sont visiblement plus sévères à Rennes, où les autorités plastronnent avec 38 verbalisations et six interpellations pour des contrôles d’identité. Le rassemblement se tient place de la République, peu avant midi, sans qu’il soit aisé de distinguer les manifestant·es des passant·es. Seuls deux groupes de postièr·es Sud PTT se détachent vraiment. Les « distances de courtoisie covidiennes » rappelées par l’organisation résistent mal au contact rapproché avec les agents.
Dans un communiqué qui s’attaque au déconfinement à visée capitaliste, les Gilets jaunes de Rennes, l’Assemblée générale de l’Hôtel Dieu et le groupe Refusons le retour à la normale évoquent de possibles actions dans un supermarché « pour filer un coup de main aux employé·es », à l’Agence régionale de santé pour « obtenir des moyens humains et financiers », dans un service de la mairie « pour l’occuper jusqu’à ce qu’un centre d’hébergement inconditionnel soit ouvert pour les plus démuni·es et les femmes victimes de violences », ou encore au rectorat, dans une plateforme logistique de colis ou chez Samsic, géant du nettoyage qui repose sur une main-d’oeuvre sous-payée.
La Bretagne cultive son image rebelle avec plusieurs rassemblements pour la « libération des plages ». La patience des habitant·es du littoral atteint ses limites dans les Côtes-d’Armor. Plusieurs collectifs, parfois soutenus par les élu·es, rassemblent jusqu’à 100 personnes à Pleumeur-Bodou, Erquy, Binic et Trévou-Tréguignec.
Dans certaines communes, marcher sur le sable ne sera bientot plus passible ni n’amende ni d’emprisonnement. Quand les écoles rouvrent mais pas de larges espaces ouverts, l’État risque de voir fondre le consentement à l’autorité. A moins qu’il convienne que la question n’est pas celle des distances physiques, mais de la mise sous surveillance de chaque centimètre carré. La décision revient d’ailleurs aux préfets, aux ordres du gouvernement et jamais avares en menaces. Une tutelle parisienne à même de raviver un régionalisme latent.
Dans le même département, les ronds-points voient refleurir quelques chasubles jaunes, aux entrées de Lannion, Guingamp et Saint-Brieuc.
Un peu partout, le mouvement social reprend corps, mais à pas mesurés. La colère s’exprime timidement dehors, chez celleux qui triment sans télétravail, souvent sans masques ni protection adaptée. La longueur de la laisse s’est considérablement raccourcie. Il n’est pas dit pour autant qu’elle ne finisse par céder.
Violences policières – un premier bilan du confinement
Nous l’évoquions précédemment, une des premières manifestations post-déconfinement a eu lieu le lundi 11 mai à 18 h 30 à l’Île-Saint-Denis. La chaîne humaine contre les violences policières s’est transformée en nasse et a rassemblé jusqu’à 400 personnes.
Le 26 avril, c’est dans cette commune qu’a eu lieu l’interpellation violente, avec passage à tabac et insultes racistes, d’un jeune homme égyptien qui depuis a porté plainte. Suite à la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo tournée par les riverain·es, deux des policiers incriminés ont été suspendus. L’homme, prénommé Samir, fait désormais l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, bien que les charges ont été abandonnées suite à sa garde à vue. Interrogé pour Là-bas si j’y suis, il envisage de porter plainte pour « violence volontaire avec arme et insultes à caractère raciste »->https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/ils-m-ont-frappe-j-etais-comme-un-ballon-de-foot-le-temoignage-de-samir].
Ce genre de kidnapping-tabassage est par ailleurs monnaie courante à Calais et ailleurs, et les sanctions à l’encontre des forces de l’ordre sont plus l’exception que la règle… Faut-il voir dans ce jugement le résultat des nombreuses mobilisations contre les violences policières, qui ont permis une certaine médiatisation, faisant pression sur les tribunaux ?
L’Edtech nous sauvera bien (enfin, sauvera le système)
Alors que des écoles rouvrent dans des conditions très inégales et que d’autres ne rouvrent tout simplement pas, Jean-Michel Blanquer continue de communiquer sur la fameuse continuité pédagogique et la force du numérique censée l’avoir permise dans les conditions de la crise sanitaire. Le ministre a même annoncé des états généraux du numérique éducatif à la rentrée 2020 afin de « faire le point sur les enseignements positifs qu’on veut tirer de ce qui s’est passé » (nous soulignons).
De cette période complexe, à laquelle les profs n’étaient pas préparé·es, et surtout à laquelle les services numériques de l’éducation nationale n’ont pas su répondre, il faut donc se forcer à extraire du positif. Les enseignant·es ont déjà insisté sur le fait que la classe à distance n’est pas leur métier et que la charge d’enseignement ne peut pas non plus être transférée aux parents.
Enseigner à distance, en temps de confinement, n’assure pas la continuité pédagogique dans la mesure où c’est une réelle rupture par rapport aux pratiques enseignantes et que l’insistance du ministère sur l’acquisition de nouveaux savoirs implique pour les profs de nombreux renoncements. Iels doivent rénoncer à ne pas creuser les inégalités sociales, renoncer à la démarche d’un·e élève chercheur émancipatrice, renoncer à identifier des indices de progression des élèves… Ainsi que renoncer à l’idée qu’apprendre ensemble est essentiel.
Dans cette période où les enseignant·es, bombardé·es d’injonctions ministérielles, ont été en position de faiblesse, de nombreuses applications sont apparues pour les aider… Dans leur dernier hebdo, N’Autre école propose un dossier Du virtuel au réel qui revient sur la diffusion de Lalilo pendant le confinement.
Ce logiciel est principalement destiné aux élèves de grande section, CP et CE1 pour l’apprentissage de la lecture et a recueilli les inscriptions d’environ 10% des instits du cycle 2 (du CP au CE2) durant les premières semaines du confinement. Startup sélectionnée par le ministère dans le cadre d’un PI2A (partenariat d’innovation intelligence artificielle), Lalilo reçoit ainsi des subventions, la bénédiction du ministère et est diffusée auprès des enseignant·es de façon totalement acritique. Elle a ainsi accès au « marché captif » que constituent les enseignant·es.
Lalilo n’est qu’un exemple des nombreuses startups du numérique éducatif qui souhaiteraient se diffuser auprès des enseignant·es. Un de ses grands représentants en France, Educapital, a d’ailleurs publié un communiqué au titre limpide sur leur intentions : « L’indispensable Edtech, la preuve par le confinement. »
Educapital en profite pour monter un « site solidaire » qui propose gratuitement de nombreuses applications numériques pour les profs et les parents pendant le confinement. Or, Educapital n’est rien de plus qu’une société de gestion de portefeuille, dont le but est par conséquent de se faire des sous en investissant dans ce qui lui semble rentable. Elle propose une stratégie de transition numérique à l’éducation nationale, à base de novlangue sur l’innovation, l’autonomie, la solvabilité de la filière numérique et de champions européens à créer.
Car Educapital a un stratégie bien réfléchie. Sa présidente Marie-Christine Levet est associée au think thank Digital new deal qui publiait fin 2019 un rapport intitulé « Préserver notre souveraineté éducative : soutenir l’EdTech française » (pdf). Ce document fleure bon une espèce de néo-nationalisme, sur la base d’une « spécificité culturelle francophone » à valoriser dans une « exception éducative », afin de retrouver cette « souveraineté éducative » face au danger d’une « vassalité éducative » vis-à-vis des Gafam (ainsi qu’au « déferlement marketing des acteurs monopolistiques américains, et demain chinois »).
Le rapport s’appuie sur des références comme Yuval Noah Harari et le Boston consulting group mais ne présente aucun témoignage ou étude sur les enjeux du numérique en situation pédagogique. Se basant sur le constat que les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ont un poids énorme dans le numérique, il préconise l’émergence de « champions européens » de l’Edtech. Le privé peut bien se faire des sous sur l’éducation et collecter des données sur les élèves et leurs enseignant·es mais il faut que ce soit un privé européen (et si possible français d’ailleurs) ! En fait, rien dans le rapport ne répond réellement au danger de l’emprise des Gafam. Et quasiment rien ne concerne réellement celleux qui sont au centre de l’éducation : profs et élèves. Tout n’est qu’affaire d’économie.
Tout ce qu’ignorent les startups du numérique éducatif
Ce mouvement vers le numérique éducatif est soutenu. Ici aussi, il s’agit pour certain·es, comme Stanislas Dehaene, président du conseil scientifique de l’éducation nationale, de profiter de la crise sanitaire pour « faire tomber des barrières » (article en accès payant mais les premières lignes donnent une bonne idée du reste)… Où l’on voit une nouvelle incarnation de la stratégie du choc, avec rhétorique quasi militariste à base de « sauver les enfants » – pourrait-on savoir qui les met en danger au vu de la politique menée par le gouvernement côté éducation depuis plusieurs années ? – et de « résister au confinement ».
Pour le neuroscientifique proche du ministre, il faut aujourd’hui créer un « Netflix pédagogique, gratuit et centralisé ». Et s’il rit des limites de la comparaison avec Netflix sur le critère de la gratuité, on peut rire jaune devant la perspective d’un ensemble de cours uniformisés, homogénéisés, qui ignore complètement l’apport essentiel de la relation éducative entre un·e enseignant·e et des élèves, fondement des pratiques pédagogiques.
Plus généralement, Julien Cueille pointe une grande incohérence :
« Alors que nous, enseignants, sommes les principaux usagers du numérique éducatif, notre voix, curieusement, ne semble pas porter. Nous sommes même souvent les derniers à être informés des évolutions décidées par les acteurs institutionnels, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités locales chargées de l’équipement des établissements. »
Des questions éthiques, notamment en ce qui concerne l’accès aux données, sont également présentes, de même que des questions sociales, qui ont entre autres été soulevées pendant le confinement par de nombreux·ses enseignant·es. Ces dernièr·es ont tiré la sonnette d’alarme sur les inégalités fortes d’accès au numérique entre élèves, rappelées dernièrement dans une tribune alertant sur les usages acritiques du numérique à l’école.
Enfin, n’oublions pas l’aspect environnemental de la diffusion du numérique éducatif… Il s’agit là d’équipements coûteux en ressources matérielles dont la production a des impacts environnementaux non négligeables. Ces arguments étaient déjà rassemblés en 2015 dans l’appel de Beauchastel contre l’école numérique.
À l’heure où le passage accru au numérique éducatif se profile comme une des caractéristiques de cet après-confinement de longueur indéterminée, il semble d’autant plus important de mettre en commun les réflexions et prises de positions. Un exemple parmi d’autres, à discuter et à s’approprier : pourquoi ne pas faire classe à l’extérieur, afin de donner plus d’opportunités aux enfants dans le contexte des mesures sanitaires à respecter ?
Le comité de surveillance d’un essai clinique sur le tocilizumab démissionne – suite de la Gazette #12
Sauf que l’équipe de surveillance de l’étude a démissionné massivement depuis pour dénoncer une communication hasardeuse de résultats entachés de malhonnêteté intellectuelle. Les critères d’évaluation ont en effet été modifiés en cours de route – sans doute parce que les premiers critères choisis ne permettaient pas de trouver une différence entre le traitement et le placebo.
Les données en question ne sont par ailleurs toujours pas publiées et on ne sait pas précisément quels sont les nouveaux critères retenus, ce qui jette un peu plus le doute sur cette nouvelle molécule miracle – qui contrairement à la chloroquine n’est heureusement pas accessible directement dans toutes les pharmacies, ce qui évitera des empoisonnements.
Cela nous servira de leçon : nous aurions dû garder plus de distance critique vis-à-vis d’une information qui ne se trouvait pas encore dans la presse scientifique, et qui s’est avérée n’être qu’une vaine marque d’autosatisfaction du directeur de l’AP-HP. Par ailleurs, dans l’article que nous citions, publié sur le site du Vidal, pourtant supposément sérieux puisqu’il constitue la référence en matière de médicaments en France, il était fait mention d’une étude chinoise qui non seulement n’avait pas de groupe témoin pour comparer les effets du traitement par rapport au placebo (comme les études du professeur Raoult), mais en plus s’extasiait de la disparition de la fièvre des patient·es traité·es.
Il s’agit en fait d’un effet direct bien connu des anti-IL6, comme du paracétamol, et donc pas du tout d’un signe de régression de la maladie ! La fièvre est un des systèmes de protection de l’organisme, qui peut s’emballer, mais la baisse de la température ne signifie pas que les phénomènes inflammatoires disparaissent… D’ailleurs on peut aussi développer une hypothermie dans une infection sévère.
Il a été proposé de traiter les malades du Covid-19 par des immunosuppresseurs (molécules qui atténuent plus ou moins fortement la réponse immunitaire) comme le tocilizumab car il semblerait que dans certains cas, le Covid-19 entraîne un emballement de la réponse immunitaire, comme dans les formes graves d’hépatite A, par exemple. Cet emballement serait responsable de la destruction pulmonaire par de la fibrose.
Dans d’autres maladies où un sur-emballement du système immunitaire aggrave le pronostic, (par exemple la méningite bactérienne), un immunosuppresseur est ajouté aux antibiotiques qui vont tuer la bactérie. À noter cependant que contrairement aux bactéries, on n’a actuellement pas de traitement qui vienne directement tuer le Coronavirus à la place du système immunitaire qu’on réduit au silence…
Mais admettons que les immunosuppresseurs soient la bonne solution : pourquoi avoir choisi une de ces nouvelles molécules « high-tech », dont le prix journalier est de presque 30 euros et non pas un corticoïde comme la dexaméthasone (environ un euro par comprimé), qui est utilisée dans la méningite ?
Si la recherche médicale concentre beaucoup d’espoirs, souvenons-nous qu’elle n’est exempte ni des jeux d’ego et de la course à la publimétrie qui minent le monde scientifique, ni de conflits d’intérêts avec le privé.
La collapsologie à la lumière du Covid-19 : ses critiques et ses limites
En effet, la théorie de l’effondrement est loin de faire l’unanimité au sein de la gauche radicale. Ainsi Comment tout peut s’effondrer avait été critiqué pour son invitation au fatalisme, à la passivité et son apolitisme. Il n’y aurait pas de coupable de l’effondrement et tout le monde serait logé à la même enseigne. De plus, il est reproché à cette théorie de naturaliser les rapports sociaux de pouvoir, comme l’explique Elisabeth Lagass dans un article de la revue critique communiste Contretemps.
« Derrière cette idée de l’effondrement de la société réside une vision du monde qui met en avant le système plutôt que les acteur.rices et les rapports sociaux de pouvoirs. […] Pour prouver cet effondrement, les collapsologues s’en réfèrent généralement à des données quantitatives, issues des sciences naturelles. Ce faisant, ils effectuent un glissement entre les sciences naturelles et les sciences sociales, en étudiant la société comme un « écosystème », et en déduisant de données « physiques », un effondrement social. »
Mais depuis, les collapsologues ont légèrement modifié leurs discours, notamment dans le livre Une autre fin du monde est possible (Pablo Servigne (encore lui), Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle), suite de Comment tout peut s’effondrer. Ils intègrent des dimensions de luttes, l’importance du capitalisme dans la destruction des écosystèmes et la nécessité de projets alternatifs. Cependant, Daniel Tanuro explique dans un article de Contretemps en quoi cet ouvrage ne va pas assez loin et reste confus. La lutte anticapitaliste et écologiste serait uniquement invoquée et sa réalisation concrète ne serait pas assez approfondie. D’autre part, les collapsologues utiliseraient des théories réactionnaires comme celles de Carl Gustav Jung.
Un article du média belge L’Entonnoir se penche sur la volonté hégémonique du discours de l’effondrement. En voulant mettre toutes les dimensions de l’effondrement dans un unique melting pot théorique, les collapsologues ne pensent que de manière systémique et négligent les histoires locales qui nourrissent les luttes et leur permettent de tenir dans la durée.
On peut légitimement se demander si l’approche collapsologue répond aux critères de scientificité de Karl Popper quand l’on constate que tout nouveau fait pouvant invalider la théorie de l’effondrement peut juste être ajouté à l’ensemble théorique de la collapsologie ce qui la rend ainsi non réfutable. À vouloir intégrer absolument toutes les connaissances dans un unique discours, on se prend les pieds dans le tapis et on ne se rend pas compte de ses propres erreurs et errements.
Avec le déconfinement, certain·es membres de la Gazette vont sortir plus souvent sur le terrain pour lutter, gagner leur croûte ou voir leurs proches. Nous aurons donc moins de temps pour nous renseigner et pour écrire. Nous avons donc décidé de ralentir le rythme de la publication, mais rassurez-vous : il y aura bien une Gazette des confiné·es #15 !
Nous avons profité de ce moment particulier pour tirer un bilan collectif de notre expérience d’écriture de ces quatorze numéros, à mi-chemin entre la revue de presse et la chronique du confinement. Nous vous partageons quelques réflexions que nous nous sommes faites.
Nous nous connaissions avant de commencer la Gazette, à des degrés divers, et cette réflexion et écriture collective a renforcé ces liens, de même qu’elle a en créés dans notre décision de faire collectif.
L’espace de discussion créé par la Gazette a été réconfortant pendant cette période (nous étions toustes confiné·es à distance les un·es des autres) et nous a permis des réflexions communes, partant de l’écriture de la Gazette et au-delà.
Écrire sur l’actualité permet de désamorcer le côté anxiogène de celle-ci et de gagner en sérénité.
Nous avons appris de nombreuses choses sur le « travail journalistique » : recherche d’illustrations, d’informations et de sources.
Nous avons gagné en confiance sur notre capacité à produire des textes et à les diffuser, en particulier sur le réseau Mutu.
Nous avons réalisé un travail de structuration pour faire la Gazette (organisation de l’écriture, de la relecture, etc) et c’est donc bien plus qu’un assemblage de brèves : c’est un apport dans une logique d’autonomisation, individuelle et collective.
Nous sommes plutôt content·es de nos quatorze Gazettes et nous espérons qu’elles vous ont plu à vous, nos lecteur·ices.
Pourtant, il avait – avec d’autres -, alerté la Commission européenne en 2015 sur les risques d’émergence de virus épidémiques au sein de plusieurs familles de virus, dont les flavivirus (comme l’épidémie de Zika en 2016) et les coronavirus (comme l’épidémie du Covid-19).
Pourquoi n’avait-il plus suffisamment d’argent pour que son équipe continue de travailler dans de bonnes conditions ? Parce que le sujet n’était pas à la mode, tout simplement !
Car maintenant, la recherche se finance en grande partie sur projet, c’est-à-dire que des bureaucrates, par exemple ceux de l’ANR (Agence nationale de la recherche), décident où l’argent public va être investi, dans quels projets.
Ces bureaucrates, ce sont les président·es d’universités, des instituts, etc. Iels ne font plus de recherche, iels participent au mercato des directions d’instituts et d’universités… Ainsi, le président actuel de l’ANR, Thierry Damerval, a enchaîné entre 1996 et 2020 les fonctions suivantes : conseiller du secrétaire d’État à la Recherche, directeur de la stratégie et de l’évaluation au CEA (Commissariat à l’énergie atomique), conseiller technique auprès du premier ministre, directeur de l’Inserm pendant dix ans et finalement directeur de l’ANR.
Et tout ce fonctionnement coûte un argent fou : l’ANR, censée distribuer de l’argent à la recherche, pompe 9 % de son budget pour financer son propre fonctionnement, en constante progression depuis 2005. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg des appels à projets (AAP) : un rapport du syndicat Snesup-FSU estime que 90 % des financements des laboratoires (équipes de recherches) viennent d’appels à projets contre seulement 10 % de financements pérennes.
« Le temps collectif consacré à l’allocation de crédits par appels à projets compétitifs (conception des appels à projets, rédaction des projets, processus d’évaluation, contrôle projet par projet) est disproportionné, sans parler du coût économique correspondant, estimé dans certaines études comme supérieur aux montants distribués (notamment par l’ANR). »
Il a le grand avantage d’être éphémère : un projet de recherche ça a un but et une fin, c’est une marchandise que la hiérarchie achète aux chercheur·ses.
Ainsi, la langue de bois fait son rôle, il est beaucoup moins risqué de parler de financement par projet de la recherche que de choix par la hiérarchie des sujets de recherches. Et comme on peut le constater dans l’exemple du Coronavirus, le pilotage de la recherche par une hiérarchie incompétente est complètement inefficace pour déterminer les sujets importants pour l’avenir.
La bureaucratie universitaire normalise les comportements via l’utilisation d’indicateurs : vers une science encore plus au service de l’économie ?
Pour évaluer et contrôler les chercheur·ses, les bureaucrates utilisent leur principale arme de normalisation : les indicateurs, imposés comme neutres et objectifs aux chercheur·ses.
Dans la recherche, on parle d’indicateurs bibliométriques et ceux-ci, grossièrement, comptent le nombre de productions sous forme d’articles dans des journaux indexés des chercheur·es, ainsi que leur ré-emploi dans d’autres articles. Comme pour tout indicateur, le but des chercheur·ses n’est alors plus de découvrir des choses intéressantes pour la société mais de maximiser l’indicateur.
Cela donne de nombreux effets pervers qui sont très bien illustrés de manière humoristique dans cet article : multiplication des articles pourris, des revues prédatrices (qui font payer la publication aux chercheur·ses souhaitant améliorer leur indicateur), baisse de qualité des articles, etc.
Dans le cas du Covid-19, on peut regarder le nombre de publications sur le Coronavirus : plus de 24.000 en 2020. Quelle est la balance entre des contributions honnêtes motivées par l’urgence et des articles pourris écrits uniquement pour surfer sur un phénomène de mode ? Dur à dire mais ces dernières représentent probablement une grande partie vu l’effet de mode. Publiez sur le Coronavirus et vos indicateurs bibliométriques auront de grandes chances de bondir !
Et pendant ce temps, l’avancement des connaissances ? Il est clairement ralenti par le fait de devoir trier les articles bien faits dans cet océan de productions écrites uniquement pour faire du chiffre.
De plus, « marchandiser » signifie aussi identifier ce qui rapporte. Pour l’argent investi, on est capables d’analyser le tout sous l’angle de l’investissement et des retours sur investissement (c’est le même processus que dans les hôpitaux publics, voir à ce sujet La Casse du Siècle, documentaire téléchargeable en ligne, notamment les chapitres deux et trois).
Et voilà que le tout s’insère dans les processus de capitalisation. La recherche publique et ses fonds publics peuvent ainsi être orientés vers les domaines les plus profitables pour les entreprises privées. Le contrôle de la recherche par le monde économique est aussi facilité.
Selon les domaines, en fonction de leurs enjeux, les ressources pourraient bien se tarir si la critique du système dominant se fait trop forte… Si toutefois cette critique n’est pas récupérée avant par le système, via par exemple du green-washing, ou des équivalents.
Parmi les produits de la recherche particulièrement « marchandisables », citons les innovations, et notamment celles qui se rattachent aisément à la société de consommation.
Les jeunes chercheur·ses qui auront produit des résultats un tant soit peu « marchandisables » pendant leurs travaux d’entrée en recherche (doctorat, post-doctorat) sont ainsi aujourd’hui incité·es à créer des start-up pour « valoriser » ces résultats. Entretenir un monde où tout se vend, où leur savoir devient marchandise.
Et ces innovations-marchandises, en plus de rapporter de l’argent, justifient en entier tout le système capitaliste ; en 1967, dans la société du spectacle, Guy Debord écrivait :
« Dans l’image de l’unification heureuse de la société par la consommation, la division réelle est seulement suspendue jusqu’au prochain non-accomplissement dans le consommable. Chaque produit particulier qui doit représenter l’espoir d’un raccourci fulgurant pour accéder enfin à la terre promise de la consommation totale est présenté cérémonieusement à son tour comme la singularité décisive. […] Il révèle trop tard sa pauvreté essentielle, qu’il tient naturellement de la misère de sa production. Mais déjà c’est un autre objet qui porte la justification du système et l’exigence d’être reconnu. »
Des écoféministes accusent la science moderne, rationnelle et aux dichotomies fortes (dont nature vs. culture), d’être à l’origine du désastre environnemental. Nuançons tout de même ce propos en notant les divergences entre les différents domaines scientifiques. La recherche dans les nanotechnologies est-elle vraiment similaire aux études de genre en sciences sociales ?
À propos de l’éducation, Ivan Illich disait qu’elle est un outil de production, en tant qu’institution productrice de savoir et que, passé un certain seuil, toute institution, ou outil de production, ne vise plus que son auto-reproduction et devient destructeur (voir Pédagogie et Révolution, en accès libre chez Libertalia, chapitre sur Illich).
L’institution (l’éducation) est alors confondue avec le besoin fondamental (l’éducation) ; et l’apprentissage est confondu par commodité avec la fréquentation scolaire : mesurable, quantifiable… « marchandisable ». De même qu’Illich proposait de « déscolariser la société ? » (traduction littérale du titre original de son ouvrage Deschooling Society, paru en français comme La Société sans école), pouvons-nous trouver un moyen de nous réapproprier la production et la transmission des savoirs scientifiques ?
Puisque Macron le veut, il en sera ainsi : les écoles rouvriront le 11 mai. Avec un protocole sanitaire dense, mais néanmoins épuré au cours de versions successives. Le 30 avril, le Café pédagogique notait bien que les personnels de l’Éducation nationale devaient recevoir deux masques par jour de travail… et le 3 mai, parmi l’allègement des règles sanitaires, il repère que cette distribution de masques a disparu et qu’ils ne doivent plus obligatoirement être portés en cours.
En revanche, ça ne s’allège pas pour les enfants, qui, à part rester assis à une table, ne pourront pas faire grande chose. Une tribune d’enseignant·es et d’intervenant·es à l’école n’hésite pas à qualifier les règles auxquelles les enfants seront soumis de maltraitance et à dénoncer une « expérience de psychologie sociale à grande échelle ».
Ces règles placent aussi le personnel éducatif dans une position intenable et particulièrement paradoxale : en faisant respecter les règles du protocole de sécurité, les enseignant·es, Atsem et AESH nient les besoins des enfants et des bases pédagogiques. Et s’il ne les fait pas respecter, il se met en faute.
Ce qu’il faut à l’État, ce ne sont pas des personnels de l’Éducation nationale, ce sont des matons.
« Nous vivons dans un univers bien plus riche, bien plus imprévisible : le « ?réel ? » ?! Et dans ce réel, les enfants, comme les adultes, ne respectent pas toujours les règles. Les enfants attendent avec impatience de retrouver leurs camarades. Qui peut sérieusement imaginer qu’ils seront capables, huit heures par jour, de respecter tous les gestes barrière, toutes les consignes données, toutes les mesures de protection et toutes les distances de sécurité ?? Qui peut sérieusement penser que les enfants pourront réprimer leurs envies et leurs besoins de contact, de chaleur, de câlins et d’humanité ? »
« Colère covid » est en ligne depuis le 1er mai. « Une manière de faire vivre cette date symbolique dans ces conditions particulières », expliquent ses créatrices et créateurs anonymes. Tout juste devine-t-on un lien avec la plateforme #Covid-entraide, dont nous vous parlions dès notre première Gazette des confiné·es.
Cette carte participative doit servir à recenser les luttes en cours dans le monde du travail. Des conflits ont éclaté pendant le confinement, « mais rien, à notre connaissance, ne permettait de relever le nez et de penser ce phénomène à une échelle plus large », poursuivent les internautes qui épluchent donc la presse locale pour donner de la visibilité aux grèves, droits de retraits et autres expressions du rapport de force entre le travail et le capital.
Un rapide survol de cette France en lutte nous permet de vérifier la sur-représentation des entreprises liées à la distribution et à la vente en ligne. On pense bien sûr à La Poste et à Amazon, qui ont défrayé la chronique. C’est aussi le cas des livreuses et livreurs de Deliveroo et UberEats à Lyon, parfait·es représentant·es de cette nouvelle classe ouvrière hyper-précarisés, aux salarié·es de La Redoute à Wattrelos, d’Orchestra près de Montpellier, de Fedex à Roissy ou d’Oscaro.com à Cergy-Pontoise et Argenteuil.
Les premiers de corvée du nettoyage à l’industrie
Plusieurs sociétés du secteur des déchets et de la propreté ont connu des tensions au sujet – et c’est un comble -, de l’hygiène. On le remarque chez La Pyrénéenne, dont les employé·es nettoient la gare de Toulouse, à Rimma et Urbaser Environnement, dont les éboueur·ses ramassent respectivement les poubelles à Nancy et Poitiers, ainsi que chez Atalian, sous-traitant du groupe Carrefour en Île-de-France.
Le site permet aussi de localiser rapidement quelques affaires emblématiques de la désindustrialisation du pays. Au nord de Clermont-Ferrand, les ex-Luxfer demandent la nationalisation de cette usine qui était capable de produire des bouteilles d’oxygène médicales, jusqu’à sa fermeture l’an dernier. La mobilisation a permis d’empêcher la destruction des machines et les ouvrièr·es estiment pouvoir fournir leur première bouteille en moins de deux mois. Toutefois, malgré des relais politiques et médiatiques, l’État ne bouge pas.
Près de Saint-Brieuc, les ancien·nes d’Honeywell avaient perdu tout espoir depuis leur licenciement, en 2018. La dernière ligne de montage de ce qui fut la plus grande usine de masques médicaux de France après l’épidémie de Sras en 2003 a été découpée puis envoyée à la casse. Toutefois, la crise sanitaire leur donne de nouveaux arguments. Le syndicat Solidaires Côtes-d’Armor a proposé la création d’une coopérative ouvrière se reposant sur ces travailleur·ses et leur savoir-faire. La région Bretagne a lancé une mission pour vérifier la faisabilité du projet. Une promesse de commande formulée par Emmanuel Macron a attiré quelques vautours de la finance le bec rempli d’oseille. Rien n’est fait.
Quelques fleurons industriels ont connu des refus de reprendre le travail. Des mouvements ont été suivis sur Les Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, chez Renault au Mans et Valenciennes ou PSA, notamment à Sochaux. Citons aussi la grève appelée par Sud et la CGT sur le site de traitement des déchets nucléaires Orano (ex-Areva) situé à La Hague, dans la Manche, en avril.
Silence radio dans l’agri-agro
Dans le même département, une trentaine de soignant·es de l’hôpital de Guingamp ont débrayé mercredi 5 mai à l’appel de la CGT. La question des plannings tend les relations déjà dégradées par la diminution du nombre de lits. Le personnel craint « ne pas pouvoir affronter la deuxième vague de l’épidémie s’il y en avait une », rapporte Le Télégramme. Le 1er mai, 17 syndicalistes ont été verbalisés après avoir défilé en voiture entre l’établissement et un Ehpad de la ville.
Si l’heure est encore à la lutte contre le Covid-19 dans une bonne partie des centres hospitaliers du pays, un conflit social a également éclaté le mois dernier à l’hôpital psychiatrique Le Vitanier, à Lyon, contre un plan d’économies.
En revanche, un autre secteur dont l’activité a été maintenue voire augmentée depuis le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire se fait très discret. L’agroalimentaire semble laver son linge sale en famille. On compte bien des mouvements éparses chez Jacquet-Brossard, dans le Puy-de-Dôme, Vandemoortele, à Reims, Marie Surgelés à Airvault dans les Deux-Sèvres et Fromarsac, en Dordogne, mais c’est une goutte d’eau comparé au poids des abattoirs, entrepôts de stockage et autres usines de congélation qui parsèment la campagne.
Ainsi, « Colère Covid » ne recense pas la moindre action dans ce secteur en Bretagne, pourtant première région d’élevage. Les patrons le savent, les intérimaires ne se syndiquent pas. Quant au BTP, qui regroupe de très petites et moyennes entreprises, il est tout simplement absent de la carte.
Les résistances d’aujourd’hui alimenteront-elles celles de demain, comme l’espère l’équipe derrière « Colère Covid » ? En tout cas, les risques de contamination, les carottes qui se transforment en bâtons, le stress qui s’ajoute à la fatigue et tout simplement les menaces sur l’emploi risquent de former un cocktail explosif dans les prochains mois. Les responsables de tous bords seraient biens inspirés de lire le rapport d’enquête publié par l’UGICT-CGT mardi 5 mai, à partir de 34.000 réponses de salarié·es. A moins de souhaiter voir cette carte des luttes se remplir irrésistiblement.