Il fut un temps où les épidémies se combattaient à coups de longues processions pendant lesquelles les fidèles se flagellaient en signe de pénitence. De nos jours, et bien que de subtiles améliorations technologiques aient permis le remplacement des lanières des fouets par les gaz lacrymogènes, les spécialistes recommandent plutôt d’éviter les grands rassemblements pour apaiser les dieux et déesses courroucé·es.
Les organisateur·ices du congrès évangéliste de Mulhouse l’ont appris à leurs dépens : ce rassemblement de 2.000 personnes fin février a probablement fortement contribué à la diffusion du virus en France.
Malgré ce fâcheux précédent, diverses mouvances religieuses ont tenté par la suite de contrer le coronavirus en organisant messes et autres bénédictions publiques, comme le raconte cet épisode de Tronche de Fake sur Youtube. Les intégristes ne manquent d’ailleurs pas d’explications farfelues pour expliquer la pandémie : jusqu’à Daesh, qui y voit une malédiction destinée à détruire l’Occident, et recommande prudemment à ses fidèles de ne pas trop voyager…
Mais les fausses rumeurs ne sont pas la chasse gardée des religieux·ses. Comme recensé sur le site Hoaxbuster qui traque les manipulations sur internet, une déferlante de théories complotistes s’est abattue sur les réseaux : un quart des Français·es penserait ainsi que le Covid sort d’un laboratoire selon un sondage, la chloroquine continue à être un grand succès médiatique sans réelle preuve scientifique d’efficacité, etc.
Comme évoqué dans nos numéros précédents (ici et là), ces idées, parfois véhiculées par des scientifiques ou des médecins, peuvent avoir des conséquences catastrophiques.
La « fake news », information non vérifiée ou volontairement trafiquée, est devenue l’emblème du mandat de Donald Trump. Si aucun milieu n’est épargné, les infaux sont particulièrement utilisées par l’extrême-droite. Les cadres du Rassemblement national ont par exemple détourné d’anciennes vidéos de rixes pour faire croire à des scènes de pillage à Aubervilliers au début du confinement. Dans le même genre, le syndicat de police Synergie-Officiers dénonce un non-respect du confinement avec des vidéos datant en fait d’août 2019.
Ici, la « fake news » prépare le terrain à la justification de la répression violente dans les quartiers populaires.
De manière paradoxale, le pouvoir médiatique et politique, lui-même pourtant grand producteur de « fake news », s’est réapproprié le concept et s’en sert désormais pour discréditer toutes sortes d’informations, y compris véridiques ; comme expliqué dans cet article sur lundi.am, c’est une manière de cadenasser la parole, de laisser le privilège d’informer à une petite caste de « professionel·les », journalistes ou politiques de métier.
Si certaines informations nous semblent séduisantes ou proviennent de figures d’autorités (scientifiques primés, grands médias etc.), sachons garder une distance critique : les infaux, qu’elles manipulent nos opinions politiques ou qu’elles servent juste de distraction, ne sont jamais innocentes…
La situation est explosive dans les quartiers populaires. La faim (nous vous en parlons ici), l’accumulation d’humiliations quotidiennes, de procès-verbaux font monter la tension.
Baisse de 35 % de la consommation, instabilité des cours de la bourse, chute prévue de six points du PIB, la décroissance s’est brutalement invitée dans notre monde et les économistes suent à grosses gouttes.
Au point de faire peur au patronat suisse qui s’inquiète que « certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, ivoire se laissent séduire par ses apparences insidieuses […], beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation… »
L’article 12 dispose bien que « l’Agence des participations de l’État (APE) veille à ce que ces entreprises intègrent pleinement et de manière exemplaire les objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie, notamment en matière de lutte contre le changement climatique ».
Hélas, une recherche rapide dans le bilan d’activité 2018-2019 de l’APE, dont la tâche est de gérer les actions détenues par l’État dans diverses entreprises, nous apprend que le mot-clé « transition écologique » peut s’appliquer à EDF ou Engie. Soit parmi les fournisseurs d’énergie les plus polluants d’après le guide de Greenpeace. Ajoutons-y des pontes de l’industrie minière comme Eramet et le tableau est complet. « Écologie libérale, mensonge du capital », scandait-on aux manifs climat !
Ce collectif budgétaire vient s’ajouter à un premier plan, validée le 18 mars et en précède en autre, probablement discuté en mai. Cent-dix milliards seront déjà reversés aux entreprises sous différentes formes : chômage partiel, garantie sur des prêts, « fonds de solidarité », etc.
Et nouveau bonus lors du passage au Sénat : une exonération de charge sur les heures supp’ ! En guise de consolation, on se contentera d’une prime pour les soignant·es et les professionel·les de l’aide sociale à l’enfance, et d’un maigre fonds d’un million d’euros pour lutter contre les violences conjugales…
Dans une lettre interceptée par Le Canard enchaîné, le Medef demande au gouvernement français, de suspendre toute sa politique en matière d’environnement, dont la loi mobilité, la loi sur l’économie circulaire ou la loi anti-gaspillage. Un décret sur la qualité de l’air est aussi dans son viseur, au motif qu’il faille préserver la filière automobile. Sans parler de la programmation pluriannuelle de l’énergie et de la stratégie nationale bas carbone, deux textes qui constituent « la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique », de l’aveu même du gouvernement, cité par Le Journal du Dimanche.
Or, une reprise accompagnée d’une surconsommation d’énergie fossile menace car le cours du baril de pétrole s’est effondré avec la diminution de la consommation, atteignant des prix négatifs, et ce malgré une baisse de l’extraction décidée conjointement par les pays producteurs de l’Opep.
L’économie peut-elle être éthique ? Rien n’est moins sûr, mais certains pays comme le Danemark, font moins pire que d’autres, en soumettant les entreprises bénéficiaires des largesses de l’État à des conditions strictes : pas de dividende pour les actionnaires, ni de rachat de leurs propres actions par les entreprises (ce qui est une manière de rémunérer les actionnaires), et pas de sous pour les entreprises ayant des fonds dans les paradis fiscaux. Sur ce dernier point des amendements centristes et communistes, à la portée relative, ont été votés au Sénat dans le cadre du projet de loi de finance rectificative. Avant d’être retiré du texte final jeudi, à la demande expresse du gouvernement. On y a presque cru.
Dans ces conditions, organiser la continuité pédagogique ou même la tenue d’examens est criminel tant que les conditions matérielles de survie ne sont pas garanties pour tou·tes les étudiant·es. C’est une cause de suicides.
On peut aussi déplorer des morts par manque de soins notamment chez les étudiant·es étrangèr·es qui sont particulièrement vulnérables.
À ces conditions de survie parfois difficiles s’ajoutent des inégalités d’accès à internet, à un ordinateur, à un endroit calme pour travailler pendant le confinement.
Mais pourquoi nage-t-on en plein délire avec le maintien des examens qui est décidé quasiment partout de manière désordonnée ? Le collectif des Facs et Labos en lutte va jusqu’à dire que le bateau coule dans un communiqué appelant lui aussi à la validation automatique. À Nantes, le président l’a annoncé ; à Tours, la seule information disponible est cette interview.
La vraie raison est probablement à chercher dans le manque d’enseignant·es dans ces universités devenues « autonomes » financièrement depuis 2007 : comment ne pas sélectionner si l’on manque déjà de personnel quand on sélectionne ? C’est ce que dénonce le collectif des Précaires de l’université de Nantes en même temps que la marchandisation des savoirs et la dématérialisation des métiers de l’enseignement.
Cette année peut être comprise comme un coup d’essai à grande échelle pour ces nouvelles modalités d’enseignement et d’évaluation. Alors ne tombons pas dans le panneau et ne cédons pas à la stratégie du choc : il est urgent de refuser tout examen en ligne et d’exiger la validation automatique !
BlackRock, c’est ce gestionnaire d’actifs (c’est à dire de produits financiers) qui est devenu un des plus gros investisseurs mondiaux après la crise de 2008 et est actionnaires de quasiment toutes les grosses entreprises. Particulièrement implanté aux États-Unis, il est aussi arrivé sur le champ européen et cherche à se faire une place sur les marchés émergents de certains pays africains. En France, il soutient la redirection des retraites vers des formes de retraite par capitalisation.
BlackRock a refait surface dans les médias très récemment, parce que ce gestionnaire d’actifs vient d’obtenir la charge de travailler sur l’intégration des facteurs sociaux et environnementaux dans la supervision bancaire, suite à un appel d’offres de la Commission européenne. C’est relativement risible lorsqu’on sait que BlackRock investit dans de nombreuses entreprises pétrolières et plus généralement dans les entreprises phare des différentes indices boursiers du monde, peu connues pour leur investissement social ou environnemental.
C’est loin d’être la première fois que BlackRock assure des missions liées aux banques en Europe. Suite à la crise de 2008, plusieurs pays, comme l’Irlande ou la Grèce, avaient fait appel à lui. En 2014, la Banque centrale européenne (BCE) avait dû réaliser une évaluation complète et BlackRock figurait parmi les consultants extérieurs en charge du dossier, comme le rappelle une partie de ce documentaire fourni diffusé par Arte en 2019.
En ces multiples occasions, BlackRock gagne de l’argent par ces activités d’analyse et de conseil mais Sylvain Leder, dans un article du Monde diplomatique, nous rappelle que ces apports ne représentent que peu par rapport aux données économiques, potentiellement sensibles, récoltées.
La puissance de BlackRock provient en effet en grande partie de sa capacité d’analyse d’une masse de données importante. Il dispose d’un ensemble de serveurs, établis dans la petite ville de Wenatchee aux États-Unis, qui a l’avantage de la présence d’un barrage fournissant de l’électricité peu chère. C’est un élément crucial pour BlackRock et son programme d’analyse dédié Aladdin, qui fait de l’analyse de données à grande échelle… le tout permettant de brasser journalièrement des sommes à hauteur du PIB américain (la bagatelle de – environ – 18.000 milliards de dollars).
À côté de ses activités d’analyse et de conseil, BlackRock nous était bien connu jusqu’à présent pour ses activités d’investissement : la réforme des retraites, stoppée en plein vol par Covid-19, prévoyait d’ouvrir la voie aux retraites par capitalisation privée, et le gérant d’actif y avait un rôle clef.
Entre l’activité d’analyse et de conseil qui lui permet de récolter de nombreuses données et l’activité d’investissement qui dépend de l’analyse de ce type de données, quid des conflits d’intérêts et des délits d’initiés chez BlackRock ? Le gestionnaire indique que ces deux secteurs d’activité sont bien séparés… Des doutes ont pu émerger lorsqu’il a acheté en Grèce peu de temps avant la crise et y a gagné : son service d’analyse-conseil venait de passer au peigne fin les comptes de la Grèce à la demande de la BCE (et c’est un exemple parmi d’autres).
Quoi qu’il en soit, BlackRock pratique en tout cas bien le pantouflage : Médiapart résumait ainsi (article payant) que le président de la branche française de Blackrock, Jean-François Cirelli, est un ancien des gouvernements de Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin ; en Suisse ce rôle a échu à l’ancien patron de la banque centrale ; en Grèce, à l’ex-responsable d’un programme gouvernemental de privatisation ; et en Allemagne, à l’ancien chef au Parlement de la CDU (parti d’Angela Merkel).
Et d’ailleurs, Jean-François Cirelli est lui-même membre du Comité action publique 2022, qui doit faire des propositions de réforme de l’État : un comité où se télescopent joyeusement privé et public.
Alors que la situation pandémique fragilise les États et leurs services publics déjà très amoindris, des gérants d’actifs et fonds d’investissement comme BlackRock se manifesteront-ils comme des sauveurs pour l’économie mondiale ? Les secteurs publics constituent des investissement sûrs, prévisibles et à long terme pour eux et donc un engagement rentable. BlackRock, qui connaît moins les marchés des pays du Sud, pourrait aussi en profiter pour prolonger des partenariats lui ouvrant la porte à des marchés en expansion, comme le décrit la fin du documentaire. Ceci alors que, non considéré comme un établissement bancaire, BlackRock échappe aux régulations mises en place pour contrôler ceux-ci après la crise de 2008…
Se loger, se soigner ou se nourrir, les locataires ne veulent pas choisir. En Espagne comme à New-York, des mots d’ordre de grève obligent les gouvernements à réagir. Le mouvement pourrait gagner la France, où l’épidémie de Covid-19 assomme les classes populaires. Le logement y représente un poste de dépense majeur et contraint.
Capitale du capitalisme, New York se flétrit à vue d’oeil. Plus d’1,1 million d’habitant·es y sont désormais inscrit·es au chômage, soit environ 13 % de la population contre 3,4 % il y a trois mois. Les quelques centaines de dollars distribués chaque mois aux allocataires ne suffisent pas, quand les loyers comptent un zéro supplémentaire.
Dans ces conditions, le Workers’ Day prend une nouvelle dimension. Des militant·es comptent y renouer avec les grandes grèves de locataires (payant) du début du XXe siècle. Le 1er mai, synonyme de jour de paiement, pourrait se transformer un mouvement de désobéissance massif. Pour bon nombre par nécessité, et pour d’autres par solidarité.
La situation est tout aussi critique en Espagne, où le chômage s’apprête à retrouver les sommets connus en 2013, c’est-à-dire supérieur à 26 %. De l’autre côté des Pyrénées, la grève des loyers se dit huelga de alquiler et le mouvement éponyme voit fleurir des comités dans les grandes villes.
Le premier ministre PSOE (équivalent du PS en Espagne)a décidé de suspendre les expulsions jusqu’au sixième mois suivant la pandémie et de prolonger automatiquement les contrats locatifs arrivant à terme. Mais pas question, à ce stade, de suspendre les loyers et encore moins de les annuler.
Des draps blancs aux fenêtres françaises
Si le système social français, même attaqué, sert encore d’amortisseur aux crises, le tsunami s’approche. Des banques alimentaires constatent une hausse des demandes de la part des associations comme Les Restos du Cœur, signe de l’arrivée de nouveaux bénéficiaires. Dans toutes les zones où l’économie informelle occupe une place importante, la situation est extrêmement préoccupante.
Le chercheur à l’Institut de recherche économiques et sociales (Ires) Pierre Concialdi estime que 6 à 7 millions de personnes seront ainsi mises en difficulté par la récession [1], dans une note commentée sur Mediapart (payant). Ce qui ne comprend même pas les étudiant·es, une partie des retraité·es et d’autres populations situées aux marges des statistiques comme les sans-abris. L’auteur du rapport trouve la réponse des pouvoirs publics insuffisante et rappelle que la réduction de dépenses sociales n’est pas abandonnée, dans la lignée de la baisse des APL décidée en parallèle d’une quasi-suppression de l’ISF au début du mandat d’Emmanuel Macron.
Droit au logement (DAL) enfonce le clou sur « l’irresponsable inaction du gouvernement » et prend l’initiative d’un appel à la mobilisation pour obtenir un moratoire sur les loyers. Derrière cette revendication phare, l’association demande aussi la suspension des sanctions, un budget pour apurer la dette des ménages en difficulté et l’organisation rapide d’une baisse des loyers. Plusieurs responsables politiques, associatifs et syndicaux la soutiennent.
« Dans un premier temps, suspendre au plus vite le prélèvement bancaire automatique ; dans un second temps, si le gouvernement reste sourd à la détresse des locataires en difficulté, d’ici la prochaine échéance, suspendre le loyer en s’assurant auparavant de ne pas se mettre plus en difficulté. »
La mobilisation prend une forme plus directe et plus autonome dans certaines régions. A Toulouse le collectif « On ne paie plus 31 » entend devenir la bête noire des bailleurs. Son mode d’emploi prend compte les risques encourus. L’un de ses visuels promeut « un monde sans la pire des épidémies : patrons, proprios, flics ». Plus cordiale, une lettre type permet d’informer son propriétaire de son défaut de paiement.
Dans le Nord, l’Atelier populaire d’urbanisme du quartier de Fives a signé dès le 3 avril un communiqué pour soutenir les grévistes. L’association se bat depuis 2014 contre les marchands de sommeil. Elle exige que « que toutes les dettes locatives contractées pendant et des suites de cette période soient nulles et non avenues et que les bailleurs sociaux soient contraints de ne plus percevoir les loyers ».
En Bretagne, des « précaires et solidaires de Brest et alentours » ont lancé un canal sur Telegram pour discuter. Idem à Rennes, où une adresse courriel y est dédiée. A Saint-Brieuc, chef-lieu des Côtes-d’Armor connu pour sa proportion importante de logements vacants, les occupant·es du squat de La Baie Rouge – sous le coup d’une obligation de quitter les lieux -, se préparent à rejoindre le mouvement. Levez la tête, des draps blancs pourraient bientôt flotter aux fenêtres. Et ce sera pas en signe de renoncement.
Au menu particulièrement riche de cette dixième gazette : les grèves des loyers vont-elles se propager en France ? Quels sombres méfaits la compagnie Blackrock prépare-t-elle ? Pourquoi les universités souhaitent-elles maintenir à tout prix les examens ? Le gouvernement se met-il à la décroissance ou est-il en train de donner des milliards aux entreprises polluantes ? La Gazette s’est aussi intéressée aux émeutes en banlieue et à l’utilisation des « fake news » en période de confinement.
La grève des loyers gagnera-t-elle la France ?
Se loger, se soigner ou se nourrir, les locataires ne veulent pas choisir. En Espagne comme à New-York, des mots d’ordre de grève obligent les gouvernements à réagir. Le mouvement pourrait gagner la France, où l’épidémie de Covid-19 assomme les classes populaires. Le logement y représente un poste de dépense majeur et contraint.
Capitale du capitalisme, New York se flétrit à vue d’oeil. Plus d’1,1 million d’habitant·es y sont désormais inscrit·es au chômage, soit environ 13 % de la population contre 3,4 % il y a trois mois. Les quelques centaines de dollars distribués chaque mois aux allocataires ne suffisent pas, quand les loyers comptent un zéro supplémentaire.
Dans ces conditions, le Workers’ Day prend une nouvelle dimension. Des militant·es comptent y renouer avec les grandes grèves de locataires (payant) du début du XXe siècle. Le 1er mai, synonyme de jour de paiement, pourrait se transformer un mouvement de désobéissance massif. Pour bon nombre par nécessité, et pour d’autres par solidarité.
La situation est tout aussi critique en Espagne, où le chômage s’apprête à retrouver les sommets connus en 2013, c’est-à-dire supérieur à 26 %. De l’autre côté des Pyrénées, la grève des loyers se dit huelga de alquiler et le mouvement éponyme voit fleurir des comités dans les grandes villes.
Le premier ministre PSOE (équivalent du PS en Espagne)a décidé de suspendre les expulsions jusqu’au sixième mois suivant la pandémie et de prolonger automatiquement les contrats locatifs arrivant à terme. Mais pas question, à ce stade, de suspendre les loyers et encore moins de les annuler.
Des draps blancs aux fenêtres françaises
Si le système social français, même attaqué, sert encore d’amortisseur aux crises, le tsunami s’approche. Des banques alimentaires constatent une hausse des demandes de la part des associations comme Les Restos du Cœur, signe de l’arrivée de nouveaux bénéficiaires. Dans toutes les zones où l’économie informelle occupe une place importante, la situation est extrêmement préoccupante.
Le chercheur à l’Institut de recherche économiques et sociales (Ires) Pierre Concialdi estime que 6 à 7 millions de personnes seront ainsi mises en difficulté par la récession(1), dans une note commentée sur Mediapart (payant). Ce qui ne comprend même pas les étudiant·es, une partie des retraité·es et d’autres populations situées aux marges des statistiques comme les sans-abris. L’auteur du rapport trouve la réponse des pouvoirs publics insuffisante et rappelle que la réduction de dépenses sociales n’est pas abandonnée, dans la lignée de la baisse des APL décidée en parallèle d’une quasi-suppression de l’ISF au début du mandat d’Emmanuel Macron.
Droit au logement (DAL) enfonce le clou sur « l’irresponsable inaction du gouvernement » et prend l’initiative d’un appel à la mobilisation pour obtenir un moratoire sur les loyers. Derrière cette revendication phare, l’association demande aussi la suspension des sanctions, un budget pour apurer la dette des ménages en difficulté et l’organisation rapide d’une baisse des loyers. Plusieurs responsables politiques, associatifs et syndicaux la soutiennent.
« Dans un premier temps, suspendre au plus vite le prélèvement bancaire automatique ; dans un second temps, si le gouvernement reste sourd à la détresse des locataires en difficulté, d’ici la prochaine échéance, suspendre le loyer en s’assurant auparavant de ne pas se mettre plus en difficulté. »
La mobilisation prend une forme plus directe et plus autonome dans certaines régions. A Toulouse le collectif « On ne paie plus 31 » entend devenir la bête noire des bailleurs. Son mode d’emploi prend compte les risques encourus. L’un de ses visuels promeut « un monde sans la pire des épidémies : patrons, proprios, flics ». Plus cordiale, une lettre type permet d’informer son propriétaire de son défaut de paiement.
Dans le Nord, l’Atelier populaire d’urbanisme du quartier de Fives a signé dès le 3 avril un communiqué pour soutenir les grévistes. L’association se bat depuis 2014 contre les marchands de sommeil. Elle exige que « que toutes les dettes locatives contractées pendant et des suites de cette période soient nulles et non avenues et que les bailleurs sociaux soient contraints de ne plus percevoir les loyers ».
En Bretagne, des « précaires et solidaires de Brest et alentours » ont lancé un canal sur Telegram pour discuter. Idem à Rennes, où une adresse courriel y est dédiée. A Saint-Brieuc, chef-lieu des Côtes-d’Armor connu pour sa proportion importante de logements vacants, les occupant·es du squat de La Baie Rouge – sous le coup d’une obligation de quitter les lieux -, se préparent à rejoindre le mouvement. Levez la tête, des draps blancs pourraient bientôt flotter aux fenêtres. Et ce sera pas en signe de renoncement.
BlackRock attend les retraites en faisant des audits bancaires en Europe
BlackRock, c’est ce gestionnaire d’actifs (c’est à dire de produits financiers) qui est devenu un des plus gros investisseurs mondiaux après la crise de 2008 et est actionnaires de quasiment toutes les grosses entreprises. Particulièrement implanté aux États-Unis, il est aussi arrivé sur le champ européen et cherche à se faire une place sur les marchés émergents de certains pays africains. En France, il soutient la redirection des retraites vers des formes de retraite par capitalisation.
BlackRock a refait surface dans les médias très récemment, parce que ce gestionnaire d’actifs vient d’obtenir la charge de travailler sur l’intégration des facteurs sociaux et environnementaux dans la supervision bancaire, suite à un appel d’offres de la Commission européenne. C’est relativement risible lorsqu’on sait que BlackRock investit dans de nombreuses entreprises pétrolières et plus généralement dans les entreprises phare des différentes indices boursiers du monde, peu connues pour leur investissement social ou environnemental.
C’est loin d’être la première fois que BlackRock assure des missions liées aux banques en Europe. Suite à la crise de 2008, plusieurs pays, comme l’Irlande ou la Grèce, avaient fait appel à lui. En 2014, la Banque centrale européenne (BCE) avait dû réaliser une évaluation complète et BlackRock figurait parmi les consultants extérieurs en charge du dossier, comme le rappelle une partie de ce documentaire fourni.
En ces multiples occasions, BlackRock gagne de l’argent par ces activités d’analyse et de conseil mais Sylvain Leder, dans un article du Monde diplomatique, nous rappelle que ces apports ne représentent que peu par rapport aux données économiques, potentiellement sensibles, récoltées.
La puissance de BlackRock provient en effet en grande partie de sa capacité d’analyse d’une masse de données importante. Il dispose d’un ensemble de serveurs, établis dans la petite ville de Wenatchee aux États-Unis, qui a l’avantage de la présence d’un barrage fournissant de l’électricité peu chère. C’est un élément crucial pour BlackRock et son programme d’analyse dédié Aladdin, qui fait de l’analyse de données à grande échelle… le tout permettant de brasser journalièrement des sommes à hauteur du PIB américain (la bagatelle de – environ – 18.000 milliards de dollars).
À côté de ses activités d’analyse et de conseil, BlackRock nous était bien connu jusqu’à présent pour ses activités d’investissement : la réforme des retraites, stoppée en plein vol par Covid-19, prévoyait d’ouvrir la voie aux retraites par capitalisation privée, et le gérant d’actif y avait un rôle clef.
Entre l’activité d’analyse et de conseil qui lui permet de récolter de nombreuses données et l’activité d’investissement qui dépend de l’analyse de ce type de données, quid des conflits d’intérêts et des délits d’initiés chez BlackRock ? Le gestionnaire indique que ces deux secteurs d’activité sont bien séparés… Des doutes ont pu émerger lorsqu’il a acheté en Grèce peu de temps avant la crise et y a gagné : son service d’analyse-conseil venait de passer au peigne fin les comptes de la Grèce à la demande de la BCE (et c’est un exemple parmi d’autres).
Quoi qu’il en soit, BlackRock pratique en tout cas bien le pantouflage : Médiapart résumait ainsi (article payant) que le président de la branche française de Blackrock, Jean-François Cirelli, est un ancien des gouvernements de Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin ; en Suisse ce rôle a échu à l’ancien patron de la banque centrale ; en Grèce, à l’ex-responsable d’un programme gouvernemental de privatisation ; et en Allemagne, à l’ancien chef au Parlement de la CDU (parti d’Angela Merkel).
Et d’ailleurs, Jean-François Cirelli est lui-même membre du Comité action publique 2022, qui doit faire des propositions de réforme de l’État : un comité où se télescopent joyeusement privé et public.
Alors que la situation pandémique fragilise les États et leurs services publics déjà très amoindris, des gérants d’actifs et fonds d’investissement comme BlackRock se manifesteront-ils comme des sauveurs pour l’économie mondiale ? Les secteurs publics constituent des investissement sûrs, prévisibles et à long terme pour eux et donc un engagement rentable. BlackRock, qui connaît moins les marchés des pays du Sud, pourrait aussi en profiter pour prolonger des partenariats lui ouvrant la porte à des marchés en expansion, comme le décrit la fin du documentaire. Ceci alors que, non considéré comme un établissement bancaire, BlackRock échappe aux régulations mises en place pour contrôler ceux-ci après la crise de 2008…
Pourquoi les universités s’obstinent-elles à sélectionner ?
Dans ces conditions, organiser la continuité pédagogique ou même la tenue d’examens est criminel tant que les conditions matérielles de survie ne sont pas garanties pour tou·tes les étudiant·es. C’est une cause de suicides.
On peut aussi déplorer des morts par manque de soins notamment chez les étudiant·es étrangèr·es qui sont particulièrement vulnérables.
À ces conditions de survie parfois difficiles s’ajoutent des inégalités d’accès à internet, à un ordinateur, à un endroit calme pour travailler pendant le confinement.
Mais pourquoi nage-t-on en plein délire avec le maintien des examens qui est décidé quasiment partout de manière désordonnée ? Le collectif des Facs et Labos en lutte va jusqu’à dire que le bateau coule dans un communiqué appelant lui aussi à la validation automatique. À Nantes, le président l’a annoncé ; à Tours, la seule information disponible est cette interview.
La vraie raison est probablement à chercher dans le manque d’enseignant·es dans ces universités devenues « autonomes » financièrement depuis 2007 : comment ne pas sélectionner si l’on manque déjà de personnel quand on sélectionne ? C’est ce que dénonce le collectif des Précaires de l’université de Nantes en même temps que la marchandisation des savoirs et la dématérialisation des métiers de l’enseignement.
Cette année peut être comprise comme un coup d’essai à grande échelle pour ces nouvelles modalités d’enseignement et d’évaluation. Alors ne tombons pas dans le panneau et ne cédons pas à la stratégie du choc : il est urgent de refuser tout examen en ligne et d’exiger la validation automatique !
Soutenir les actionnaires, l’industrie ou la « transition » ?
Baisse de 35 % de la consommation, instabilité des cours de la bourse, chute prévue de six points du PIB, la décroissance s’est brutalement invitée dans notre monde et les économistes suent à grosses gouttes. Au point de faire peur au patronat suisse qui s’inquiète que « certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, voire se laissent séduire par ses apparences insidieuses […], beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation… »
L’article 12 dispose bien que « l’Agence des participations de l’État (APE) veille à ce que ces entreprises intègrent pleinement et de manière exemplaire les objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie, notamment en matière de lutte contre le changement climatique ». Hélas, une recherche rapide dans le bilan d’activité 2018-2019 de l’APE, dont la tâche est de gérer les actions détenues par l’État dans diverses entreprises, nous apprend que le mot-clé « transition écologique » peut s’appliquer à EDF ou Engie. Soit parmi les fournisseurs d’énergie les plus polluants d’après le guide de Greenpeace. Ajoutons-y des pontes de l’industrie minière comme Eramet et le tableau est complet. « Écologie libérale, mensonge du capital », scandait-on aux manifs climat !
Ce collectif budgétaire vient s’ajouter à un premier plan, validée le 18 mars et en précède en autre, probablement discuté en mai. Cent-dix milliards seront déjà reversés aux entreprises sous différentes formes : chômage partiel, garantie sur des prêts, « fonds de solidarité », etc.
Et nouveau bonus lors du passage au Sénat : une exonération de charge sur les heures supp’ ! En guise de consolation, on se contentera d’une prime pour les soignant·es et les professionel·les de l’aide sociale à l’enfance, et d’un maigre fonds d’un million d’euros pour lutter contre les violences conjugales…
Le patronat, qui mange à tous les râteliers, profite par ailleurs de la crise pour tenter d’infléchir les objectifs de baisse d’émission de CO2 de l’Union européenne. Dans une lettre interceptée par Le Canard enchaîné, le Medef demande au gouvernement français, de suspendre toute sa politique en matière d’environnement, dont la loi mobilité, la loi sur l’économie circulaire ou la loi anti-gaspillage. Un décret sur la qualité de l’air est aussi dans son viseur, au motif qu’il faille préserver la filière automobile. Sans parler de la programmation pluriannuelle de l’énergie et de la stratégie nationale bas carbone, deux textes qui constituent « la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique », de l’aveu même du gouvernement, cité par Le Journal du Dimanche.
Or, une reprise accompagnée d’une surconsommation d’énergie fossile menace car le cours du baril de pétrole s’est effondré avec la diminution de la consommation, atteignant des prix négatifs, et ce malgré une baisse de l’extraction décidée conjointement par les pays producteurs de l’Opep. Dans le même genre, l’industrie du plastique tente de tirer les marrons du feu en s’attaquant aux réglementations futures sur le plastique à usage jetable au nom de la lutte contre le Covid-19.
L’économie peut-elle être éthique ? Rien n’est moins sûr, mais certains pays comme le Danemark, font moins pire que d’autres, en soumettant les entreprises bénéficiaires des largesses de l’État à des conditions strictes : pas de dividende pour les actionnaires, ni de rachat de leurs propres actions par les entreprises (ce qui est une manière de rémunérer les actionnaires), et pas de sous pour les entreprises ayant des fonds dans les paradis fiscaux. Sur ce dernier point des amendements centristes et communistes, à la portée relative, ont été votés au Sénat dans le cadre du projet de loi de finance rectificative. Avant d’être retiré du texte final jeudi, à la demande expresse du gouvernement. On y a presque cru.
Violences policières et émeutes
La situation est explosive dans les quartiers populaires. La faim (nous vous en parlions plus haut), l’accumulation d’humiliations quotidiennes, de procès-verbaux font monter la tension.
Il fut un temps où les épidémies se combattaient à coups de longues processions pendant lesquelles les fidèles se flagellaient en signe de pénitence. De nos jours, et bien que de subtiles améliorations technologiques aient permis le remplacement des lanières des fouets par les gaz lacrymogènes, les spécialistes recommandent plutôt d’éviter les grands rassemblements pour apaiser les dieux et déesses courroucé·es.
Les organisateur·ices du congrès évangéliste de Mulhouse l’ont appris à leurs dépens : ce rassemblement de 2.000 personnes fin février a probablement fortement contribué à la diffusion du virus en France.
Malgré ce fâcheux précédent, diverses mouvances religieuses ont tenté par la suite de contrer le coronavirus en organisant messes et autres bénédictions publiques, comme le raconte cet épisode de Tronche de Fake. Les intégristes ne manquent d’ailleurs pas d’explications farfelues pour expliquer la pandémie : jusqu’à Daesh, qui y voit une malédiction destinée à détruire l’Occident, et recommande prudemment à ses fidèles de ne pas trop voyager…
Mais les fausses rumeurs ne sont pas la chasse gardée des religieux·ses. Comme recensé sur le site Hoaxbuster qui traque les manipulations sur internet, une déferlante de théories complotistes s’est abattue sur les réseaux : un quart des Français·es penserait ainsi que le Covid sort d’un laboratoire selon un sondage, la chloroquine continue à être un grand succès médiatique sans réelle preuve scientifique d’efficacité, etc. Comme évoqué dans nos numéros précédents (ici et là), ces idées, parfois véhiculées par des scientifiques ou des médecins, peuvent avoir des conséquences catastrophiques.
La « fake news », information non vérifiée ou volontairement trafiquée, est devenue l’emblème du mandat de Donald Trump. Si aucun milieu n’est épargné, les infaux sont particulièrement utilisées par l’extrême-droite. Les cadres du Rassemblement national ont par exemple détourné d’anciennes vidéos de rixes pour faire croire à des scènes de pillage à Aubervilliers au début du confinement. Dans le même genre, le syndicat de police Synergie-Officiers dénonce un non-respect du confinement avec des vidéos datant en fait d’août 2019. Ici, la « fake news » prépare le terrain à la justification de la répression violente dans les quartiers populaires.
De manière paradoxale, le pouvoir médiatique et politique, lui-même pourtant grand producteur de « fake news », s’est réapproprié le concept et s’en sert désormais pour discréditer toutes sortes d’informations, y compris véridiques ; comme expliqué dans cet article sur lundi.am, c’est une manière de cadenasser la parole, de laisser le privilège d’informer à une petite caste de « professionel·les », journalistes ou politiques de métier.
Si certaines informations nous semblent séduisantes ou proviennent de figures d’autorités (scientifiques primés, grands médias etc.), sachons garder une distance critique : les infaux, qu’elles manipulent nos opinions politiques ou qu’elles servent juste de distraction, ne sont jamais innocentes…
Notre jumelle pas maléfique
La Gazette des confiné·es ne doit pas être confondue avec la Gazette déconfinée, collectif arriégeois dont nous lisons les publications avec plaisir. Bonne continuation à elle !
Illustration de une : Visuel de la grève des loyers du collectif des Précaires et solidaires de Brest, publié sur Bourrasques-Info.org
(1)En 2018, 26,6 % de la dépense de consommation finale des ménages était allouée au logement selon les calculs de l’Insee, soit 6,5 points de plus qu’en 1990. C’est de loin le premier poste de dépenses, l’écart se creusant avec l’alimentation (17,1 %) et les transports (14,3 %). Il représentait 9.575 € pour les locataires du parc du secteur privé et 7.441 € dans le parc social, en partie pris en charge par des aides.
Or, cette part du budget va mécaniquement augmenter pour les foyers qui voient leur revenu baisser. Cela représenterait déjà 35 % des ménages d’actifs, d’après une enquête réalisée par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès datant de mars. Et même 52 % chez les « catégories pauvres » contre 27 % chez les « hauts revenus ».
Tout dépend donc de la finalité du déconfinement qui influencera la manière dont celui-ci est mis en place.
Si on déconfine pour permettre aux gens de retourner au travail et de continuer à faire marcher la machine économique, alors il faut être clair : nos vies valent plus que leurs profits !
En revanche, si on le fait pour soulager les plus pauvres, les plus précaires en leur permettant de sortir, de permettre la solidarité de se mettre en place, alors c’est une urgence vitale !
Sans indépendance vis-à-vis de l’argent, il paraît compliqué de proposer d’arrêter l’économie comme horizon politique.
Et comment ne pas parler des risques de surveillance généralisée ou de catégorisation de la population liées au déconfinement possible dont nous avons déjà parlé dans notre septième Gazette : passeports selon nos données sanitaires, drones, robots policiers, etc. ?
Mais de quel déconfinement parle-t-on exactement ?
De nombreux·es scientifiques nous préviennent que nous devrons vivre avec l’épidémie pendant très longtemps (nous vous avions déjà parlé de l’article de Terrestres à ce sujet et on a peur d’une seconde vague en Chine actuellement) et qu’il faudra continuer à maintenir des mesures strictes de distanciation sociale.
Tout cela dépend fortement de deux choses que nous n’avons actuellement pas assez : des informations précises sur le virus et des outils pratiques pour limiter la diffusion du virus.
Les informations qui nous permettraient d’y voir plus clair sont par exemple : le taux de mortalité exact du virus (par exemple pour avoir une idée du nombre de personnes infectées selon le nombre de morts), la durée moyenne pendant laquelle on est immunisé·e (par exemple pour savoir si il y a des risques de vagues régulières de coronavirus, voir cette interview d’une chercheuse du CNRS à ce sujet), la rapidité de mutation du virus (par exemple pour savoir s’il sera comme la grippe saisonnière dont une nouvelle souche apparaît tous les ans), le taux de reproduction du virus c’est-à-dire le nombre de personnes moyennes contaminées par une autre (c’est sur ce chiffre que se basent les différentes modélisations que l’on voit dans les médias or celui-ci étant encore imprécis, cela rend toute modélisation douteuse), etc.
Les outils pratiques pour limiter la diffusion du virus dont nous avons besoin sont des masques, une maîtrise collective des gestes barrières et des tests. Plus on aura de masques et plus on maîtrisera les gestes barrières, plus on baissera le taux de contamination et moins l’on aura besoin d’une distanciation sociale stricte.
Pour faire des masques, Streetpress recense plusieurs ressources. Plus on aura de tests, plus on pourra détecter les personnes asymptomatiques qui propagent le virus et les informer pour qu’elles limitent leurs contacts le temps d’être guéri comme le montre l’exemple allemand, voir à ce sujet l’analyse du groupe Jean-Pierre Vernant qui estime que les tests permettent de limiter les morts d’un facteur de 1,7 de manière très empirique.
Si le mouvement émancipateur veut être écouté, réfléchissons collectivement à proposer une façon d’organiser la société qui permette de limiter la mortalité liée à la pandémie tout en préservant les libertés et en n’accentuant pas les inégalités. Ne pensons pas uniquement l’après-confinement mais aussi le pendant car cela risque de durer !
Être scientifique, ce n’est pas avoir des titres et des diplômes ; c’est avoir une méthode, des faits, et, bien souvent, des doutes.
Dans ses trois premiers rapports, le conseil scientifique s’appuyait sur une large bibliographie. Dès le quatrième, ses seules références semblent être Santé publique France et des sondages d’opinion, et ce alors que de nombreux papiers de recherches sont publiés chaque jour sur le Covid-19.
Or, la science n’est pas neutre ; le choix des données qu’un·e scientifique juge pertinente ou non est éminemment politique.
Ainsi, le conseil scientifique fait porter ses espoirs sur les tests de dépistage PCR (Polymerase chain reaction), pour déconfiner ou pour isoler les contaminé·es dans les Ehpad et prisons. Pourtant, des études mentionnent 30 % de faux négatifs[1] parmi les malades ayant des lésions pulmonaires au scanner (donc des taux de virus sans doute plus élevés que les personnes peu ou pas symptomatiques), voire plus de 50 % au premier test pour des personnes testées plusieurs fois.
De même, on n’a encore aucune donnée sur la fiabilité d’un éventuel test sérologique. Si ces examens sont utiles à l’hôpital pour prendre en charge une personne, à titre individuel, fonder ses espoirs dessus à l’échelle populationnelle, sans mentionner leurs failles pourtant bien démontrées, relève d’un idéal techniciste un peu naïf et malheureusement très répandu parmi les chercheur·euses.
Ne pas citer ses sources a d’autres conséquences.
Dans le rapport du 2 avril, le conseil scientifique estime ainsi qu’au maximum 10 ou 15 % des habitant·es des départements les plus touchés ont contracté le Covid-19, sans que l’on sache comment le calcul a été fait, les tests sérologiques n’étant pas disponibles à grande échelle.
C’est là que la lacune bibliographique se fait pesante : en effet, si les premières séries qualitatives chinoises donnaient des taux de mortalité allant parfois jusqu’à 2 %, en Islande, où le dépistage a été massif, et donc où l’on est moins passé à côté de patient·es peu ou pas symptomatiques, le taux de mortalité est de l’ordre de 0,3 % (néanmoins, la population islandaise n’est pas forcément totalement comparable à la population française).
Dans le Haut-Rhin, avec une population de 764.000 habitant·es et 548 mort·es au 12 avril, si on pense que 2 % des personnes touchées par le virus en meurent, on arrive à la conclusion que 3,6 % de la population du département a été touchée. Mais si on prend un taux de mortalité à 0,3 %, on arrive à un taux de personnes contaminées de 24 % ; si on ajoute, par exemple, 40 % de faux négatifs, on peut arriver jusqu’à 40 % de personnes contaminées, peut-être plus si on avait des données exhaustives concernant les Ehpad.
Selon la manière dont les calculs sont faits, dont les données pertinentes sont choisies, on peut conclure que l’action du gouvernement est efficace ou au contraire que le confinement a échoué. La science ne peut pas toujours fournir immédiatement des données univoques, et le doute doit parfois primer…
Les faux négatifs du test PCR viennent non pas des laboratoires mais du prélèvement lui-même : il s’agit d’enfoncer un coton tige très profondément dans les narines, ce qui est très douloureux et souvent difficile si le ou la soignant·e n’a pas l’habitude de le faire. Certain·es patient·es pourraient également n’avoir que très peu de virus dans les sécrétions nasales. Les prélèvements pulmonaires, qui consistent à injecter de l’eau dans les poumons pour récupérer le virus, sont nettement plus compliqués à réaliser.
Quand on a 30 ans et qu’on est en bonne santé, on trouve le temps long.
Quand on a 70 ans, on a la menace, brandie par le président du conseil scientifique puis balayée par l’exécutif, que le temps du confinement soit encore rallongé, pour sa propre sécurité. Toutefois, l’avocat en droit du travail Jacques Hardy rappelle qu’obliger les seniors à se confiner relèverait d’une mesure discriminatoire ; le droit de la santé précise clairement que le corps médical ne peut imposer des soins sans le consentement de la personne (sauf soins psychiatriques), chacun·e dispose de son propre corps et peut décider ou non de prendre des risques. Les plus grands risques étant peut-être l’ennui et la solitude.
Quand on a 90 ans, le confinement, c’est comme du temps volé aux peu d’années qui restent à parcourir.
Quand on a 15 ans et qu’on est géré par l’ASE (Aide sociale à l’enfance), les temps sont durs. Comme l’explique cette tribune, de nombreux enfants, confinés chez leurs parents ou en chambres d’hôtels, ne rencontrent plus leurs éducateur·ices que par Whatsapp. Et les centres manquent de personnel, forcé·es de rester chez elleux pour garder leurs propres mômes.
Quand on a quelques jours, qu’on est né·e prématuré·e pendant le confinement, la peur des soignant·es peut priver de la présence de ses parents, du contact en peau à peau, de l’allaitement, comme raconté dans cette tribune de la présidente de SOS préma.
Du coup, même quand on a 30 ans et qu’on est en bonne santé, on se dit qu’il est peut-être temps de chercher des solutions différentes, non coercitives. Temps aussi de nous confronter aux fractures générationnelles et à notre propre peur de vieillir, et de nous demander : dans quelle société voudrions nous fêter nos 70, 80 ou 90 ans ?
La peur fait aujourd’hui partie de notre quotidien. Les médias assènent des chiffres de morts jour après jour qui sont difficiles à remettre en perspective sans point de comparaison. Le gouvernement communique de façon incohérente et privilégie les annonces de dernière minute, ce qui ne favorise pas la sérénité.
Nous avons peur pour nos proches et moins proches qui sont âgé·es, pour nos proches et moins proches qui sont obligé·es d’aller ou de retourner ou boulot… Nous avons peur aussi devant l’incertitude de quoi sera fait le futur.
Certain·es craignent d’ailleurs que cette période que nous vivons oriente les États dans un tournant totalitaire, comme le mentionne CrimethInc qui envisage que ce changement pourrait avoir lieu pendant la période de confinement.
Et en effet, l’État intensifie son contrôle. Il finance l’achat de drones de surveillance dans une période où l’argent semblerait utilement dirigé vers les hôpitaux, les prisons, les structures d’aide aux plus vulnérables…
Il se penche aussi sur l’application StopCovid développée par Orange, à laquelle La Quadrature du Net oppose une série d’arguments, dont certains nous rappellent bien que des mesures prises en temps d’urgence pour cibler un phénomène spécifique peuvent par la suite étendre leur champ de contrôle bien au-delà (c’est une des caractéristiques que Raphaël Kempf attribue aux lois scélérates, dont il a récemment produit une analyse).
Camille Espedite et Anna Borrel décrivent quant à elles un processus de domination douce de l’État via la domiciliation : faire du domicile le nouveau lieu d’assujettissement, nœud modal pour le boulot (pour celleux en télétravail), la consommation (grâce à Amazon), les loisirs (via Netflix), la sociabilité (merci Zoom)…
Devant tous ces phénomènes qui semblent aujourd’hui s’accélérer, nous pouvons avoir peur, dans un « pire scénario qui serait déjà là ». Nous pouvons aussi avoir peur que nos réponses militantes, dans le contexte du Covid-19, divergent et nous divisent : CrimethInc voit deux façons de répondre qui peuvent s’opposer, entre « celles et ceux qui sont investi·es dans la résistance à tout prix et celles et ceux qui considèrent que prendre le risque de propager le virus est irresponsable si bien qu’ils et elles préfèrent une capitulation totale ».
Pouvons-nous nous proposer de prendre en compte cette peur, de la reconnaître et de nous en servir ?
Par exemple, certain·es d’entre nous avons peur devant les morts causés par Covid-19 : pouvons-nous étendre l’attention que nous portons aux conséquences de cette pandémie aux autres maladies épidémiques et pandémiques qui touchent le monde (VIH, Ebola, etc.) ?
L’idée n’est pas de nier l’importance de nos peurs et émotions actuelles, ni d’instaurer une compétition entre maladies pour un nombre de morts record (tout comme trouver qui est le ou la plus opprimé·e n’est pas pertinent). Nous pouvons en revanche donner à ces peurs et émotions une dimension politique, réfléchir à la façon dont nous pouvons, avec nos affects, transformer nos rapports au monde, au politique, à la maladie, comme le suggère Aïcha Liviana Messina.
Cela nous permet aussi d’accueillir ces peurs en nous et aussi certaines de leurs contradictions (vouloir agir de façon solidaires avec les soignant·es dans une réelle empathie avec elleux vs. souffrir de ne pas rencontrer des personnes proches et rompre le confinement pour une ou deux d’entre elles par exemple).
Dans une analyse du récent recueil de textes de Donna Haraway publié en français, Laura Aristizabal Arango souligne que D. Haraway nous dit que « toute réponse [face à des temps douloureux] se fait à partir des contradictions d’une situation, c’est-à-dire en composant avec ses troubles ».
Reconnaître nos craintes et les utiliser pour ouvrir notre attention serait un moyen de rendre visible d’autres histoires, d’autres pratiques. C’est l’appel de D. Haraway qui nous propose de dévoiler de nouvelles histoires pour notre présent, des histoires qui ouvrent des brèches. C’est une démarche issue du féminisme que de proposer des histoires alternatives à notre monde, pour y ouvrir de nouvelles perspectives (comme le fait par exemple Silvia Federici dans Caliban et la Sorcière ou le résume Émilie Hache ici).
Et il semble bien que nous ayons besoin de nouvelles perspectives pour inventer comment nous voulons vivre aujourd’hui et demain, comme y appellent des articles récents (ici ou là, par exemple).
Peut-être devons-nous aussi penser un temps qui ne sera pas un après mais restera un pendant la pandémie, penser une façon d’agir qui ne soit pas une dichotomie entre « résistance à tout prix » et « capitulation totale ».
Le confinement a décidément bon dos. C’est la justification trouvée par le gouvernement pour assouplir la législation sur les pesticides. Les défenseur·ses de l’environnement sonnent l’alarme contre ces pulvérisations, qui s’ajoutent au épandages de déjections animales co-responsables d’un récent pic de pollution aux particules fines.
Depuis le 30 mars, les nouvelles distances d’épandage des pesticides ont été quasiment abolies. Ces zones de non-traitement (ZNT) qui ulcèrent la FNSEA sont fixées à 10 m des habitations pour les cultures hautes et 5 m pour les cultures basses depuis un arrêté du 27 décembre 2019 « relatif aux mesures de protection des personnes ». Une protection qui ne semble plus d’actualité en plein état d’urgence sanitaire.
De l’ordre du symbolique et difficilement contrôlables, ces distances peuvent en effet être réduites par arrêté préfectoral, en cas de signature d’une charte de bon voisinage entre agriculteur·ices et riverain·es. Or, « la difficulté de mener la concertation publique dans le contexte en cours de la crise de Covid-19 », rend caduque cette condition, explique candidement le ministère. Les préfectures se contenteront d’un simple engagement. La « bonne foi » suffit quand vous êtes puissant·es !
« La période n’est pas propice à une consultation sereine et réellement démocratique des diverses parties prenantes », conviennent dix-neuf organisations dont Eau & Rivières de Bretagne, l’UFC-Que Choisir ou l’Union syndicale Solidaires. Elles en tirent toutefois la conclusion inverse et demandent l’interdiction des épandages de pesticides à proximité des habitations. Une campagne d’interpellation des préfets est organisée via la plateforme « Shake ton politique ».
Plus offensive, l’association Sauvegarde du Trégor observe que cette autorisation intervient dans une période où les populations rurales sont sommées de restez chez elles. Elle estime même que les préfets de Bretagne ont choisi « la peste plutôt que le choléra » (lire sur Facebook).
« Cette mesure ne s’inscrit-elle pas dans la droite ligne de la fermeture en 2018 d’une unité de fabrication de masques à Plaintel, dans l’indifférence des pouvoirs publics dont vous êtes un des représentants majeurs en Bretagne, interroge Sauvegarde du Trégor. [Voir notre article sur le sujet, NDR] Comme toujours la même politique imprévoyante et irresponsable, côté pile soutien actif à un lobby, côté face désintérêt pour un enjeu de santé publique. »
Si la chimie de synthèse fait régulièrement les gros titres, les traditionnels épandages printaniers de lisier et de fumier donnent aussi les larmes aux yeux. Littéralement. Sans même parler de leur qualités olfactives, ces déjections animales sont responsables de l’essentiel des émissions d’ammoniac (NH3) en France. Un gaz qui forme du nitrate d’ammonium par combinaison avec l’oxyde d’azote, dont les très petites particules sont nocives pour l’environnement. La Bretagne, terre d’élevage intensif, en est la première région émettrice.
Alors que le ballet des épandeurs ne fait que débuter, quatre organisations bretonnes montent au créneau pour demander l’encadrement de ces pratiques, arguant d’un lien éventuel entre la présence de particules fines et la hausse de la mortalité au Covid-19. L’association Respire est allée plus loin en déposant un référé liberté devant le Conseil d’Etat, mais la requête a été rejetée lundi 20 avril. La haute juridiction reconnaît malgré tout le problème puisqu’elle encourage l’Etat à « faire preuve d’une vigilance particulière […] notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes [en cas de franchissement avéré des seuils] ».
Si les scientifiques restent prudents – des études étant en cours -, la directrice de recherche à l’Inserm, Isabella Annesi-Maesano, et le docteur Thomas Bourdrel, membres du collectif Air santé climat cités par Mediapart le 13 avril (article payant), rappellent que la pollution de l’air fragilise notre système immunitaire. Et donc la capacité de notre corps à répondre à une agression inconnue. Ielles demandent aux préfets des mesures urgentes pour limiter les émissions de particules fines liées aux épandages agricoles.