Catégories
Agiter

La Gazette des confiné·es #8 – Révoltes, perspectives et travail

Contre quoi faudra-t-il lutter et comment le ferons-nous dans les prochaines semaines et mois ? Comment limiter l’influence du pouvoir politique sur nos propres corps ? C’est par des questions ouvertes que la gazette commence et vous apporte ensuite les dernières nouvelles. Des révoltes éclatent dans les centres de rétention administrative, les sous-traitants du nucléaire bossent pour EDF comme si de rien n’était, l’été s’assombrit pour les intermittent·es et Amazon subit un sérieux revers.

Il faudra lutter un peu plus…

Le Medef et le gouvernement se lâchent en petites phrases pour préparer les esprits à des attaques d’envergure contre le code du travail. Contre la musique du « travailler plus pour sauver l’économie », il va falloir lutter encore plus pour la détruire !

On peut craindre des manifestations interdites pour « raisons sanitaires » pendant encore longtemps surtout vu que les services de renseignement s’inquiètent d’un embrasement. Il va falloir réfléchir à comment continuer à se révolter, à lutter. D’autant plus que la situation d’une crise non prévue par le capitalisme ouvre le champ des possibles révolutionnaires et contre-révolutionnaires : d’un côté l’émancipation, de l’autre l’extrême droite qui vient et la surveillance généralisée (comme le montre ce reportage glaçant en Chine diffusée par Arte).

Les pistes envisagées à la fin du long article de Jérôme Baschet dans Lundi Matin sont les suivantes : amplifier la colère légitime (notamment vis-à-vis de la situation de l’hôpital public), profiter du temps du confinement pour réfléchir à des modèles alternatifs (stratégie de L’An 01 mais seulement applicable pour les privilégié·es du confinement), ne pas redémarrer l’économie (stratégies de blocages, de ZAD), multiplier les initiatives d’auto-organisation et d’entraides locales (on en a parlé dans la gazette numéro 6). Il y a de quoi faire !

200417 - CQFD Janvier 2020 Vos grèves seront exaucées - La Déviation
Espérons que la prédiction de la Une du numéro de janvier 2020 de CQFD se réalise !

D’autres histoires à partir de nos corps

Le gouvernement, dans cette gestion de la crise sanitaire, s’attache particulièrement à gérer nos corps. Certains corps vont être sommés de ne plus sortir de chez eux tandis que d’autres sont forcés de servir les flux économiques qui « doivent » être maintenus dans des conditions plus que critiquables.

Et ils sont violentés s’ils contreviennent aux règles édictées. Ces corps sont des territoires où les politiques s’expriment : barrières individuelles contre une propagation, pions des flux économiques, externalités d’un système carcéral qui veut conserver sa maîtrise hégémonique.

200417 - Triptych Left Panel 1981 by Francis Bacon - La Déviation
Panneau gauche d’un triptyque fait en 1981 par Francis Bacon qui anticipait deux policiers à cheval allant verbaliser une personne qui ne respecte pas le confinement.

Sur les corps des femmes se matérialise aujourd’hui de façon accentuée la violence du système patriarcal, notamment pour les femmes confinées avec des partenaires violents. Nous pouvons dire que leur interdire de fuir est une violence supplémentaire que l’on peut signaler.

Dans nos corps se matérialise aussi l’incompréhension de la situation présente : nombre d’entre nous ont des règles chamboulées, décalées, retardées. Bien sûr, des explications biologiques existent et sont cohérentes pour cela.

Cependant, souhaitons-nous accepter tout cela ? Nous pouvons nous donner des outils pour modifier ces emprises sur nos corps. On nous enjoint à prendre soin de nous et de nos proches : mais la guérison et le soin, ce sont aussi des processus de transformation politique.

Collectivement, proposons de nouvelles histoires, qui guérissent, à partir de nos vécus et de ceux que les autres partagent avec nous.

Révoltes aux CRA de Mesnil-Amelot et de Vincennes

Le 11 avril au soir, les sans-papiers détenu·es dans le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot occupent la cour du bâtiment et bloquent la promenade pour protester contre leurs conditions de détention, notamment après qu’une personne porteuse du coronavirus est temporairement enfermée dans le centre, risquant de contaminer nombre de prisonnièr·es.

Les détenu·es (ainsi que les policièr·es du centre) ne disposent ni de masque, ni de gel hydro-alcoolique. La répression policière s’abat sur le CRA le lendemain matin, et plusieurs détenu·es sont déporté·es vers d’autres centres en France, menaçant d’y répandre l’épidémie.

Le 12 avril, au CRA de Vincennes, des affrontements éclatent entre sans-papiers et policièr·es, ces dernièr·es refusant le transport d’un détenu malade à l’hôpital ; les détenu·es obtiennent finalement gain de cause.

Le 25 mars, la demande de fermeture des CRA pour circonstances exceptionnelles déposée par plusieurs associations dont le Gisti devant le Conseil d’État avait été rejetée. Le ministre de l’Intérieur soutenait alors que « la condition d’urgence n’[était] pas remplie et que ne [pouvait] être retenue aucune carence de l’autorité publique de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors que les mesures de rétention actuellement en cours sont nécessaires et proportionnées, que des mesures de prévention ont été prises et que l’accès aux soins en rétention est garanti ».

On voit ce qu’il en est dans la réalité des faits…

200417 - Mur par mur nous détruirons les Cra A bas les Cra- La Déviation
Le site abaslescra.noblogs.org propose des ressources et analyses pour lutter contre les CRA.

Pour plus d’infos, on vous invite à consulter le suivi détaillé sur Paris-luttes.

Sous-traitants et illuminations nucléaires

EDF s’est vanté en début de confinement de réussir à faire tourner les centrales nucléaires avec une petite fraction de ses salarié·es. Or, les salarié·es d’EDF ne sont que des cadres : toutes les opérations de manipulation sur ses sites sont assurées par des sous-traitants.

C’est donc oublier que le monde de la production énergétique nucléaire ne se restreint pas à un contrôle depuis une salle couverte digne d’un film de science-fiction. Les installations nucléaires nécessitent aussi un entretien, qu’il soit celui, basique, du nettoyage, ou celui moins classique des opérations à réaliser sur les tranches (c’est à dire les réacteurs) comme les arrêts qui permettent de renouveler le combustible.

200417 - Dans les servitudes nucléaires Revue Z by Damien Rondeau - La Déviation
Dessin de Damien Rondeau pour illustrer l’enquête parue dans la Revue Z en 2012 sur les sous-traitants du nucléaire.

Lorsqu’on a que des salarié·es qui peuvent travailler à distance, il devient bien plus simple d’afficher des chiffres de télé-travail élevés. Les salarié·es des sous-traitants, quant à eux, sont pour pas mal au boulot.

Les syndicats continuent à réclamer des conditions de travail conformes aux mesures sanitaires, dénoncent une ambiance anxiogène, et s’inquiètent d’une communication imprécise. Les salarié·es partent parfois en « grand déplacement » d’une centrale à l’autre sans être testé·es et sans savoir si du boulot est disponible là-bas plutôt qu’ici.

Et c’est le contexte choisit par le gouvernement pour publier un décret accordant un délai supplémentaire à l’EPR de Flammanville, pour lequel les retards et dépassements de budget sont déjà bien nombreux. Plus localement, la préfecture de la Meuse a autorisé le 10 avril l’Andra à capturer et recenser des amphibiens dans le cadre du projet d’enfouissement Cigéo.

Pour finir sur une note joyeuse : de très jolies illuminations sont apparemment prévues pour l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl (c’est le 26 avril, préparez-vous) !

Amazon : le tribunal de Nanterre fait un carton chez les salarié·es

« Première victoire syndicale » jubile Solidaires mardi 14 avril. L’Union syndicale fait plier Amazon France devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Le risque d’attraper le covid-19 dans les entrepôts de la firme justifie la réduction drastique de ses activités. La décision est relayée par CNN.

Les critiques répétées de Muriel Pénicaud à l’endroit du géant du commerce en ligne ne disaient rien qui vaille. Ce n’est toutefois pas l’action de ses services qui contraint Amazon à réduire la voilure, mais l’assignation en référé d’un syndicat.

200417 - Amazon España por dentro vue d'ensemble by Álvaro Ibáñez CC BY 2.0 - La Déviation

L’inspection du travail s’était contentée d’une mise en demeure à partir du 3 avril concernant quatre sites où l’absence de matériel de prévention et de mesures de distanciation entraînaient un risque de contagion des travailleur·ses. Nous vous en parlions dans notre sixième numéro. Affaire classée cinq jours plus tard pour trois d’entre eux. Aux yeux du ministère, mais pas de la justice !

La juge Pascale Loué-Williaume observe dans l’ordonnance que nous nous sommes procuré·es (à partir de la page 9) que les représentant·es des salarié·es n’ont pas été associé·es à l’évaluation des risques, en ce qui concerne le portique d’entrée ou l’utilisation des vestiaires.

Au sujet des transporteurs, « il n’est toujours pas justifié des protocoles de sécurité prévus par le code du travail ». Le risque de contamination par le biais des chariots automoteurs sur les quais de livraison n’a pas été suffisamment évalué. Pas plus que celui lié à la manipulation des cartons. Sur le site nordiste de Lauwin-Planque, des « non-respects » ponctuels des mesures de distanciation ont été relevées et partout les formations dispensées tout comme la prise en compte des risques psycho-sociaux sont insuffisantes.

« Il y a lieu […] d’ordonner […] à la société de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux tant que la société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distributions. »

Pour s’assurer d’être entendue, la première vice-présidente du tribunal assortit sa décision d’une astreinte d’un million d’euros par jour et par infraction constatée. Une somme qui doit être rapportée aux 4,5 milliards de chiffres d’affaires déclarés en 2018 sur le territoire. Conséquence, la multinationale ferme ses entrepôts jusqu’au lundi 20 avril, minimum.

Les salaires seront maintenus à 100 % durant ces cinq jours, mais la firme qui emploie environ 10.000 personnes dans le pays, dont un tiers en intérim envisage de les subventionner grâce au chômage partiel. Une demande qui ne manquerait pas d’audace pour une multinationale suspectée de dissimuler des milliards au fisc. Sur France Info, le directeur général d’Amazon France prend une posture de victime, tout en agitant la carte du chantage à l’emploi.

200417 - Carte implantation Amazon en France rapport Attac Solidaires 2019 - La Déviation
L’implantation d’Amazon en France a été cartographiée par Attac et l’Union syndicale Solidaires dans un rapport su l’impunité fiscale, sociale et environnementale de la firme, mis en ligne en novembre 2019. Cliquez sur l’image pour y accéder

Solidaires espère que ce jugement permettra de donner raison aux salarié·es qui ont tenté d’user de leur droit de retrait. Et même qu’il « ouvre la voie à d’autres actions ». Dans ce dossier éminemment politique, le juge d’appel peut néanmoins revenir sur cette décision dans les prochains jours, par exemple si Amazon arrive à fournir les pièces manquantes à son dossier.

Le tribunal des référés de Paris avait rendu le 9 avril une décision similaire, dans l’affaire qui oppose Sud-PTT et la direction de La Poste. Le groupe doit « recenser les activités essentielles et non essentielles à la vie de la nation » et associer le personnel à une évaluation des risques liés à l’épidémie.

Les intermittent·es fragilisé·es

La culture n’aura jamais semblé aussi accessible. De nombreux contenus sont désormais disponibles en ligne, temporairement ou pendant toute la durée du confinement : collections de musées (Giacometti, Louvre), expositions (Frida Kahlo…), musique (Opéra de Paris…), littérature ou encore théâtre (par exemple le Théâtre des Amandiers…).

Cette soudaine manne de libre accès ne doit pourtant pas nous faire oublier que les artisan·nes de la culture, et notamment du monde du spectacle, déjà précaires, sont fragilisé·es par le confinement.

200417 - Spectacles reportés Théâtre des Amandiers Nanterre - La Déviation
La liste des annulations s’allonge au théâtre des Amandiers de Nanterre. Le site web propose en revanche des captations. Accédez-y en cliquant sur l’image

Pour bénéficier de leurs indemnités sur les périodes où iels ne travaillent pas, les intermittent·es du spectacle doivent faire un minimum de 507 heures (ou recevoir au moins 43 cachets) en 365 jours.

Le gouvernement a fait un premier pas en banalisant toute la période du confinement (à partir du 15 mars), qui ne comptera donc pas dans les 365 jours. De plus, les intermittent·es qui arrivent en fin de droits verront ceux-ci prolongés jusqu’à la fin du confinement. La déclaration mensuelle auprès de Pôle emploi reste d’ailleurs de rigueur.

Néanmoins, nombre de spectacles ont été annulés à partir du 4 mars, date des premières restrictions de rassemblement ; par ailleurs, la liste des événements annulés (Aucard de Tours, etc.) jusqu’à mi-juillet est longue, faisant non seulement disparaître des contrats mais aussi les bénéfices escomptés des répétitions menées au cours des derniers mois.

Un premier décret publié le 14 avril est jugé très incomplet par la CGT Spectacle, qui réclame une facilitation du recours à l’activité partielle pour les personnes en CDD d’usage, notamment. Une pétition qui anticipe une longue période de vaches maigres demande la prolongation des droits un an après la date de reprise, pour tous les artistes, technicien·nes et intermittent·es.

Sur ce dossier comme sur d’autres – pensons aux pigistes, nous vous vous parlions dans notre cinquième gazette -, l’attentisme du ministère inquiète. Franck Riester n’a fait qu’ajouter à la cacophonie en déclarant jeudi 16 avril sur France Inter que les « petits festivals » pourraient se tenir à partir du 11 mai. On se pince, quand on sait que les hôtels et restos garderont portes closes et surtout que les scientifiques craignent une « seconde vague ».

Dans l’attente d’une probable interdiction de tous les événements estivaux, les organisateur·ices peuvent théoriquement poursuivre leur travail et leurs dépenses, mais c’est bien pour une annulation qu’iels optent majoritairement. Une option qui, en l’absence d’arrêté les sécurisant financièrement, remet en cause leur pérennité, dans un secteur très soumis aux aléas.

Dans ces conditions, le plan spécifique du ministre de la Culture dont l’annonce est prévue dans quinze jours promet de susciter d’instances manœuvres en coulisses.

Catégories
Agiter

Dominique Lalanne, physicien nucléaire contre la bombe

Ni la France, ni les Etats-Unis, ni la Grande-Bretagne n’ont envoyé d’ambassadeur à Oslo, le 10 décembre, lors de la remise du prix Nobel de la paix à l’Ican, la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires. Un geste de défiance de ces puissances atomiques vis-à-vis du traité d’interdiction que ce collectif d’environ 500 ONG a réussi à faire adopter par l’Assemblée générale des Nations unies (Onu), par 122 pays sur 192, en juillet.

Dominique Lalanne représente l’Ican en France en tant qu’administrateur de l’association Abolition des armes nucléaires – Maison de vigilance. Nous avons rencontré ce physicien nucléaire du CNRS à la retraite lors de son passage à Lannion, le 13 décembre, au lendemain d’une conférence grand public organisée par Réseau “Sortir du nucléaire” Trégor.

Au lieu de préparer le démantèlement des armes nucléaires, les grandes puissances investissent des milliards pour renouveler leur arsenal. Pourtant, selon Dominique Lalanne, la dissuasion nucléaire ne fonctionne pas. En témoignerait l’incapacité de la communauté internationale d’empêcher la Corée du Nord de développer son programme nucléaire.

Le Quai d’Orsay tire des conclusions diamétralement opposées, jugeant ce traité « inadapté au contexte sécuritaire international, caractérisé par des tensions croissantes et la prolifération des armes de destruction massive, dont témoigne notamment la menace nucléaire nord-coréenne. »

Au lieu de protéger les populations, ces armes font peser une menace sur l’humanité toute entière, car si cette stratégie vient à rater n’importe où, la Terre pourrait sombrer dans un hiver nucléaire à cause des incendies causés par les bombes. Les terres deviendraient incultivables, entraînant une immense famine.

Le traité d’interdiction, de possession, de fabrication, d’utilisation et de menaces nucléaires voté cet été à l’Onu n’a pas de valeur contraignante sur les pays qui ne l’adoptent pas, mais il exerce une pression diplomatique sur eux. Par ailleurs, toutes les activités liées à l’armement nucléaire, notamment bancaires, étant interdites, l’Ican espère que cela perturbe les Etats dotés de la bombe. Il n’entrera en application qu’une fois ratifiée par cinquante pays.

Dominique Lalanne s’inquiète aussi pour le poids que fait peser le nucléaire civil sur les générations futures, du fait par exemple des déchets générés, impossibles à recycler. Entretien.

« La dissuasion nucléaire ne marche pas »

Votre militantisme pour le désarmement nucléaire est-il lié à vos anciennes activité de chercheur ?

Dominique Lalanne – Les physiciens nucléaires, mes collègues, ne sont pas plus motivés que l’opinion publique en général. Je me suis intéressé à la question parce que j’ai travaillé dans les années 1980 avec Solange Fernex et Théodore Monod qui ont dit que l’arme nucléaire était vraiment une arme d’abord immorale et qu’il fallait supprimer pour plein de raisons éthiques.

Mais je me suis intéressé à ça aussi parce qu’au niveau nucléaire, je pense qu’on a une réflexion générale à avoir sur ce qu’on lègue aux générations suivantes.

Léguer aux générations suivantes des déchets nucléaires, au niveau du nucléaire civile, c’est une première interrogation, laisser aux générations suivantes la possibilité de s’entre-tuer et de détruire l’humanité ça ça me semble absolument intolérable et je pense que notre message fort pour les générations suivantes c’est de dire aller essayer de trouver une situation de sécurité pour vos enfants, vos petits-enfants et les générations suivantes.

Vous êtes très critique vis-à-vis de la stratégie de dissuasion. Vous dites que si elle échoue, c’est la catastrophe totale.

Avec quelques centaines de bombes qui explosent sur les villes, d’abord les villes sont détruites, les réseaux téléphoniques, informatiques de communication, de distribution d’eau, d’électricité, tout ça c’est remis en cause.

Scénario de l’hiver nucléaire

Ce qui est plus grave, c’est que les fumées qui sont dégagées par les incendies dans les villes obscurcissent l’atmosphère, c’est ce qu’on appelle le scénario de l’hiver nucléaire et à ce moment-là, même quelques centaines de bombes qui dans un conflit local comme l’Inde et le Pakistan par exemple incendieraient des villes, à ce moment-là ça obscurcirait l’atmosphère sur tout l’hémisphère nord et on ne pourrait plus avoir de récolte agricole, en France par exemple, s’il y avait un conflit en Inde.

Le scénario de l’hiver nucléaire provoque la famine et la fin de l’humanité. Ceux qui ne meurent pas sous la bombe meurent de faim.

Partagez-vous le constat selon lequel nous sommes dans une période de « renucléarisation » d’un point de vue militaire, avec la Corée du Nord, le Quatar aussi ?

Absolument. Le Quatar n’en est pas encore là du point de vue des armes nucléaires, mais il a acheté un douzaine de bombardiers nucléaires à la France récemment.

Tous les pays qui ont des armes nucléaires ont des programmes de modernisation. En 2018, la France va voter au niveau parlementaire une loi de programmation pour construire des sous-marins, des missiles et des avions pour les années 2030-2040, pour renouveler tout notre arsenal nucléaire.

On est effectivement dans une étape de modernisation des armes nucléaires. Il y en a actuellement 15.000 en service, 2.000 en état d’alerte et il faut déjà penser aux générations suivantes pour prendre la relève des armes qui seront obsolètes dans les vingt prochaines années.

Quel est le dispositif nucléaire français ?

Ici vous avez des sous-marins, à côté d’ici, à l’Île Longue. En permanence il y a un sous-marin qui est en mer pour assurer l’état d’alerte, qui est prêt à envoyer 10.000 fois Hiroshima sur des villes. Ça c’est une permanence en mer. On a aussi des bombardiers qui sont plutôt sur la côte méditerranéenne, à Istres.

Donc on a en permanence ce qu’on appelle l’état d’alerte et si jamais nos « intérêts vitaux » – je cite là le vocabulaire officiel du ministère de la Défense –, si nos intérêts vitaux sont atteints nous engageons un frappe d’avertissement nucléaire pour convaincre un pays à ne pas continuer dans son attitude agressive.

Quelle scénario proposez-vous à la France pour abandonner la dissuasion nucléaire ?

Le scénario c’est celui du traité d’interdiction. Pour changer fondamentalement les choses, il faut repenser à la doctrine dissuasion. La dissuasion ne marche pas. Il y a plein d’exemples. L’Argentine a attaqué la Grande-Bretagne qui a des armes nucléaires, l’Egypte a attaqué Israël qui a des armes nucléaires.

On sait que la dissuasion ne marche pas car si jamais la dissuasion échoue, c’est la désintégration de tout le monde et celui qui agresse comme celui qui est agressé, tout le monde meurt à la fin.

Changement de mentalité plus qu’un changement militaire

On sait que ce n’est pas un scénario crédible donc ce qu’on propose c’est que les pays remettent en cause cette doctrine de dissuasion et qu’ensuite ils voient les uns avec les autres comment petit à petit éliminer tous les arsenaux et changer de doctrine, non plus de méfiance les uns par rapport aux autres, mais de confiance les uns par rapport aux autres.

C’est plus un changement de mentalité qui nous préoccupe, qu’un changement militaire. Après le changement militaire changera de façon inévitable.

La France n’a pas envoyé d’ambassadeur lors de la remise du prix Nobel de la paix, ce qui est inhabituel. Quel diriez-vous à la ministre des Armées (Florence parly) si elle était devant vous ?

Ça m’arrive de rencontrer aussi bien à l’Elysée les conseillers défense que au niveau du ministère des Affaires étrangères ou du ministère de la Défense, des Armées maintenant, ça a changé de nom.

Je leur dis qu’est-ce que vous pensez au fond pour la sécurité de la France. Est-ce que vous votre doctrine de dissuasion c’est la seule doctrine possible ou est-ce que vous imaginez qu’il n’y a pas un effet pervers : vous dites avoir trouvé la solution , mais imaginez qu’elle ne marche pas, est-ce que vous vous posez la question du plan B ? Si la dissuasion ne marche pas, avez-vous un plan B ?

Souvent, ce qu’ils me répondent et qui est très décevant pour moi, c’est qu’il n’y a pas de plan B. Et donc je me dis qu’il y a un effet pervers terrible de l’arme nucléaire, c’est qu’on a la solution, c’est une arme psychologique, on essaye de convaincre des ennemis de ne pas nous attaquer, mais s’ils ne sont pas convaincus on n’a pas de solution.

Pour moi l’absence de réflexion sur réellement les conflits qu’on peut avoir au XXIe siècle ça ça me semble très grave.

L’année se termine par la remise du prix Nobel de la paix à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (Ican), qui récompense l’action qui a permis d’aboutir au traité d’interdiction voté par l’Assemblée générale des Nations unies, en juillet. Un traité qui n’engage pas les pays détenteurs de la bombe, comme la France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, qui ont d’ailleurs boudé la cérémonie à Oslo.

Il a été voté par 122 pays, contre un, les Pays-Bas. C’est un traité d’interdiction des armes nucléaires, d’interdiction de possession, de fabrication, d’utilisation, mais aussi d’interdiction de menaces.

C’est-à-dire que la théorie de la dissuasion nucléaire devient maintenant interdite internationalement. C’est une grande étape que l’on pourrait comparer à l’interdiction des armes chimiques et bactériologiques et c’est une étape qui va permettre d’imaginer maintenant un processus d’élimination puisque ces armes sont interdites.

Avant les armes étaient autorisées, donc c’était difficile d’imaginer que les pays qui en ont les éliminent. Maintenant qu’elles sont interdites, on peut discuter des processus d’élimination.

Les activités de financement ou d’aide au financement des armes nucléaires vont être interdites.

C’est un traité qui a une valeur diplomatique et une valeur symbolique on pourrait dire pour montrer qu’on franchit une étape dans les armes nucléaires. Mais c’est un traité qui va aussi avoir une valeur diplomatique, économique et industrielle parce qu’il interdit toute activité qui a un lien avec les armes nucléaires.

Les activités de fabrication de bombardiers et de sous-marins vont être interdites, les activités bancaires de financement ou d’aide au financement des armes nucléaires vont être interdites.

Pour des pays qui refusent de signer le traité, évidemment ils ne sont pas concernés, mais la plupart des industries, la plupart des banques travaillent au niveau international et donc ça va perturber un certain nombre de fonctionnements, qui sont liés ou mis en place par le nucléaire et donc ça va vraiment changer la situation internationale.

Combien d’années de travial pour aboutir à ce traité ?

Ican a commencé en 2007, donc c’est dix années de travail, pour faire du lobbying, faire du plaidoyer et faire des dossiers pour obtenir ce vote à l’ONU, qui est historique, d’un traité d’interdiction. Maintenant il est ouvert à signatures et quand il y aura cinquante pays qui l’auront signé et ratifié, il entrera en vigueur et donc deviendra une vraie loi internationale.

Catégories
Agiter

Réfléchissons nucléaire

Je me saisis de propos tenus dernièrement par Manuel Valls pour réfléchir un peu au sujet du nucléaire. Bonne nouvelle, ça va s’arrêter, c’est inéluctable. Reste à savoir pourquoi les dirigeants (politiques, entreprises) n’arrivent pas à le digérer, et j’ai ma petite idée sur la question.

Le nucléaire, une grande filière d’avenir

Le 27 août, notre Premier ministre participait à l’Université d’été du Medef. J’ai eu l’occasion de suivre son discours grâce à Twitter. Ladite allocution a été plus que largement reprise et commentée sous beaucoup d’angles différents. Personnellement, une chose m’a sauté à la figure et j’ai regretté qu’elle soulève si peu de réactions. Voilà l’objet  :

Notez bien que notre nouvelle ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie Ségolène Royal parle du nucléaire comme d’un atout pour la France, même si dans son cas, les énergies renouvelables occupent le devant du discours.

Wokay. Étudions donc un peu la question.

Un bât qui blesse : la finitude de l’uranium

Toute autre considération mise à part, voici un fait : nous n’avons pas assez d’uranium.

Scan du dossier Alerte à la pénurie, comment relever le défi publié en mai 2012 dans Science et vie, pp 52-71.
Scan d’un extrait du dossier Alerte à la pénurie, comment relever le défi publié en mai 2012 dans Science et vie, pp 52-71 (accès payant). Cliquez sur l’image pour zoomer.

Sur le sujet, je vous conseille cet excellent dossier de Science et vie de mai 2012 (n°1136). Il détaille l’état des stocks de 26 éléments ainsi que la vitesse à laquelle nous les consommons ce qui promet pour l’essentiel d’entre eux leur raréfaction voire leur disparition. Concernant l’uranium, voici un constat de Marc Delpech, chef de programme de l’amont du cycle à la Direction de l’énergie nucléaire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

“Compte tenu des besoins du parc nucléaire actuels et projetés, les ressources “raisonnablement assurées” aujourd’hui, soit environ 2,5 millions de tonnes d’uranium, seront entièrement consommées d’ici à 2035″

Retournons le problème, parlons démantèlement et déchets

Le nucléaire est une filière d’avenir, clairement, indiscutablement. Nous sommes parvenus à l’ère du démantèlement des premières générations de centrales. Les déchets que nous avons produits ont 200.000 ans de dangerosité devant eux. Sur le sujet, je vous renvoie à au documentaire diffusé cet été par Arte, Centrales nucléaires, le démantèlement impossible.

Couverture de l'album Léonard super-génie, par De Groot et Turk aux éditions Le Lombart (http://www.lelombard.com)... Pas si hors sujet qu'il peut y paraître!
Couverture de l’album Léonard super-génie, par De Groot et Turk aux éditions Le Lombart

Ça, c’est donc ce que j’appelle un coup de Léonard. Avec les solutions envisagées à l’heure actuelle, le marché français est estimé à la louche à 150 milliards d’euros par Corinne Lepage, dans le documentaire. Lorsque l’on s’intéresse aux déchets, là c’est 200.000 ans d’activité devant nous.

Pour comparaison, il y a 200 000 ans, l’Europe était peuplée par Néandertal. Voyons, quel autre secteur se projette à l’échelle de temps de l’évolution des espèces ? Ah, le secteur pétrolier qui modifie le climat. Nous parlons encore énergie.

Ce n’est donc a priori pas nous, humbles Homo sapiens qui verrons la fin du nucléaire en tant que gouffre à pognon et source de nuisances environnementales. Le nucléaire, un secteur d’avenir certes, mais c’est sous l’angle d’em***des incommensurables.

Oui mais d’où tirer l’énergie ?

Nous vivons dans un monde dont l’humanité touche la finitude des deux mains et du portefeuille. La matière y est présente en quantités limitées. S’en servir comme source d’énergie est donc une stratégie délicate qui impose un changement de technologie à l’échelle industrielle à chaque fois que nous asséchons une ressource.

Si nous n’avions pas le choix, et toute considération environnementale mise à part, je ne dis pas. Mais regardons ailleurs que sous nos pieds. Là-haut. Plus haut. Voilà. Le soleil. La quantité d’énergie qu’il nous expédie à chaque instant est faramineuse comparée à celle que nous produisons (voir les encadrés de fin pour les sources du calcul).

Visualisons le tout en un graphique.

graphique

Voilà ce que représente l’énergie que nous produisons chaque année par rapport à l’énergie circulante reçue du soleil : 0,014 %. Or, rappel, pour générer ce petit bout de fifrelin, nous devons assécher les ressources géologiques (pétrole, charbon, uranium) et réformer notre tissu industriel tous les 50 ans.

Et si on tirait l’énergie d’une source d’énergie ?

Je ne suis pas la seule à savoir faire des calculs. Assurément nos dirigeants ont déjà tout ceci en main, et sans doute bien plus encore. Dans ces conditions, mon interrogation est la suivante : comment se fait-il que le secteur du nucléaire puisse encore être associé au terme “avenir” sachant que le gisement potentiel ouvert aux énergies renouvelables représente 7.000 fois ce que l’on arrive à produire à l’heure actuelle en étant au max de nos capacités (c’est à dire nucléaire + pétrole + charbon et tout de même 13,3 % d’énergies renouvelables) ? Comment peut-on dans ces conditions considérer d’investir des millions et des milliards dans le nucléaire au lieu de les transférer là tout de suite maintenant dans des solutions pérennes ?

Autre question, comment se fait-il que les accros de la croissance économique exponentielle infinie ne se soient pas encore saisis de ça, ne se soient pas même rués dessus ? Du point de vue du marketing, c’est sans comparaison possible.

Du contrôle de la filière

Le renouvelable pose quand même un gros souci pour les grandes entreprises.

« Les cinq forces de Porter » par milanku — creation personnelle. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.
« Les cinq forces de Porter » par milanku — creation personnelle. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Avec le renouvelable, la source d’énergie est très diffuse, l’appareil de production associé doit donc aussi l’être… et d’ailleurs il peut être très divers : panneaux solaires, hydroliennes, éoliennes, arboriculture etc. Tout ça impose de le partager avec le clampin moyen, ce qui allume des alertes rouges partout sur le schéma des cinq forces de Porters. Or, le positionnement stratégique, c’est crucial pour une entreprise.

De la rentabilité

Henri Snaith est un physicien que travaille à l’Université d’Oxford sur des cellules photovoltaïques à base de pérovskite. Selon lui, la combinaison entre les faibles coûts de production et l’efficacité de cette nouvelle génération de composants est en passe de rendre le solaire plus rentable que l’utilisation des ressources fossiles. Que voilà une excellente nouvelle. Le “en passe” nous indique toutefois que ça n’est pas encore le cas.

Une entreprise, c’est fait pour gagner des sous

Plaçons nous dans la peau d’un industriel, confronté à une compétition internationale ultra rude. Peut-il prendre des décisions qui d’une part vont fragiliser la position stratégique de sa boite et d’autre part augmenter ses coûts de production ? Selon moi, la réponse est OUI, il peut le faire, mais il n’y a pas du tout intérêt.

Certes, on apprend parfois qu’une Anne Lauvergeon s’est opposée à la vente d’une centrale nucléaire à la Libye lorsqu’elle était à la tête d’Areva. Anticipait-elle un risque si important pour le plus grand nombre que même la bonne marche commerciale de l’entreprise est passée après ? Comment le savoir, peut-être y avait-il d’autres raisons, peut-être pas. Toutefois, cela n’enlève rien au fait que la simple lecture de statuts d’entreprise montre qu’elles sont légalement outillées pour employer des gens, produire des biens et services, faire du commerce, pas pour œuvrer pour le bien général.

De mon point de vue, les résistances que nous vivons à l’heure actuelle sont vouées à lâcher. Pétrole, nucléaire and co vont inéluctablement prendre fin parce qu’ils utilisent la matière comme source tandis que les énergies renouvelables s’en servent comme outil. Ils vont inéluctablement prendre fin parce que d’un point de vue économique, le solaire est en passe de devenir plus rentable que les énergies fossiles. Compte tenu de tous ces éléments, serions-nous en ce moment même sur la ligne de crête matière/énergie ?

Si tel est le cas, perso je croise les doigts que nous la franchissions assez tôt pour que la mutation en cours puisse se faire avec le minimum de dégâts environnementaux et sans période de pénurie. Sur ce dernier point, il ne s’agit pas (uniquement) d’une question de confort. Personnellement je me passerais bien d’une nouvelle guerre du pétrole. Voyons donc ce que les faits vont répondre.

L’ÉNERGIE SOLAIRE CIRCULANTE ANNUELLE
Notre ami soleil nous expédie à chaque instant une moyenne de 1.360 W/m2 (constante solaire, reconnue à peu près partout). Le tout n’est pas disponible, par exemple une large partie est directement réfléchie vers l’espace (environ 30%). Le reste transite d’une façon ou d’une autre par le système planète/atmosphère pour ensuite être réémis, sans quoi nous grillerions tel des œufs au plat à feu vif : en quelques minutes.
Nous en arrivons donc à 240 W/m2 (source : Rebecca Lindsey, Nasa earth observatory, 2009) soit 240 J/s/m2. Si nous ramenons ça à la surface de la planète (510.067.420 millions de m2) pour un an (31.536.000 secondes) nous voilà à 386.051.668 x 1016 joules/an qui se baladent entre chaleur, lumière, mouvements de convection, biomasse et ce dans la croute terrestre, l’atmosphère et les océans.
Attention 1 : ceci est une évaluation du potentiel total. À titre indicatif les agronomes estiment que 50% de cette énergie parvient jusqu’au sol.
Attention 2 : le calcul inclue un grand nombre d’approximations, il faut donc voir dans ce chiffre un ordre de grandeur.
Je tiens à remercier les personnes qui ont accepté de prendre du temps pour vérifier la validité de mes calculs et/ou me mettre en relation avec les bons interlocuteurs, et/ou me donner des infos supplémentaires : Bruno Tréguier, Michel Aïdonidis, l’école de Météo de Toulouse. Nota bene : cela ne signifie en aucun cas que ces personnes cautionnent le contenu de l’article, qu’ils n’ont d’ailleurs pas lu (en tout cas avant publication).
Retour au graphique

LA PRODUCTION ANUELLE D’ÉNERGIE PRIMAIRE
Prenons maintenant la production d’énergie primaire par an en 2011 (Agence internationale de l’énergie) : 13.113 millions de tonnes équivalent pétrole. Or, 1 million de tonnes équivalent pétrole équivalent à 4,1868 x 1016 joules (source de l’équivalence : American physical society). Nous sommes à 54.902 x 1016 joules/an.
Retour au graphique

Image à la une : photo de peintures rupestres libyennes de Luca Galuzzi, disponible ici sous licence CC-BY-SA 2.5, revue par mes soins.

Catégories
Agiter Lire

« Y’a autant de Plogoff que de gens qui ont vécu les événements »

C’est une bande dessinée engagée que signent le dessinateur Alexis Horellou et sa compagne Delphine Le Lay. Le récit d’une part de l’histoire contemporaine de la Bretagne, racontée du côté des militants antinucléaires. Ces militants, ce sont les habitants de Plogoff, ce village de la Pointe du Raz, qui s’est soulevé, il y a plus de trente ans, contre l’implantation d’une centrale nucléaire sur ses terres.

C’est l’histoire érigée en légende des Plogoffites. De leur prise de conscience des dangers de l’atome, au moment où la Bretagne se lasse de laver ses côtes souillées par le pétrole, au renoncement de l’État sous la nouvelle présidence Miterrand, en 1981. Des années marquées par des combats épiques contre les forces de l’ordre, des rassemblements géants qui marquent les débuts de l’écologie politique, mais aussi des coup de blues et des trahisons. “Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait“, aurait pu écrire d’eux Mark Twain. Delphine Le Lay souhaitait mettre en valeur cet exemple de résistance populaire. Interview.

Sylvain Ernault – Vous êtes originaire de Quimper, mais vous n’aviez qu’un an lors des événements de Plogoff. Qu’est-ce que cette lutte représente pour vous ?

Delphine Le Lay.
Delphine Le Lay est née à Quimper en 1979. Après de multiples expériences professionnelles, elle rencontre Alexis Horellou, dessinateur de bandes dessinées, à Bruxelles, en 2007. Elle met ainsi le pied dans le monde la BD.

Delphine Le Lay – C’était vraiment une légende pour moi Plogoff, le petit village d’irréductibles qui avait résisté à l’envahisseur et qui était sorti vainqueur ; ça n’allait pas très loin, mais ça faisait rêver. Et puis il y a deux ans, il y a eu évidemment la catastrophe à Fukushima et puis en même temps Plogoff fêtait ses trente ans. Là, j’ai entendu une émission de radio qui retraçait les événements. Ça m’a éclairé et ça m’a enthousiasmé bien plus. J’ai découvert une mobilisation, un acte de désobéissance civile très fort et qui était arrivé à une victoire.

Votre ouvrage s’inscrit dans un corpus déjà assez riche, il y a déjà eu un film, des reportages télé, des livres…

…Mais pas encore de BD. Voilà c’est chouette, on est contents de compléter le tableau. J’ai lu, je le pense, tous les ouvrages qui existent sur le sujet et chacun apporte, je trouve, un éclairage différent sur les événements. Il y a deux reportages (télé, NDLR) et chaque personne qui s’est intéressée au sujet pour un média ou pour un autre apporte quelque chose de différent et j’espère qu’on apporte aussi un éclairage par la BD.

Vous avez été surprise de la violence de l’opposition entre les antinucléaires et les policiers, lors de l’enquête d’utilité publique, au printemps 1980 ?

Oui, c’est même choquant. Le film des Le Garrec (Des Pierres contre des fusils, NDLR) est vraiment étonnant. Je le dis assez souvent, même c’est vrai que si notre génération n’avait eu que les témoignages des gens qui ont vécu les événements, moi je ne les aurai pas cru. Je me serais dit “oui bon, l’émotion prend le dessus. Ils ont cru qu’ils allaient mourir mais c’était pas vrai“. En fait quand on voit les images et le son du film des Le Garrec on se dit “mais c’est dingue“, c’est vraiment des scènes de combat et d’affrontements hyper violents et qui n’ont pas eu lieu qu’à Plogoff. Dans d’autres endroits aussi.

“Trois ans après Creis-Malville,
ils faisaient la même à Plogoff.
C’est dingue, c’est énervant en fait.”

À Creis-Malville il y a eu un mort, et c’était trois ans avant les événements à Plogoff, et quelqu’un était déjà tombé, un manifestant sous les grenades offensives des gardes mobiles. Trois ans après, ils faisaient la même à Plogoff et c’est dingue, c’est énervant en fait. Du coup c’est chouette si cette histoire peut en réveiller d’autres et se transmettre.

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, affrontements.
De nombreuses pages sont sans dialogue, laissant parler les images qui sont souvent très fortes. Elles laissent aussi une grande place aux paysages.

Nicole et Félix Le Garrec ont écrit la préface de votre BD. Ils sont donc les auteurs d’un film, réalisé pendant la guérilla rurale qui s’est tenue pendant l’enquête d’utilité publique dans le canton de Plogoff en 1980. Comment ont-ils apprécié votre ouvrage ?

Eux, je crois qu’ils sont contents de passer le flambeau, d’après ce qu’ils mettent dans leur préface. Et puis ils sont contents qu’on s’y soit intéressés. Ils y voient un intérêt que des jeunes générations, qui n’ont pas connu les événements, s’emparent du sujet et le racontent. Et puis à la fois que ce soit une BD parce que c’est aussi un médium qui est approché par d’autres générations, par des gens qui ne se sont peut-être pas intéressés par le sujet et qui par la BD vont y venir.

Après, j’ai des retours de gens qui ont vécu les événements et la plupart disent qu’ils s’y retrouvent bien et ils reconnaissent bien les événements et l’ambiance de l’époque et, du coup, on est contents de ne pas avoir trahi les personnes, que ce soit juste.

Vous rencontrez de nouveaux témoins des événements depuis la sortie du livre ?

J’ai rencontré des gens en dédicace. Alexis est allé à Rennes et ensuite, ensemble, on est allés à Brest et à Quimper. On a rencontré des gens qui ont vécu les événements, même parfois très proches. Il y a un tas d’anecdotes qui sont revenues et que j’ignorais, donc je crois que je n’ai pas fini d’en apprendre sur le sujet. Je crois qu’il y a autant de Plogoff que de gens qui ont vécu les événements. C’est assez marrant.

“Un deuxième tome ?
C’est une idée que je laisse à d’autres.
Mais bon, pourquoi pas ?”

J’ai découvert un tas de documentation supplémentaire. On pourrait presque faire un autre livre, avec tout ce que je recueille en dédicaces pour l’instant (rires).

Un deuxième tome, c’est une idée !

Une idée que je laisse à d’autres. Mais bon, pourquoi pas. Il y a encore beaucoup à dire sur le sujet, j’ai dû quand même faire des choix et je n’ai pas pu tout raconter. Déjà tout ce que je savais, je n’ai pas pu tout raconter, alors tout ce que j’ignorais et que j’apprends maintenant, c’est très riche.

Vous avez des contacts avec des policiers qui se sont opposés aux Plogoffites, parfois violemment, pendant l’enquête d’utilité publique ?

Non, je n’ai pas de contact. Je n’ai pas cherché à en avoir parce que leur point de vue était mis en images dans le documentaire de Brigitte Chevet, qui a fait un reportage vingt ans après les événements, et qui est allée à la rencontre de différents acteurs de tous bords. Donc ça rend son reportage très intéressant.

Bon, j’avais ce point de vue là, je devais choisir une trame, donc je suis restée sur ma lignée de départ. Par contre, des gens qui ont vécu les événements m’ont dit que de leur point de vue – c’est un témoignage qui revenait souvent – certains gardes mobiles n’étaient pas bien d’être là.

C’était compliqué pour eux à vivre, ils étaient là parce que c’était leur métier et qu’ils devaient le faire, mais ils étaient mal à l’aise et pas très heureux d’être là. Ça, je l’ai mis dans l’histoire parce que ça me semblait important. Ça revenait beaucoup. C’était pas eux les méchants, en tout cas pas tous (rires), malgré les apparences.

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, affrontements.
Les violences policières et le désiquilibre d’armement avec les manifestants antinucléaire est abondamment illustré.

Plogoff reste une lutte emblématique pour les écologistes et altermondialistes bretons. Comment vous l’expliquez ?

Même au niveau national ça reste le combat populaire contre le nucléaire qui a été finalement victorieux. Il n’y a pas eu de centrales à Plogoff. Après, c’est à mettre un peu en demi-mesure parce qu’il y a eu un certain nombre d’éléments qui se sont bien accordés et puis une conjoncture qui a fait qu’en fin de lutte, la victoire est arrivée.

La mobilisation n’a pas été aussi simple que ça. C’est pas comme je le pensais enfant, une bande d’habitants de Plogoff qui ont jeté quelques cailloux à la tête des CRS et les CRS qui ont dit “d’accord on s’en va“. Ça a été, évidemment, bien plus complexe que ça, bien plus long et il y a eu beaucoup d’acteurs qui ont tissé la mobilisation, mois après mois, années après années et puis le contexte politique de la fin avec l’élection de Mitterrand qui a fait que l’opportunité était là, après cette résistance, de finalement mettre un terme au projet.

“C’est plein d’espoirs et, en même temps,
on se rend compte que c’est compliqué,
le pouvoir est quand même très fort.”

Donc ça reste une lutte emblématique au niveau de la Bretagne, mais aussi hors de la Bretagne ; et au niveau du nucléaire et au niveau de toutes les oppositions qu’on peut avoir envie de faire vivre. Celle-ci a abouti par plein d’événements intéressants. C’est pas si simple de réussir une mobilisation comme ils ont réussi la leur. Il a fallu pas mal d’ingrédients qui se connectent les uns avec les autres et au bon moment pour arriver à ça. C’est plein d’espoirs et, en même temps, on se rend compte que c’est compliqué, le pouvoir est quand même très fort.

Mitterrand avait promis que Plogoff ne se ferait pas, mais vous rappelez que depuis 1982, 39 réacteurs ont été mis en service en France.

Malgré des oppositions aussi, des gens se sont opposés partout où des centrale devaient être construites et dans les territoires frontaliers des centrales. Le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse ont soutenu la France dans ces oppositions. Pour le coup, ça ne s’est pas passé comme à Plogoff…

Plogoff de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, manifestation.
Plogoff, ce furent aussi des fêtes et des manifestations géantes, tenues sur ce bout du monde qu’est la Pointe du Raz.

Malgré la promesse de Mitterrand, d’autres projets de centrales ont été sérieusement étudiés en Bretagne. Finalement, c’est la catastrophe de Tchernobyl qui a réglé la question. Dans ce flou, comment avez-vous décidé de poser le crayon ?

Le nucléaire en Bretagne - Sortir du Nucléaire
Le nucléaire est bien présent en Bretagne, en particulier à l’Île Longue, près de Crozon. Cliquez sur l’image pour l’agrandir. Crédits Sortir du Nucléaire

Le sifflet de l’arbitre, c’était clairement Mitterrand, malgré le fait qu’il y a eu des rebondissements après ça, la fin n’a pas été aussi simple que ça effectivement. Pour installer quelque chose en Bretagne, depuis c’est compliqué. Je pense qu’on montre les dents assez facilement sur ce territoire là, surtout qu’il y a quand même du nucléaire en Bretagne, militaire ou civil.

Dans l’écriture de la BD, ça s’arrête à 81. En 81, Mitterrand dans ses propositions il y a une proposition qui a trait aux énergies. Ça coupe là et après on arrive à 2012, puisque c’est en 2012 qu’on a terminé notre album. On fait le bilan de la situation énergétique en France, avec 39 réacteurs nucléaires depuis et puis un référendum qu’on attend toujours, des crédits alloués aux énergies renouvelables, des choses comme ça. C’est un bilan finalement assez gris par rapport aux promesses.

Aujourd’hui, Notre-Dame-des-Landes représente une nouvelle lutte des écologistes en Bretagne. Vous avez pensé en faire une BD ?

Non, peut-être dans trente ans, on verra, pour l’instant déjà je ne connais pas très bien le sujet, je sais qu’il y a des parallèles de faits, mais qui ne sont pas évidents non plus. Et puis, il y a un collectif qui a sorti une BD sur Notre-Dame-des-Landes aussi.

Il n’est jamais question de Radio Plogoff dans votre BD. Pourquoi ?

Oui c’est vrai. Non, malheureusement. J’ai quelques regrets de gens que j’ai vite fait mentionné, mais qui avaient une part plus importante que celle que je leur ai laissée dans le bouquin et la radio en fait partie. J’ai eu assez peu d’infos a priori sur ce sujet et du coup je n’en ai pas cherché davantage. J’avais beaucoup beaucoup de choses et c’est passé à côté. Comme Jean Kergrist, le “clown atomique”, ça fait partie des personnages forts de l’histoire que j’ai à peine montré. J’espère qu’ils ne m’en voudront pas trop !

Sur Radio Plogoff, j’ai trouvé très peu d’infos dans les livres. Et puis les gens qui m’ont parlé de Plogoff ne m’ont pas trop parlé de la radio, sauf à dire qu’il y avait une radio. Je ne sais pas qui l’animaient, je ne sais pas combien de temps par jour, par semaine, je n’en sais rien du tout.

Votre prochain projet de BD, il a un rapport avec l’actualité, les luttes…

On a tout le temps plein de projets avec Alexis, mais celui qui, a priori, se fera le plus facilement c’est aussi une forme de mobilisation et c’est aussi en Bretagne. Mais bon, pour l’instant je ne sais pas exactement sous quelle forme ni rien, donc je n’en parle pas tout de suite. Le premier livre qu’on avait fait (Lyz et ses cadavres exquis, NDLR) va être réédité par un autre éditeur et assorti de la suite et fin de l’histoire, donc en 2014 normalement le bouquin sortira, avec 100 pages supplémentaires.

Le couple sera en dédicace, à Lannion, le 25 mai, de 15 h à 18 h, à la librairie Gwalarn.

Plogoff, Delphine Le Lay et Alexis Horellou, Delcourt, mars 2013, 14,95 €.

Quitter la version mobile