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“Laisser l’Algérie dans le noir”

Essai. 18 mars 1962, la France signe les accords d’Evian, mettant fin à huit années de guerre en Algérie. Pour ce cinquantième anniversaire, deux BD nous replongent dans la France d’alors. L’une de l’avant, l’autre, de l’après…

La signature des accords d’Evian anticipait la mise en place d’un référendum sur le désir d’indépendance ou non des Algériens. Les quelques mois qui ont précédé la déclaration d’indépendance ont vu l’assassinat de nombreux Français restés sur place, de musulmans victimes de la rancœur de l’OAS, et de milliers de Harkis tués par le FLN pour traîtrise… Et c’est par milliers qu’ils ont émigré vers la France, terre d’asile qui ne s’était pas préparée à les accueillir.

La perte d’un paradis perdu, le déracinement, c’est le quotidien d’Alain Mercadal, Algérien pro-Français menacé de mort par le FLN, obligé de fuir son pays natal la veille de la déclaration d’indépendance. Le personnage de Didier Vasseur (alias Tronchet) et Anne Sibran est à la fois symbole, de tous ces pieds-noir rejetés au départ, comme à l’arrivée.

Là-bas, Tronchet et SibranC’est aussi une histoire plus intime, celle du père d’Anne Sibran, qu’elle a toujours connu nostalgique, avec dans les yeux, l’ultime traversée d’Alger en route vers un paquebot surchargé. Nostalgique, comme si « quelque chose en lui s’était arrêté ce jour-là ».

Ce récit, à hauteur d’homme raconte la grande Histoire à travers la petite. La veille de son départ, Alain Mercadal a voulu sauver la vie d’un petit vendeur de persil que l’OAS n’a pas épargné, et se souviendra toujours du corps sans vie dans ses bras.

Exilée en France, sa mère, elle, sombre dans la démence, à force de chercher les boutiques d’antan aux parfums sucrés parmi les ruelles grises de Paris. Les réminiscences d’un Alger perdu résonnent de couleur, de chansons, de rires d’amis… de peur aussi. Mais passé le traumatisme, il ne reste que la nostalgie… « Tu ne t’es pas retourné. Toi, tu aurais voulu partir en éteignant la lumière… Laisser l’Algérie dans le noir ».

Les personnages de Tronchet sont peu expressifs, comme pour mieux masquer leur désarroi, leur envie de s’intégrer malgré tout, malgré le racisme au travail ou dans le voisinage. Et cet hommage vibrant d’Anne Sibran à ce père, orphelin d’Algérie, appelle à l’universalité.

Avec Dans l’ombre de Charonne, voilà deux bandes-dessinées à lire ou relire pour l’occasion. Parce que la France a attendu 1999 pour reconnaître les « événements » d’Algérie comme guerre, parce que les programmes scolaires officiels des classes de terminale ne lui consacrent toujours pas plus de deux heures, parce que les auteurs d’actes de torture ne seront jamais tous jugés parce qu’enfin, la société civile a le droit de savoir.

Là-bas, de Anne Sibran et Tronchet, éditions Dupuit, 15,50 €

Là-bas, Anne Sibran et Tronchet

Là-bas, Anne Sibran et Tronchet, Dupuis, 15,50 €.

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