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La Gazette des confiné·es #8 – Révoltes, perspectives et travail

Contre quoi faudra-t-il lutter et comment le ferons-nous dans les prochaines semaines et mois ? Comment limiter l’influence du pouvoir politique sur nos propres corps ? C’est par des questions ouvertes que la gazette commence et vous apporte ensuite les dernières nouvelles. Des révoltes éclatent dans les centres de rétention administrative, les sous-traitants du nucléaire bossent pour EDF comme si de rien n’était, l’été s’assombrit pour les intermittent·es et Amazon subit un sérieux revers.

Il faudra lutter un peu plus…

Le Medef et le gouvernement se lâchent en petites phrases pour préparer les esprits à des attaques d’envergure contre le code du travail. Contre la musique du « travailler plus pour sauver l’économie », il va falloir lutter encore plus pour la détruire !

On peut craindre des manifestations interdites pour « raisons sanitaires » pendant encore longtemps surtout vu que les services de renseignement s’inquiètent d’un embrasement. Il va falloir réfléchir à comment continuer à se révolter, à lutter. D’autant plus que la situation d’une crise non prévue par le capitalisme ouvre le champ des possibles révolutionnaires et contre-révolutionnaires : d’un côté l’émancipation, de l’autre l’extrême droite qui vient et la surveillance généralisée (comme le montre ce reportage glaçant en Chine diffusée par Arte).

Les pistes envisagées à la fin du long article de Jérôme Baschet dans Lundi Matin sont les suivantes : amplifier la colère légitime (notamment vis-à-vis de la situation de l’hôpital public), profiter du temps du confinement pour réfléchir à des modèles alternatifs (stratégie de L’An 01 mais seulement applicable pour les privilégié·es du confinement), ne pas redémarrer l’économie (stratégies de blocages, de ZAD), multiplier les initiatives d’auto-organisation et d’entraides locales (on en a parlé dans la gazette numéro 6). Il y a de quoi faire !

200417 - CQFD Janvier 2020 Vos grèves seront exaucées - La Déviation
Espérons que la prédiction de la Une du numéro de janvier 2020 de CQFD se réalise !

D’autres histoires à partir de nos corps

Le gouvernement, dans cette gestion de la crise sanitaire, s’attache particulièrement à gérer nos corps. Certains corps vont être sommés de ne plus sortir de chez eux tandis que d’autres sont forcés de servir les flux économiques qui « doivent » être maintenus dans des conditions plus que critiquables.

Et ils sont violentés s’ils contreviennent aux règles édictées. Ces corps sont des territoires où les politiques s’expriment : barrières individuelles contre une propagation, pions des flux économiques, externalités d’un système carcéral qui veut conserver sa maîtrise hégémonique.

200417 - Triptych Left Panel 1981 by Francis Bacon - La Déviation
Panneau gauche d’un triptyque fait en 1981 par Francis Bacon qui anticipait deux policiers à cheval allant verbaliser une personne qui ne respecte pas le confinement.

Sur les corps des femmes se matérialise aujourd’hui de façon accentuée la violence du système patriarcal, notamment pour les femmes confinées avec des partenaires violents. Nous pouvons dire que leur interdire de fuir est une violence supplémentaire que l’on peut signaler.

Dans nos corps se matérialise aussi l’incompréhension de la situation présente : nombre d’entre nous ont des règles chamboulées, décalées, retardées. Bien sûr, des explications biologiques existent et sont cohérentes pour cela.

Cependant, souhaitons-nous accepter tout cela ? Nous pouvons nous donner des outils pour modifier ces emprises sur nos corps. On nous enjoint à prendre soin de nous et de nos proches : mais la guérison et le soin, ce sont aussi des processus de transformation politique.

Collectivement, proposons de nouvelles histoires, qui guérissent, à partir de nos vécus et de ceux que les autres partagent avec nous.

Révoltes aux CRA de Mesnil-Amelot et de Vincennes

Le 11 avril au soir, les sans-papiers détenu·es dans le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot occupent la cour du bâtiment et bloquent la promenade pour protester contre leurs conditions de détention, notamment après qu’une personne porteuse du coronavirus est temporairement enfermée dans le centre, risquant de contaminer nombre de prisonnièr·es.

Les détenu·es (ainsi que les policièr·es du centre) ne disposent ni de masque, ni de gel hydro-alcoolique. La répression policière s’abat sur le CRA le lendemain matin, et plusieurs détenu·es sont déporté·es vers d’autres centres en France, menaçant d’y répandre l’épidémie.

Le 12 avril, au CRA de Vincennes, des affrontements éclatent entre sans-papiers et policièr·es, ces dernièr·es refusant le transport d’un détenu malade à l’hôpital ; les détenu·es obtiennent finalement gain de cause.

Le 25 mars, la demande de fermeture des CRA pour circonstances exceptionnelles déposée par plusieurs associations dont le Gisti devant le Conseil d’État avait été rejetée. Le ministre de l’Intérieur soutenait alors que « la condition d’urgence n’[était] pas remplie et que ne [pouvait] être retenue aucune carence de l’autorité publique de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors que les mesures de rétention actuellement en cours sont nécessaires et proportionnées, que des mesures de prévention ont été prises et que l’accès aux soins en rétention est garanti ».

On voit ce qu’il en est dans la réalité des faits…

200417 - Mur par mur nous détruirons les Cra A bas les Cra- La Déviation
Le site abaslescra.noblogs.org propose des ressources et analyses pour lutter contre les CRA.

Pour plus d’infos, on vous invite à consulter le suivi détaillé sur Paris-luttes.

Sous-traitants et illuminations nucléaires

EDF s’est vanté en début de confinement de réussir à faire tourner les centrales nucléaires avec une petite fraction de ses salarié·es. Or, les salarié·es d’EDF ne sont que des cadres : toutes les opérations de manipulation sur ses sites sont assurées par des sous-traitants.

C’est donc oublier que le monde de la production énergétique nucléaire ne se restreint pas à un contrôle depuis une salle couverte digne d’un film de science-fiction. Les installations nucléaires nécessitent aussi un entretien, qu’il soit celui, basique, du nettoyage, ou celui moins classique des opérations à réaliser sur les tranches (c’est à dire les réacteurs) comme les arrêts qui permettent de renouveler le combustible.

200417 - Dans les servitudes nucléaires Revue Z by Damien Rondeau - La Déviation
Dessin de Damien Rondeau pour illustrer l’enquête parue dans la Revue Z en 2012 sur les sous-traitants du nucléaire.

Lorsqu’on a que des salarié·es qui peuvent travailler à distance, il devient bien plus simple d’afficher des chiffres de télé-travail élevés. Les salarié·es des sous-traitants, quant à eux, sont pour pas mal au boulot.

Les syndicats continuent à réclamer des conditions de travail conformes aux mesures sanitaires, dénoncent une ambiance anxiogène, et s’inquiètent d’une communication imprécise. Les salarié·es partent parfois en « grand déplacement » d’une centrale à l’autre sans être testé·es et sans savoir si du boulot est disponible là-bas plutôt qu’ici.

Et c’est le contexte choisit par le gouvernement pour publier un décret accordant un délai supplémentaire à l’EPR de Flammanville, pour lequel les retards et dépassements de budget sont déjà bien nombreux. Plus localement, la préfecture de la Meuse a autorisé le 10 avril l’Andra à capturer et recenser des amphibiens dans le cadre du projet d’enfouissement Cigéo.

Pour finir sur une note joyeuse : de très jolies illuminations sont apparemment prévues pour l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl (c’est le 26 avril, préparez-vous) !

Amazon : le tribunal de Nanterre fait un carton chez les salarié·es

« Première victoire syndicale » jubile Solidaires mardi 14 avril. L’Union syndicale fait plier Amazon France devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Le risque d’attraper le covid-19 dans les entrepôts de la firme justifie la réduction drastique de ses activités. La décision est relayée par CNN.

Les critiques répétées de Muriel Pénicaud à l’endroit du géant du commerce en ligne ne disaient rien qui vaille. Ce n’est toutefois pas l’action de ses services qui contraint Amazon à réduire la voilure, mais l’assignation en référé d’un syndicat.

200417 - Amazon España por dentro vue d'ensemble by Álvaro Ibáñez CC BY 2.0 - La Déviation

L’inspection du travail s’était contentée d’une mise en demeure à partir du 3 avril concernant quatre sites où l’absence de matériel de prévention et de mesures de distanciation entraînaient un risque de contagion des travailleur·ses. Nous vous en parlions dans notre sixième numéro. Affaire classée cinq jours plus tard pour trois d’entre eux. Aux yeux du ministère, mais pas de la justice !

La juge Pascale Loué-Williaume observe dans l’ordonnance que nous nous sommes procuré·es (à partir de la page 9) que les représentant·es des salarié·es n’ont pas été associé·es à l’évaluation des risques, en ce qui concerne le portique d’entrée ou l’utilisation des vestiaires.

Au sujet des transporteurs, « il n’est toujours pas justifié des protocoles de sécurité prévus par le code du travail ». Le risque de contamination par le biais des chariots automoteurs sur les quais de livraison n’a pas été suffisamment évalué. Pas plus que celui lié à la manipulation des cartons. Sur le site nordiste de Lauwin-Planque, des « non-respects » ponctuels des mesures de distanciation ont été relevées et partout les formations dispensées tout comme la prise en compte des risques psycho-sociaux sont insuffisantes.

« Il y a lieu […] d’ordonner […] à la société de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux tant que la société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distributions. »

Pour s’assurer d’être entendue, la première vice-présidente du tribunal assortit sa décision d’une astreinte d’un million d’euros par jour et par infraction constatée. Une somme qui doit être rapportée aux 4,5 milliards de chiffres d’affaires déclarés en 2018 sur le territoire. Conséquence, la multinationale ferme ses entrepôts jusqu’au lundi 20 avril, minimum.

Les salaires seront maintenus à 100 % durant ces cinq jours, mais la firme qui emploie environ 10.000 personnes dans le pays, dont un tiers en intérim envisage de les subventionner grâce au chômage partiel. Une demande qui ne manquerait pas d’audace pour une multinationale suspectée de dissimuler des milliards au fisc. Sur France Info, le directeur général d’Amazon France prend une posture de victime, tout en agitant la carte du chantage à l’emploi.

200417 - Carte implantation Amazon en France rapport Attac Solidaires 2019 - La Déviation
L’implantation d’Amazon en France a été cartographiée par Attac et l’Union syndicale Solidaires dans un rapport su l’impunité fiscale, sociale et environnementale de la firme, mis en ligne en novembre 2019. Cliquez sur l’image pour y accéder

Solidaires espère que ce jugement permettra de donner raison aux salarié·es qui ont tenté d’user de leur droit de retrait. Et même qu’il « ouvre la voie à d’autres actions ». Dans ce dossier éminemment politique, le juge d’appel peut néanmoins revenir sur cette décision dans les prochains jours, par exemple si Amazon arrive à fournir les pièces manquantes à son dossier.

Le tribunal des référés de Paris avait rendu le 9 avril une décision similaire, dans l’affaire qui oppose Sud-PTT et la direction de La Poste. Le groupe doit « recenser les activités essentielles et non essentielles à la vie de la nation » et associer le personnel à une évaluation des risques liés à l’épidémie.

Les intermittent·es fragilisé·es

La culture n’aura jamais semblé aussi accessible. De nombreux contenus sont désormais disponibles en ligne, temporairement ou pendant toute la durée du confinement : collections de musées (Giacometti, Louvre), expositions (Frida Kahlo…), musique (Opéra de Paris…), littérature ou encore théâtre (par exemple le Théâtre des Amandiers…).

Cette soudaine manne de libre accès ne doit pourtant pas nous faire oublier que les artisan·nes de la culture, et notamment du monde du spectacle, déjà précaires, sont fragilisé·es par le confinement.

200417 - Spectacles reportés Théâtre des Amandiers Nanterre - La Déviation
La liste des annulations s’allonge au théâtre des Amandiers de Nanterre. Le site web propose en revanche des captations. Accédez-y en cliquant sur l’image

Pour bénéficier de leurs indemnités sur les périodes où iels ne travaillent pas, les intermittent·es du spectacle doivent faire un minimum de 507 heures (ou recevoir au moins 43 cachets) en 365 jours.

Le gouvernement a fait un premier pas en banalisant toute la période du confinement (à partir du 15 mars), qui ne comptera donc pas dans les 365 jours. De plus, les intermittent·es qui arrivent en fin de droits verront ceux-ci prolongés jusqu’à la fin du confinement. La déclaration mensuelle auprès de Pôle emploi reste d’ailleurs de rigueur.

Néanmoins, nombre de spectacles ont été annulés à partir du 4 mars, date des premières restrictions de rassemblement ; par ailleurs, la liste des événements annulés (Aucard de Tours, etc.) jusqu’à mi-juillet est longue, faisant non seulement disparaître des contrats mais aussi les bénéfices escomptés des répétitions menées au cours des derniers mois.

Un premier décret publié le 14 avril est jugé très incomplet par la CGT Spectacle, qui réclame une facilitation du recours à l’activité partielle pour les personnes en CDD d’usage, notamment. Une pétition qui anticipe une longue période de vaches maigres demande la prolongation des droits un an après la date de reprise, pour tous les artistes, technicien·nes et intermittent·es.

Sur ce dossier comme sur d’autres – pensons aux pigistes, nous vous vous parlions dans notre cinquième gazette -, l’attentisme du ministère inquiète. Franck Riester n’a fait qu’ajouter à la cacophonie en déclarant jeudi 16 avril sur France Inter que les « petits festivals » pourraient se tenir à partir du 11 mai. On se pince, quand on sait que les hôtels et restos garderont portes closes et surtout que les scientifiques craignent une « seconde vague ».

Dans l’attente d’une probable interdiction de tous les événements estivaux, les organisateur·ices peuvent théoriquement poursuivre leur travail et leurs dépenses, mais c’est bien pour une annulation qu’iels optent majoritairement. Une option qui, en l’absence d’arrêté les sécurisant financièrement, remet en cause leur pérennité, dans un secteur très soumis aux aléas.

Dans ces conditions, le plan spécifique du ministre de la Culture dont l’annonce est prévue dans quinze jours promet de susciter d’instances manœuvres en coulisses.

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La Gazette des confiné·es #7 – Guerre, cocarde et propagande

Les soignant·es du Kremlin-Bicêtre ont-iels applaudi Macron en pleine épidémie de Covid-19 ou est-ce l’Élysée qui pratique la propagande des temps de guerre ? La guerre, ce n’est pas nous qui en parlons c’est l’État qui la nomme, la fait aux Zad et y prépare la jeunesse par le SNU. Quelques réflexions et un tour d’horizon dans une gazette qui se détache de la rumeur des bottes et du bruit des grenades.

Technopolice & stratégie du choc

On s’y attendait, c’est maintenant sûr ! Les gouvernements veulent profiter de la crise du coronavirus pour imposer leurs réformes destructrices.

C’est ce que Naomi Klein appelle la stratégie du choc. Et là, on peut être certain·e que les promoteurs de la technopolice se frottent déjà les mains : Thalès, Huawei, IBM… Les projets de surveillance les plus démentiels fleurissent dans les médias.

Bornage téléphonique, GPS, cartes bancaires (rendues presque obligatoires puisque le liquide est de moins en moins accepté) cartes de transport, vidéosurveillance avec reconnaissance faciale : de nombreuses options existent pour nous espionner, comme les a recensées Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État au Numérique reconverti en VRP attitré des outils de traçages pour lutter contre le virus.

200410 - La Stratégie du choc affiche film Michael Winterbottom Mat Whitercross et Naomi Klein - La Déviation
Le « best-seller » de Naomie Klein a été adapté en film documentaire par Michael Winterbottom et Mat Whitecross, en 2010.

Il note aussi trois finalités au traçage : observer les pratiques collectives de mobilité, tracer les contacts des gent·es et contrôler des confinements individuels. Pour le moment, le gouvernement communique uniquement sur une application pour tracer toutes nos rencontres, sur la base du volontariat.

Est-ce qu’une telle application sera seulement utile pour lutter contre le coronavirus ? Il se peut même qu’un tel projet ait des effets pervers en incitant les gent·es à cacher leur maladie pour ne pas devenir des pestiféré·es sociaux et sociales… Mais le gouvernement n’a pas besoin de justifier quoi que ce soit : après tout, la moindre augmentation de son pouvoir de surveillance est bonne à prendre ! Encore une fois, on nous vend des « solutions » technologiques (voir la notion de religion du progrès) à un « problème écologique ».

Avant de nous précipiter sur des remèdes miracles, utilisons les outils déjà à notre disposition. Le gouvernement a retardé autant que possible des mesures simples, comme porter un masque en tissu pour éviter de contaminer les autres en toussant, soit-disant parce qu’il n’y avait aucune preuve scientifique que ça marchait (ce qui est faux). Il semble pourtant se précipiter aujourd’hui vers des technologies qui n’ont jamais été testées…

Contre la surveillance généralisée, informons nous, parlons-en et agissons. Individuellement, nous pouvons nous renseigner sur la Quadrature du Net ou lire des brochures d’Infokiosques.net.

200410 - Nothing to hide Jérémie Zommermann La Quadrature du Net - La Déviation
Marc Meillassoux et Mihaela Gladovic ont réalisé le docu « Nothing to hide », sorti en 2017. N’avez-vous vraiment rien à cacher ? Cliquez sur la photo pour accéder un film

Réapproprions-nous nos vies en utilisant, dès que possible, des « low tech » et inventons des façons de lutter contre l’épidémie qui ne nécessitent pas un recours massif à des technologies de surveillance et à un Etat autoritaire.

On peut aussi montrer le documentaire « Nothing to hide » à ses proches. Et on peut utiliser Tor et Tails ou encore remplir les cartes collaboratives des caméras de sécurité.

De l’usage des crises quand on annonce la guerre…

…et des titres à déconstruire : nous ne sommes pas rentré·es en guerre, en tout cas pas contre ce virus. De plus, la guerre était déjà bien présente : la France intervenait déjà dans des conflits armés avant l’apparition du covid-19, et continuera à le faire ; on nous parlait déjà de guerre contre le terrorisme, contre la drogue, contre les incivilités, etc.

La dénomination « crise », quant à elle, nous laisse une impression de distance : tout comme une crise de nerfs est faite par une personne, la crise sanitaire est faite par le virus, ou la crise climatique est faite par le climat. Or, tant pour le climat que pour le virus, ces « crises » sont les conséquences de rapports sociaux.

200410 - L'anthropocène contre l'histoire livre d'Andreas Malm aux éditions La Fabrique - La Déviation
Anthropocène ou capitalocène. Le maître de conférence en géographie humaine en Suède Andreas Malm se penche sur ce débat dans un essai traduit et publié par La Fabrice en 2017.

Ne transposons cependant pas le type de mesures prises dans le cas de la pandémie covid-19 à l’environnement : les temporalités (à priori brève / longue), les acteurs (humain·es / tout le vivant) ne sont pas les mêmes.

Ce qui reste bien commun entre ces deux phénomènes, c’est l’utilisation qui peut en être faite par les systèmes politiques et économiques. Le « business as usual » du capitalisme continue de tourner, dans une classique privatisations des profits – socialisation des pertes, qu’il s’agisse d’externalités environnementales ou d’exploitation de nos vies, avec toutes les conséquences délétères associées.

Les situations dites de crise offrent aux systèmes en place des occasions de se débarrasser de plus en plus des garde-fous démocratiques, utilisant ainsi une « stratégie du choc ». Et dans les scénarios de cette stratégie, on peut trouver le coup d’Etat climatique tout comme le coup d’Etat pandémique, des « coup[s] d’Etat ne nécessitant de tirer aucun coup de feu ».

SNU : stoppez la note urgemment !

Garde à vous ! Le Service national universel (SNU) plie, mais ne rompt pas (les rangs). Le secrétaire d’État en charge de la Jeunesse, Gabriel Attal, a simplement annoncé le 5 avril une inversion du programme. Les « engagé·es volontaires » commenceront par une mission d’intérêt général fin juin-début juillet avant un séjour de cohésion dans une brigade, « quand les conditions sanitaires le permettront ».

200410 - Pétition dites non au SNU - La Déviation
Plusieurs pétitions réclament l’abandon du Service national universel (SNU). Celle de Samuel Béguin a recueilli 6.000 signatures en ligne.

« Le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant », déclarait quasi-mystique Emmanuel Macron lundi 16 mars, au moment d’annoncer le confinement. Peut-être ressemblera-t-il plutôt au siècle précédent, tant le SNU sent la naphtaline.

L’uniforme bleu marine et blanc des participant·es est floqué d’une immense cocarde tricolore. Quant aux activités, elles parleront d’avantage aux bidasses qu’aux Copains du monde du Secours pop’. Lever au drapeau à 5 h 30, parcours d’obstacles, culture patriotique, cérémonies en tout genre… Souvenez-vous des malaises survenus pendant l’inauguration d’une statue du général de Gaulle, à Evreux, en plein cagnard, l’an passé.

« L’architecture initiale a en partie été construite par le général Menaouine et son groupe de travail », prévenait Gabriel Attal en janvier 2019. L’armée est décidément un vivier de recrutement majeur pour la macronie, qui vient de charger le général Lizurey d’un auditeur sur la crise du covid-19. Nous en parlions dans notre précédente gazette.

Le site gouvernemental etudiant.gouv.fr fait moins semblant que l’exécutif lorsqu’il explique que le SNU comporte en réalité trois phases et que la dernière, facultative, est celle de l’engagement, notamment dans un corps en uniforme. Les ambitions d’un pouvoir pour sa jeunesse, en somme.

Si cette promesse présidentielle ravit certainement l’électorat réactionnaire, le SNU n’en a pas moins un coût. Sa généralisation à l’horizon 2024 pèserait entre 2,4 et 3 milliards d’euros par an dans le budget de l’État, estime un rapport remis au premier ministre en 2018. Entre 1 et 1,5 milliard, communique plus timidement le gouvernement. Ce qui ne comprend dans aucun des cas les lourds investissements de base pour retaper les casernes.

Il est toutefois permis de douter que ce projet dépassera le stade de l’expérimentation.

S’il était plutôt aisé de trouver 2.000 jeunes intéressé·es par l’armée, la police ou les pompiers lors du lancement, le ministre de la Jeunesse se garde bien d’annoncer un chiffre pour cette année. Le syndicat Solidaires Jeunesse et Sport avance que seules 8.000 inscriptions étaient enregistrées avant le confinement. Or, la barre officielle a été ramenée subrepticement de 40.000 à 30.000.

D’ailleurs, les inscriptions sont prolongées, malgré les relances incessantes auprès des profs, dont a pris connaissance la Fédération nationale de la libre pensée, qui milite pour l’abrogation du SNU.

Quant au coût, il faudra d’autant plus le justifier à l’heure où les CHU créent des cagnottes Leetchi. Sans parler des associations qui s’asphyxient, malgré leurs qualités reconnues en termes d’émancipation, de solidarité et de mixité.

De l’art de la com’

Aucun journaliste n’est accrédité pour suivre Emmanuel Macron depuis le très peu opportun attroupement déclenché lors de son passage à Pantin, mardi 7 avril. Une situation qui émeut la très modérée Association de la presse présidentielle.

200410 - Twitter Elysée et Elexis Poulin Emmanuel Macron soignants CHU Kremlin-Bicêtre le 9 avril 2020 - La Déviation
Deux extraits du même échange filmé le 9 avril au CHU du Kremlin-Bicêtre. Le premier sert la propagande présidentielle, le second en montre les limites.

Aucun·e journaliste… ou presque, puisque La Gazette des confiné·es avait des yeux et des oreilles à l’hôpital universitaire du Kremlin-Bicêtre, jeudi 9 avril, lors d’un déplacement présidentiel cette fois très verrouillé. Témoignage.

« On a su que Macron venait un quart d’heure avant qu’il ne mette effectivement les pieds dans le hall du bâtiment Barré-Sinoussi. Les soignant·es le regardaient depuis les mezzanines aux étages, on n’avait pas le droit de descendre (et nos patient·es qui arrivaient en ambulance des maisons de retraite étaient bloqué·es dehors).

Plusieurs soignant·es l’ont interpellé sur sa politique de gestion de l’hôpital avant le covid et ont fait référence aux « gilets jaunes ».

Il a répondu qu’il n’était pas responsable des politiques des précédents gouvernements, ce à quoi on lui a répondu qu’il avait empiré la situation depuis qu’il était là.

On a applaudi à deux moments : quand une des infirmières l’a interpellé un peu plus agressivement que les autres, et ensuite lorsqu’une a demandé à ce qu’on s’applaudisse entre nous, soignant·es.

C’est là qu’il a applaudi avec nous, et je pense que c’est cette image que l’Élysée a fait tourner ensuite.

Pendant ce temps, des mecs en costard tournaient dans les trois étages de mezza pour empêcher les gens de filmer, sans doute pour pas perturber la com’ officielle. Il faut dire que ça ne se balade pas tout seul, un président de la République, il y avait au moins une trentaine d’agents de sécurité postés un peu partout dans et autour du bâtiment.

Le soir, tout ce beau monde était à Marseille pour rencontrer Raoult : en termes de stratégie de confinement, trimbaler autant de gens dans des hôpitaux plein de malades du covid, alors même qu’on empêche les familles des malades de venir, est une aberration… »

Même sans caméra de télé et malgré la surveillance des agent·es de l’Elysée, une vidéo montrant la teneur des débats circule sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas celle que diffusent les JT.

Des dons au goût amer

Les soignant·es du Kremlin-Bicêtre et d’ailleurs ne goûteront probablement pas plus la com’ des multinationales que celle de l’Elysée.

Tandis que certain·es se rendent compte des conséquences des attaques infligées au système de santé, qui en est réduit à servir de plateforme de publicité pour les différentes entreprises se lançant dans la philanthropie, ou que d’autres se souviennent qu’il existe une plateforme de « crowdfunding » efficace, l’impôt, d’autres encore ne perdent pas de vue leurs intérêts.

191114 - Manifestation hôpital Lannion Tout droits réservés Sylvain Ernault - La Déviation
Les manifestations du personnel soignant se succèdent depuis des années, le plus souvent dans une indifférence polie des médias comme des pouvoirs publics. Ici devant l’hôpital de Lannion à l’automne 2019.

Amazon (13 milliard d’euros de bénéfice en 2019), dont le dirigeant, Jeff Bezos est la personne la plus riche du monde, a fait appel aux dons publics pour… payer des congés maladie à ses salarié·es qui tomberaient malades.

Les syndicats français préféraient éviter les chambres de réa. Solidaires, se bat sur le terrain judiciaire pour obtenir la fermeture de six sites. Le tribunal judiciaire de Nanterre se prononcera mardi 14 avril. Onze dossiers de salarié·es souhaitant faire valoir leur droit de retrait ont par ailleurs été transmis aux prud’hommes, indique Laurent Degousée, co-secrétaire de Sud Commerce.

La CGT de Douai a assigné l’entreprise en référé pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

La CFDT a déclenché une grève mercredi, quelques jours après les mises en demeure prononcées par l’inspection du travail, dont nous vous parlions dans notre précédent numéro.

Quant à l’ultimatum de Muriel Pénicaud, lancé le 5 avril et arrivant à échéance le 8, il ne semble pas avoir le moins du monde perturbé les petites affaires de la firme de Seattle.

Industrialisation & coronavirus

Et si la pandémie en cours avait été causée par la société industrielle dans laquelle nous vivons ?

Un article du Monde diplomatique rappelle que la transmission des virus des animaux vers les humain·es est favorisée par la destruction des habitats des espèces, comme la déforestation, en prenant de multiples exemples antérieurs à la pandémie actuelle : ébola, maladie de Lyme, etc.

De plus, les zones détruites sont souvent utilisées pour faire de l’élevage industriel qui offre les « conditions idéales pour que les microbes se muent en agents pathogènes mortels ».

Mais ne tombons pas pour autant dans l’excès en prétendant que le virus est une vengeance contre notre société car cela nous orienterait vers un éco-fascisme destructeur.

Tout cela n’empêche pas l’agrobusiness de continuer comme si de rien n’était : alors que quasiment tout le monde est confiné, des transports de veaux à travers l’Europe dans des conditions scandaleuses sont maintenus comme le dénonce l’association L214 !

Évacuation de Zad pendant le confinement

Ce qui est pratique quand on est un État qui met en confinement toute sa population, c’est qu’on peut ne pas respecter ses propres règles.

200411 - Zad de la Dune expulsée et brûlée à Bretignolles-sur-mer en Vendée le 8 avril 2020 2 - La Déviation
La Zad de la Dune en Vendée a été expulsée le 8 avril au soir par un important dispositif policier. Des habitant·es de la charmante cité de Bretignolles ont ensuite brûlé les cabanes et brutalisé les animaux, selon les témoignages des zadien·nes.

C’est ce qui s’est passé en Vendée lors de l’évacuation, ce mercredi 8 avril vers 20 h, de la Zad de la Dune, installée pour lutter contre un projet de port de plaisance destructeur (la mairie affirme que les lieux étaient vide et que ce n’était pas légalement une expulsion). Dans leur communiqué, les zadistes parlent de 70 habitant·es de Brétignolles aidé·es par les services techniques municipaux brûlant leurs cabanes…

La gazette envoie tout son soutien à la vingtaine de zadistes évacué·es et abandonné·es dans la rue en fin de soirée par la police en pleine crise sanitaire.

Nous aurons besoin des Zad plus que jamais pour lutter contre tous les projets imposés, inutiles et destructeurs qui se préparent avec la relance économique dont le capitalisme va avoir besoin (en Chine, le gouvernement lance des plans d’investissements massifs). Alors préparons-nous !

Illustration de une : visuel du site technopolice.fr

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Les chants des bâtons résonnèrent à Notre-Dame-des-Landes

Le 8 octobre 2016, entre 13.000 et 40.000 personnes se rassemblent sur la Zad (Zone à défendre ou Zone d’aménagement différé) pour rappeler leur opposition à la construction d’un aéroport dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes, à 20 km au nord de Nantes (44).

Au printemps 2016, une consultation publique organisée par l’Etat dans le seul département de Loire-Atlantique a placé les écologistes en minorité.

Les recours judiciaires et administratifs susceptibles d’empêcher le début des travaux ayant été rejetés, la coordination des opposants sent la pression monter, d’autant plus que le Premier ministre Manuel Valls affirme que les travaux débuteront “à l’automne”.

Des milliers de bâtons sont donc plantés près d’un immense hangar en construction, que les zadistes et paysans locaux imaginent convertir en quartier général de repli en cas d’intervention policière. Des concerts sont aussi organisés pendant deux jours.

Les mois passent et les bâtons restent debout. Les élections présidentielles et législatives approchant, le gouvernement PS a renoncé à l’évacuation de la Zad.

En juin 2017, le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, confie une mission de médiation à Anne Boquet, Michel Badré et Gérald Feldzer. Ils ont six mois pour « envisager les solutions permettant de répondre aux impératifs d’aménagement, dans un dialogue apaisé avec les acteurs et dans le respect de l’ordre public », selon le communiqué du Premier ministre Edouard Philippe.

Musique

Le voyage forme la jeunesse“, Chaviré, album Interstices, 2017 –
Qué Sera“, El Communero, Sigue Luchando, 2012 –
La Zad vue du ciel“, par le collectif Zad Social Rap, 2016 –
…un air d’accordéon joué sur la Zad par Baptiste Le Pabic, 2016 et d’autres airs joués par divers instrumentistes

Mise à jour le 1er septembre 2017

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