Peut-être vous souvenez-vous qu’au début de l’épidémie, nous étions nombreux·ses à nous lamenter sur le sort des pays africains. Le massacre n’allait-il pas être terrible, dans ces contrées dépourvues de système de santé efficace, et puis surtout d’États policiers aussi bien centralisés que ceux des pays du Nord ?
Force est de constater que ça n’a pas été le cas, bien qu’il soit difficile de comparer les chiffres car les systèmes de veille sanitaire nationaux ne sont pas équivalents. Actuellement, n’ont été recensés que 140.000 cas et 4.000 morts sur l’ensemble de ce continent d’1,3 milliards habitant·es.
Si l’on admet que les différences de comptage ne peuvent justifier à elles seules l’énorme écart de mortalité avec l’Europe ou les États-Unis (où le Covid aura fait 100.000 morts pour 300 millions d’habitant·es, soit plus d’un facteur 100 par rapport à l’Afrique), comment l’expliquer ?
Tout d’abord, certaines régions, comme expliqué dans cet article sur la Kabylie, ont conservé une gestion villageoise assez autonome, ce qui leur a permis de prendre des mesures de protection bien avant que les États centraux ne réagissent. On vous en parlait dans les nouvelles internationales de La Gazette des confiné·es #9.
Bien qu’il existe aujourd’hui de grandes mégalopoles sur le continent africain, avec de gigantesques bidonvilles, seul·es 40 % des Africain·es vivent en ville, contre 79 % des Français·es et 84 % des Brésilien·nes. Or, comme on a pu le constater au cours des derniers mois, la densité de population joue beaucoup sur la diffusion de l’épidémie…
De nombreux gouvernements africains ont par ailleurs, à l’instar du reste du monde, rendu le port du masque obligatoire, fermé les frontières et confiné tout ou partie de leur pays. Ce fut le cas en Afrique du Sud et à Dakar, la capitale du Sénégal. Le Ghana a quant à lui mis en place dès le mois d’avril un dépistage de masse et une application pour tracer les contacts des malades similaire à l’application StopCovid en France, application que nous avons déjà critiquée dans un hors-série de La Gazette.
Alors, les gouvernements africains seraient-ils plus compétents que les européens, si, avec les mêmes recettes, ils arrivent à de bien meilleurs résultats ? On peut en douter, notamment quand on sait qu’à la tête de Madagascar, le président Andry Rajoelina n’a rien à envier ni à Trump ni au professeur Raoult. Il promeut sans l’ombre d’une preuve scientifique l’efficacité de la tisane à l’Artemisia annua, au point de vouloir obliger chaque écolier malgache à en prendre, au grand dam de l’Académie de médecine du pays. Ironie de l’histoire, l’artémisinine, la molécule issue de l’Artemisia, est comme la chloroquine un traitement du paludisme.
Enfin, des explications plus triviales pourraient expliquer cette faible mortalité. D’une part, comme l’indique un récent compte rendu de l’Académie de médecine française, les climats chauds pourraient être relativement défavorables à la propagation du virus et d’autre part la population africaine est nettement plus jeune et moins touchée par l’obésité que les populations américaines et européennes. Néanmoins, l’exemple du Brésil, avec plus de 20.000 morts pour 208 millions d’habitant·es, pousse à penser que ces facteurs seuls ne suffisent pas à tout expliquer…