Catégories
Agiter

Brignoles, le jour où les médias ont perdu pied

Infographie – À moins d’avoir passé le week-end dans une grotte isolée, perdue au milieu du Vercors, oui vous êtes au courant : le Front national a gagné une importante élection dimanche au soir, à Brignoles. Oui, le Front national a triomphé ! Oui, le Front National progresse inévitablement dans le cœur des électeurs !

Mais au fait, de quelle élection parle-t-on ? De l’élection présidentielle ! Non ? Ah non. Il s’agit d’une législative partielle alors ? Le FN progresse à l’Assemblée nationale ? Non non. Une élection régionale peut-être ? Non, rien de tout cela car il s’agissait en réalité d’une élection cantonale. Qu’est-ce qu’une cantonale ? Tout simplement l’élection des conseillers généraux.

Quoi, seulement ?

Oui, il ne s’agit seulement que d’un seul conseiller général. Pourquoi cette question ? Parce que la couverture médiatique dont cette petite cantonale partielle a bénéficié est incroyable tant elle est démesurée. Voyez plutôt :

La presse écrite affiche des unes qui font peur, les chaînes d’info en continu sont en couverture spéciale pendant toute la soirée, alternant entre une déclaration de Marine Le Pen sur le recul de la pensée unique et le candidat frontiste nouvellement élu affichant fièrement ses ambitions et sa fierté de travailler pour les “vrais Français”.

Les mots employés sont cruels, terribles : le front républicain est mort, le Front National progresse à vue d’œil. Vraiment ?

Sur les onze élections partielles (législatives et cantonales) tenues depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012, le Front national a été éliminé dès le premier tour huit fois, soit 72 % du temps.

Le front républicain a été appelé trois fois et a fonctionné deux fois. Cette élection est donc la première à voir le front républicain faillir face au Front national. De là à parler de sa mort (c’est-à-dire de sa totale incapacité à refonctionner à l’avenir) c’est totalement précipité et probablement faux.

Sur les résultats des dernières législatives partielles, on peut d’ailleurs constater que les bons scores du Front national sont réalisés dans des départements où le vote d’extrême-droite est déjà un peu plus élevé que la moyenne nationale.

De plus, si l’on prend le premier tour, on s’aperçoit que le Front national perd des voix dans certaines circonscriptions. Dans l’Hérault, le FN avait rassemblé 11.329 voix aux législatives de juin 2012 et seulement 8.240 en décembre 2012, soit une baisse de 28 %.

Dans l’Oise, la frontiste Florence Italiani qui est arrivée au second tour, a réuni au premier tour 7.249 électeurs en mars 2013 contre 11.185 en juin 2012, soit là aussi une baisse conséquente (35 %) ! Ce qui montre que le vote d’adhésion seul ne permet pas au Front National de faire de gros scores. Il lui faut atteindre le second tour pour que son score bondisse, parfois du simple au double. Il y a donc clairement un vote de rejet qui profite au FN. Ce vote de rejet étant systématiquement dirigé contre l’UMP, une partie de l’électorat de gauche alimente le vote Front national, comme l’explique très justement Nicolas Lebourg, historien des droites extrêmes, au Monde.fr.

La couverture délirante et dérangeante de cette minuscule élection fait une publicité incroyable au Front national et laisse à penser que le parti progresse et qu’il s’agit d’une importante victoire. Mais il y a 4.030 conseillers généraux en France ! Et il ne s’agit que d’un seul siège, oui un seul !

Pour rappel, voici le nombre de conseillers généraux par parti politique en France.

Alors pourquoi avoir parlé de cette cantonale en particulier ?

Saviez-vous que deux autres cantonales partielles ont eu lieu cette année, dans l’anonymat médiatique le plus complet ? Et vous savez quoi ? Le FN y a fait des scores inférieurs (troisième place avec 11,6 % à Mantes-la-Jolie et quatrième place avec 15,89 % à Aubenton).

Ce qui revient à dire que sur les trois cantonales partielles de 2013, le FN a fait un bon score sur une élection sur trois. Voilà qui remet les choses en perspective, loin de la surenchère dangereuse d’une bonne partie des médias à Brignoles.

Finalement, ceux qui en parlent le mieux, ce sont encore les guignols de l’info.

Par Gary Dagorn

Journaliste formé à Metz. Curieux de tout, amoureux du 7e art et passionné par la politique. J'aime la musique classique et les lasagnes al pesto. Seul normand de la bande, mais je le vis bien.

2 réponses sur « Brignoles, le jour où les médias ont perdu pied »

Le FN, qu’on disait sur le point de disparaître après la présidentielle de 2007, a été replacé au centre du jeu politique par une grande majorité de médias, lentement, mais sûrement. J’y vois plusieurs raisons.

1. Ça fait peur, c’est sulfureux et donc ça fait vendre.
2. Le panurgisme (ou suivisme entre médias).
3. Dans le cas précis de Brignoles, le manque d’actualité est cumulé à l’économie que représente l’envoi d’un reporter dans le Var plutôt qu’en Égypte ou même en Grèce.

L’arrivée de la gauche au pouvoir favorise la vente des titres ancrés parfois très à droite. Minute et Valeurs Actuelles sont maintenant repris dans les revues de presse, Atlantico et L’Opinion assurent la reprise des positions frontistes. Sans parler de la vigueur relative du Figaro (par rapport à l’Huma ou à Libé qui s’effondrent).

C’est une bulle, entretenue à coups de sondages dont les biais ne sont jamais rappelés. Le FN a connu d’autres périodes fastes. Il n’y avait pas de front républicain quand en 1986, à Dreux, le RPR et l’UDF, se sont alliés au FN pour remporter la mairie, à une époque où son discours anti-immigration n’était pas voilé derrière une pseudo défense de la laïcité (la ville est repassée très nettement à gauche depuis).

En 1986, grâce à la proportionnelle introduite avec habilité et calcul par Mitterrand, le FN a compté 32 députés à l’Assemblée.

Je suis donc d’accord sur le fait qu’on surmédiatise Brignoles.

Toutefois, on ne peut pas contester que les thèses se disséminent progressivement dans l’électorat (à nuancer selon les régions bien sûr), en témoigne, à des degrés divers, le soutien massif au bijoutier de Nice, la recrudescence des actes racistes, la retenue moindre à dire qu’on vote Le Pen.

Elle se dissémine également dans les discours des autres partis. Les exemples récents viennent de Fillon (le moins sectaire), Valls (les Roms en Roumanie), tout ça quelques mois après les discours de Sarkozy, Copé, Hortefeux (Grenoble, débat sur l’identité nationale, etc.).

La question étant de savoir si un parti qui a vécu et prospéré grâce au rejet des élites et des médias mainstream peut s’adapter à une médiatisation qui le force à argumenter ses thèses.

Quant à l’exercice du pouvoir, les électeurs de Vitrolles et Dreux peuvent témoigner.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Quitter la version mobile