Rare moment de concorde républicaine à Lannion (Côtes-d’Armor), ce mardi 19 février. Plus de 250 citoyen·nes de diverses sensibilités politiques se sont réunis pour dire « stop » à l’antisémitisme devant le Carré Magique, la salle de spectacle trégorroise dont l’entrée débouche sur le parvis des droits de l’Homme. Reportage.
Un collectif d’organisations dont le PCF, Europe-écologie Les Verts, l’UDB, LREM ou les unions locales CFDT et CFTC sont à l’origine de cette manifestation, communiquée par voie de presse la veille au soir. Elle s’inscrit dans le cadre d’une journée nationale de mobilisation contre la haine des juifs, proposée par le Parti socialiste. C’est d’ailleurs le maire PS de Lannion, Paul Le Bihan, qui s’exprime le premier.
Dans l’assistance, quelques drapeaux de la France insoumise flottent près des pancartes antiracistes. Le maire divers droite de Perros-Guirec et d’autres élus sont venus sans leur écharpe. Le président de l’association France Palestine Solidarité Trégor, les responsables du collectif de soutien aux sans-papiers du Trégor ainsi que bon nombre de militants associatifs et syndicalistes de gauche se tiennent côte à côte. Deux d’entre-eux ont revêtu un gilet jaune.
Sur les marches de la salle de spectacle, Christian Madec lit au micro un texte coécrit par les initiateurs du rassemblement local, ponctué de citations d’Albert Einstein, Franz Fanon et Annah Arendt.
« Instaurer une formation continue sur l’histoire »
Le porte-parole énumère les récentes dégradations et violences à l’encontre des juifs qui justifient ces rassemblements. L’apparition d’un tag « Juden » sur la vitrine d’un restaurant Bagelstein ou de croix gammées sur le visage de Simone Veil, à Paris. La destruction des arbres plantés en hommage à Ilan Halimi, jeune homme assassiné par le gang des barbares. Ou encore les insultes proférées face à Alain Finkielkraut lors d’une manifestation de gilets jaunes dans la capitale.
Les Trégorrois.e.s ont répondu à l’appel d’un large éventail de partis, syndicats et assos pour faire barrage à l’antisémitisme. Au moins 250 personnes étaient rassemblées sur le parvis des Droits de l’Homme, à Lannion. Personne n’a osé rompre le silence qui a suivi les discours. pic.twitter.com/41C14uR4oK
— Sylvain Ernault (@SylvainErnault) 19 février 2019
« De façon plus générale, quand, en France depuis l’an 2000, nous avons une moyenne de 574 actes antisémites par an, comment pouvons-nous ne pas réagir ? » Christian Madec propose de renforcer l’enseignement de l’histoire à l’école. Il suggère aussi d’instaurer « une sorte de formation continue sur l’histoire et l’esprit civique », sous forme de conférences-débats, de films ou d’expositions.
Le militant LREM n’oublie pas le volet répressif, à l’heure où le gouvernement prépare une loi contre les propos haineux en ligne, qui froisse les défenseurs des libertés. « Il ne faudrait pas oublier d’intervenir sur Internet, sur les réseaux sociaux, de façon réaliste et respectueuse des droits humains », conclut-il.
Répondre à la bêtise par la solidarité
« J’ai écrit quelques mots en pensant à un monsieur, à un médecin, à un résistant, mort à Auschwitz parce qu’étoilé comme juif. Le grand-père de ma femme. » Gilles Jucla lance ensuite un poignant cri du cœur contre « la brutalité, le mensonge, l’ignorance, la bêtise, la sauvagerie ».
Se tournant vers l’avenir, il appelle l’assemblée – plutôt grisonnante -, à « écouter la sagesse de nos enfants, qui veulent sauver notre planète ». Connu pour son engagement syndical chez Solidaires et sa défense des mal-logés, Gilles Jucla ne ne prive pas de dénoncer la pénalisation de la solidarité, quand des citoyens secourant des demandeurs d’asile sont assimilés à des passeurs. « À nous pour ne pas nous laisser ensevelir, de lever haut la fraternité, de déployer la solidarité, d’accueillir sans frontière, sans mur, sans haine. »
Après de courts applaudissements, la petite foule se tait pendant de longues secondes. Personne n’ose rompre le silence. C’est en cette période de tumulte un court moment d’unité.
Des actes et des paroles antisémites en Bretagne
Même si la Bretagne apparaît relativement épargnée par l’antisémitisme, ses manifestations existent. Des tags nazis ont par exemple été découverts en 2016 sur une usine désaffectée à Cavan. Des œuvres sur la Seconde Guerre mondiale, la Shoah et la Résistance ont été vandalisés dans la médiathèque de Lannion, à plusieurs reprises, la même année. « Pardonnez-moi, je ne parviens même pas à jouer la révolte quand j’apprends par Ouest-France que même dans un coin paisible comme Lannion mes bouquins ou films se font défoncer parce qu’il y a “rabbin” dans le titre », s’était ému l’auteur de BD Joann Sfarr.
Plus récemment, ce sont les plaques de rue du Boulevard Simone-Veil qui ont été barbouillées à Dinan. Le maire Didier Lechien a porté plainte contre ces dégradations et la réception d’un courrier violemment antisémite à la mairie.
La Bretagne est aussi la région dont se revendique Boris Le Lay, un pamphlétaire antisémite âgé de 37 ans, qui sévit sur des sites hébergés à l’étranger. Lui-même condamné à plusieurs peines de prison ferme pour incitation à la haine raciale et contestation de crime contre l’humanité se cacherait au Japon. Quatre cents personnes ont manifesté à Rennes en 2018 contre l’extrême-droite et le fichage de militants de gauche solidaires des migrants, auquel se livre l’agitateur de la fachosphère.