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Face au covid : aux masques citoyen·nes !

Dans notre gazette numéro 4, nous vous proposions de coudre des masques en tissu réutilisable, en réponse à la pénurie. Alors que le gouvernement s’apprête à revoir sa doctrine, nous déconstruisons les critiques formulées contre le fait maison.

Petit rappel de la situation : au début de l’épidémie de covid, on s’est aperçu que les stocks stratégiques de masques étaient franchement légers. Le gouvernement a alors décrété que le port du masque ne servait à rien pour les personnes qui ne sont pas au contact de malades. Le conseil scientifique recommandait pourtant, dans son premier rapport du 12 mars 2020, de mettre des masques chirurgicaux à disposition des populations.

Ce qui était assez pratique, c’est que l’OMS tenait la même position, en ne plaçant pas le port du masque dans la liste des gestes barrières permettant de lutter contre la propagation du virus.

En regardant un peu autour du monde, on se rend compte que certains pays ne le voient pas de la même manière. En Corée du Sud par exemple, le port généralisé du masque a été encouragé par le gouvernement, qui organise le rationnement pour que tout le monde puisse en acheter deux par semaine. La Corée du Sud partait avec un petit avantage : le port du masque y est déjà répandu à cause de la pollution et il est vu aujourd’hui comme un acte citoyen qui évite de contaminer les autres.

Plutôt que de reconnaître son mensonge initial sur les masques, le gouvernement parle de « réévaluer la doctrine ». On peut donc s’attendre à ce que le port du masque soit recommandé, voire rendu obligatoire pour pouvoir sortir de chez soi.

En République Tchèque, la situation était un peu moins favorable. La tendance était plutôt de se moquer des rares personnes qui portaient des masques. Mais grâce à une grosse mobilisation, les masques cousus se sont imposés en quelques jours et font maintenant partie des recommandations officielles. Le fait que presque tout·es les Tchèques disposent d’une machine à coudre a sans doute aidé.

200410 - Aux masques citoyens Jeunes femmes portant des masques artisanaux Crédits Masao Mask - La Déviation

Ces derniers jours, de nombreux autres pays ont suivi. L’Italie inclut le port généralisé du masque dans son plan de sortie de confinement. En France aussi, l’idée commence à faire son chemin. L’Académie des sciences recommande le port de masques « grand public » pour toute la population, en réservant les masques chirurgicaux et FFP2 pour les soignant·es. Plutôt que de reconnaître son mensonge initial sur les masques, le gouvernement parle de « réévaluer la doctrine ». On peut donc s’attendre à ce que le port du masque soit recommandé, voire rendu obligatoire pour pouvoir sortir de chez soi.

Ces décisions posent de nombreuses questions d’approvisionnement.

La plupart des masques chirurgicaux sont désormais fabriqués en Chine, après la fermeture de nombreuses usines, comme celle d’Honeywell dans les Côtes-d’Armor, en 2018. C’est donc le monde entier qui cherche aujourd’hui à se fournir auprès d’un seul pays, ce qui fait monter les prix et encourage tous les coups fourrés entre pays, voire régions d’un même pays pour rafler les stocks de masques produits.

Une autre difficulté est celle de la répartition des stocks, réquisitionnés par l’État, qui risque de faire l’objet de nombreux arbitrages à tous les niveaux de distribution : vaut-il mieux donner les stocks à la police ou aux facteurs (réponse dans notre gazette numéro 5) ? Aux personnes âgées ou aux travailleur·euses ? Aux cadres ou aux personnes sans domicile ? Ces questions continueront de se poser tant que l’épidémie ne se sera pas arrêtée puisque les masques que le gouvernement envisage d’acheter sont jetables et qu’il faut donc les renouveler souvent (en principe toutes les trois heures).

Vers une production locale et solidaire ?

Une alternative à la consommation effrénée de masques jetables serait de suivre l’exemple tchèque en cousant des masques réutilisables. Cette méthode présente de nombreux avantages, même si les masques obtenus n’ont pas les mêmes propriétés que les masques chirurgicaux et FFP2, comme on le verra ensuite.

Tout d’abord, elle peut être mise en place localement, avec des matériaux facilement accessibles : les masques peuvent être cousus avec du tissu de récup’. Avec une machine à coudre, même sans trop s’y connaître initialement, on peut facilement réaliser quelques dizaines de masques et les partager autour de soi.

En procurer à toute la population semble donc un objectif réaliste.

200410 - Aux masques citoyens Personne fabriquant des masques cousus main Crédit Kelly Sikkema - La Déviation

Dès le début de l’épidémie, le discours officiel sur les masques a été largement critiqué en France et des appels à porter des masques ont été formulés, par des soignant·es, des personnes engagées sur les questions de santé publique et des particulier·es. Le collectif Stop postillons a fait un travail remarquable de collecte d’informations et d’initiatives sur les masques et autres écran de protection pour les particuliers. Par ailleurs, la pénurie de masques a poussé des soignant·es à faire appel à des couturièr·es pour fournir des masques en tissu, à défaut de masques homologués.

De très nombreuses initiatives ont alors essaimé, notamment sur les réseaux sociaux, pour fabriquer des masques et d’autres protections pour les soignant·es, mais aussi les commerçant·es ou ses voisin·es. Les réseaux d’entraide, référencés par Covidentraide, ont relayé dès le début du confinement cette solidarité.

L’agence française de normalisation a produit un guide précieux pour la fabrication en série et la fabrication artisanale de masques barrière.

Les sites et blogs consacrés à la couture ont permis une diffusion rapide des masques en produisant de nombreux tutoriels de couture, ainsi que des articles d’explication sur le fonctionnement des protections respiratoires et la réglementation.

Des entreprises du secteur textile se sont aussi réorganisées pour produire des protections respiratoires. À Lille, le CHU et un réseau d’entreprises et d’associations ont mis au point un protocole de fabrication et procédé à des tests en laboratoire, ce qui a donné lieu à l’initiative des Masques en Nord, pour la fabrication de masques pour les soignant·es. Des kits sont envoyés à des couturièr·es volontaires, puis les masques sont collectés. En une semaine, plus de 15.000 personnes se sont portées volontaires.

De nombreux modèles de masques ont été proposés. Les plus répandus sont un modèle à plis, similaire aux masques chirurgicaux, un modèle « canard », de même forme que les FFP2 et un modèle à couture centrale, diffusé notamment par le CHU de Grenoble au début de la crise. On peut réaliser ces masques de nombreuses façons en changeant le type de tissu et le nombre de couches. Certains modèles utilisent un filtre qui doit être changé.

L’agence française de normalisation a produit un guide précieux pour la fabrication en série et la fabrication artisanale de masques barrière. Ce guide détaille la fabrication des masques et le cadre approprié d’utilisation. Il recommande d’éviter les coutures centrales et propose des protocoles pour fabriquer des masques à plis et canards. Pour obtenir le guide, il faut fournir une adresse mail à l’Afnor afin d’obtenir les mises à jour et les rectificatifs. Des informations sur la façon d’utiliser le guide pour les particulier·es sont disponibles ici.

L’efficacité des masques et le rôle de l’expertise

200410 - Aux masques citoyens Masque artisanal tendu au-dessus d'un étal Crédits Liza Pooor - La Déviation

La pénurie de masques et la gestion de crise qui a suivi posent de nombreuses questions intéressantes sur le rôle de l’expertise.

En France, la gestion gouvernementale s’est basée sur un déni de l’utilité des masques en dehors du cadre médical. Ce choix a probablement été fait pour éviter que les particuliers ne se ruent sur les stocks et pour réserver les masques chirurgicaux et FFP2 pour les soignant·es. Il repose sur une conception pessimiste de la réaction publique, selon laquelle la première réaction des personnes face à la crise serait de chercher des moyens de se protéger, de manière purement égoïste.

Cette vision se retrouve aussi dans la grande importance attachée aux vols et détournements de masques dans les hôpitaux. La classe gouvernante, ainsi que les médias ont ainsi lourdement insisté sur ces vols, au point d’en faire une explication de la pénurie. Comme si les quelques dizaines, voire centaines de milliers de masques dérobés pouvaient être la cause du problème, alors qu’il manque des centaines de millions de masques par rapport aux plans de réaction aux épidémies conçus dans les années 2000 et progressivement déconstruits depuis 2010.

Cette vision d’une foule apeurée, prête à se jeter sur des produits de première nécessité se double aussi d’une infantilisation de la population, qui serait incapable de comprendre les enjeux de l’épidémie, de même que les gestes barrière. Celle-ci peut être perçue dans la manière dont les mesures sont annoncées au dernier moment, sans prendre un temps préalable pour expliquer leur intérêt.

De nombreuses questions essentielles en période d’épidémie sont présentées comme trop techniques pour être accessible au grand public. L’exemple caricatural est celui de la porte-parole du gouvernement qui prétend ne pas savoir utiliser un masque, puisqu’il s’agit d’un geste technique, inaccessible aux personnes non formées.

Par exemple à la mi-mars, les mesures de fermeture des commerces et de confinement ont été annoncées à peine une demi-journée avant leur mise en œuvre à chaque fois, provoquant des mouvements de masse qui ont pu contribuer à propager le virus. Certes, les mesures sont prises en fonction de la situation sanitaire, qui évolue très vite. Cependant, qui peut croire qu’au moment où le confinement a été annoncé, il n’avait pas été envisagé depuis au moins plusieurs semaines.

Communiquer sur le confinement, son intérêt et ses modalités avant de le décréter, en insistant sur le fait qu’il s’agissait d’un outil éventuel qui interviendrait au moment opportun aurait permis d’éviter notamment les nombreux départs de dernière minute.

Cette méthode de gouvernement par l’ignorance pose aussi problème à travers le rôle qu’elle fait jouer à l’expertise. Pour mieux exclure les citoyen·nes de la décision, le gouvernement surjoue en effet le rôle des expert·es. De nombreuses questions essentielles en période d’épidémie sont présentées comme trop techniques pour être accessible au grand public. L’exemple caricatural est celui de la porte-parole du gouvernement qui prétend ne pas savoir utiliser un masque, puisqu’il s’agit d’un geste technique, inaccessible aux personnes non formées.

Cette anecdote permet d’illustrer un élément essentiel, au cœur du débat sur l’utilité et l’efficacité des masques artisanaux. Il est vrai que les protections respiratoires nécessitent d’être utilisées correctement pour être efficaces. Dans le cadre professionnel, leur utilisation est régie par un cadre réglementaire et un ensemble de normes, qui permettent de s’assurer que la filtration est supérieure à un certain seuil. Pour rassurer les membres du gouvernement, on trouve facilement en ligne des ressources sur l’utilisation des protections respiratoires, qui sont employées à l’hôpital, mais aussi dans de nombreux secteurs industriels, dans l’agriculture, etc.

200410 - Aux masques citoyens Pile de masques faits maison en République Tchèque 01 Crédits Vera Davidova - La Déviation

Il va de soi qu’un masque artisanal ne remplit pas les critères réglementaires pour être utilisé, en temps normal, dans le milieu médical. Il n’est donc pas étonnant que des professionnels de la santé aient pris des positions pour expliquer que ces masques ne peuvent pas servir de masques chirurgicaux, comme l’ont rappelé la Société française des sciences de la stérilisation et la Société française d’hygiène hospitalière. En revanche, cela ne signifie pas que ces masques ne permettent pas de limiter la transmission du virus.

Lorsque les masques artisanaux ont commencé à se répandre, de nombreux débats, parfois houleux ont eu lieu sur les réseaux sociaux autour de leur efficacité. Des personnes de bonne foi, qui voulaient simplement se protéger sans avoir la prétention de fabriquer un dispositif médical ont été attaquées sur la base d’arguments d’autorité reposant sur des experts. On pouvait pourtant trouver en ligne des articles scientifiques qui attestaient de l’intérêt des masques artisanaux pour le grand public, même si ils excluaient leur utilisation dans le cadre médical.

Les masques jouent donc un rôle de protection individuelle, mais aussi de protection collective.

Il y a donc eu des mécanismes de marginalisation de connaissances, par un ensemble d’acteur·ices en situation de pouvoir sur les discours concernant l’épidémie, parmi lesquel·les le gouvernement et les agences de l’état en charge de la santé publique, une partie des soignant·es, mais aussi une partie de la presse. En effet, des journalistes, dans le courant de la vérification d’information, ont repris les arguments du gouvernement et des médecins pour conclure que les masques artisanaux étaient inutiles, voire contre-productifs.

Les Décodeurs du Monde concluent par exemple que « seuls les masques normés sont valables pour les malades (suspectés, testés…) et les soignant·es. Pour tous les autres, y compris les personnes en lien avec du public, respecter les distances de sécurité, se laver les mains et éternuer et tousser dans son coude, restent des moyens plus sûrs de se tenir à distance du virus que se couvrir d’un masque fait maison, peu efficace et faussement rassurant ».

Cette marginalisation repose sur une confusion entre deux rôles joués par les masques : porter un masque permet d’éviter d’être contaminé·e en présence d’une personne malade mais aussi de ne pas répandre dans l’air des gouttelettes qui peuvent contaminer les autres si on est soi-même malade. Les masques jouent donc un rôle de protection individuelle, mais aussi de protection collective. En principe, un masque FFP2 vise avant tout à assurer une protection individuelle, tandis qu’un masque chirurgical est conçu d’abord comme un écran anti-postillons. Cependant, ces masques jouent les deux rôles puisqu’ils permettent en pratique de filtrer à la fois l’air inspiré et expiré.

Le rôle de protection collective a été négligé pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la focalisation sur les besoins de masques pour les soignant·es, renforcée par la pénurie, a poussé à considérer les masques avant tout comme des protections individuelles et à mettre l’accent sur leur conditions d’utilisation en milieu médical. On a donc oublié le rôle que les masques peuvent avoir dans la population, à savoir ralentir la propagation de l’épidémie.

Ensuite, le gouvernement a minimisé le rôle des masques, dans le but de faire respecter ses mesures de confinement. D’une part, il ne fallait pas que des personnes se sentent en sécurité avec le port du masque et décident donc de sortir plus. D’autre part, il fallait éviter que les travailleur·euses sommé·es de continuer à faire tourner l’épidémie exercent leur droit de retrait en l’absence de masques. Ceci a aussi conduit à affirmer que les masques ne servent qu’en présence de malades. Ce message, abondamment relayé, ignore totalement la transmission par des personnes asymptomatiques, dont des cas on pourtant été suspectés en Chine et en Allemagne dès la fin du mois de février.

Face à ce premier discours inspiré par les pratiques hospitalières, un deuxième discours s’est propagé, plutôt centré sur une approche épidémiologique, selon laquelle le port du masque généralisé permet de réduire la transmission, notamment par les personnes asymptomatiques qui continuent de travailler. Les partisan·nes de cette approche insistent sur le fait que n’importe quel dispositif, sans homologation peut jouer un rôle dès lors qu’il filtre une partie des gouttelettes exhalées. Le masque est alors vu comme une façon de protéger les autres et non comme une protection individuelle, même si il remplit partiellement ce rôle.

La situation de crise pousse les différent·es acteur·ices à agir de manière non conforme aux normes, réglementations et procédures usuelles, ce qui génère des tensions entre des postures exploratoires et régulatrices.

Ce discours a été renforcé par la situation de crise : en l’absence de matériel aux normes pour l’ensemble de la population, il vaut mieux privilégier le système D et la fabrication maison. Il a donc été largement relayé chez les particuliers habitués à la confection maison, notamment les couturièr·es et les membres de la communauté de l’impression 3D qui s’est tournée vers la fabrication d’écrans faciaux. Il a par ailleurs été porté par des chercheur·ses et des spécialistes de questions de santé publique, notamment porté·es sur l’épidémiologie, la physique et les modélisations numériques et raisonnant à l’échelle des populations.

L’émergence d’un mouvement important de fabrication de masques en tissu, artisanaux et industriels a conduit certains acteurs institutionnels à s’intéresser à la question. Alors qu’il y avait initialement peu de données sur l’efficacité de ces masques, des tests ont été réalisés, par exemple par la DGA qui s’est mise en contact avec des industriels fabriquant des masques. De son côté, l’Afnor a assuré un travail d’élaboration d’exigences, qui ne constituent pas une norme française, mais qui fournissent un cadre de fabrication et d’usage des masques. Elle développe le concept de masque barrière, permettant de limiter la transmission du virus et s’ajoutant aux gestes barrières déjà mis en place, comme la distanciation sociale et le lavage des mains.

De manière remarquable, ces institutions agissent ici en dehors de leur cadre habituel. La situation de crise pousse les différent·es acteur·ices à agir de manière non conforme aux normes, réglementations et procédures usuelles, ce qui génère des tensions entre des postures exploratoires et régulatrices. La remise en question du fonctionnement habituel offre des espaces de liberté et d’expérimentation à des particulièr·es qui créent des patrons de couture, mais aussi des pratiques de santé publique, comme le fait de porter le masque hors des cadres définis par le gouvernement, ou des pratiques culturelles, avec la valorisation du port du masque, notamment en encourageant à poster des photos de soi masqué·e sur internet.

Ces pratiques peuvent ensuite être reprises et légitimées par certain·es acteur·ices institutionnel·les. Elles sont aussi attaquées par d’autres, qui craignent une remise en question de leur situation dominante. Le pouvoir politique s’inquiète de la remise en question de sa doctrine, de même qu’une partie des médecins ne peuvent tolérer l’émergence de pratiques de santé qui ne viendraient du corps médical. Leurs arguments sont joyeusement partagés par des médias qui voient d’un mauvais œil la circulation d’information autrement que par leur biais et ont donc prompt à s’attaquer à ce qu’ils présentent comme des « fake news ».

Sur la question des masques, les positions ne sont pas figées et les mêmes acteur·ices ont pu changer de discours, notamment avec l’évolution de la situation. Un consensus semble en train de se former sur l’utilisation généralisée de masques et le gouvernement est en train de se retourner, avec la reconnaissance du rôle des masques, mais aussi du fait que sa position était dictée par la pénurie.

À nos machines à coudre

200410 - Aux masques citoyens Atelier de fabrication de masques artisanaux Crédits Sarah Dao - La Déviation

Comme on l’a vu, la fabrication de masques, qui s’est lancée spontanément à de nombreux endroits et a donné lieu à un mouvement important, a conduit les institutions, jusqu’au gouvernement à réagir, parfois en accompagnant le mouvement ou en reconnaissant leurs erreurs. Le changement de discours officiel des autorités ne signifie cependant pas que la bataille est gagnée.

En effet, les tentatives de gestion des stocks de la part de l’État vont continuer et se faire d’autant plus pressantes que le port du masque se généralisera. Ce contrôle s’accompagnera d’arbitrages sur les personnes autorisées à en avoir, tant que le stock ne sera pas suffisamment massif pour fournir toute la population.

Par ailleurs, on peut craindre que l’État décide de s’associer avec un partenaire unique de grande taille ou à un faible nombre de partenaires pour la fabrication de masques en tissus, afin de maximiser son contrôle sur l’approvisionnement.

Dans cette hypothèse, la créativité et la réactivité fournies par le grand nombre d’initiatives locales de fabrication de masques seraient perdues. De plus, la gestion de la pénurie de masques par les autorités démontre que la protection du public et la véracité de la communication gouvernementale passent après le contrôle de la population. Il est donc important que la production de masques artisanaux continue, afin de s’assurer que tout le monde dispose d’une protection adéquate, le plus vite possible. À nos machines !

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La Gazette des confiné·es #6 – Précarité, santé mentale et masques

Au menu du jour, on parle des effets amplifiés du Covid sur les personnes précaires, celles qui sont dans des structures de soins psychiatriques et celles qui sont continuent de travailler pour enrichir les patrons. On vous propose aussi des moyens de lutter, en mettant en place des solidarités, inventant nos propres gestes barrières et en questionnant les stratégies du gouvernement contre le virus, qui reposent entre autres sur l’armée et le système judiciaire.

Inégalités sociales renforcées : la solidarité est indispensable

Les inégalités sociales tuent de multiples manières ; un exemple classique est donné par la ville de Glasgow où la différence d’espérance de vie est de 11 ans entre les quartiers pauvres et les quartiers riches.

Le coronavirus ne fait pas exception comme le montre la surmortalité en Seine-Saint-Denis. En cause : la difficulté à mettre en place les mesures de distanciation sociale du fait de la promiscuité, la pauvreté qui oblige les habitant·es, en premier lieu les femmes, à accepter des métiers exposés, et finalement les inégalités face à l’accès aux soins.

Le confinement a été pensé par et pour les urbains riches : en effet plus de 17 % des habitant·es de Paris ont pu se réfugier ailleurs (où iels ont pu par exemple avoir accès à un jardin) alors que les plus pauvres n’ont pas eu cette chance. Aux Etats-Unis, pouvoir rester chez soi est un privilège. Ainsi, les personnes aux revenus les moins élevés ont mis en moyenne quatre jours de plus que les plus riches avant de pouvoir appliquer les consignes de confinement.

200315 - La romantizacion de la cuarentena es privilegio de clase by Jay Barros - La Déviation
La romantizacion de la cuarentena es privilegio de clase by Jay Barros

Dans ce contexte, la solidarité est plus importante que jamais. Félicitations aux multiples initiatives qui continuent pendant cette période : La Table de Jeanne-Marie à Tours (photo de une), L’Autre cantine et L’Autre hangar à Nantes, la Cantine des Pyrénées à Paris, etc.

Précarité à l’université

On vient de le rappeler, ce sont les plus précaires qui subissent en premier les conséquences du confinement : impossibilité de compléter son revenu via des petits boulots, pas de contrat de travail qui protège dans ce cas de figure, etc.

A l’université, les étudiant·es qui n’ont pas pu rentrer chez leurs parents (par exemple les étrangèr·es ou celleux originaires des départements d’outre-mer), sont confiné·es dans des chambres de Crous de 9m2 quelquefois insalubres.

Heureusement, il y a de la solidarité entre précaires. Celleux de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) appellent justement dans leur communiqué, entre autres choses, à la suspension des loyers des résident·es des Crous durant la période du confinement et à l’octroi d’une année de bourse supplémentaire pour les étudiant·es boursièr·es. De plus, a été mise en place une caisse d’urgence pour les précaires (étudiant·es ou travaillant dans l’ESR) pour soutenir les personnes dans des situations parfois critiques à cause du confinement ainsi qu’un tumblr pour parler de leurs situations.

200407 - Bannières du site des précaires de l'enseignement supérieur et de la recherche - La Déviation

Le gouvernement fait céder La Poste au profit des patrons de presse

Qui a dit que le « quatrième pouvoir » était mort ? La presse écrite vient d’obtenir une victoire. Enfin, ses patrons, pas ses journalistes. Dans un communiqué commun avec l’Alliance pour la presse d’information générale publié jeudi, La Poste s’engage à rétablir progressivement la distribution des journaux les lundis et mardis.

Comme nous vous le racontions dans notre précédente gazette, le syndicat des éditeurs a fait feu de tout bois, en transformant des titres en tracts patronaux, comme le dénonce le Syndicat national des journalistes, mais aussi en mobilisant ses réseaux. Lors de la séance de questions au gouvernement du 1er avril au Sénat, pas moins de trois orateurs sur dix ont relayé les doléances des éditeurs sur cette baisse de cadence.

Convoqué à Matignon jeudi, le pédégé du groupe La Poste, Philippe Wahl, a dû confesser une « erreur .

Le maintien de ce service public qui tient subitement à cœur du patronat repose sur des précaires. Plus précisément sur 3.000 travailleur·euses, dont une bonne partie recrutés en intérim pour renforcer la filiale Mediapost. Sud-PTT, qui a assigné la direction du groupe en référé pour obtenir un bilan sanitaire de l’épidémie, estime que cette décision « met en danger une population particulièrement fragile, la moyenne d’âge des des “Médiapostièr·es” étant de 57 ans ».

200407 - Restez chez vous je vous apporte le coronavirus Détournement Facebook Sud PTT Gironde - La Déviation
Détournement publié le 19 mars sur la page Facebook de Sud-PTT Gironde.

Aggraver la crise sanitaire et en profiter, Amazon excelle dans le « en même temps »

Ni l’acheminement des quotidiens ni celui du courrier ne mobilisent autant les postièr·es que la livraison des colis. Une télécommande vocale, des bouteilles de gouache ou encore un casque de « gamer » s’affichent au palmarès des meilleures ventes d’Amazon au 6 avril.

Le premier « a » de l’acronyme Gafam représente à la fois le principal concurrent et le premier client de La Poste pour des produits difficilement classables comme essentiels. En pleine récession, les affaires du géant américain de la vente en ligne sont pourtant florissantes.

Comme le raconte Jean-Baptiste Malet dans Le Monde Diplomatique, les hangars d’Amazon tournent à plein régime, sans garantir le moindre respect des fameux « gestes barrières » et encore moins de la distanciation sociale. « On se confine à plus de mille. » Soit près de 900.000 travailleur·euses à travers le globe.

Le champion de l’évasion fiscale symbolise les tensions qui traversent l’administration française.

Si la ministre du Travail, a fixé le 5 avril un ultimatum de trois jours à Amazon pour se mettre en conformité, il faut se souvenir que les premières remontrances publiques de Muriel Pénicaud datent du dimanche précédent.

200407 - Amazon coronavirus attroupement - La Soirée 2 L'Info - France 2 - La Déviation
Capture d’écran du reportage diffusé le 3 avril sur France 2 et intitulé « Coronavirus : le géant de la livraison Amazon enverrait-il ses salariés au casse-pipe ? »

Entre-temps, aucune fermeture d’entrepôt n’a été décidée. L’inspection du travail a pourtant le pouvoir d’arrêter temporairement une activité ou au moins de saisir le juge des référés. Elle se contente pour l’heure d’une mise en demeure pour quatre sites, situés à Saran (Loiret), Brétigny-sur-Orge (Essonne), Lauwin-Lanque (Nord) et Sevrey (Saône-et-Loire).

Sous pression de leur ministère de tutelle, les directions générales des entreprises (Direccte) semblent plus soucieuses de protéger le PIB que les salarié·es. « Notre mot d’ordre doit être : l’activité économique pour tous les secteurs DOIT reprendre et se poursuivre », écrivait jeudi 26 mars la directrice départementale de la Marne, dans un courriel révélé par Mediapart. Un courrier, parmi d’autres, qui ulcère les syndicats, mais qui a au moins le mérite de la franchise.

Deuil en temps de pandémie

Concernant les décès liés au coronavirus, le conseil scientifique préconisait, le 23 mars, qu’« au moins un membre de la famille [puisse] voir le visage [du défunt] » et, pour les autres, « de relayer cet échange par l’intermédiaire d’un enregistrement vidéo », trouvant ces mesures suffisantes pour permettre un deuil potable.

Le gouvernement s’est finalement montré un peu plus humain que les scientifiques, autorisant jusqu’à 20 personnes à se rendre aux enterrements (sauf dans certains gros foyers de contamination) et permettant de reporter les obsèques, sur avis préfectoral, jusqu’à six mois après le décès. Le choix du mode d’inhumation est également garanti. Néanmoins, les proches ne pourront voir que brièvement le visage de la personne décédée à travers la housse. Une amélioration car au début de la crise, la mise en bière se faisait sans aucune possibilité pour la famille de voir le défunt.

Ces règles, tout comme celles limitant le nombre de visites à l’hôpital aux personnes sur le point de décéder, sont difficiles à accepter pour les proches, et entraîneront des deuils longs et difficiles. Il importe de rester vigilant·es quant à leur rationalité – en effet, les mort·es ne toussent pas…

Un critère de la « vie réussie »

Dans les unités de soins psychiatriques des hôpitaux, s’organiser pour lutter contre le Covid-19 se fait aussi, sous des modalités qui semblent similaires aux autres unités. Le sens attribué à l’arrêt du serrage de main pour se dire bonjour apparaît cependant porteur de bien plus de signification.

Au-delà d’un simple geste barrière, c’est un geste de proximité entre un·e soignant·e et un·e patient·e, à l’heure où certain·es médecins le refusent encore par dégoût de ce type de pathologie. La distanciation sociale imposée par le virus remet à l’ordre du jour ce mépris et annule de nombreuses pratiques du soin psychiatrique. La gestion de la crise du Covid-19 devient ainsi une anti-psychiatrie.

Si la psychiatrie a dû, tout comme les autres services de l’hôpital public, souffrir des nombreuses restrictions budgétaires, elle sait aussi aujourd’hui que ses patient·es ne seront pas prioritaires. Et même au sein des patient·es, plus la pathologie par laquelle on les aura défini·es sera jugée lourde, moins ielles auront de chance d’être accepté·es en réanimation.

Dans un monde où l’écoute, l’interaction et la reconnaissance en tant que personne devraient faire partie intégrante du soin, tout cela a des relents de fonction de régulation sociale plus drastique encore que ce qui est déjà discuté. Regarder ce qui est défini comme maladie psychiatrique nous montre ce que la société considère comme une « vie réussie ».

200407 - CQFD Mensuel Mais vous êtes fou numéro février 2020 - La Déviation
Le numéro de février 2020 du mensuel CQFD était consacré à la folie.

Et au-delà du confinement et des patient·es aujourd’hui dans les unités ou en soin, des psychiatres pensent à l’après. De nombreux·ses soignant·es livrent des témoignages glaçants de la crise et ielles seront probablement nombreux·ses à souffrir de ce qui est nommé syndrome post-traumatique.

Les personnes confiné·es dans des conditions difficiles, ou ayant dû travailler dans des conditions difficiles aussi. Et même sans conditions difficiles, que dire de toutes ces personnes qui arrivent à gérer des symptômes d’angoisse au quotidien mais n’ont plus les ressources habituelles pour y faire face ? Quel·les soignant·es seront encore présent·es pour prendre soin de toutes ces personnes ? Comment pouvons-nous nous aussi penser à prendre soin d’elles après, et pas seulement pendant ?

C’est peut-être l’occasion de regarder vers une pratique autogestionnaire du soin, par exemple ici ou .

« Masquarade »

Dans un récent communiqué, l’Académie des sciences recommande le port généralisé du masque, comme en République Tchèque et dans d’autres pays.

Selon les sources des collectifs masks4all et stop-postillons, le masque, même non optimal, réduit la probabilité de contaminer autrui par les microgoutelettes lorsqu’on éternue ou qu’on parle, notamment pour les personnes asymptomatiques mais contagieuses. Ce geste s’ajoute, sans les remplacer, aux autres gestes barrières (la contamination reste possible si on ne se lave pas les mains après avoir touché une surface infectée). Le masque dissuade en outre de porter la main au visage.

200407 - Campagne masks4all by compte Youtube Petr Ludwig Konec prokrastinace - La Déviation
La campagne tchèque #masks4all vise à faire adopter le port du masque par la population générale à l’extérieur du domicile.

Mais les masques se font rares, entre autres à l’hôpital, où les masques chirurgicaux et FFP2 restent l’option la plus sûre pour éviter la contamination par les grandes quantités de virus aérosolisées par les patient-es toussant dans les respirateurs. Les stocks de masques non utilisés peuvent être ramenés en pharmacie.

Restent les masques en tissus, réutilisables après un lavage en machine d’au moins 30 minutes à 60°C. Le guide de l’Agence française de normalisation recommande d’éviter les masques à couture centrale, comme nous vous l’indiquions dans notre quatrième gazette, préférant celui décrit par exemple dans ce tuto ici ou dans le tutoto de Paris-Luttes.info. Vous aussi pouvez faire un masque sans machine, avec une simple serviette et une agrafeuse.

Le gouvernement, un temps opposé à la généralisation du masque, pourrait changer d’avis, se rangeant tardivement derrière l’avis de son conseil scientifique. Les masques pourraient devenir obligatoires pendant et après le confinement.

L’État organisera-t-il la production d’un certain type de masques, interdisant les autres et contrôlant par là nos déplacements ? Pour l’en empêcher, généralisons la production de masques artisanaux et améliorons les pour qu’ils deviennent le plus efficace possible. A vos machines !

Quelles stratégies face au virus ?

Lorsque les stratégies des différents États sont évoquées, un axe semble faire consensus dans une partie de la presse : il y a les gentils qui confinent et les irresponsables qui veulent l’immunité de groupe.

Cette opposition, simpliste, n’a pourtant pas beaucoup de sens. Que peut-il arriver au virus ? Soit il circule librement et massivement (herpès, HPV), soit il est complètement éradiqué (variole), soit une part importante de la population est immunisée et les résurgences sont rares et localisées (oreillons, rougeole).

La première option n’est pas souhaitable vue la létalité de ce virus, la seconde semble difficile à moyen terme (pour la variole, il a fallu 200 ans).
Pour la troisième, la stratégie n’est pas unique : le confinement en attendant un vaccin, mais ça prendra du temps, le laisser-faire de crevard capitaliste, ou des voies médianes comme l’exposition au virus selon la vulnérabilité en protégeant les personnes plus âgées ou à risque (ce qui n’est pas assez bien fait).

Il n’y a pas qu’un type de confinement, que ce soit dans la méthode plus ou moins autoritaire, ou dans l’effet recherché. Évidemment, prévoir l’effet produit dépend des connaissances sur la propagations des épidémies, qui sont en pleine construction.

Sentinelles résilientes

Annoncée le 25 mars, l’opération Résilience se déploie petit à petit dans les régions. L’armée était déjà bien associée à la gestion de la crise, avec la présence à Matignon du général ayant supervisé l’évacuation de la ZAD de NDDL. Et maintenant, cette opération lui donne des missions de santé, de logistique et de protection, tout ça de façon assez floue.

200407 - Le général Lizuray auditionné par les sénateurs dans l'affaire Benalla by Public Sénat - La Déviation
Le général Lizurey avait justifié devant les sénateurs en juillet 2018 la nomination d’Alexandre Benalla en tant que lieutenant-colonel dans les spécialistes de la réserve.

Il faut bien occuper les militaires, puisqu’avec le confinement l’opération Sentinelle perd un peu de son sens (ça au moins c’est de l’adaptation résiliente). La protection, ce sera donc celle de convois de masques, d’entrées d’hôpitaux, de rues vides

Mais protection contre quoi ? Contre qui ? Si l’on en croit Macron, c’est la guerre contre le virus. A moins qu’il ne se persuade que des armes l’arrêtent, doit-on penser qu’il s’agit alors de neutraliser de potentiel·les porteur·euses du virus qui, tel·les des zombies, se rueraient sur les livraisons de masques ? Peut-être qu’il nous faut alors entendre résiliation plutôt que résilience

Ce qui semble plus certain, c’est que les vieilles habitudes ne changent pas : les « banlieues » restent désignées comme les irresponsables indisciplinées, le député LR Eric Ciotti ayant justement suggéré d’y envoyer l’armée tout récemment.

Quant aux opérations hors de France, si les militaires français·es en Irak ont été rapatrié·es « temporairement », le reste semble continuer à rouler. L’outil militaire de gestion de crise aujourd’hui déployé en France a contribué à la création ou à l’intensification de bien d’autres crises ailleurs. On reprend les mêmes, on recommence avec les mêmes recettes : pas très résilient tout ça.

Sous le masque de l’efficacité, le bâillon des libertés

« La ministre de la Justice fait vaciller encore un peu plus notre État de droit, sans “états d’âme” », déplore le Syndicat de la magistrature. La plus haute juridiction administrative a en effet validé vendredi la prolongation automatique des détentions provisoires.

Des prévenu·es, présumé·es innocent·es dans l’attente de leur jugement, restent derrière les barreaux sans pouvoir se défendre. L’ordonnance du 25 mars modifiant la procédure pénale prolonge de deux ou trois mois la durée maximale des détentions provisoires ordonnées lors d’informations judiciaires sur des délits et de six mois dans les procédures criminelles.

Des dispositions dénoncées par l’Association des avocats pénalistes, l’Union des jeunes avocats, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l’homme, l’Observatoire international des prisons et donc le Syndicat de la magistrature. Leur référé a été rejeté sans débat, fût-il organisé en visio.

La libération de 9 % des prisonnièr·es, en fin de peine, annoncée par la chancellerie au 1er avril ne règle pourtant pas le problème de la surpopulation carcérale, pour laquelle la France est régulièrement condamnée. Maisons d’arrêt et centres pénitentiaires comptent encore plus de 66.000 détenu·es pour environ 61.000 places, au mépris de la loi qui impose l’encellulement individuel.

200407 - Carte du Covid-19 dans les prisons françaises by Observatoire international des prisons - La Déviation
L’Observatoire international des prisons tient à jour une carte des cas de Covid-19 détectés dans les prisons françaises. Cliquez dessus pour y accéder

Parallèlement, l’épidémie se propage. Le nombre de détenus testés positif au Covid-19 a bondi de 55 %, passant en cinq jours jours de 31 à 48, selon l’administration. Des données probablement sous-estimées quand, au même moment, 114 agents pénitentiaires sont testés positifs et 931 renvoyés chez eux. Au moins un prisonnier et un surveillant en sont morts.

Un bilan qui n’empêche pas les juges de prononcer des mandats de dépôt pour violation répétée du confinement. Le Panier à salade en recense douze au 6 avril à 11 h, grâce aux articles parus dans la presse nationale et régionale, auxquels s’ajoute un placement sous surveillance électronique pour un garçon de 19 ans, contrôlé quatre fois sans attestation en bon et due forme, dans l’agglomération de Grenoble. Soit 60 mois de prison ferme distribués, compte L’Envolée dans son flash info sur les prisons.

Ce nouveau délit voté par les parlementaires dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire fait d’ailleurs l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déposée par plusieurs avocats dont Raphaël Kempf. Elle a néanmoins peu de chances d’être examinée. Le gouvernement, pour une fois prévoyant, a suspendu l’obligation de traitement des QPC jusqu’au 30 juin. Un bâillon qu’accepte de porter le Conseil constitutionnel, qui a validé le volet organique de la loi d’urgence sanitaire, alors même que l’article 46 de la loi fondamentale a été violé en pleine conscience.

Illustrations : Bénévole cuisinier à la Table de Jeanne-Marie à Tours Tous droits réservés

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Ces 50 masques par foyer qui nous manquent, ou l’affaire du rapport enterré

Un rapport remis en mai 2019 à Santé publique France recommandait de fournir, en cas de pandémie, une boîte de 50 masques par foyer, soit un milliard d’unités au total. Dix mois plus tard et faute de stocks suffisants pour faire face au Covid-19, le gouvernement dissuade les citoyens de se couvrir le visage, y compris dans un magasin. En revanche, veuillez remettre vos exemplaires en pharmacie messieurs-dames !

« On ne peut pas dire qu’il y a eu un défaut d’anticipation de cette crise, bien au contraire », défendait la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, sur CNews, lundi 23 mars. Pourtant, cette semaine encore, la pénurie de masques, de tests et de réactifs pèse sur la capacité de la France à lutter correctement contre l’épidémie de coronavirus Covid-19, dont le nombre de victimes dépassera probablement les 2.000 d’ici 24 ou 48 heures.

Devant la représentation nationale, le ministre de la Santé concédait d’ailleurs mardi que des marchandises étaient encore attendues en provenance des Etats-Unis et de Chine.

De l’aveu même d’Olivier Véran, interrogé le 17 mars sur France Inter, l’Etat ne dispose alors plus que de 110 millions de masques chirurgicaux dans ses stocks stratégiques, malgré les réquisitions annoncées quatre jours plus tôt par le premier ministre.

Pis, aucun masque FFP2, plus performant, ne traîne dans ses greniers. Jusqu’en 2011, un milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de FFP2 étaient entreposés en permanence à travers le pays.

Des instructions ministérielles passées à partir de 2011, sous les mandats de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, ont causé ce désarmement. L’après-H1N1 est marqué par de vives accusations de gabegie visant Roselyne Bachelot. Les gouvernements successifs mènent une politique de réduction des dépenses publiques, qui conduit l’Etat à transférer la charge des équipements de protection vers les employeurs.

Les pouvoirs publics misent sur la capacité des usines chinoises à irriguer le marché en cas de crise. Sans anticiper l’effet qu’aurait une pandémie apparaissant précisément dans ce pays !

Les responsabilités sont collectives, mais Emmanuel Macron ne peut toutefois pas se défausser sur ses prédécesseurs. Il était informé du problème. L’actuel directeur général de la santé, Jérôme Salomon, avait remis une note de cinq pages au futur candidat à la présidentielle le 5 septembre 2016.

« Le risque doit être considéré comme important »

Une alerte encore plus récente aurait pu, ou dû, amener le gouvernement à revoir sa doctrine.

Un rapport commandé par la Direction générale de la Santé (DGS) [1] en 2016 et remis à l’agence nationale de santé publique en mai 2019 établi noir sur blanc la nécessité d’équiper la population en masques.

Avis d'experts stratégie pandémie grippale - Santé Publique France

Consultez le rapport du 20 mai 2019 intitulé « Avis d’experts relatifs à la stratégie de constitution d’un stock de contre-mesures médicales face à une pandémie grippale »

Le groupe d’experts présidé par le Pr Jean-Paul Stahl formule plusieurs recommandations. Celles relatives aux masques sont exprimées en deuxième position, immédiatement après la question des antiviraux.

« En cas de pandémie, le besoin en masques est d’une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30 % de la population. » Cela équivaut donc à un milliard de masques. Le même nombre qu’il y a dix ans.

« Le risque [de pandémie] doit être considéré comme important », soulignent les scientifiques, qui alertent dès la quatrième page de leur rapport sur la nécessité de faire primer les enjeux sanitaires sur les considérations d’ordre économiques.

« Un stock peut arriver à péremption sans qu’il y ait eu besoin de l’utiliser. Cela ne remet pas en cause la nécessité d’une préparation au risque. La constitution d’un stock devrait être considérée comme le paiement d’une assurance, que l’on souhaite, malgré la dépense, ne jamais avoir besoin d’utiliser. Sa constitution ne saurait ainsi être assimilée à une dépense indue. »

« Rapidité d’intervention »

Ils ne précisent cependant pas la taille de ce stock, estimant qu’elle est « à considérer en fonction des capacités d’approvisionnement garanties par les fabricants ». Capacités qui, on l’a vu, se sont révélées pour le moins défaillantes, la production ayant été délocalisée en Asie. Ce rapport ne propose pas de modélisation médico-économique, en l’absence des données nécessaires, selon ses auteurs.

Plus loin, les professionnels insistent sur la « rapidité d’intervention ». L’exemple de nos voisins helvètes guide leur préconisation.

« La Suisse a recommandé à ses habitants de constituer un stock de 50 masques disponibles en préventif au domicile. Pour cela, la Suisse a dû créer le marché et nouer un accord avec l’industrie pour réduire les coûts d’achat (pour le fixer à environ 7 centimes). Cette recommandation a été relativement bien suivie par la population. »

Loin d’écouter ce conseil, la France demeure en situation de pénurie plus de deux mois après la première alerte de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) concernant le Covid-19. Bien que le pic épidémique ne soit pas encore atteint et que le bilan officiel fasse déjà état, au 26 mars, de 1.696 morts dans l’hexagone, le gouvernement demande aux Français de remettre leur stock personnel en pharmacie afin d’équiper les soignants.

Sur l’île de La Réunion, ce sont des matériels de protection périmés et parfois même moisis qui ont été livrés dans les officines par l’Agence régionale de santé.

Autre écueil identifié par les rapporteurs, le manque de coordination entre pays voisins. Leur septième principe préalable concerne en effet « le besoin d’une collaboration européenne ». C’est pourtant tout le contraire qui s’est produit, la Commission en étant toujours à l’élaboration d’un « marché public conjoint » au 26 mars, bien après que le vieux continent est devenu l’épicentre mondial de la pandémie.

Les pays asiatiques absents du rapport

Ces recommandations auraient pu être encore plus strictes, mais le rapport n’est lui-même pas dépourvu de biais.

Il s’appuie en effet sur une comparaison internationale des performances, un « benchmark », qui ne s’appuie que sur cinq pays occidentaux : le Canada, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suisse.

190520 - Avis d'experts stratégie pandémie grippale - Santé Publique France 08

Le tableau comparatif ne comporte aucun pays d’Asie, zone pourtant confrontée au premier chef par l’épidémie de Sras en 2003-2004. Aujourd’hui, les données montrent que la Corée du Sud, Taïwan, Singapour, le Japon et même la Chine savent bien mieux répondre à la crise que les pays choisis par le sous-groupe d’experts.

Le compte rendu de l’audition du Pr Fabrice Carrat est en cela révélatrice. S’il estime, au regard d’un faible corpus d’études, que « peu d’éléments factuels permettent d’affirmer que le masque est une protection très efficace dans la communauté » [l’ensemble de la population, NDR], il observe aussi que « le port du masque n’est pas culturellement admis en Europe, contrairement à ce qui est observé en Asie ».

Notre prophylaxie déficiente nous mène au confinement

« L’adoption du masque diffère donc de façon très significative suivant les zones géographiques, contrairement à l’utilisation de la solution hydro-alcoolique qui est désormais mieux admise en communauté, poursuit-il. De ce fait, les recommandations devront être assorties de mesures sociales en vue d’inciter les personnes à rester à leur domicile. »

En d’autres termes, notre prophylaxie déficiente et en particulier l’absence de campagne de prévention nous mène au confinement. Avec son cortège de défaillances économiques.

Une étude portant sur ces différences culturelles rapidement balayées aurait-elle permis d’adapter nos méthodes ? Les experts insistent sur « l’impérieuse nécessité de communication et de pédagogie coordonnée, à destination du grand public ».

L’intégration de spécialistes des sciences humaines et sociales dans le groupe d’experts aurait-elle corrigé cet angle mort ? On peut l’imaginer.

Quoi qu’il en soit, il est surtout permis de douter des capacités du gouvernement à en tenir compte. Jean-Paul Stahl se demande lui-même dans Le Canard Enchaîné du 25 mars si son rapport « n’a pas servi à caler une table au ministère ». Le dogme libéral dominait toujours jusqu’au déclenchement de « la plus grave crise sanitaire qu’ait connu la France depuis un siècle ». Parole de président.

[1] Avis d’experts relatifs à la stratégie de constitution d’un stock de contre-mesures médicales face à une pandémie grippale, Santé Publique France, 20 mai 2019, consulté en ligne le 26 mars 2020.

Illustration : Masks by Daniel Foster CC CC BY-NC-SA 2

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