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“Thank you Mario ! But our princess…”

Mario ? Même ta grand-mère le connaît. Ce mycologue intempéré, coureur de jupons insatiable, tour à tour charpentier, plombier, pilote automobile, tennisman peintre, danseur et peut-être même jardinier traverse les époques et les consoles depuis 1981. Objet de culte, sa plus captivante histoire ne se joue pourtant pas sur écran, comme le défend dans son livre William Audureau.

Pour sa démonstration, l’auteur – journaliste spécialisé de son état – n’y va pas de main morte. Il publie une thèse de 400 pages et quelques, découpée en chapitres chronologiques sur la décennie liminaire. L’auteur explique dans la “warp zone” du livre ou plutôt son “making of“, que seules 100 pages richement illustrées sont d’abord prévues. Le fascicule doit intégrer une hypothétique collection “Qui es-tu” éditée par Pix’n Love.

Mais le risque que les éditeurs n’accordent pas les droits des images est trop grand. Virage à 180°. La masse d’informations déjà récoltées et la passion l’emportent. Dix-huit mois de réécriture sont nécessaires pour remodeler le texte, le nourrir de multiples anecdotes historiques et le rendre passionnant par son exhaustivité.

L'Histoire de Mario - pages intérieures illustrées
Image trompeuse que celle-ci. Les illustrations sont en fait peu nombreuses mais toujours à propos.

Car si les scenarii des aventures de Mario ne sont pas reconnues pour leur inventivité – l’objectif se bornant généralement à traverser des niveaux, battre des boss pour finalement sauver une princesse -, la production de l’œuvre vidéoludique vaut bien, elle, plusieurs volumes.

L'histoire de Mario - William Audureau - 4e de couvertureLes difficultés économiques de la jeune firme nippone Nintendo constituent à elles seules un roman. À ses débuts, le joueur n’est pas casanier. Il pratique sa passion sur des bornes d’arcade, dans des salles spéciales ou au café. Au tournant des années 70-80′, les consoles s’installent dans les salons, mais les frontières restent marquées. Les concepteurs travaillent souvent seuls et de façon artisanale.

Alors que le crack de 1983 fait plonger d’illustres firmes américaines, à commencer par Atari, Nintendo réussit l’export de sa Famicom chez l’oncle Sam. Renommée Nes, elle permet d’imposer ses titres en dehors de son fief. Mario, devenue mascotte, ne serait rien sans les procès intentés par les ayants droits de King Kong, sans la technique balbutiante ni l’habilité commerciale de ses concepteurs.

Mario restera à jamais marqué par cette époque 8-bits aux sprites minimaux, qui remplacent la chevelure du personnage par une casquette et sa bouche par une moustache par nécessité plus que par esthétisme.

Le bonhomme en salopette a depuis longtemps dépassé le statut de mascotte. Un seul exemple suffit à le démontrer, celui de ses thèmes musicaux, composés par Kōji Kondō : ils illustrent encore aujourd’hui maints reportages et génériques d’émissions sur le jeu vidéo. Ni les changements d’univers de Mario, ni ses reconversions, ni même son apparition au cinéma en chair et en os aux côtés de son frères Luigi ne lui coûtent sa peau. Une grosse production au goût de nanar propulse en effet Mario sur grand écran en 1993. William Audureau, en défenseur isolé, y revient allègrement.

Produit à Hollywood, le film aurait dû représenter la consécration du personnage après une décennie de succès. Mêlant dinosaures et humains dans un monde apocalyptique désenchanté, il est heureusement aujourd’hui quasiment oublié. Contrairement à la saga.

4/5L’histoire de Mario est une magnifique enquête – au ton un peu universitaire, mais plaisant à lire -, sur une époque du jeu vidéo, alors toute jeune industrie culturelle. L’auteur s’intéresse davantage à l’entreprise Nintendo, aux contextes économiques et aux inspirations fantastiques qu’au scénario des épisodes. Pas de cheat code, mais des secrets de fabrication, à cheval entre les États-Unis et le Japon. Une histoire humaine, qui n’a rien de virtuelle. Raisons pour lesquelles ce livre, sans équivalent dans le monde, intéressera bien au-delà du cercle des Nintendo maniacs.

Références

L’histoire de Mario. 1981-1991 : L’ascension d’une icône, entre mythes et réalité, William Audureau, Pix’n Love Éditions, 22 €.

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Le jeu vidéo sans âme et sans accroche

Une vie ne suffit pas” chantait Lââm, du temps de la Dreamcast. Depuis, la production a grossi, le temps s’est accéléré. Mais il faut bien choisir. Flammarion répond à cette complainte en aidant les gamers. Par sûr toutefois qu’ils apprécient le cadeau, “woh, oh oh”.

Convenez qu’il faut être un peu fou pour lire de A à Z un catalogue de jeux vidéo. Jouer est une pratique avant d’être un objet de lecture. L’ouvrage de presque 1000 pages du journaliste Tony Mott, rédacteur en chef du prestigieux magazine britannique Edge, s’adresse pourtant – à première vue – aux accros du gamepad. Ceux-là mêmes qui chasseront bientôt l’édition de livres de la première place du podium des industries culturelles. Parmi eux se trouvent des apprenants, avides de connaissances.

Ils forment la communauté des retrogamers, méconnue et pourtant très active. Ce sont tantôt des vétérans, possesseurs de Neo-Geo Pocket et d’Atari ST, tantôt des jeunes convertis grâce aux logiciels d’émulation, qui reproduisent sur PC les consoles de leurs parents.

Ils se croisent sur Daily’, dans des boutiques ignorées de 99 % des passants et même en plein jour, dans les allées des brocantes. Plus souvent réfugiés dans leur chambre ou dans leur salon, ils attendent l’ouverture de la Cité du jeu vidéo à la Villette pour programmer leur prochain séjour à Paris. Ils rêvent secrètement d’y croiser le Joueur du Grenier ou les Bretons de Nesblog, Usulmaster, Realmyop et Cœur de Vandale. Marché de niche, le retrogaming était jusqu’à récemment oublié des éditeurs. Puis Pix’n Love naquit. Et Flammarion suivit.

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie - Thief : The Dark Project et  Ocarina of Time
Chaque jeu possède sa petite carte d’identité et pour les plus chanceux, une illustration.

Ces passionnés de vieilleries trouveront dans ce livre plus d’une inspiration. Les entrées sont nombreuses et réfléchies. Or, lister des titres est un bien maigre argument. Édité aux côtés des 1001 chansons, saveurs, greens ou inventions, le pavé aurait pu aider le jeu vidéo à acquérir sa légitimé artistique. Marcus ne s’y trompant pas dans sa préface, quand il parle de “véritable consécration“. Au regard des ambitions – mille fois hélas ! – le pari est raté. Un échec frustrant tant la conservation du patrimoine vidéoludique est nécessaire. Alors pourquoi ce loupé ?

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie - Final Fantasy V
Difficile de s’imaginer manette en main, sans image et en seulement vingt lignes de texte.

Est-ce un problème d’adaptation ? Traduit de l’anglais, l’ouvrage regarde naturellement de l’autre côté de l’Atlantique. L’Europe n’a jamais été une grande puissance du jeu, comparé aux États-Unis et au Japon. Pourtant, sa presse, notamment française, avait sa propre vision, qui n’est pas ici retranscrite.

Est-ce un défaut d’écriture ? Que les plus connaisseurs fassent aussi des découvertes n’est pas un mal en soi. Dommage que le ton, froid comme la viande morte et plat comme un pancake, ne transmette aucun plaisir de jeu.

Une entreprise d’un tel volume pouvait-elle réussir ? Chaque jeu tient sur une page, parfois moins. Trop peu pour détailler la richesse d’un Super Mario World, décrire l’atmosphère oppressante d’un Resident Evil ou expliquer les références filmiques d’un GTA III. Classés par ordre alphabétique, page après page, les titres s’accumulent. Guerre des éditeurs, crack de 1983, passage à la 3D, mise en réseau des machines, retour des oldies grâce aux indés, rien de tout ça n’est raconté. Il manque un contexte, au moins un mot sur chaque console, bref plus d’explications. Car c’est au lecteur de deviner les changements de génération.

Les experts pointeront quelques imprécisions. Loin de ces considérations, les néophytes préféreront tourner les pages, parfois intéressés, bien souvent assommés. Même si la sauce ne prend pas, même si l’ouvrage ne fera pas date, saluons tout de même sa sortie, car elle en appelle d’autres, et retournons vite jouer.

De 1971 avec le jeu éducatif The Oregon Trail à 2010 et le shoot them up Alien Zombie Death, ce sont bien 40 années de cartouches, disquettes et circuits imprimés qui sont visités. Si la première grosse moitié du livre est la plus intéressante, c’est parce-qu’elle ne sera jamais périmée. C’est durant ces premières décennies que tous les genres sont nés. Mettons-le au crédit de l’auteur, leur grande variété est ici bien illustrée.

Mais à vouloir trop en faire, l’ouvrage pêche par gourmandise. La collection plie sous son propre poids. Plus proche d’un catalogue Micromania de Noël gonflé aux hormones que d’une bible, candidat au record de la plus grosse compilation de jaquettes, Les 1001 jeux vidéo de Tony Mott lassera les novices autant qu’il agacera les connaisseurs. Le cul entre deux publics, l’auteur risque de n’en convaincre aucun.

Références

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie, Tony Mott, préface de Marcus, Flammarion, 32 €.

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