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La Gazette des confiné·es #8 – Révoltes, perspectives et travail

Contre quoi faudra-t-il lutter et comment le ferons-nous dans les prochaines semaines et mois ? Comment limiter l’influence du pouvoir politique sur nos propres corps ? C’est par des questions ouvertes que la gazette commence et vous apporte ensuite les dernières nouvelles. Des révoltes éclatent dans les centres de rétention administrative, les sous-traitants du nucléaire bossent pour EDF comme si de rien n’était, l’été s’assombrit pour les intermittent·es et Amazon subit un sérieux revers.

Il faudra lutter un peu plus…

Le Medef et le gouvernement se lâchent en petites phrases pour préparer les esprits à des attaques d’envergure contre le code du travail. Contre la musique du « travailler plus pour sauver l’économie », il va falloir lutter encore plus pour la détruire !

On peut craindre des manifestations interdites pour « raisons sanitaires » pendant encore longtemps surtout vu que les services de renseignement s’inquiètent d’un embrasement. Il va falloir réfléchir à comment continuer à se révolter, à lutter. D’autant plus que la situation d’une crise non prévue par le capitalisme ouvre le champ des possibles révolutionnaires et contre-révolutionnaires : d’un côté l’émancipation, de l’autre l’extrême droite qui vient et la surveillance généralisée (comme le montre ce reportage glaçant en Chine diffusée par Arte).

Les pistes envisagées à la fin du long article de Jérôme Baschet dans Lundi Matin sont les suivantes : amplifier la colère légitime (notamment vis-à-vis de la situation de l’hôpital public), profiter du temps du confinement pour réfléchir à des modèles alternatifs (stratégie de L’An 01 mais seulement applicable pour les privilégié·es du confinement), ne pas redémarrer l’économie (stratégies de blocages, de ZAD), multiplier les initiatives d’auto-organisation et d’entraides locales (on en a parlé dans la gazette numéro 6). Il y a de quoi faire !

200417 - CQFD Janvier 2020 Vos grèves seront exaucées - La Déviation
Espérons que la prédiction de la Une du numéro de janvier 2020 de CQFD se réalise !

D’autres histoires à partir de nos corps

Le gouvernement, dans cette gestion de la crise sanitaire, s’attache particulièrement à gérer nos corps. Certains corps vont être sommés de ne plus sortir de chez eux tandis que d’autres sont forcés de servir les flux économiques qui « doivent » être maintenus dans des conditions plus que critiquables.

Et ils sont violentés s’ils contreviennent aux règles édictées. Ces corps sont des territoires où les politiques s’expriment : barrières individuelles contre une propagation, pions des flux économiques, externalités d’un système carcéral qui veut conserver sa maîtrise hégémonique.

200417 - Triptych Left Panel 1981 by Francis Bacon - La Déviation
Panneau gauche d’un triptyque fait en 1981 par Francis Bacon qui anticipait deux policiers à cheval allant verbaliser une personne qui ne respecte pas le confinement.

Sur les corps des femmes se matérialise aujourd’hui de façon accentuée la violence du système patriarcal, notamment pour les femmes confinées avec des partenaires violents. Nous pouvons dire que leur interdire de fuir est une violence supplémentaire que l’on peut signaler.

Dans nos corps se matérialise aussi l’incompréhension de la situation présente : nombre d’entre nous ont des règles chamboulées, décalées, retardées. Bien sûr, des explications biologiques existent et sont cohérentes pour cela.

Cependant, souhaitons-nous accepter tout cela ? Nous pouvons nous donner des outils pour modifier ces emprises sur nos corps. On nous enjoint à prendre soin de nous et de nos proches : mais la guérison et le soin, ce sont aussi des processus de transformation politique.

Collectivement, proposons de nouvelles histoires, qui guérissent, à partir de nos vécus et de ceux que les autres partagent avec nous.

Révoltes aux CRA de Mesnil-Amelot et de Vincennes

Le 11 avril au soir, les sans-papiers détenu·es dans le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot occupent la cour du bâtiment et bloquent la promenade pour protester contre leurs conditions de détention, notamment après qu’une personne porteuse du coronavirus est temporairement enfermée dans le centre, risquant de contaminer nombre de prisonnièr·es.

Les détenu·es (ainsi que les policièr·es du centre) ne disposent ni de masque, ni de gel hydro-alcoolique. La répression policière s’abat sur le CRA le lendemain matin, et plusieurs détenu·es sont déporté·es vers d’autres centres en France, menaçant d’y répandre l’épidémie.

Le 12 avril, au CRA de Vincennes, des affrontements éclatent entre sans-papiers et policièr·es, ces dernièr·es refusant le transport d’un détenu malade à l’hôpital ; les détenu·es obtiennent finalement gain de cause.

Le 25 mars, la demande de fermeture des CRA pour circonstances exceptionnelles déposée par plusieurs associations dont le Gisti devant le Conseil d’État avait été rejetée. Le ministre de l’Intérieur soutenait alors que « la condition d’urgence n’[était] pas remplie et que ne [pouvait] être retenue aucune carence de l’autorité publique de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors que les mesures de rétention actuellement en cours sont nécessaires et proportionnées, que des mesures de prévention ont été prises et que l’accès aux soins en rétention est garanti ».

On voit ce qu’il en est dans la réalité des faits…

200417 - Mur par mur nous détruirons les Cra A bas les Cra- La Déviation
Le site abaslescra.noblogs.org propose des ressources et analyses pour lutter contre les CRA.

Pour plus d’infos, on vous invite à consulter le suivi détaillé sur Paris-luttes.

Sous-traitants et illuminations nucléaires

EDF s’est vanté en début de confinement de réussir à faire tourner les centrales nucléaires avec une petite fraction de ses salarié·es. Or, les salarié·es d’EDF ne sont que des cadres : toutes les opérations de manipulation sur ses sites sont assurées par des sous-traitants.

C’est donc oublier que le monde de la production énergétique nucléaire ne se restreint pas à un contrôle depuis une salle couverte digne d’un film de science-fiction. Les installations nucléaires nécessitent aussi un entretien, qu’il soit celui, basique, du nettoyage, ou celui moins classique des opérations à réaliser sur les tranches (c’est à dire les réacteurs) comme les arrêts qui permettent de renouveler le combustible.

200417 - Dans les servitudes nucléaires Revue Z by Damien Rondeau - La Déviation
Dessin de Damien Rondeau pour illustrer l’enquête parue dans la Revue Z en 2012 sur les sous-traitants du nucléaire.

Lorsqu’on a que des salarié·es qui peuvent travailler à distance, il devient bien plus simple d’afficher des chiffres de télé-travail élevés. Les salarié·es des sous-traitants, quant à eux, sont pour pas mal au boulot.

Les syndicats continuent à réclamer des conditions de travail conformes aux mesures sanitaires, dénoncent une ambiance anxiogène, et s’inquiètent d’une communication imprécise. Les salarié·es partent parfois en « grand déplacement » d’une centrale à l’autre sans être testé·es et sans savoir si du boulot est disponible là-bas plutôt qu’ici.

Et c’est le contexte choisit par le gouvernement pour publier un décret accordant un délai supplémentaire à l’EPR de Flammanville, pour lequel les retards et dépassements de budget sont déjà bien nombreux. Plus localement, la préfecture de la Meuse a autorisé le 10 avril l’Andra à capturer et recenser des amphibiens dans le cadre du projet d’enfouissement Cigéo.

Pour finir sur une note joyeuse : de très jolies illuminations sont apparemment prévues pour l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl (c’est le 26 avril, préparez-vous) !

Amazon : le tribunal de Nanterre fait un carton chez les salarié·es

« Première victoire syndicale » jubile Solidaires mardi 14 avril. L’Union syndicale fait plier Amazon France devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Le risque d’attraper le covid-19 dans les entrepôts de la firme justifie la réduction drastique de ses activités. La décision est relayée par CNN.

Les critiques répétées de Muriel Pénicaud à l’endroit du géant du commerce en ligne ne disaient rien qui vaille. Ce n’est toutefois pas l’action de ses services qui contraint Amazon à réduire la voilure, mais l’assignation en référé d’un syndicat.

200417 - Amazon España por dentro vue d'ensemble by Álvaro Ibáñez CC BY 2.0 - La Déviation

L’inspection du travail s’était contentée d’une mise en demeure à partir du 3 avril concernant quatre sites où l’absence de matériel de prévention et de mesures de distanciation entraînaient un risque de contagion des travailleur·ses. Nous vous en parlions dans notre sixième numéro. Affaire classée cinq jours plus tard pour trois d’entre eux. Aux yeux du ministère, mais pas de la justice !

La juge Pascale Loué-Williaume observe dans l’ordonnance que nous nous sommes procuré·es (à partir de la page 9) que les représentant·es des salarié·es n’ont pas été associé·es à l’évaluation des risques, en ce qui concerne le portique d’entrée ou l’utilisation des vestiaires.

Au sujet des transporteurs, « il n’est toujours pas justifié des protocoles de sécurité prévus par le code du travail ». Le risque de contamination par le biais des chariots automoteurs sur les quais de livraison n’a pas été suffisamment évalué. Pas plus que celui lié à la manipulation des cartons. Sur le site nordiste de Lauwin-Planque, des « non-respects » ponctuels des mesures de distanciation ont été relevées et partout les formations dispensées tout comme la prise en compte des risques psycho-sociaux sont insuffisantes.

« Il y a lieu […] d’ordonner […] à la société de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux tant que la société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distributions. »

Pour s’assurer d’être entendue, la première vice-présidente du tribunal assortit sa décision d’une astreinte d’un million d’euros par jour et par infraction constatée. Une somme qui doit être rapportée aux 4,5 milliards de chiffres d’affaires déclarés en 2018 sur le territoire. Conséquence, la multinationale ferme ses entrepôts jusqu’au lundi 20 avril, minimum.

Les salaires seront maintenus à 100 % durant ces cinq jours, mais la firme qui emploie environ 10.000 personnes dans le pays, dont un tiers en intérim envisage de les subventionner grâce au chômage partiel. Une demande qui ne manquerait pas d’audace pour une multinationale suspectée de dissimuler des milliards au fisc. Sur France Info, le directeur général d’Amazon France prend une posture de victime, tout en agitant la carte du chantage à l’emploi.

200417 - Carte implantation Amazon en France rapport Attac Solidaires 2019 - La Déviation
L’implantation d’Amazon en France a été cartographiée par Attac et l’Union syndicale Solidaires dans un rapport su l’impunité fiscale, sociale et environnementale de la firme, mis en ligne en novembre 2019. Cliquez sur l’image pour y accéder

Solidaires espère que ce jugement permettra de donner raison aux salarié·es qui ont tenté d’user de leur droit de retrait. Et même qu’il « ouvre la voie à d’autres actions ». Dans ce dossier éminemment politique, le juge d’appel peut néanmoins revenir sur cette décision dans les prochains jours, par exemple si Amazon arrive à fournir les pièces manquantes à son dossier.

Le tribunal des référés de Paris avait rendu le 9 avril une décision similaire, dans l’affaire qui oppose Sud-PTT et la direction de La Poste. Le groupe doit « recenser les activités essentielles et non essentielles à la vie de la nation » et associer le personnel à une évaluation des risques liés à l’épidémie.

Les intermittent·es fragilisé·es

La culture n’aura jamais semblé aussi accessible. De nombreux contenus sont désormais disponibles en ligne, temporairement ou pendant toute la durée du confinement : collections de musées (Giacometti, Louvre), expositions (Frida Kahlo…), musique (Opéra de Paris…), littérature ou encore théâtre (par exemple le Théâtre des Amandiers…).

Cette soudaine manne de libre accès ne doit pourtant pas nous faire oublier que les artisan·nes de la culture, et notamment du monde du spectacle, déjà précaires, sont fragilisé·es par le confinement.

200417 - Spectacles reportés Théâtre des Amandiers Nanterre - La Déviation
La liste des annulations s’allonge au théâtre des Amandiers de Nanterre. Le site web propose en revanche des captations. Accédez-y en cliquant sur l’image

Pour bénéficier de leurs indemnités sur les périodes où iels ne travaillent pas, les intermittent·es du spectacle doivent faire un minimum de 507 heures (ou recevoir au moins 43 cachets) en 365 jours.

Le gouvernement a fait un premier pas en banalisant toute la période du confinement (à partir du 15 mars), qui ne comptera donc pas dans les 365 jours. De plus, les intermittent·es qui arrivent en fin de droits verront ceux-ci prolongés jusqu’à la fin du confinement. La déclaration mensuelle auprès de Pôle emploi reste d’ailleurs de rigueur.

Néanmoins, nombre de spectacles ont été annulés à partir du 4 mars, date des premières restrictions de rassemblement ; par ailleurs, la liste des événements annulés (Aucard de Tours, etc.) jusqu’à mi-juillet est longue, faisant non seulement disparaître des contrats mais aussi les bénéfices escomptés des répétitions menées au cours des derniers mois.

Un premier décret publié le 14 avril est jugé très incomplet par la CGT Spectacle, qui réclame une facilitation du recours à l’activité partielle pour les personnes en CDD d’usage, notamment. Une pétition qui anticipe une longue période de vaches maigres demande la prolongation des droits un an après la date de reprise, pour tous les artistes, technicien·nes et intermittent·es.

Sur ce dossier comme sur d’autres – pensons aux pigistes, nous vous vous parlions dans notre cinquième gazette -, l’attentisme du ministère inquiète. Franck Riester n’a fait qu’ajouter à la cacophonie en déclarant jeudi 16 avril sur France Inter que les « petits festivals » pourraient se tenir à partir du 11 mai. On se pince, quand on sait que les hôtels et restos garderont portes closes et surtout que les scientifiques craignent une « seconde vague ».

Dans l’attente d’une probable interdiction de tous les événements estivaux, les organisateur·ices peuvent théoriquement poursuivre leur travail et leurs dépenses, mais c’est bien pour une annulation qu’iels optent majoritairement. Une option qui, en l’absence d’arrêté les sécurisant financièrement, remet en cause leur pérennité, dans un secteur très soumis aux aléas.

Dans ces conditions, le plan spécifique du ministre de la Culture dont l’annonce est prévue dans quinze jours promet de susciter d’instances manœuvres en coulisses.

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Profs aux enchères, décision du ministère

Des élèves du lycée Savina de Tréguier ont bradé leurs profs et leurs spécialités lors d’une parodie de vente aux enchères, le mercredi 27 mars 2019. Une performance théâtrale pour dénoncer une baisse de moyens alloués par le rectorat, somme toute logique dans un établissement formant de futurs artistes.

Le lycée général et professionnel Savina propose plusieurs spécialités artistiques, comme le cinéma, le cirque ou le théâtre. Des options danse et arts plastiques doivent s’ouvrir en septembre 2019, mais l’équipe enseignante dénonce l’absence de moyens accordés par le ministère de l’Education nationale pour fonctionner correctement.

À l’image d’Anne Huonnic, professeure d’anglais et de danse, beaucoup refusent ce qu’ils considèrent comme l’imposition implicite d’un choix entre options à proposer.

Le conseil d’administration a voté le 7 février contre une dotation globale horaire (DGH) en baisse de 59 heures (pour un total de 860 heures). Elle s’appuie sur un recul des inscriptions (135 élèves contre 165, en moyenne, ces dernières années) prévu par le rectorat. Un calcul contesté par les enseignants.

Une des cinq classes de seconde fermera à la rentrée et un départ à la retraite d’un professeur de lettres ne sera pas remplacé. Le corps enseignant, dont une majorité était en grève le 24 janvier, craint d’être confronté à des classes surchargées, atteignant 40 élèves en terminale S.

C’est plus largement la logique de la réforme des lycées portée par le ministre Jean-Michel Blanquer, censée donner plus d’autonomie aux établissements, qui soulève l’hostilité. Des collègues du lycée Pavie de Guingamp étaient d’ailleurs présents à Savina ce 27 mars et des relations existent aussi avec Kerraoul à Paimpol et Le Dantec, à Lannion.

Si aucun drapeau syndical ou politique n’a été brandi, plusieurs écharpes de maires étaient en revanche visibles lors de cette « vente ». Des élus de Tréguier et Minihy-Tréguier se sont joints aux manifestants.

Des élèves affirment leur intention de se constituer en syndicat. Un premier noyau compterait une quarantaine de membres. En plus des actions touchant à l’éducation, 250 lycéennes et lycéens avaient aussi participé à la grève mondiale pour le climat, relayée le vendredi 15 mars, dans les rues de Tréguier.

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Les Expériences spectaculaires du lutin lunettes

Si le lutin lunettes donne à penser sans avoir l’air d’y toucher, c’est sans doute parce que son créateur l’a nourri d’une philosophie bien à lui.

J’ai découvert le lutin lunettes aka Pascal Lascrompe à l’occasion des journées grand public de Faîtes l’énergie, le festival quimpérois de la transition énergétique. Il y présentait les Expériences spectaculaires, qui met en scène les questionnements d’Orphise, fils d’Orphucius, comte d’Orphée, de la planète Orphèse du nuage d’Oort, arrivé sur terre sur le dos d’une comète.

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« Hmm, ça sent l’intelligence par ici. »

Quand il était petit, Orphise voulait impressionner son père. C’est ainsi qu’il a commencé à essayer de comprendre, en le regardant cuisiner, comment le blanc d’œuf gluant pouvait devenir ferme.

« Le lutin lunettes est un spécialiste des sciences amusantes. Les notions que j’aborde dans le spectacle relèvent de la physique et de la chimie, mais on s’en fiche. L’important, c’est que nous essayons d’observer le monde et de le comprendre. Plus important encore, on ne rate jamais. Il se trouve que par moments, le résultat des expériences n’est pas celui que l’on attendait. »

lutinlunettes5Pascal Lascrompe, auteur et interprète du spectacle, s’est lancé dans ce nouveau personnage en juillet 2010 avec le soutien du programme Réussite éducative (Rennes) et du collectif ABBP35. Il a créé à cette occasion la Compagnie du nuage d’Oort.

« Je suis comédien, sorti du conservatoire de Rennes en 2003, à la fois fan d’astronomie et de science-fiction. J’ai rencontré les Petits débrouillards (association d’éducation populaire à la science) et ça a été le déclic. Depuis, j’allie mes passions, et c’est là que je m’éclate le plus. »

C’est ainsi que l’on découvre que ce que l’on pensait être de l’eau n’en est pas et qu’il convient de se méfier des apparences et des certitudes. On assiste au gonflement inversé d’un ballon à l’intérieur d’une bouteille et finalement Roméo séduira Juliette en la surprenant et en la faisant rire plutôt que par ses longues tirades enflammées.

Le lutin lunettes essaie d'aider Roméo à séduire Juliette avec une tirade enflammée.
Le lutin lunettes essaie d’aider Roméo à séduire Juliette avec une tirade enflammée.

Les Défis et énigmes (le premier spectacle qui mettait en scène le lutin lunettes) proposait des ateliers parents-enfants. Les Expériences spectaculaires relèvent d’une forme théâtrale plus classique même si la mise en scène offre de grands espaces à l’intervention du public.

Quels sont les avantages du format spectacle par rapport aux ateliers ?

« Les gens sont “protégés”, je leur donne la possibilité de rester passifs s’ils le souhaitent. Et en fait, ils ne le restent jamais. (Je confirme !) Le décor, le personnage, les costumes mettent du rêve, donnent envie, stimulent l’imagination. »

Est-ce bien de l'eau ? Crédit photo : un illustre inconnu du public avec l'aimable autorisation du propriétaire de l'appareil, Babas Babakwanza, tous droits réservés.
Est-ce bien de l’eau ? Crédit photo : un illustre inconnu du public avec l’aimable autorisation du propriétaire de l’appareil, Babas Babakwanza, tous droits réservés.

Les Expériences spectaculaires ne sont ni un spectacle de magie – ici on parle de froid, de chaud, d’air – ni un cours théorique. Même si la loi des gaz parfaits rode, elle ne se montre jamais.

« Je le répète, on ne se trompe jamais. Le “nul” n’existe pas. Quand on tente quelque chose, et bien parfois cela fonctionne comme on l’espérait, et parfois non. Dans ce cas, cela mène simplement ailleurs que là où on le voulait, mais ça n’a pas d’importance. Par exemple hier, avant le spectacle, le décor s’est effondré, ça a cassé du matériel. Très bien, je prends ça comme une expérience. Elle m’a appris que je dois toujours veiller à avoir un lest. »

Selon Pascal Lascrompe, il est possible de divertir de plusieurs manières. Dans tous les cas, son rôle consiste à faire plaisir aux gens.

Stimuler l'imagination, donner envie. Crédit photo : Babas Babakwanza, avec son aimable autorisation, tous droits réservés.
Stimuler l’imagination, donner envie. Crédit photo : Babas Babakwanza, avec son aimable autorisation, tous droits réservés.

Le divertissement que je propose s’appuie sur le questionnement. Certains acteurs et metteurs en scène considèrent que dès lors que cela fait réfléchir, on sort du divertissement pour entrer dans l’art. Je ne suis pas d’accord. Pour moi c’est en s’amusant qu’on apprend des choses. La vie est un divertissement (mine sceptique de ma part). Oui parfois il y a des obstacles. Mais ça n’est pas contraignant, ça prend juste un peu plus de temps, ça demande juste un peu plus de réflexion que ce qu’on pensait initialement. C’est aussi ce que j’essaie de transmettre au public dans le spectacle, parfois pour répondre à une question, cela prend du temps et il faut être patient.”

Quoi qu’il en soit, les spectateurs petits et grands, ainsi que ma personne, remercions chaleureusement le lutin lunettes pour ce bon moment passé en sa compagnie venue des étoiles.

Disclaimer

Pascal et moi faisons partie de la même association. Nous nous étions déjà rencontrés une fois avant que nous prenions connaissance de nos activités respectives. Je précise qu’il ne m’a pas demandé de réaliser cet article, c’est moi qui le lui ai proposé après avoir vu la première représentation.

Crédit photos : prises de vue réalisées à Faîtes l’énergie Quimper 2014. Sauf mention contraire : Geneviève Canivenc, licence CC-BY-NC-ND.

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Mon frère, ma princesse et le théâtre jeunesse

Diaporama sonore – Le festival Désir Désirs œuvre depuis 21 ans, dans la ville de Tours, à offrir une programmation cinématographique autour de la thématique du genre. Cette année le festival s’est associé à la bibliothèque centrale pour proposer la lecture de Mon frère, ma princesse, pièce de théâtre jeunesse de Catherine Zambon.

Les dernières dénonciations entendues dans les Manifs pour tous envers certains ouvrages comme Papa porte une robe ou Tous à poil ont amené certains militants à réclamer la censure de ces livres dans les bibliothèques municipales.

Je me suis rendu à cette lecture. Mon frère, ma princesse représente-t-il un danger ?

Mercredi 19 février, nous sommes à la bibliothèque centrale de Tours et il est bientôt 16h. La compagnie Möbius-Band semble très sereine à quelques minutes de l’entrée en scène.

Les interrogations portent plus sur la rencontre qui aura lieu après. Les bibliothécaires ont aperçu un homme susceptible de perturber la représentation. « Pas d’inquiétude ! C’est un habitué, il aime juste faire valoir son opinion », nous dit-on. Pauline Bourse, metteuse en scène, précise : « Le débat est fait pour les enfants, nous voulons juste parler du texte. »

“Il n’est pas question de faire des sélections”

Car lorsque la bibliothèque centrale a pris connaissance du projet initié par l’équipe du festival Désir Désirs, la polémique n’existait pas encore. Mais depuis début février, la bibliothèque a reçu un message indiquant une liste des ouvrages à retirer, comme cela a été le cas dans d’autres villes.

Si la démarche militante reste très marginale, elle n’en a pas moins fait réagir les personnes concernées. Colette Girard, adjointe à la culture à la ville de Tours, avait déjà profité de l’inauguration du festival, le 12 février, pour s’indigner contre cet appel à la censure.

Pour Céline Gitton, coordinatrice de l’action culturelle pour la bibliothèque municipale de Tours, « il n’est pas question de faire des sélections, c’est hors de propos pour un bibliothécaire ».

Ce texte parle de l’identité, et le théâtre est bien l’endroit où l’on change d’identité.

La représentation théâtrale souffre malgré elle de l’actualité chargée autour du genre. La rencontre prévue après la lecture n’attire que les adultes et transforme ce moment d’échange en débat sur la littérature jeunesse.

“Doit-on donner autant de visibilité à ces problématiques ?” “Sont-elles sur-représentées ?” “Diffuser une œuvre littéraire traitant du genre est-il un geste politique ?”

Si la contestation a trouvé son unique porte-voix dans l’assemblée, son écho retentit sans encombre, obligeant les comédiens, la bibliothèque et les responsables du festival à justifier méticuleusement leur choix et assurer qu’aucun complot ne vise à transformer nos enfants en ce qu’ils ne sont pas.

Contrairement à ce que le titre Mon frère, ma princesse peut laisser suggérer, Alyan, 5 ans, ne cherche pas à tout prix à devenir une princesse. Au fur de la pièce, il se voit en dragon, en maman, en fée Nayla ou encore en pétunia.

La seule chose dont il ne se réclame pas, c’est bien d’être un garçon, ce qui déclenche bien évidemment les réactions de son entourage. Face à l’incompréhension de la mère et aux moqueries des camarades de classe, sa sœur Nina le défend.

« Ce texte parle de l’identité, explique la metteuse en scène, et le théâtre c’est bien l’endroit où l’on change d’identité. » Car les différents protagonistes qui gravitent autour d’Alyan peuvent difficilement se prévaloir d’être les parfaits stéréotypes masculins et féminins.

La mère avoue ne jamais porter de robe et a un poste à grande responsabilité. Nina joue au foot et trouve les princesses stupides. Et enfin Dillo, camarade de Nina, ne veut pas se battre et trouve le rose cool.

Le comédien Mikaël Teyssié passe d'un personnage à l'autre. - La Déviation
Le comédien Mikaël Teyssié passe d’un personnage à l’autre.

Si le texte de Catherine Zambon réussit à apporter un très beau message de tolérance, la lecture théâtralisée proposée par la compagnie Möbius-Band ouvre une autre dimension à ce récit.

Les deux comédiens disposent de codes vestimentaires (bonnets, vestes) pour interpréter les six personnages principaux de la pièce.

Au fur et à mesure que le rythme de la lecture s’accélère et que les personnages se répondent, les changements de costumes s’emmêlent. Dillo ou Ben se retrouve interprété dans l’ombre du costume d’Alyan et inversement.

Outre la magnifique coordination des comédiens qui réussissent à donner une dimension comique à des endroits où elle n’existait pas dans le texte, les personnages se confondent pour leur apporter une nouvelle lecture. On ne sait plus qui parle. On ne sait plus qui est qui. Et peu importe.

Mon frère, ma princesse a reçu le prix Collidram pour l’édition 2012-2013. Chaque année, l’association Posture invite un comité de collégiens à sélectionner 4 pièces de théâtre contemporaines. Il a également reçu le dixième prix de la pièce de théâtre contemporain pour le jeune public, décerné par la bibliothèque de théâtre Armand Gatti, l’Inspection Académique du Var et le rectorat de Nice.

Mon frère, ma princesse, de Catherine Zambon, éditions l’école des loisirs, 2012, mis en scène par Pauline Bourse, Compagnie Möbius-Band avec Émilie Beauvais, Mikaël Teyssié et Pauine Bourse.

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Antigone est un homme au sanctuaire de Cybèle

Gwénaël Morin, metteur en scène de la pièce, nous offre une version moderne et vivante d’un classique. Le cadre, minimaliste, a permis l’osmose entre comédiens et public. L’histoire d’Antigone, vous la connaissez. Pour le reste, lisez plutôt.

C’est le début de la pièce. Les comédiens surgissent de toutes parts. Ils nous regardent dans les yeux et transmettent leur émotion. Le chœur débarque et crie. Chante. Et transmet le message. Il est le même, l’histoire est la même : la loi des hommes contre celle des Dieux et le combat d’une jeune fille, Antigone, pour la sépulture de son frère.

Le chœur est constitué de personnes comme vous et moi. Ce ne sont pas des comédiens, ce ne sont pas des chanteurs. Ce sont des personnes qui se sont inscrites sur une site qui proposait d’interpréter le chœur de cette pièce. Le théâtre se démocratise donc de plus en plus. Le chœur scande des “destin !”, “tragédie !” avec des mégaphones de fortune. Ça nous prend aux tripes.

Le combat d’Antigone est interprété à merveille par un Julian Eggerickx complètement transformé. Il transcende le public, il le touche. La larme a l’œil, il s’efface et s’écrase face au puissant et un tantinet misogyne Créon, joué par Virginie Colemyn.

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La particularité de cette première représentation lyonnaise était bien l’aspect moderne. D’abord les décors, Thèbes, la cité où se situe l’action, est matérialisée par un drap blanc sur lequel est inscrit sobrement en noir “Thèbes”.

La porte, sur laquelle Antigone s’élève pour gagner de la hauteur face aux hommes, est bricolée en bois. Les costumes sont très sobres. Une jupe bleue pour Antigone et deux cercles rouge sur la poitrine du comédien pour représenter les seins de la jeune fille, une vieille perruque pour Hémon, un chapeau et une épée en carton pour Créon.

En bref, il s’agit de décors et de costumes pour le moins minimaliste. Ce minimalisme permet clairement de s’imprégner de la force et de la sensibilité des comédiens. Ce classique de Sophocle n’a rien perdu de son authenticité, au contraire, il réussit toujours à attirer et à séduire le spectateur.

Et comme le metteur en scène me le confiait, “la modernité de cette pièce réside dans sa simplicité”.

Antigone, d’après Sophocle, mis en scène par Gwenaël Morin, aux Ruines romaines de Lyon, chaque soir jusqu’au 12 juin, à 19 h. 20 €/15 €, guichet des Nuits de Fourvière.

Toute la programmation des Nuits de Fourvière.

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