Effacez vos textos (une garde à vue est si vite arrivée…), voire emmenez un téléphone que vous n’utilisez que pour ça, avec seulement les numéros dont vous avez besoin.
Utilisez une messagerie sécurisée (Riseup, Protonmail etc.) et apprenez à crypter vos mèls. Évitez de donner des infos sensibles via Facebook (voir notamment la brochure Face à Facebook), Gmail ou autre…
Pour les recherches « à risque » sur le web, utilisez Tor, qui garantit votre anonymat.
Chiffrez vos données sensibles sur votre ordinateur.
Installez Linux sur votre PC. Les dernières versions de Windows sont pleines de failles bien pratiques pour l’espionnage… Même si vous utilisez quelques astuces pour vous en prémunir, il est vraisemblable que des infos partent quand même sur leurs serveurs…. Vous pouvez aussi utiliser une session temporaire comme Tails.
Aujourd’hui, il y a environ 5.000 satellites artificiels d’après le Bureau des Affaires Spatiales de l’Onu (en anglais) en orbite autour de la Terre. Le projet Starlink du constructeur aérospatial américain SpaceX prévoit d’en envoyer à lui seul 42.000 pour son projet démentiel consistant à fournir un internet à grande vitesse partout dans le monde. Un budget prévisionnel de 10 milliards de dollars lui est alloué…
L’article de Jonathan Bourguignon dans Lundi matin revient sur les origines hippies des mouvements de hacker·euses libertarien·nes de la Silicon Valley. Ainsi, dans l’imaginaire start-up, la connexion au réseau internet concrétiserait l’interconnexion mentale rêvée par les hippies. Et Elon Musk, avec le projet SpaceX, apporterait la libération et l’éveil aux populations opprimées par des gouvernements qui censurent internet (Wikipédia était interdit en Turquie jusque très récemment et est bloqué en Chine depuis mai 2019 par exemple).
Mais cette fable libertarienne ne peut convaincre que les gens qui se voilent la face sur la réalité des Gafam dont le seul but est le profit et qui n’hésitent pas à investir dans la reconnaissance faciale et dans la surveillance de masse. Et il ne faut pas oublier que le réseau de l’interconnexion s’appuie sur une infrastructure destructrice de l’environnement et que des gens luttent contre celle-ci, comme en Aveyron, à l’Amassada, où l’on propose de trancher le filet / réseau dans un tract contre les éoliennes industrielles (pdf).
Quant à l’utilité d’Internet pour éveiller les consciences, un article publié sur Paris-Luttes info rappelle que 34 % du trafic sur Internet vient de la consultation de VoD (vidéos à la demande : Netflix, Amazon Prime, etc..) et que 27 % vient de la consultation de vidéos pornographiques.
De plus, les débris spatiaux posent le risque du Syndrome de Kessler qui prévoit que si trop d’objets sont en orbites autour de la Terre alors les collisions créeront tellement de débris qu’il sera impossible d’envoyer des objets dans l’espace. Ainsi, envoyer autant de satellites en orbites, SpaceLink n’étant pas le seul car Amazon prévoit d’en envoyer 3200 et OneWeb 5200, pourrait faire dégénérer la situation.
« La Corée fait ce qu’on appelle du “tracking”. La Corée a équipé tous les téléphones pour prévenir tout l’entourage lorsqu’une personne était malade. Est-ce que vous êtes prête, madame Obono, à avoir ce débat dans le cadre de cette Assemblée nationale ? Moi je ne suis pas convaincu et je vous le dis, à titre personne, non plus. » Ainsi parlait Olivier Véran dans l’hémicycle le 24 mars. Depuis, le gouvernement s’atèle à présenter une application de traçage de la population, en dépit des alertes. Il est encore temps d’y renoncer.
Dès La Gazette des confiné·es #7, nous mettions en garde contre le risque de voir la pandémie servir de prétexte à l’imposition de nouvelles technologies de surveillance. Entre-temps, le pouvoir s’est focalisé sur une des nombreuses options disponibles : le traçage automatisé des contacts, via une application dénommée StopCovid.
À lui seul, le nom laisse présager d’une opération marketing : le logiciel est déjà présenté comme un moyen d’arrêter le Covid-19, alors qu’on ne sait toujours pas selon quelles modalités il fonctionnera.
Nous allons vous expliquer pourquoi il n’est pas nécessaire d’attendre sa version définitive pour rejeter l’application. Pour le plaisir des yeux, nous avons choisi de faire une chronique entièrement à charge. La communication du gouvernement et des multinationales du numérique remplissent suffisamment nos écrans.
Nous en profiterons aussi pour réfléchir plus largement aux risques posés par le solutionnisme technologique, qui se répand partout en période de crise sanitaire.
Introduction
Il existe de nombreuses variantes du traçage automatisé des contacts. Le principe général est toujours le même : l’application permet de garder une trace des contacts prolongés entre ses utilisateur·ices. Lorsqu’une personne est testée positive, on peut donc tester les personnes avec qui elle a été en contact.
Le traçage de contacts existe déjà, mais il repose sur des entretiens durant lesquels une personne infectée se remémore l’ensemble des relations prolongées qu’elle a connues dans les dernières semaines.
Quelles sont donc les différences apportées par sa version automatisée ?
Le traçage automatisé n’est pas un simple prolongement du traçage de contacts traditionnel.
Comme à chaque fois qu’il s’agit de nous vendre une nouvelle technologie numérique, les autorités commencent par insister sur la continuité avec ce qui existe déjà, en mettant en avant l’efficacité accrue de la version informatique. Pourtant, la traçage automatisé est bien différent de sa version manuelle, réalisée par des équipes d’enquête.
Dans un entretien avec un·e épidémiologiste, on peut en effet choisir d’omettre de mentionner un événement ou un contact. On n’est pas obligé de dire exactement quand ni où on a rencontré une personne, puisque l’important est seulement de savoir qui est à risque. Cette possibilité disparaît avec le traçage automatisé.
Par ailleurs, un entretien individuel permet d’évaluer le risque lié à un contact en particulier, selon sa durée, son contexte et les précautions prises. L’application n’offre aucun équivalent. Contrairement à ce qui est avancé, le traçage automatisé n’est pas un simple prolongement du traçage de contacts traditionnel.
Pour justifier l’utilisation du traçage automatisé, ses défenseur·euses font généralement appel à son efficacité. D’une part l’application permettrait de tester plus vite les personnes contacts. D’autre part, elle serait plus exhaustive : les ordinateurs n’oublient pas. Avec StopCovid, enrayer l’épidémie semble donc simple comme bonjour : dès qu’une personne est infectée, on pourrait repérer les personnes qu’elle a pu contaminer avant que celles-ci aient le temps de transmettre le virus et donc casser la chaîne de propagation.
Ce scénario est tentant, au point que beaucoup sont prêt·es à oublier les risques importants qu’il fait peser sur la vie privée. Mais est-il réaliste ?
Le piège du consentement
Pour établir les contacts entre utilisateur·ices, l’application utilise les émetteurs-récepteurs Bluetooth des téléphones portables. Une fois qu’ils sont activés, le téléphone émet en permanence un signal permettant de l’identifier. Les téléphones qui passent à proximité immédiate enregistrent ce signal, ce qui leur permet de garder la mémoire des contacts.
Pour qu’un contact entre deux personnes soit enregistré, il faut donc qu’elles aient sur elles leur téléphone, avec l’application activée. La proportion des contacts qui sont enregistrés est donc égale, au mieux, au carré de la proportion des utilisateur·ices de l’application. Par exemple, si cette dernière est utilisée par une personne sur cinq, seul un contact sur 25 est enregistré. Pour que le traçage automatisé fonctionne, il faut donc qu’il soit utilisé massivement.
À Singapour, l’application de traçage automatisé du gouvernement est utilisée par seulement 18 % de la population, ce qui ne permet de relever que 4 % des contacts.
En France, il sera déjà difficile d’atteindre une telle proportion. Pour commencer, 77 % de la population dispose d’un smartphone. Parmi ces personnes, beaucoup n’installeront pas l’application, par conviction ou simplement par manque de motivation. Ceci a mené les défenseur·euses de StopCovid à envisager de forcer la main des gen·tes.
Christophe Barbier a par exemple proposé de rendre les utilisateur·ices de l’application prioritaires pour être testé·es, ce qui est profondément stupide en plus d’être dégueulasse : vu les faibles capacités de tests mises en place par le gouvernement, il vaut mieux les réserver aux personnes très susceptibles d’être contaminées plutôt que de les distribuer comme des chèques-cadeaux en échange du renoncement à une portion de vie privée.
Comme le remarque le Chaos computer club, l’application ne peut fonctionner que si elle repose sur un consentement éclairé. Toute forme de coercition, y compris par un avantage fourni aux personnes qui l’utilisent, la rendrait inefficace, puisqu’il suffirait de la désactiver une fois l’avantage obtenu, de laisser son téléphone à la maison, ou de l’envelopper dans du papier alu.
Rendre l’application obligatoire conduirait donc à des sacrifices majeurs sur la vie privée, en échange d’un artifice inutile pour lutter contre l’épidémie.
L’application est-elle seulement utile ?
Quand bien même tout le monde utiliserait l’application, il n’existe pour le moment aucune preuve de son utilité. Il faudrait qu’elle soit déployée à grande échelle dans plusieurs pays pendant assez longtemps pour essayer de la déterminer.
En attendant, on peut remarquer que l’appli risque d’être contre-productive si elle ne dispose pas d’un calibrage assez fin. En effet, il faudrait déterminer ce qui est considéré comme un contact prolongé : quelle durée, et à quelle distance il faut se trouver. Si on est trop lâche sur cette définition, on risque de se retrouver avec beaucoup trop de contacts : personnes croisées dans la rue, occupant·es de la voiture d’à-côté – on parle alors de faux positifs.
Dans cette situation, on ne disposerait pas d’assez de tests. Si on a au contraire des critères très restrictifs, l’application n’apporte plus grand chose, puisqu’on est général capable de se souvenir qu’on a passé une demi-heure à moins d’un mètre de quelqu’un.
Rouler une pelle pendant trente secondes ne donnera pas nécessairement lieu à un enregistrement, contrairement à passer quinze minutes dans deux voitures côte à côte pendant un bouchon.
Même correctement paramétrée, l’application n’est pas capable de prendre en compte la façon dont les contacts se déroulent. Dans le traçage de contacts conventionnels, la personne infectée détermine en concertation avec l’enquêteur·ice si les contacts présentaient un risque. L’utilisation des gestes barrières et la nature de l’interaction sont prises en compte.
L’application de traçage, au contraire ne fait aucune différence entre des interactions de durées égales et ne prend pas en compte les écrans éventuels. Rouler une pelle pendant trente secondes ne donnera pas nécessairement lieu à un enregistrement, contrairement à passer quinze minutes dans deux voitures côte à côte pendant un bouchon, ou se trouver des deux côtés d’une cloison perméable aux ondes radio du bluetooth. Le nombre de faux positifs risque d’être élevé.
L’application risque aussi de donner lieu à beaucoup de faux négatifs : c’est-à-dire des personnes qui ne reçoivent pas de notification alors qu’elles ont été infectées.
Bien sûr, il est complètement déraisonnable de faire confiance à une application pour déterminer son état de santé. Mais il y a un risque que l’illusion d’omniscience créée par la technologie et les discours triomphants de ses partisan·nes ne poussent une partie de la population à s’en remettre aveuglément aux notifications de StopCovid. Les faux négatifs deviendraient alors très problématiques.
Qu’est-ce qu’un traçage efficace ?
Pour tout vous dire, nous espérions franchement nous tromper et tomber sur des arguments montrant que l’application serait en mesure d’éradiquer l’épidémie, malgré les difficultés évoquées précédemment. En effet, des expert·es chantent les louanges du traçage automatisé un peu partout. Nous sommes alors revenus sur l’avis du conseil scientifique publié le 20 avril.
Nous avons déjà présenté dans notre onzième Gazette des confiné·es l’argumentation technophile et technocrate de ce rapport en faveur du numérique. Nous avons regardé toutes les sources de ce rapport à la recherche d’études sur les applications de traçage. Seules deux d’entre elles en parlent.
La deuxième est un article scientifique publié dans la revue Science. Cet article est apparemment le premier à avoir proposé de développer une application de traçage. C’est vers lui que renvoient le conseil scientifique et Terra nova et c’est donc lui qui sert à justifier le traçage. Intéressons-nous donc de plus près à ce qu’il établit.
Le principal apport de l’article est de fournir un modèle de propagation de l’épidémie et d’en tirer des estimations de plusieurs paramètres essentiels pour la comprendre.
Ces paramètres concernent la probabilité qu’une personne malade en infecte d’autres, en fonction du temps. Ils permettent de calculer le nombre moyen de personnes infectées par une personne malade, appelé taux de reproduction et noté R dans l’article.
L’apport de ce travail est de décomposer ce coefficient en plusieurs composantes associées à des modes de transmission différents : symptomatique, pré-symptomatique, asymptomatique et environnemental.
La transmission est symptomatique si la personne qui contamine l’autre présente des symptômes apparents du Covid-19.
Elle est pré-symptomatique si cette personne ne présente pas de symptômes au moment de la transmission mais en développera par la suite.
Elle est asymptomatique si la personne n’a pas de symptôme et n’en développera pas.
Enfin, elle est environnementale si on ne peut pas l’attribuer à une personne en particulier.
D’après le modèle développé par les chercheur·euses, le taux de reproduction vaut 2, dont 0,9 pour les transmissions pré-symptomatiques, 0,8 pour les transmissions symptomatiques, 0,2 pour les transmissions environnementales et 0,1 pour les transmissions asymptomatiques.
D’après l’étude de Science, il faut agir dans les deux jours après l’apparition des symptômes pour avoir une chance d’endiguer l’épidémie grâce au traçage de contacts.
L’incertitude sur ces valeur est élevée, mais la conclusion est que les transmissions pré-symptomatiques et symptomatiques jouent un rôle prépondérant. C’est donc sur elles qu’il faut agir en priorité pour endiguer la propagation de la maladie. Pour que l’épidémie régresse, il faut que le taux de reproduction soit inférieur à 1, ce qui signifie qu’une personne porteuse du virus contamine en moyenne moins d’une personne.
Grâce au modèle de transmission fourni par l’étude, on peut estimer l’impact des mesures de traçage de contacts en fonction du temps qu’on met à isoler les contacts et de l’efficacité de cet isolement.
Les conclusions sont qu’il faut agir vite, dans les deux jours après l’apparition des symptômes, pour avoir une chance d’endiguer l’épidémie grâce au traçage de contacts. Il faut par ailleurs être efficace pour retrouver et isoler les contacts : il faut au moins y parvenir dans 30 % des cas, dans l’hypothèse très favorable où on isole instantanément les contacts dès qu’une personne présente des symptômes.
Ces résultats sont assez désespérants. Ils indiquent que le traçage de contacts doit être redoutablement efficace pour endiguer seul l’épidémie. Il faut cependant les nuancer. D’une part, ils reposent sur un modèle qui peut être affiné, ce qui pourrait changer les valeurs des paramètres. D’autre part, le taux de reproduction dépend de nombreux facteurs, qui varient d’une situation à l’autre. On peut le réduire par l’application de gestes barrières, l’utilisation de matériel de protection ou des mesures comme le confinement.
Le taux de reproduction à la sortie du confinement ne sera pas le même qu’au début de l’épidémie, puisqu’on aura entre-temps changé nos habitudes. Si les mesures préventives permettent de le réduire suffisamment, les contraintes d’efficacité sur le traçage de contacts seront donc moins sévères que celles qu’on vient de présenter.
Le traçage automatisé marche parce qu’il doit marcher : le dangereux argument circulaire des épidémiologistes
Jusqu’ici, on n’avait rien à redire quant à la démarche de l’article, qui donne une idée de l’ampleur de la tâche à accomplir pour arrêter le virus. La suite pose en revanche franchement question. La deuxième moitié de l’article ne comporte plus ni modèle, ni équation, ni donnée, mais une proposition d’utiliser une application de traçage de contacts, pour rendre ce dernier instantané.
Ce genre de proposition a sa place dans un article scientifique, mais on s’attendrait à ce qu’elle repose sur une justification du fait que le traçage permettrait effectivement d’atteindre les objectifs fixés.
Malheureusement pour nous, les auteur·ices se contentent d’enchaîner les affirmations injustifiées. Par exemple le fait que l’application permettra d’isoler instantanément les contacts. On doit sans doute se contenter de l’idée que comme c’est une application, ce sera instantané. Il n’y aurait donc pas d’authentification du fait que la personne est bien malade, pas de délai pour traiter et diriger l’information, pas de problèmes de connexion ?
Il semble plus important de contrer les nombreuses raisons de ne pas déployer le traçage automatisé, que de donner des preuves de son utilité.
On n’aura pas non plus droit à un questionnement sur la proportion d’utilisateur·ices qu’on pourrait espérer atteindre dans la population. Pas plus qu’on ne verra la moindre réflexion sur la proportion de contacts qu’on arrivera à détecter : les chercheur·euses préfèrent imaginer les fonctionnalités qu’on pourrait ajouter à l’application, comme un accès à des informations médicales ou la possibilité de commander des repas pendant la quarantaine. La pensée start up a pénétré profondément dans l’université d’Oxford.
Finalement, on a même droit à une demi-page de considérations éthiques, qui insistent lourdement sur le fait que la pandémie est grave. Comme chez le conseil scientifique ou Terra nova, il semble plus important de contrer les nombreuses raisons de ne pas déployer le traçage automatisé, que de donner des preuves de son utilité.
L’argumentation en faveur de la solution technologique proposée repose sur un seul ressort, sous forme de pétition de principe : il faut que le traçage automatisé soit extrêmement performant pour endiguer l’épidémie, il est donc forcément efficace. Ça n’a aucun sens, mais c’est précisément ce qui fait que ça fonctionne. Comme la situation est désespérée, il faut des solutions désespérées. On est plus dans l’acte de foi que dans la recherche scientifique.
On pourra répliquer qu’il s’agit uniquement d’une proposition de solution, qui mérite d’être étudiée, par d’autres chercheur·euses capables de fournir d’autres éclairages sur la faisabilité et l’efficacité du dispositif.
On s’attendrait en effet à ce que des chercheur·euse qui proposent une suggestion pour lutter contre l’épidémie, qui échappe visiblement à leur domaine de compétence concluent ainsi : « Nous avons proposé un outil, qui devra être plus sérieusement étudié afin d’évaluer sa pertinence et son intérêt dans la situation actuelle. »
Au contraire, l’article se conclut sur l’idée que l’application permettrait d’abaisser le taux de reproduction en dessous de 1, sans avoir fourni la moindre preuve de ce résultat, qui sera pourtant repris en chœur par toutes celles et ceux qui promeuvent aujourd’hui des solutions numériques à la pandémie.
Les risques pour la vie privée
StopCovid présente donc plusieurs limitations de principe, sans même qu’on sache quel fonctionnement concret sera retenu. Ces limitations réduisent l’efficacité attendue, voire pourraient la rendre contre-productive si elle se substituait à d’autres mesures barrières. Pour trancher pour ou contre son utilisation, il faut peser les résultats attendus, avec l’efficacité qui vient d’être mentionnée, contre les risques encourus. Nous allons voir que ceux-ci ne sont pas négligeables.
Le traçage des contacts pose des questions majeures de sécurité et de vie privée. Les différentes applications en cours de développement mettent en avant le concept de privacy by design : elles sont conçues pour minimiser les informations émises. Peut-on avoir confiance ?
Il existe deux enjeux principaux.
D’une part la sécurité du protocole de l’application, afin d’éviter des attaques malveillantes qui permettraient de récupérer des informations médicales confidentielles, d’exercer des pressions sur des gen·tes ou encore de rendre StopCovid inutile.
D’autre part la question de la gestion des données générées par l’application.
Ces deux enjeux sont complexes et dépendent notamment des détails de la conception de l’application. Un collectif de chercheur·euses spécialistes des questions de cryptographie, sécurité informatique et droits numériques a publié un argumentaire sur ces questions (en français), dont nous vous recommandons la lecture attentive.
Leurs conclusions sont claires :
Ces scientifiques battent en brèche la plupart des éléments de langage en faveur de StopCovid. Iels formulent de multiples scénarios montrant comment l’application peut être détournée pour rompre l’anonymat et obtenir des informations médicales confidentielles sur des personnes infectées.
Ces détournements peuvent être effectués par l’État, des entreprises, ou de simples particulier·es, comme l’illustre le scénario 4.
« M. Ipokondriac voudrait savoir si ses voisins sont malades. Il récupère son vieux téléphone dans un placard, y installe l’application TraceVIRUS, et le laisse dans sa boîte aux lettres en bas de l’immeuble. Tous les voisins passent à côté à chaque fois qu’ils rentrent chez eux, et le téléphone recevra une notification si l’un d’entre eux est malade. »
Une seule personne, sans connaissance en informatique, pourrait donc utiliser l’application pour obtenir des informations médicales confidentielles sur ses voisin·es ou ses collègues.
Ce genre de scénario montre les risques que fait peser le traçage automatisé, qui plus est dans une période particulièrement anxiogène.
Quand on voit que les soignant·es sont traité·es comme des pestiféré·es par certaines personnes, tandis que d’autres laissent des messages homophobes dans les boîtes aux lettres de leurs voisin·es, les accusant de propager l’épidémie, on imagine le genre de dérive qui va nécessairement arriver avec de tels outils.
Le doigt dans l’engrenage du solutionnisme technologique
En plus des risques directs de détournements, StopCovid est susceptible de mener à des dérives plus générales liées à l’utilisation de la technologie et des données pour lutter contre le virus.
L’espoir placé dans une résolution rapide de l’épidémie grâce à la technologie va peser sur le dispositif, le poussant à être toujours plus intrusif. L’Académie de médecine, par exemple remarque dans son communiqué sur StopCovid que « les données anonymes de géolocalisation recueillies au cours de ce protocole pourraient être utilisées pour suivre l’évolution de l’épidémie sur l’ensemble du territoire national », ce qui va déjà bien plus loin que l’application proposée pour le moment.
Les techno-béats n’a pas attendu cette application pour diffuser leurs prêches. Depuis le début de l’épidémie, l’attention est tournée vers des solutions miracles reposant sur les données.
Le collectif CoData, par exemple, regroupe « plus de 800 ingénieurs, développeurs et data-scientists aguerris sur les nouvelles technologies de valorisation de données ». Et, surtout, une quarantaine de start-up spécialisées dans la data à savoir l’art de présenter les données des entreprises comme une matière première valorisable par des consultant·s payé·es à prix d’or.
Action désintéressée ou stratégie de com’, pour des entreprises à la durée de vie très faible qui vivent en grande partie sur les espoirs placés dans la technologie ? À moins qu’il ne s’agisse vraiment de fanatisme, comme le laisse transparaître leur communication :
« Dans [le contexte de la crise sanitaire], la data constitue une matière première qu’il nous faut exploiter. Elle est le reflet de toute [sic] ce qui se passe et devra éclairer nos actions futures. »
La communauté de l’intelligence artificielle a aussi sauté sur l’occasion, avec des initiatives variées, allant d’outils de diagnostic de la maladie à des études de millions de tweets, pour tirer la conclusion que les habitant·es des villes parlent plus des contraintes liées au confinement que celleux des campagnes…
L’intelligence artificielle repose sur la production et l’exploitation de gigantesques quantités de données. La production de ces données est encouragée par les géants du numérique, à travers notamment l’obligation de créer des comptes pour accéder à des services et l’incitation à produire ou noter du contenu sur internet (voir l’article intitulé Combattre le capitalisme identitaire de cette brochure).
Nul doute que ces entreprises, qui poussent les consommateur·ices à produire toujours plus de données, lorgnent avec avidité sur les applications de traçage. Contrairement au mythe fondateur de l’intelligence artificielle, l’exploitation de ces données reste largement effectuée par des êtres humains, généralement des populations précarisées payées à la tâche dans les pays du Nord et des travailleur·euses du clic dans les pays du Sud.
La fuite en avant technologique est un leurre, qui cache des mécanismes de surveillance et de domination incarnés dans les outils numériques eux-même.
L’illusion de la toute-puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie.
Contrairement à l’idéologie défendue par les défenseur·euses du progrès à tout prix, les technologies ne sont pas neutres. Les algorithmes d’intelligence artificielle mentionnés précédemment ne fonctionneraient pas sans l’exploitation de travailleur·euses. Les applications de traçage ne peuvent pas être pensées indépendamment du risque de détournement par les États qui les mettent en place.
Mais ces chimères ont d’autres effets pervers, à travers le rôle symbolique qu’elles jouent dans nos sociétés.
Comme le remarque Félix Tréguer de la Quadrature du net, le solutionnisme technologique, en plus des risques qu’il fait peser sur les libertés, restreint nos imaginaires. Plutôt que d’inventer des solutions humaines à l’épidémie, par des gestes barrières décidés collectivement et une distanciation sociale réfléchie et autogérée, on préfère se tourner vers une gestion en apparence individualisée, mais qui repose sur des fondements autoritaires.
L’illusion de la toute-puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie. Dans le cas de la ville de Cannes, demander des retours aux agent·es municipaux qui encadrent le marché ne serait-il pas plus simple que de déployer de la vidéosurveillance et des équipes d’ingénieur·es ?
Plus grave encore, le gouvernement français a par exemple tergiversé pendant plus d’un mois sur les masques, dont l’utilité n’était soit-disant pas prouvée scientifiquement. Il s’apprête pourtant à foncer vers des applications liberticides, qui n’ont jamais été testées, en évacuant complètement la question de leur efficacité. Si c’est numérique, ça marche forcément…
Nous sommes aux sources du casse-tête : votre cervelle contre la difficulté de la configuration proposée, stou. On aime ou on n’aime pas.
Les règles ? Non hein, ça vient tout seul. Et au pire, vous savez que vous pouvez cliquer sur le p’tit point d’interrogation. Le jeu c’est aussi une culture et des codes.
Celui qui vous parle
Encore des carrés, mais là, c’est un peu différent.
Celui-ci illustre à merveille la notion de progression (pourtant présente dans le précédent). Très régulièrement, les solutions qui vous ont permis de passer au niveau suivant ne suffisent plus, il faut trouver un truc en plus. Bé oué, s’il n’y avait aucun enjeu, on s’ennuierait et clac, on passerait à autre chose. Or, relever un défi, c’est fun. À l’opposé, si on devait commencer par le dernier niveau, pfff, laissez tomber, inabordable (en tout cas pour moi !).
Toujours sans fioriture. Pas de pub ni temps de chargement, accès immédiat, règles du jeu intuitives. Il vous parle de vous entre les niveaux… et ça n’est pas anecdotique. Vous les écoutez vous les gens qui passent leur temps à parler d’eux-mêmes ?
Celui qui a fait le buzz
Si vous l’avez loupé celui-là, c’est que vous avez dû passer les derniers mois à hiberner. Accès immédiat, commandes fluides, graphismes ultra-clairs. Quand on ne voit que la qualité du concept, c’est que tout le reste est au rendez-vous.
Dixit l’auteur, 2048 est dérivé de 1024 de Veewo studio, lui même dérivé de Three, qui s’inspirait des mécaniques du Taquin… Oui, le jeu c’est aussi du recyclage. Parlez-en avec les ayants-droit de My way, le concept d’adaptation, ils adorent. Seule différence pour le jeu vidéo, du fait d’un statut juridique délicat, les mécaniques ne sont que très peu voire pas protégeables. De ce fait, elles restent librement (et gratuitement) réutilisables. Ahah, ça vous en bouche un coin hein?
Pourquoi un principe est-il fun et pas un autre ? Il est parfois possible de l’expliquer a posteriori. Mais soyons sérieux, dans la conception du cocktail qui fonctionne, il y a une bonne partie de mystère. Toujours est-il qu’avec 2048, des millions de gens se sont éclatés à réviser la suite des 2n, sans même parler du fait qu’ils ont abordé des problématiques de ressource limitée, gestion de l’espace etc.
Celui qui console de celui qui a fait le buzz
Vous avez testé 2048, et vous galérez comme un chien mort. Ou alors vous y étiez presque, et paf, un 2 qui pope au plus mauvais endroit. Vengez-vous avec 8402.
En matière de vengeance, on a déjà vu mieux. C’est qu’elle a de la ressource cette evil AI player, de quoi filer des complexes. Bon, on peut faire son/sa susceptible certes, mais une fois la claque digérée, observez puis revenez à 2048.
Hey, vous avez remarqué ? Avec 2048 et son pote, en fait, on joue contre l’ordinateur. Il n’est plus question seulement d’une difficulté statique posée par une configuration à résoudre. Y’a de l’IA.
Celui qui achève ceux qui font les malins avec 2048
Voilà, voilà. Vous venez de vous prendre la notion d’équilibrage en plein dans la face. S’il y a IA, il est possible d’ajuster la difficulté. Un jeu qui vous défonce, c’est pas marrant. Et si un jeu n’est pas marrant, il ne concerne que quelques indiens perchés sur leur montagne.
De l’intérêt de connaître le public que l’on vise et de s’adapter à lui.
Celui qui fait la guerre
Okay, le même topo fonctionne avec un autre concept. Amateurs de jeux de stratégie, inutile de perdre votre temps. À ceux qui ne connaissent pas, ça peut faire une bonne intro.
Quand on n’y connaît rien, on attaque par la configuration à deux joueurs, puis on progresse. Ah ça fonctionne bien, y’a des ptits bruits sympas, un peu de hasard, les différentes IA ne réagissent pas de la même façon tout ça.
Celui qui laisse complètement perplexe
Passons au niveau supérieur. Le jeu qui créé un lien affectif pour faire un truc avec.
Désolée, j’aurais voulu ne sélectionner que des trucs sans pub, mais je n’ai pas d’équivalent à celui-là qui remplisse le critère. C’est juste énorme, et ce pour plusieurs raisons selon moi.
Ce jeu-là vous saisit par les sentiments pour mieux vous rendre idiot. Vous pouvez trouver ça complètement absurde, inutile etc. Perso, j’ai pris ma clickeuse folle intérieure en flag’ : surtout ne rien toucher alors que j’en crève d’envie. Même si vous vous demandez à quoi ça rime, j’vous jure, testez, allez jusqu’au bout et observez ce que ça génère en vous. C’est passionnant.
Autre élément, après avoir passé huit minutes à déjouer les plans machiavéliques des concepteurs, vous savez ce qu’envie veut dire. Seul bémol, il est possible que la mayonnaise ne prenne que sur les gamers. Nous en revenons à la culture…
Celui qui est beau
À entrer dans le monde de l’agilité, autant le faire de la plus belle des façons.
Juste owi \o/
Notez bien que pour un tel résultat, le jus de cervelle ne suffit pas. Il faut que ce soit celui d’artistes… accompagnés de développeurs qui maîtrisent. La façon dont les commandes répondent est juste puissante.
Art, ah y est, le mot est lâché.
Celui qui fait pulser l’adrénaline
One life remains, même collectif que précédemment joue encore (ça se sent que j’ai les nerfs d’avoir loupé leur installation en gare de Brest ?).
Croquer les ptits pour avoir la ressource d’échapper aux gros quand vous vous prenez les pieds dans le tapis, ça vous parle ? Ajoutez à cela un rythme ultra rapide, et vous obtenez un vrai discours aussi dense que complexe. Inutile d’aller claquer une 3D invraisemblablement réaliste et des équipes de 80 personnes pour ça.
Ça fait de la flippe hein ? Qui a dit que l’art ne suscite que des émotions confortables ?
Voici donc quelques jeux qui m’ont accrochée sur le net. Aucune prétention d’être exhaustive. Il en existe sans doute plein d’autres dans la même veine, le seul défaut expliquant leur absence étant de ne pas s’être trouvés sur ma route. Mon critère pour cet article était que les jeux présentés soient accessibles gratuitement et sans délais.
Techniquement, 99 % des lecteurs ont lâché ce papier pour rester sur un des jeux présentés. Ils louperont donc ce que je peux avoir à dire maintenant. Bon, je pense qu’ils devraient survivre quand même. Pour les autres, la suite porte sur le fait que dans serious game, il y a game.
Celui qui a fait saigner mon cœur
Si j’ai pris la peine de raconter tout ça, c’est aussi pour en arriver à quelque chose qui m’a fait froid dans le dos il y a quelques jours. Maintenant que nous avons quelques éléments en commun, nous pouvons y aller.
Je viens de découvrir Mission Knut. C’est un jeu destiné à faire connaître les pourquoi et les comment du Parlement européen. C’est donc un serious game. Comme le disait notre ami Confucius : « Dis-moi et j’oublierai, montre-moi et je me souviendrai, implique-moi et je comprendrai ». Le fun comme outil pour impliquer les gens, jusque là, tout va bien.
D’abord le trailer.
Je ne peux m’empêcher de penser que quand on n’a pas le budget pour une grosse prod’, on en évite la rhétorique, d’autant qu’en matière de super-héros, le commissaire européen, c’est pas ce qui vient à l’esprit en premier lieu. Erf. Admettons.
Puis vient le jeu à proprement parler (rappel, il est là-bas). J’ai chronométré, en ne lisant rien et en passant tous les textes dès qu’il est possible de le faire, il faut quatre minutes pour poser sa première question (c’est la base du gameplay). En lisant, dommage, c’est indispensable pour comprendre les règles, nous arrivons donc à un bon dix minutes. Dix minutes de culture et de codes technocrate-centrés à ingurgiter, quand on s’adresse à des gens qui eux sont dans le jeu vidéo. Non. Non, définitivement non.
S’il y en a qui jouent pour de vrai, qui ressentent quelques chose en dehors d’un ennui profond, et ce sans faire partie des indiens perchés sur leur montagne (au hasard, les créateurs ou les corps de métiers présentés), qu’ils me contactent. Ça n’est pas une blague. J’ai vraiment envie de savoir. Si de telles personnes existent, ce qu’elles ont à m’apprendre dépasse mon imagination.
Revenons à mon steak. La critique est facile certes. Pourtant je ne peux m’empêcher de penser qu’un truc reprenant un peu le principe de Sim city (à ne pas confondre avec Les Sims) aurait bien mieux fonctionné. Peut-être que je sous-estime les temps de développement, que ça n’était pas faisable pour des questions de coût. Dans ce cas, je ne saurais que suggérer de faire appel à des gens tels que ceux à l’origine des exemples précédents.
En fait, je pense avoir une petite idée de ce qui a mené à ce jeu. Ptet qu’il serait judicieux de déposer un dossier de financement auprès de la Commission européenne pour un dispositif destiné à sensibiliser les acteurs de la sensibilisation sur ce qu’il est possible de faire, et ce qu’il faut à tout prix éviter, nan ? (C’est dit sur un ton ironique, malgré tout…)
En écrivant ce papier je pense aussi aux dégâts à moyen-terme d’un tel projet. Avec des précédents de ce type (ne me dites pas que des gens jouent, je n’y crois pas), autant dire que la planche est savonnée au dernier degré pour les artistes et game designers de talent qui auraient un projet à présenter. Tout ça les éloigne encore un peu plus du vrai rôle d’utilité publique qui pourrait leur revenir. À la place, ceux qui arrivent encore à tenir bon se trouvent confinés dans un ghetto de confidentialité.
Bien sûr qu’il est déterminant se sensibiliser les masses au fonctionnement des institutions. Si pour ça on doit permettre aux gens de mettre à feu et à sang le trafic maritime mondial dans un jeu, et bien pourquoi pas ? Je vous parie un resto que ça ne créera pas une génération de psychopathes qui vont se fader dix ans d’études puis grimper patiemment les échelons afin de se trouver en position de mettre leur projet diabolique à exécution.
PS : si un tel jeu se met en place, envoyez-moi le lien SVP. Moi aussi j’veux mettre le trafic maritime mondial à feu et à sang !
Image à la une : Fun par Elizabeth Hudy, licence CC-BY-ND disponible sur Flickr.
Question de Jane McGonigal, conceptrice de jeux vidéo : « À quoi les joueurs sont-ils bons ? ». Réponse de Toby Walsh, mathématicien, « Trouver des solutions à des problèmes de type NP-difficile ». Il serait même possible d’en tirer parti. Parlons alors conséquences. La révolution du numérique ne fait que commencer, et il va falloir trouver des réponses.
Il existe une branche des sciences qui étudie la quantité de ressources nécessaires pour la résolution de problèmes pratiques en les mettant en équation.
Par exemple, lorsque nous utilisons un GPS, celui-ci nous propose des itinéraires. Pour une raison qui échappe totalement à cette foutue boîte qui prend un malin plaisir à perdre le signal au plus mauvais moment, nous souhaitons emprunter le chemin le plus court possible et obtenir une réponse rapide.
Voilà donc un problème, la détermination d’un itinéraire, à résoudre avec efficacité.
Pour faire simple (et probablement très approximatif), en théorie de la complexité, un problème est dit NP-complet lorsqu’on peut tester facilement la validité de toutes les réponses possibles mais qu’on ne sait pas le faire de façon économe. Plus balaise encore que les problèmes de type NP-complet : les problèmes de type NP-difficile. La simple compréhension du concept est un défi, que je ne relèverai pas.
Et Candy Crush Saga là-dedans ?
L’article de Toby Walsh démontre que certaines configurations de jeu de Candy Crush Saga peuvent être décrites par des équations qui appartiennent à la catégorie NP-difficile. Il s’agit des cas dans lesquels les joueurs doivent réaliser un score donné en un nombre limité de coups.
Pour gagner, les joueurs doivent produire des stratégies de résolution valides. En effet, bien que la plupart du temps nous n’en ayons pas conscience, pour gagner, nous mettons au point des méthodes puis les appliquons. Que les sceptiques sur la question aillent faire un tour sur les forums de theorycraftingAnalyse mathématique des mécaniques de jeu qui vise à optimiser son comportement. de World of Warcraft ou WoWWiki, puis on en reparle.
Or les stratégies de résolution sont descriptibles à l’aide d’algorithmes, c’est à dire des formules qui permettent à un ordinateur de reproduire le comportement mis au point par le joueur.
Le jeu vidéo est un Eden de mathématiciens qui s’ignorent
Cet article n’est pas une première. Une étude publiée en 2012 sur arXivArXiv est une plateforme web qui permet aux scientifiques de soumettre leurs travaux à l’analyse critique de leur communauté. La démarche diffère significativement d’une publication dans une revue scientifique à comité de lecture, dans laquelle chaque article est validé par un groupe d’experts reconnus du domaine. parvenait aux mêmes conclusions pour Mario, Donkey Kong, Zelda, Metroid et Pokémon. Celle-ci référence également des communications scientifiques sur le même type de sujet dont la plus ancienne remonte à 2004.
Un joueur qui roxe du poney à Candy Crush Saga développe donc les mêmes capacités cognitives que les développeurs lorsqu’ils suent sang et eau pour mettre au point des algorithmes. Ah ! Ça fait quand même bien plus classe dit comme ça que « espèce de no-life qui gâche ta vie et ton pognon à jouer ».
Toby Walsh va encore bien plus loin. En fin d’article, il franchit un cap.
Plusieurs millions d’heures ont été dépensées à résoudre Candy Crush. Peut-être pourrions nous en faire bon usage en dissimulant des problèmes NP-difficiles pratiques dans ces puzzles ?
Ce qui nous donne :
Autrement dit, le jeu vidéo peut être utilisé comme une interface permettant à n’importe qui de s’amuser (travailler) à la résolution de problèmes concrets, sans aucun prérequis technique, culturel ou éducationnel.
Jouer pour changer le monde
Au delà du fait que la proposition de Toby Walsh est simplement brillantissime, elle répond à une question posée par une conceptrice de jeux vidéos à l’occasion des TED 2010. Il s’agit de séries de conférences sur « des idées qui méritent d’être diffusées ». Elles ont notamment eu comme invités Bono du groupe U2, Bill Clinton ou Tim Berners-Lee, l’inventeur du web.
En quelques mots, Jane McGonigal constate que des millions de personnes à travers la planète consacrent des milliards d’heures à jouer. Elle propose d’en tirer parti et se demande alors : « À quoi les joueurs sont-ils bons ? ».
(sous-titres français disponibles)
Les réponses qu’elle apporte à sa propre question peuvent laisser sceptique. Imaginons maintenant la même intervention dans laquelle Jane McGonigall pourrait répondre : « Les joueurs sont bons à résoudre des problèmes de mathématiques appliquées de type NP-difficile ». Ça claque là.
Merveilleux, j’achète !
Oulah, que d’empressement monsieur l’industriel ! Je te comprends. Toi qui paie des cerveaux brillants à résoudre tes problèmes, la perspective d’en avoir des millions mis en réseau sous le coude pour quasi que dalle doit te sembler bien séduisante.
Seul souci, les modèles économiques basés sur le jus de cerveau reposent sur le brevet, c’est à dire un titre de propriété pour une idée.
Parlons protection des données personnelles et propriété intellectuelle
Nous offrons nos données personnelles aux quatre vents des diffuseurs de pubs qui savent en tirer une valeur marchande. Nous serions “rémunérés” à ce titre par le service offert. Admettons.
Mais qu’en serait-il de l’utilisation de solutions conçues, certes à leur insu, peu importe, par des internautes ? Peut-on accepter de livrer cette manne d’intelligence collective à des intérêts privés ? Cela pourrait mener à des situations complètement délirantes, comme devoir payer pour utiliser ce qu’on a contribué à mettre au point gratuitement.
Or, l’expérience le prouve tous les jours. Le rapport de force entre le citoyen lambda et les grosses sociétés abouti systématiquement à ce que nous nous fassions enfler tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ! Autant y réfléchir en amont.
Le droit (français) est clair quant à la paternité d’une idée
La paternité d’une idée ne peut être retirée à son ou ses concepteurs. Dans ce cas, les concepteurs s’ignorent eux-mêmes. Qui alors pour défendre ne serait-ce que leurs droits à la paternité, sans même parler de protéger leurs éventuels intérêts financiers ?
De mon point de vue, cela amène une autre question, bien plus vaste. Dans ce nouveau paradigme d’internet, peut-on continuer à traiter les idées selon une logique de propriété ? Le concept est déjà mis à mal dans tous les domaines culturels, édition, musique, cinéma. Mais alors, quel autre modèle?
On demande un informaticien pour traduire ça en bonbons colorés. Peut-être la petite Babylou, 7 ans et demi aura-t-elle une stratégie à proposer. À moins que ça ne soit pour améliorer la gestion des énergies renouvelables sur le réseau EDF !
Crédit illustration : Jane McGonigal, montage réalisé à partir d’une photo d’Alan Levine, licence CC-BY-SA.