Le 1er mai, une distribution alimentaire gratuite avait lieu à Montreuil mais s’est rapidement vue encerclée par des BRAV-M (les voltigeurs) et de nombreux véhicules de police. Ce beau monde a distribué moult contraventions pour « participation à une manifestation interdite par arrêté municipal », la manif’ étant déduite de la présence de banderoles dites « revendicatoires » (sic), accrochées autour du point de distribution.
« Sanctionner le gens pour des actions politiques relèverait-il officiellement des missions de police » s’interroge-t-on alors ? Il est vrai qu’aujourd’hui, exprimer son avis par banderole, surtout si c’est un avis de lèse-Macron, ce n’est pas sans conséquences.
Mais l’état d’urgence sanitaire, c’est bien ça : il transforme la prévention du risque en une politique disciplinaire, particulièrement profitable : un grand nombre d’ordonnances passées depuis mars ne concernent pas directement la crise sanitaire (31 en tout rapporte Bastamag) et les arrêtés préfectoraux se sont eux aussi multipliés, chacun·e y allant de son idée pour régenter.
L’état d’urgence sanitaire est loin de ne répondre qu’à un problème de santé. Il a aussi renforcé un régime politique où le pouvoir est concentré dans les mains de l’exécutif qui peut agir de manière discrétionnaire, comme l’analyse un collectif espagnol. Ceci alors même que les lois qui existaient avant la mise en place de l’état d’urgence sanitaire permettaient déjà de prendre des mesures fortes et contraignantes, tant pour la durée du travail que pour mettre en place une réponse sanitaire à la pandémie.
Les ordonnances prises pendant cet état d’urgence concernant l’augmentation du temps de travail devaient concerner des « secteurs particulièrement utiles ». Or aucun secteur n’a été jusqu’à présent déclaré particulièrement utile et l’exécutif peut garder ses ordonnances sous le coude pour une application future…
L’état d’urgence sanitaire lui-même est inséré dans le code de la santé publique, ce qui constitue un indice de sa pérennisation possible pour le juriste Paul Cassia.
D’aucun·es souhaiteraient sans doute aussi que quelques dispositions actuelles du domaine juridique puissent perdurer. Les procès par visioconférence, par exemple. L’avocat Anis Harabi nous rappelle qu’ils sont en tout cas dans la droite ligne des projets de réformes des procédures pénales des années précédentes. Et il indique que le procès à juge unique, sans témoins, avec un·e prévenu·e et un·e avocat·e à distance par téléphone ou visio (lorsque cela fonctionne), images de films un peu glauques, est possible grâce aux ordonnances d’aujourd’hui. Et ça a quand même l’air plus simple ainsi, non ?
Le gouvernement, via l’état d’urgence sanitaire, a réduit le rôle des institutions judiciaires à punir et enfermer. Portion congrue, mais tellement importante pour lui. Les crises sanitaires ont par le passé déjà été des occasions de favoriser des « dictatures de la commodité », qui mettent en place ce dont l’État a besoin : de quoi punir, enfermer, et aussi contrôler.
Tout ça pour que puisse continuer à se faire le jeu de l’économie, dans un monde où des sous pour l’hôpital, c’est compliqué, mais des sous pour des entreprises qui se dissimulent dans des paradis fiscaux, ça a l’air faisable.
Alors, certains s’insurgent : « la pandémie n’a rien d’une catastrophe naturelle, elle est le fruit d’un rapport social, l’économie marchande » et dénoncent un « chantage à la survie ». Aux États-Unis, d’ailleurs, où les manifestations pour reprendre le travail incluent armes et drapeaux, CrimethInc se demande « qu’est-ce qui vaut la peine de mourir ? », en observant qu’une interprétation individualiste et compétitive pourrait pousser à se dire que, plus la classe ouvrière est réduite, meilleures seront les chances de celleux qui restent.
Mais ici, tout va bien. On pourra toujours aller bosser dans un entrepôt de livraison puisqu’il y aura toujours des gentes pour consommer. Un jeu de rapidité mesurée au son de bip, stimulant non ?
Sinon, plus souple et arrangeant, le travail du clic à domicile : un travail à la tâche autorisé en France tant que la rémunération – ramenée au temps de travail -, est supérieure au salaire minimum… (comprenez l’arnaque ici, et plongez plus profond en vidéo par là et par ici).
Et si vous en avez marre et que vous voulez demander des comptes à celleux qui sont tout là-haut, sachez qu’ielles semblent préparer une parade. Une petite loi, décrite ainsi par une députée LREM : « Nous proposerons une adaptation de la législation pour effectivement protéger les maires pénalement mais aussi toutes les personnes dépositaires d’une mission de service public dans le cadre des opérations de déconfinement. ». Traduction : la responsabilité pénale des décideurs publics de l’État dans la gestion du déconfinement ne pourra pas être mise en cause, ce qu’un juriste décrit comme une « Auto-amnistie préventive de la Macronie ».
Cette Macronie s’étant déjà brutalement émancipée de la Constitution sous couvert de circonstances exceptionnelles (qui n’étaient en fait pas si exceptionnelles, comme expliqué ici), elle semble bien pouvoir nous dire « Et alors ? »
Toute ressemblance avec un présent que nous ne souhaitons pas n’est pas complètement fortuite. Cependant, le réel est pire encore.