Les quartiers changent, évoluent. Souvent, on oublie leur passé, leur architecture, leurs caractéristiques. Les destins qui s’y jouent sont pleins d’incertitudes, de rebondissements. Parfois, le souvenir de ceux-ci s’altère. Un effacement des vies et des lieux fusionné de manière émouvante dans la bande dessinée À Marée haute.
La bande dessinée s’ouvre par une citation de Julien Gracq. Dans la page suivante, une grue Titan apparaît. Peu après, c’est l’usine Béghin Say qui est représentée. Autant d’éléments symboliques qui plantent le cadre de À Marée haute : la ville de Nantes et plus particulièrement son île éponyme.
C’est là, dans ce lieu en pleine mutation, que se joue l’histoire de Fabrice et sa grand-mère Suzanne. Lui est un adolescent qui a fait des anciens chantiers navals son terrain de jeu. Elle est une personne âgée, ancienne habitante du quartier, et l’une des nombreuses petites mains qui ont œuvré dans la zone portuaire.
Une BD issue du cinéma
Tous les deux sont des témoins privilégiés d’une lame de fond : la tombée en désuétude puis la gentrification d’un ancien quartier industriel. Une histoire d’autant mieux racontée qu’elle est en grande partie autobiographique. « Le jeune homme c’est moi. Il y a 80 % de vécu dans ce récit. Ce sont mes souvenirs, mon enfance durant laquelle j’ai vu un quartier changer », détaille Aurélien Boulé, le scénariste.
Longtemps resté dans les cartons – huit ans environ – son projet était à la base destiné pour le cinéma via un court-métrage. « Mais les lieux ont beaucoup évolué et c’était difficile de mettre en image ces changements. Le choix a donc été fait de l’adapter en bande dessinée », relate ce Nantais de 31 ans.
Malgré tout, le lien avec le cinéma est visible au fil des pages. « J’ai souhaité donner un rythme particulier au récit. Il y a parfois des enchaînements de planches faits comme des travelling. On a voulu garder ce mouvement », précise le vidéaste de profession. Ainsi, une large place est laissée au dessin. Souvent le dialogue s’efface. Ce sont les images qui font le récit et évoquent le temps qui passe.
Les saisons défilent sous le pinceau de Paulette Taecke, artiste belge, qui a pris part pour la première fois à une bande dessinée. « Je l’ai rencontré quand j’étais en Belgique. C’est une peintre connue en Flandre, une spécialiste de l’univers maritime et des ports », explique Aurélien Boulé. Il a fourni à l’artiste des photos de Nantes comme support de travail.
« Histoire universelle »
Le Tripode, le Hangar à banane se dessinent sous ses traits. Le terroir local est aussi mis en lumière avec la représentation des rigolettes nantaises. Des marqueurs forts, supports d’un travail de mémoire, mené par Fabrice auprès de sa grand-mère. Si les images de l’ancien quartier s’effacent, il en est de même pour la vie de Suzanne. Désorientée, la vieille dame perd la mémoire. Une tragédie mal vécue par l’adolescent. Mais les deux protagonistes vont resserrer leurs liens et s’unir pour un dénouement à la fois poétique, tragique et plein d’espoir. Une illustration du quotidien vécu par de nombreuses personnes.
« Si l’histoire est nantaise, elle se veut la plus universelle possible. Il est possible de la transposer dans de nombreux endroits du monde », argue le scénariste. Pas besoin de connaître Nantes donc pour s’imprégner de cette bande dessinée. Mais il est vrai que sa résonance est d’autant plus forte si on a déjà eu l’occasion de se promener près des Machines de l’île et du célèbre Grand Éléphant, symbole s’il en est de l’évolution de l’île de Nantes.
À marée haute, d’Aurélien Boulé et Paulette Taecke, Sixto Editions, 70 pages. 16,90 €.