Cette ultime Gazette commence par l’espoir d’un soulèvement fertile contre l’oppression raciste qui se perpétue de chaque côté de l’Atlantique. Et si des semaines de confinement nous avaient plus uni·es que séparé·es ? Faisons ce pari, car d’âpres combats commencent, tant contre l’immense casse sociale facilitée par les ordonnances Macron que pour faire obstacle aux grands projets inutiles et imposés qui continuent de pousser. Sans parler de l’aide aux exilé·es, scandale européen majeur refoulé sur quelques îles grecques. Avant de nous séparer, tordons le coup à l’idée selon laquelle la nicotine protégerait du Covid-19 et arrêtons-nous sur l’inattendue résistance du continent africain face au virus.
Contre les meurtres de la police, révoltons-nous
Des rassemblements et manifestations en mémoire d’Adama Traoré, de George Floyd et de toutes les trop nombreuses autres victimes des crimes policiers ont eu lieu ces derniers jours. Au vu des nombreux comptes rendus publiés sur les sites du réseau Mutu, il y a eu des rassemblements à Paris, Limoges, Tours, Marseille, Dijon, Toulouse, Saint-Étienne, Nantes et Rouen. À l’heure où nous écrivons, d’autres sont prévus pendant le week-end des 6 et 7 juin, notamment à Nantes, Rennes, Marseille et Tours.
Les manifestations nord-américaines consécutives au meurtre de George Floyd par la police ont participé au refleurissement des actions en France, ainsi que dans de nombreux autres pays. Aux États-Unis, après le confinement, s’opposer ainsi au gouvernement, et avec succès, est vu par CrimethInc comme un moment d’élargissement des possibles dans l’imagination collective. Les auteur·ices appellent à partager les connaissances sur le comportement à adopter dans la rue dans ces manifs, à résister aux divisions – notamment dans le jugement des pillages -, et à accroître la solidarité.
Lundi matin propose une analyse à chaud des mouvements actuels aux États-Unis, commençant par un rapide historique du mouvement Black Lives Matter. Le journal en ligne observe que ce slogan rassembleur intervient plus en tant que mot d’ordre qu’en tant qu’organisation. Sur place, la colère se mêlerait à la joie, les émeutes étant aussi des fêtes, où l’on s’organise contre un racisme systémique, en se rappelant de ne pas tomber dans une lutte symétrique et armée avec l’État.
Lundi matin interroge aussi Robert Hurley qui a assuré la traduction de quelques livres de référence. Ce dernier propose de lire les soulèvements actuels comme ceux d’un vide, dans la mesure où le monde blanc et occidental s’est formé en réprimant et excluant une partie de la population.
« Dans ce cas précis, il s’agit des Noirs. Donc lorsque les Noirs « entrent en action », c’est ce vide même qui se révèle. Je crois que c’est pour cela que l’on considère la situation comme “révolutionnaire”. »
Bref retour historique sur le Black Panther Party et la répression qu’il a subi
C’est loin d’être la première fois que les Afro-américains se révoltent aux États-Unis. Entre 1966 et 1973, le Black Panther Party (BPP) multiplie les actions. Ce mouvement non-mixte sans personnes blanches, d’inspiration marxiste-léniniste, publie en 1967 son programme en dix points qui fait toujours référence aujourd’hui.
« 7. Nous voulons un arrêt immédiat de la BRUTALITÉ POLICIÈRE et des MEURTRES de Noir·es.
10. Nous voulons des terres, du pain, des logements, l’éducation, des habits, la justice et la paix. »
Le cofondateur du BBP, Bobby Seale, affirme en 1966 l’importance de la lutte des classes :
« Dans notre perspective il s’agit d’une lutte des classes entre une classe ouvrière prolétarienne massive et la petite classe dominante, minoritaire. Les gens de la classe ouvrière de toutes les couleurs doivent s’unir contre la classe dominante oppressante et exploitante. Alors laissez-moi être à nouveau emphatique – nous croyons que notre lutte est une lutte de classes et non une lutte de races. »
Un article du Monde diplomatique datant de 1995 revient sur la répression extraordinaire mise en place contre les Panthères. En 1968, le célèbre directeur du FBI Edgar Hoover considère que le Black Panther Party est « la plus grande menace qui soit contre la sécurité interne du pays ». Cette déclaration fait suite à une note interne de 1967 appelant à « démasquer, briser, fourvoyer, discréditer, ou au moins neutraliser les activités des organisations nationalistes noires ». Les moyens déployés sont considérables : infiltrations, propagande publique, provocation de rivalités entre factions, etc.
L’article du « Diplo » note que « pour la seule année 1970, 38 militants sont tués lors de raids organisés par les polices locales contre les bureaux du BPP ». Fred Hampton, leader du Black Panther Party en Illinois, est assassiné dans son lit en 1969. Il avait 21 ans et son garde du corps était un membre infiltré du FBI.
Par ailleurs, la répression s’est poursuivie devant les tribunaux. Une erreur judiciaire, sur fond de témoignages par un indicateur du FBI, envoie Geronimo Pratt, un membre influent du Black Panther Party, en prison pendant 27 ans. L’abandon des charges est prononcé deux ans après sa libération. Un autre militant, jugé coupable pour le meurtre d’un policier, est encore en prison depuis son jugement en 1982.
Soyons certain·es que, aujourd’hui aussi, les programmes contre-insurrectionnels fonctionnent à plein régime.
Cartographier les licenciements ou le nouveau travail de Sisyphe
Aucun dispositif ne permet de ressentir la gifle vécue par un·e travailleur·euse qui décachette sa lettre de licenciement. Les statistiques du chômage, aussi impressionnantes soient-elles, euphémisent tout à fait la traduction concrète de cette « mort annoncée ». Une carte ne rend pas plus emphatique qu’un tableur de compta, mais elle représente mieux l’ampleur des dégâts. C’est là que la CGT info’com intervient.
L’ex-syndicat des typographes parisiens creuse un sillon qui lui vaut déjà d’être suivi par 130.000 internautes sur la page Facebook LuttesInvisibles. Sa revue de presse permanente se poursuit sur le site « Alerte licenciements », lancé le 25 mai. La page d’accueil affiche un compteur qui recense, au 5 juin, 21.674 destructions d’emplois effectives ou programmées depuis le 1er janvier.
Si certaines casses spectaculaires ont trouvé un écho dans les médias, comme chez La Halle (1.700 postes supprimés), Conforama (1.900), Michelin à La Roche-sur-Yon (619) et bien sûr Renault (4.600), bien d’autres défaillances d’entreprises aux conséquences non moins désastreuses pour leur région passent sous les radars.
Connaissez-vous Vortex Mobilité, ex-leader du transport scolaire d’enfants handicapés ? La société vient d’être liquidée, un an après son placement en procédure de sauvegarde. Ses 1.300 salarié·es sont les victimes de patrons voyous, qui refusaient notamment de payer une demi-heure journalière. Au fait de sa gloire en 2015, Vortex était qualifiée par L’Humanité de « requin » et son fondateur Eric Heudicourt décrit tel un malfaiteur en col blanc, dévalisant les caisses des départements. Maigre consolation, 21 salarié·es ont fait condamner l’entreprise en appel pour « travail dissimulé » début mars.
Le distributeur de journaux Presstalis vous est peut-être plus familier ? Fondé au sortir de la Seconde Guerre mondiale sous le nom de Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), c’était un bastion du puissant Syndicat du Livre CGT. Le confinement correspond à une étape cruciale de son agonie, puisque Presstalis a déposé le bilan en avril avant d’être placé en redressement judiciaire le 15 mai. La liquidation des filières régionales entraîne la destruction de 500 emplois. La libéralisation du marché porte probablement un coup fatal à l’esprit de la loi Bichet, qui garantissait depuis 1947 une égalité de traitement entre les titres proposés dans les kiosques. Une garantie pour le pluralisme saute.
Dans le secteur du commerce, citons la fin du dernier chausseur de Fougères, en Ille-et-Vilaine, après 99 ans d’existence. La liquidation judiciaire sans poursuite d’activité de JB Martin a été décidée le 3 juin par le tribunal de commerce de Paris. Quarante-cinq stylistes et commerciaux travaillaient encore en Bretagne, sur 120 salarié·es au total. Un témoignage parmi d’autres de la désindustrialisation du pays, quoi qu’on dise le gouvernement à ce sujet.
La carte de France menace de se remplir d’autant plus vite que les ordonnances Macron de 2017 facilitent le recours aux licenciements. Elles favorisent aussi le chantage puisque l’employeur peut négocier une baisse de salaires avec les syndicats en échange d’un engagement sur l’emploi. Ce qui conduit l’avocat en affaires sociales Rudy Ouakrat à citer la ministre du Travail espagnole Yolanda Diaz (IU, communiste), qui a interdit les licenciements résultant de la crise du Covid-19 au motif que « cette crise est une parenthèse ».
Le Covid a, relativement, épargné l’Afrique : quelques hypothèses pour l’expliquer
Peut-être vous souvenez-vous qu’au début de l’épidémie, nous étions nombreux·ses à nous lamenter sur le sort des pays africains. Le massacre n’allait-il pas être terrible, dans ces contrées dépourvues de système de santé efficace, et puis surtout d’États policiers aussi bien centralisés que ceux des pays du Nord ?
Force est de constater que ça n’a pas été le cas, bien qu’il soit difficile de comparer les chiffres car les systèmes de veille sanitaire nationaux ne sont pas équivalents. Actuellement, n’ont été recensés que 140.000 cas et 4.000 morts sur l’ensemble de ce continent d’1,3 milliards habitant·es.
Si l’on admet que les différences de comptage ne peuvent justifier à elles seules l’énorme écart de mortalité avec l’Europe ou les États-Unis (où le Covid aura fait 100.000 morts pour 300 millions d’habitant·es, soit plus d’un facteur 100 par rapport à l’Afrique), comment l’expliquer ?
Tout d’abord, certaines régions, comme expliqué dans cet article sur la Kabylie, ont conservé une gestion villageoise assez autonome, ce qui leur a permis de prendre des mesures de protection bien avant que les États centraux ne réagissent. On vous en parlait dans les nouvelles internationales de La Gazette des confiné·es #9.
Bien qu’il existe aujourd’hui de grandes mégalopoles sur le continent africain, avec de gigantesques bidonvilles, seul·es 40 % des Africain·es vivent en ville, contre 79 % des Français·es et 84 % des Brésilien·nes. Or, comme on a pu le constater au cours des derniers mois, la densité de population joue beaucoup sur la diffusion de l’épidémie…
De nombreux gouvernements africains ont par ailleurs, à l’instar du reste du monde, rendu le port du masque obligatoire, fermé les frontières et confiné tout ou partie de leur pays. Ce fut le cas en Afrique du Sud et à Dakar, la capitale du Sénégal. Le Ghana a quant à lui mis en place dès le mois d’avril un dépistage de masse et une application pour tracer les contacts des malades similaire à l’application StopCovid en France, application que nous avons déjà critiquée dans un hors-série de La Gazette.
Alors, les gouvernements africains seraient-ils plus compétents que les européens, si, avec les mêmes recettes, ils arrivent à de bien meilleurs résultats ? On peut en douter, notamment quand on sait qu’à la tête de Madagascar, le président Andry Rajoelina n’a rien à envier ni à Trump ni au professeur Raoult. Il promeut sans l’ombre d’une preuve scientifique l’efficacité de la tisane à l’Artemisia annua, au point de vouloir obliger chaque écolier malgache à en prendre, au grand dam de l’Académie de médecine du pays. Ironie de l’histoire, l’artémisinine, la molécule issue de l’Artemisia, est comme la chloroquine un traitement du paludisme.
Enfin, des explications plus triviales pourraient expliquer cette faible mortalité. D’une part, comme l’indique un récent compte rendu de l’Académie de médecine française, les climats chauds pourraient être relativement défavorables à la propagation du virus et d’autre part la population africaine est nettement plus jeune et moins touchée par l’obésité que les populations américaines et européennes. Néanmoins, l’exemple du Brésil, avec plus de 20.000 morts pour 208 millions d’habitant·es, pousse à penser que ces facteurs seuls ne suffisent pas à tout expliquer…
À Lesbos, l’accès et l’eau et à la nourriture est plus urgent que le déconfinement
La situation dans le camp de Moria, sur l’île de Lesbos, en Grèce, était déjà catastrophique avant le confinement. CQFD alertait dans son numéro d’avril sur les incendies, les violences fascistes et la répression menée par le gouvernement conservateur grec. Au début du confinement, la militante de l’ONG Mare liberum, Sabrina Lesage rappelait sur son blog Mediapart que le camp prévu pour accueillit 3.000 personnes en hébergeait en fait 20.000, dans des conditions d’hygiène abominables.
Le confinement a par ailleurs accentué le contrôle des déplacements des migrant·es et stoppé l’activité des bateaux qui se portent à leur secours sur la Méditerranée. Début mai, l’un de ces bateaux a pu reprendre la mer mais les migrant·es qu’il a secouru·es n’ont pas pu être débarqué·es en Italie. D’autres bateaux italiens ont été saisis par la police pour des révisions techniques qui semblent infondées.
Il ne semble pas y avoir actuellement de cas avéré de Covid-19 dans le camp de Moria. Le gouvernement a par ailleurs commencé récemment à transférer des personnes hors de Lesbos (un peu moins de 400 début mai). Mais tout cela est loin d’être suffisant pour améliorer la situation.
À Moria, une partie des migrant·es se sont organisé·es entre elleux en une Moria Corona Awareness Team. Celle-ci a, entre autres, lancé la couture de masques et écrit une lettre à l’Union Européenne dans laquelle est listé ce dont les migrant·es ont besoin sur l’île : l’eau courante (elle n’est pas accessible plus de quatre heures par jour en ce moment), une gestion des déchets, de la nourriture, la sécurité, une éducation…
« Le problème, ce n’est pas le Coronavirus, le problème c’est Moria », titrait Sabrina Lesage.
Bastamag à travers un article et Arte dans un court reportage, soulignent la situation particulièrement précaire des femmes dans le camp de Moria. Elles souffrent d’autant plus du manque de médecins, d’hygiène, de sécurité. Elles sont plus vulnérables face aux agressions et appeler la police, comme ailleurs, ne sert à rien.
Une décision « inédite » du Conseil constitutionnel profite à Total au risque de fragiliser davantage le Parlement
Faire reconnaître par les « Sages de la rue de Montpensier » que les conditions d’autorisation de la centrale au gaz de Landivisiau contrevenaient à la loi fondamentale ne suffit pas à faire échec à sa construction par Total-Direct énergie. « La raison du plus fort est toujours la meilleure », récite le Conseil constitutionnel, qui en vient à faire douter certains juristes du respect de la démocratie.
Saisi par l’association Force 5 par le biais d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le « Conscons » s’est prononcé jeudi 28 mai sur la conformité de l’article L.311-5 du code de l’énergie avec la Charte de l’environnement, texte à valeur constitutionnelle.
Cet article contesté porte sur les critères dont tient compte l’autorité administrative pour autoriser l’exploitation d’une installation de production d’électricité. Or, il ne prévoit aucun dispositif permettant la participation du public à l’élaboration de cette décision, alors même qu’il est évident qu’une telle centrale a une incidence sur l’environnement. « Le législateur a méconnu, [avant le 5 août 2013], les exigences de l’article 7 de la Charte de l’environnement », admet le Conseil.
Victoire des opposant·es à la centrale ? Non, car un nouvel article de loi a réparé cette lacune. Bien que « les dispositions […] doivent être déclarées contraires à la Constitution jusqu’au 31 août 2013 et conformes à la Constitution à compter du 1er septembre 2013 […] la remise en cause des mesures ayant été prises avant le 1er septembre 2013 […] aurait des conséquences manifestement excessives ». Sachant que l’autorisation de la centrale date du 10 janvier 2013 ! Vous suivez ?
Pour un subtil jeu de dates, le Conseil permet la poursuite des travaux, par ailleurs très avancés. « Ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité », conclut-il.
Les écolos nord-finistériens peuvent se sentir marris. L’association S-Eau-S ironise à propos du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, rappelant qu’en 2015 « il frappait de son marteau l’adoption de la résolution de la Cop21 à Paris, qui engageait la France sur la voie de la réduction de son émission de gaz à effet de serre ».
Un porte-parole de Force 5 soupçonne même des pressions politiques et économiques. Si cette accusation de corruption reste à démontrer, la décision n’en fait pas moins hausser les sourcils aux juristes.
« Que l’on ne s’y trompe pas, c’est peut-être une révolution, au sens propre du terme, qui s’est produite rue de Montpensier, et que le Conseil constitutionnel semble avoir assumée, écrit Julien Padovani sur son blog Droit administratifs. Partant, c’est l’ensemble du régime juridique des ordonnances qui semble être reconfiguré. »
Au détour d’une QPC, c’est rien de moins que le rôle du Parlement et l’équilibre des pouvoirs qui semblent redéfinis. « En attribuant valeur législative à l’ordonnance non ratifiée après délai d’habilitation, le Conseil constitutionnel semble pourtant procéder, au mieux à une ratification implicite, mais contra legem, au pire à une mise à l’écart du processus de ratification, contre l’esprit de la Constitution », poursuit le docteur en droit public.
Ce que Cécile Duflot traduit dans un fil Twitter par « ok ça a pas été ratifié dans les délais mais c’est la loi quand même. » L’ancienne ministre et députée Europe écologie Les Verts, visiblement en colère, estime que « ça dépossède totalement le Parlement de son pouvoir, ça dit le contraire de la Constitution et ça prive aussi les citoyens de leur capacité de contester directement des ordonnances obsolètes ». Une interprétation nuancée par le docteur en droit Arnaud Gossement, qui s’exprime lui aussi en 240 caractères.
Ce débat ultra-technique né d’un combat anti-centrale sur les rives de l’Elorn est quoi qu’il en soit d’une actualité brûlante. Car comment le gouvernement fait adopter ses lois à la chaîne en cette période d’état d’urgence sanitaire, si ce n’est justement par ordonnances ?
Il n’y a aucune preuve que la nicotine protège du Covid-19
Certains médias se sont fait l’écho d’un article d’une équipe de la Pitié-Salpêtrière publié le 24 avril par la prestigieuse Académie des sciences. On y lit que « la nicotine pourrait être suggérée comme potentiel agent préventif contre l’infection du Covid-19 » et cette phrase est justifiée par l’observation que les fumeur·ses étaient sous-représenté·es parmi les patient·es atteint·es de Covid-19.
Mais les médias n’ont pas pris les mêmes précautions de langage que l’article original, comme le relève Acrimed. La palme revient à France Inter qui titre le 22 avril, « La nicotine, une arme contre le Covid ? »
Depuis, l’information s’est diffusée et il est probable que beaucoup moins de gens n’aient été confronté·es aux développements de cette controverse scientifique. Faisons un bref état des lieux des informations publiées sur le sujet depuis le 24 avril 2020.
Dès le 27 avril, l’Inserm publie une note qui nuance les résultats de l’article du 24 avril. « Se tourner vers la cigarette pour prévenir le développement de la maladie n’est pas indiqué et l’arrêt du tabac chez les patients présentant des comorbidités est une priorité », tranche-t-elle.
Le 11 mai, l’OMS publie une note qui affirme, sans citer aucune source, que « les fumeur·ses risquent davantage de contracter une forme sévère de la Covid-19 que les non-fumeur·ses ».
Le 12 mai, un article étudie les liens entre le fait de fumer et le fait de développer une forme grave de la maladie parmi les personnes atteintes de Covid-19. L’étude conclut que les fumeur·ses ont 1,91 fois plus de risques de développer une forme sévère que les non-fumeur·ses.
Alors comment savoir qui a raison ? Tout cela illustre bien que les mécanismes de la recherche scientifique ne sont pas évidents à comprendre. Dans des domaines comme la médecine, différents articles ont régulièrement des résultats contradictoires et cela n’implique pas que l’un ou l’autre de ces articles soit faux. C’est seulement quand il semble y avoir une nette tendance dans un sens que l’on peut réellement conclure. Il existe d’ailleurs alors des outils statistiques pour établir si les tendances observées dans tous ces articles forment bien significativement une tendance majoritaire.
La recherche se construit sur le temps long contrairement aux actualités qui périment extrêmement vite. D’où un cocktail parfois explosif quand des articles de presse reprennent des articles scientifiques récents : on a pu le voir pour l’hydroxychloroquine à multiples reprises, on le voit ici pour la nicotine.
De plus, dans ce cadre, il est compliqué de conclure définitivement tant les facteurs de risques potentiels sont imbriqués les uns dans les autres : tabac, hypertension, diabète, etc. Il est extrêmement complexe de passer d’une corrélation statistique à un effet de causalité comme le rappelle ce très complet article de The Conversation sur les liens entre Nicotine et Covid-19. Par ailleurs, le simple fait que les patient·es qui meurent du Covid sont en moyenne plus âgé·es, et que la cigarette raccourcit la durée de vie, peut entraîner certains biais statistiques.
On peut rappeler cependant, comme nous le faisions dans un article de La Gazette des confiné·es #13 sur le même sujet, que les liens entre nicotine et Covid-19 ne sont pas clairs, mais que les effets négatifs du tabac sur la santé sont, eux, prouvés de longue date.
C’était notre dernière Gazette…
Nos portes sont maintenant grandes ouvertes et le rideau sur l’écran peut tomber.
Après 17 numéros, notre Gazette s’arrête pour une durée indéterminée (des fois qu’on se re-retrouve confiné·es). Nous espérons avoir défriché quelques questions d’actualité, mené vers d’autres lectures et pourquoi pas donné l’envie d’écrire vous aussi pour documenter l’époque et nos sensations, jour après jour, dans cette période si imprévisible.
Vous nous lirez probablement sous d’autres formats grâce aux modos du réseau Mutu (du moins si on ne les a pas trop fatigué·es). Merci à elleux, qui permettent à ces sites d’information anticapitalistes d’exister. Merci aux photographes, dessinatrices et dessinateurs qui ont accepté de céder gracieusement leurs illustrations pour la cause, avec chaque fois une grande célérité. Merci à vous qui avez pris le temps de nous écrire, notre boîte reste d’ailleurs ouverte (gazette.des.confine.es[@]protonmail.com). Bye bye !
Illustration de une : Dessin de Marine Summercity qui illustrait le numéro de mai 2020 du journal CQFD.