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Les raisons d’abandonner l’appli StopCovid sont plus nombreuses que vous ne le pensez

« La Corée fait ce qu’on appelle du “tracking”. La Corée a équipé tous les téléphones pour prévenir tout l’entourage lorsqu’une personne était malade. Est-ce que vous êtes prête, madame Obono, à avoir ce débat dans le cadre de cette Assemblée nationale ? Moi je ne suis pas convaincu et je vous le dis, à titre personne, non plus. » Ainsi parlait Olivier Véran dans l’hémicycle le 24 mars. Depuis, le gouvernement s’atèle à présenter une application de traçage de la population, en dépit des alertes. Il est encore temps d’y renoncer.

Dès La Gazette des confiné·es #7, nous mettions en garde contre le risque de voir la pandémie servir de prétexte à l’imposition de nouvelles technologies de surveillance. Entre-temps, le pouvoir s’est focalisé sur une des nombreuses options disponibles : le traçage automatisé des contacts, via une application dénommée StopCovid.

À lui seul, le nom laisse présager d’une opération marketing : le logiciel est déjà présenté comme un moyen d’arrêter le Covid-19, alors qu’on ne sait toujours pas selon quelles modalités il fonctionnera.

Nous allons vous expliquer pourquoi il n’est pas nécessaire d’attendre sa version définitive pour rejeter l’application. Pour le plaisir des yeux, nous avons choisi de faire une chronique entièrement à charge. La communication du gouvernement et des multinationales du numérique remplissent suffisamment nos écrans.

Nous en profiterons aussi pour réfléchir plus largement aux risques posés par le solutionnisme technologique, qui se répand partout en période de crise sanitaire.

Introduction

Il existe de nombreuses variantes du traçage automatisé des contacts. Le principe général est toujours le même : l’application permet de garder une trace des contacts prolongés entre ses utilisateur·ices. Lorsqu’une personne est testée positive, on peut donc tester les personnes avec qui elle a été en contact.

Le traçage de contacts existe déjà, mais il repose sur des entretiens durant lesquels une personne infectée se remémore l’ensemble des relations prolongées qu’elle a connues dans les dernières semaines.

Quelles sont donc les différences apportées par sa version automatisée ?

Le traçage automatisé n’est pas un simple prolongement du traçage de contacts traditionnel.

Comme à chaque fois qu’il s’agit de nous vendre une nouvelle technologie numérique, les autorités commencent par insister sur la continuité avec ce qui existe déjà, en mettant en avant l’efficacité accrue de la version informatique. Pourtant, la traçage automatisé est bien différent de sa version manuelle, réalisée par des équipes d’enquête.

Dans un entretien avec un·e épidémiologiste, on peut en effet choisir d’omettre de mentionner un événement ou un contact. On n’est pas obligé de dire exactement quand ni où on a rencontré une personne, puisque l’important est seulement de savoir qui est à risque. Cette possibilité disparaît avec le traçage automatisé.

Par ailleurs, un entretien individuel permet d’évaluer le risque lié à un contact en particulier, selon sa durée, son contexte et les précautions prises. L’application n’offre aucun équivalent. Contrairement à ce qui est avancé, le traçage automatisé n’est pas un simple prolongement du traçage de contacts traditionnel.

Pour justifier l’utilisation du traçage automatisé, ses défenseur·euses font généralement appel à son efficacité. D’une part l’application permettrait de tester plus vite les personnes contacts. D’autre part, elle serait plus exhaustive : les ordinateurs n’oublient pas. Avec StopCovid, enrayer l’épidémie semble donc simple comme bonjour : dès qu’une personne est infectée, on pourrait repérer les personnes qu’elle a pu contaminer avant que celles-ci aient le temps de transmettre le virus et donc casser la chaîne de propagation.

Ce scénario est tentant, au point que beaucoup sont prêt·es à oublier les risques importants qu’il fait peser sur la vie privée. Mais est-il réaliste ?

Le piège du consentement

Pour établir les contacts entre utilisateur·ices, l’application utilise les émetteurs-récepteurs Bluetooth des téléphones portables. Une fois qu’ils sont activés, le téléphone émet en permanence un signal permettant de l’identifier. Les téléphones qui passent à proximité immédiate enregistrent ce signal, ce qui leur permet de garder la mémoire des contacts.

Pour qu’un contact entre deux personnes soit enregistré, il faut donc qu’elles aient sur elles leur téléphone, avec l’application activée. La proportion des contacts qui sont enregistrés est donc égale, au mieux, au carré de la proportion des utilisateur·ices de l’application. Par exemple, si cette dernière est utilisée par une personne sur cinq, seul un contact sur 25 est enregistré. Pour que le traçage automatisé fonctionne, il faut donc qu’il soit utilisé massivement.

200503 - Capture d'écran vidéo promotionnelle application Stop Covid Autriche - La Déviation
En Autriche, l’application de traçage des contacts Stopp Corona est utilisée par moins de 5 % de la population, un mois après son lancement.

À Singapour, l’application de traçage automatisé du gouvernement est utilisée par seulement 18 % de la population, ce qui ne permet de relever que 4 % des contacts.

En France, il sera déjà difficile d’atteindre une telle proportion. Pour commencer, 77 % de la population dispose d’un smartphone. Parmi ces personnes, beaucoup n’installeront pas l’application, par conviction ou simplement par manque de motivation. Ceci a mené les défenseur·euses de StopCovid à envisager de forcer la main des gen·tes.

Christophe Barbier a par exemple proposé de rendre les utilisateur·ices de l’application prioritaires pour être testé·es, ce qui est profondément stupide en plus d’être dégueulasse : vu les faibles capacités de tests mises en place par le gouvernement, il vaut mieux les réserver aux personnes très susceptibles d’être contaminées plutôt que de les distribuer comme des chèques-cadeaux en échange du renoncement à une portion de vie privée.

Le conseil scientifique, de son côté, envisage très clairement de rendre le consentement obligatoire si trop peu de personnes se prêtent au jeu. C’est ce que nous décortiquions dans La Gazette des confiné·es #11.

Comme le remarque le Chaos computer club, l’application ne peut fonctionner que si elle repose sur un consentement éclairé. Toute forme de coercition, y compris par un avantage fourni aux personnes qui l’utilisent, la rendrait inefficace, puisqu’il suffirait de la désactiver une fois l’avantage obtenu, de laisser son téléphone à la maison, ou de l’envelopper dans du papier alu.

Rendre l’application obligatoire conduirait donc à des sacrifices majeurs sur la vie privée, en échange d’un artifice inutile pour lutter contre l’épidémie.

L’application est-elle seulement utile ?

Quand bien même tout le monde utiliserait l’application, il n’existe pour le moment aucune preuve de son utilité. Il faudrait qu’elle soit déployée à grande échelle dans plusieurs pays pendant assez longtemps pour essayer de la déterminer.

En attendant, on peut remarquer que l’appli risque d’être contre-productive si elle ne dispose pas d’un calibrage assez fin. En effet, il faudrait déterminer ce qui est considéré comme un contact prolongé : quelle durée, et à quelle distance il faut se trouver. Si on est trop lâche sur cette définition, on risque de se retrouver avec beaucoup trop de contacts : personnes croisées dans la rue, occupant·es de la voiture d’à-côté – on parle alors de faux positifs.

Dans cette situation, on ne disposerait pas d’assez de tests. Si on a au contraire des critères très restrictifs, l’application n’apporte plus grand chose, puisqu’on est général capable de se souvenir qu’on a passé une demi-heure à moins d’un mètre de quelqu’un.

Rouler une pelle pendant trente secondes ne donnera pas nécessairement lieu à un enregistrement, contrairement à passer quinze minutes dans deux voitures côte à côte pendant un bouchon.

Même correctement paramétrée, l’application n’est pas capable de prendre en compte la façon dont les contacts se déroulent. Dans le traçage de contacts conventionnels, la personne infectée détermine en concertation avec l’enquêteur·ice si les contacts présentaient un risque. L’utilisation des gestes barrières et la nature de l’interaction sont prises en compte.

L’application de traçage, au contraire ne fait aucune différence entre des interactions de durées égales et ne prend pas en compte les écrans éventuels. Rouler une pelle pendant trente secondes ne donnera pas nécessairement lieu à un enregistrement, contrairement à passer quinze minutes dans deux voitures côte à côte pendant un bouchon, ou se trouver des deux côtés d’une cloison perméable aux ondes radio du bluetooth. Le nombre de faux positifs risque d’être élevé.

L’application risque aussi de donner lieu à beaucoup de faux négatifs : c’est-à-dire des personnes qui ne reçoivent pas de notification alors qu’elles ont été infectées.

Bien sûr, il est complètement déraisonnable de faire confiance à une application pour déterminer son état de santé. Mais il y a un risque que l’illusion d’omniscience créée par la technologie et les discours triomphants de ses partisan·nes ne poussent une partie de la population à s’en remettre aveuglément aux notifications de StopCovid. Les faux négatifs deviendraient alors très problématiques.

Dans un billet de blog publié le 11 avril, l’un des responsables du système de traçage singapourien, Jason Bay, explique qu’aucune application de ce type, quelles que soient les technologies prétendument miraculeuses sur lesquelles elle repose, ne peut remplacer le traçage de contacts manuel. Cliquez sur l’image pour y accéder

Qu’est-ce qu’un traçage efficace ?

Pour tout vous dire, nous espérions franchement nous tromper et tomber sur des arguments montrant que l’application serait en mesure d’éradiquer l’épidémie, malgré les difficultés évoquées précédemment. En effet, des expert·es chantent les louanges du traçage automatisé un peu partout. Nous sommes alors revenus sur l’avis du conseil scientifique publié le 20 avril.

Nous avons déjà présenté dans notre onzième Gazette des confiné·es l’argumentation technophile et technocrate de ce rapport en faveur du numérique. Nous avons regardé toutes les sources de ce rapport à la recherche d’études sur les applications de traçage. Seules deux d’entre elles en parlent.

La première est un rapport de Terra nova que nous avons déjà largement démonté dans précédent article.

La deuxième est un article scientifique publié dans la revue Science. Cet article est apparemment le premier à avoir proposé de développer une application de traçage. C’est vers lui que renvoient le conseil scientifique et Terra nova et c’est donc lui qui sert à justifier le traçage. Intéressons-nous donc de plus près à ce qu’il établit.

Le principal apport de l’article est de fournir un modèle de propagation de l’épidémie et d’en tirer des estimations de plusieurs paramètres essentiels pour la comprendre.

Ces paramètres concernent la probabilité qu’une personne malade en infecte d’autres, en fonction du temps. Ils permettent de calculer le nombre moyen de personnes infectées par une personne malade, appelé taux de reproduction et noté R dans l’article.

L’apport de ce travail est de décomposer ce coefficient en plusieurs composantes associées à des modes de transmission différents : symptomatique, pré-symptomatique, asymptomatique et environnemental.

La transmission est symptomatique si la personne qui contamine l’autre présente des symptômes apparents du Covid-19.

Elle est pré-symptomatique si cette personne ne présente pas de symptômes au moment de la transmission mais en développera par la suite.

Elle est asymptomatique si la personne n’a pas de symptôme et n’en développera pas.

Enfin, elle est environnementale si on ne peut pas l’attribuer à une personne en particulier.

D’après le modèle développé par les chercheur·euses, le taux de reproduction vaut 2, dont 0,9 pour les transmissions pré-symptomatiques, 0,8 pour les transmissions symptomatiques, 0,2 pour les transmissions environnementales et 0,1 pour les transmissions asymptomatiques.

D’après l’étude de Science, il faut agir dans les deux jours après l’apparition des symptômes pour avoir une chance d’endiguer l’épidémie grâce au traçage de contacts.

L’incertitude sur ces valeur est élevée, mais la conclusion est que les transmissions pré-symptomatiques et symptomatiques jouent un rôle prépondérant. C’est donc sur elles qu’il faut agir en priorité pour endiguer la propagation de la maladie. Pour que l’épidémie régresse, il faut que le taux de reproduction soit inférieur à 1, ce qui signifie qu’une personne porteuse du virus contamine en moyenne moins d’une personne.

Grâce au modèle de transmission fourni par l’étude, on peut estimer l’impact des mesures de traçage de contacts en fonction du temps qu’on met à isoler les contacts et de l’efficacité de cet isolement.

Les conclusions sont qu’il faut agir vite, dans les deux jours après l’apparition des symptômes, pour avoir une chance d’endiguer l’épidémie grâce au traçage de contacts. Il faut par ailleurs être efficace pour retrouver et isoler les contacts : il faut au moins y parvenir dans 30 % des cas, dans l’hypothèse très favorable où on isole instantanément les contacts dès qu’une personne présente des symptômes.

Ces résultats sont assez désespérants. Ils indiquent que le traçage de contacts doit être redoutablement efficace pour endiguer seul l’épidémie. Il faut cependant les nuancer. D’une part, ils reposent sur un modèle qui peut être affiné, ce qui pourrait changer les valeurs des paramètres. D’autre part, le taux de reproduction dépend de nombreux facteurs, qui varient d’une situation à l’autre. On peut le réduire par l’application de gestes barrières, l’utilisation de matériel de protection ou des mesures comme le confinement.

Le taux de reproduction à la sortie du confinement ne sera pas le même qu’au début de l’épidémie, puisqu’on aura entre-temps changé nos habitudes. Si les mesures préventives permettent de le réduire suffisamment, les contraintes d’efficacité sur le traçage de contacts seront donc moins sévères que celles qu’on vient de présenter.

Le traçage automatisé marche parce qu’il doit marcher : le dangereux argument circulaire des épidémiologistes

Jusqu’ici, on n’avait rien à redire quant à la démarche de l’article, qui donne une idée de l’ampleur de la tâche à accomplir pour arrêter le virus. La suite pose en revanche franchement question. La deuxième moitié de l’article ne comporte plus ni modèle, ni équation, ni donnée, mais une proposition d’utiliser une application de traçage de contacts, pour rendre ce dernier instantané.

Ce genre de proposition a sa place dans un article scientifique, mais on s’attendrait à ce qu’elle repose sur une justification du fait que le traçage permettrait effectivement d’atteindre les objectifs fixés.

Malheureusement pour nous, les auteur·ices se contentent d’enchaîner les affirmations injustifiées. Par exemple le fait que l’application permettra d’isoler instantanément les contacts. On doit sans doute se contenter de l’idée que comme c’est une application, ce sera instantané. Il n’y aurait donc pas d’authentification du fait que la personne est bien malade, pas de délai pour traiter et diriger l’information, pas de problèmes de connexion ?

Il semble plus important de contrer les nombreuses raisons de ne pas déployer le traçage automatisé, que de donner des preuves de son utilité.

On n’aura pas non plus droit à un questionnement sur la proportion d’utilisateur·ices qu’on pourrait espérer atteindre dans la population. Pas plus qu’on ne verra la moindre réflexion sur la proportion de contacts qu’on arrivera à détecter : les chercheur·euses préfèrent imaginer les fonctionnalités qu’on pourrait ajouter à l’application, comme un accès à des informations médicales ou la possibilité de commander des repas pendant la quarantaine. La pensée start up a pénétré profondément dans l’université d’Oxford.

Finalement, on a même droit à une demi-page de considérations éthiques, qui insistent lourdement sur le fait que la pandémie est grave. Comme chez le conseil scientifique ou Terra nova, il semble plus important de contrer les nombreuses raisons de ne pas déployer le traçage automatisé, que de donner des preuves de son utilité.

L’argumentation en faveur de la solution technologique proposée repose sur un seul ressort, sous forme de pétition de principe : il faut que le traçage automatisé soit extrêmement performant pour endiguer l’épidémie, il est donc forcément efficace. Ça n’a aucun sens, mais c’est précisément ce qui fait que ça fonctionne. Comme la situation est désespérée, il faut des solutions désespérées. On est plus dans l’acte de foi que dans la recherche scientifique.

On pourra répliquer qu’il s’agit uniquement d’une proposition de solution, qui mérite d’être étudiée, par d’autres chercheur·euses capables de fournir d’autres éclairages sur la faisabilité et l’efficacité du dispositif.

On s’attendrait en effet à ce que des chercheur·euse qui proposent une suggestion pour lutter contre l’épidémie, qui échappe visiblement à leur domaine de compétence concluent ainsi : « Nous avons proposé un outil, qui devra être plus sérieusement étudié afin d’évaluer sa pertinence et son intérêt dans la situation actuelle. »

Au contraire, l’article se conclut sur l’idée que l’application permettrait d’abaisser le taux de reproduction en dessous de 1, sans avoir fourni la moindre preuve de ce résultat, qui sera pourtant repris en chœur par toutes celles et ceux qui promeuvent aujourd’hui des solutions numériques à la pandémie.

Les risques pour la vie privée

StopCovid présente donc plusieurs limitations de principe, sans même qu’on sache quel fonctionnement concret sera retenu. Ces limitations réduisent l’efficacité attendue, voire pourraient la rendre contre-productive si elle se substituait à d’autres mesures barrières. Pour trancher pour ou contre son utilisation, il faut peser les résultats attendus, avec l’efficacité qui vient d’être mentionnée, contre les risques encourus. Nous allons voir que ceux-ci ne sont pas négligeables.

Le traçage des contacts pose des questions majeures de sécurité et de vie privée. Les différentes applications en cours de développement mettent en avant le concept de privacy by design : elles sont conçues pour minimiser les informations émises. Peut-on avoir confiance ?

Il existe deux enjeux principaux.

D’une part la sécurité du protocole de l’application, afin d’éviter des attaques malveillantes qui permettraient de récupérer des informations médicales confidentielles, d’exercer des pressions sur des gen·tes ou encore de rendre StopCovid inutile.

D’autre part la question de la gestion des données générées par l’application.

Ces deux enjeux sont complexes et dépendent notamment des détails de la conception de l’application. Un collectif de chercheur·euses spécialistes des questions de cryptographie, sécurité informatique et droits numériques a publié un argumentaire sur ces questions (en français), dont nous vous recommandons la lecture attentive.

Leurs conclusions sont claires :

Ces scientifiques battent en brèche la plupart des éléments de langage en faveur de StopCovid. Iels formulent de multiples scénarios montrant comment l’application peut être détournée pour rompre l’anonymat et obtenir des informations médicales confidentielles sur des personnes infectées.

Ces détournements peuvent être effectués par l’État, des entreprises, ou de simples particulier·es, comme l’illustre le scénario 4.

« M. Ipokondriac voudrait savoir si ses voisins sont malades. Il récupère son vieux téléphone dans un placard, y installe l’application TraceVIRUS, et le laisse dans sa boîte aux lettres en bas de l’immeuble. Tous les voisins passent à côté à chaque fois qu’ils rentrent chez eux, et le téléphone recevra une notification si l’un d’entre eux est malade. »

Une seule personne, sans connaissance en informatique, pourrait donc utiliser l’application pour obtenir des informations médicales confidentielles sur ses voisin·es ou ses collègues.

Ce genre de scénario montre les risques que fait peser le traçage automatisé, qui plus est dans une période particulièrement anxiogène.

Quand on voit que les soignant·es sont traité·es comme des pestiféré·es par certaines personnes, tandis que d’autres laissent des messages homophobes dans les boîtes aux lettres de leurs voisin·es, les accusant de propager l’épidémie, on imagine le genre de dérive qui va nécessairement arriver avec de tels outils.

Une entreprise pourrait utiliser StopCovid pour déterminer si un·e employé·e potentiel·le est entré·e en contact avec une personne infectée entre son entretien d’embauche et son recrutement. Visitez le site Risque traçage en cliquant sur l’image

Le doigt dans l’engrenage du solutionnisme technologique

En plus des risques directs de détournements, StopCovid est susceptible de mener à des dérives plus générales liées à l’utilisation de la technologie et des données pour lutter contre le virus.

Comme le remarque la Quadrature du net, une fois l’application installée par la majorité de la population, il sera aisé d’y ajouter des fonctions coercitives et sécuritaires.

Les nombreux scandales concernant l’utilisation des données personnelles, dont l’affaire Cambridge analytica, sont là pour nous rappeler à quel point les garde-fous sont vite contournés une fois que la base de données existe.

L’espoir placé dans une résolution rapide de l’épidémie grâce à la technologie va peser sur le dispositif, le poussant à être toujours plus intrusif. L’Académie de médecine, par exemple remarque dans son communiqué sur StopCovid que « les données anonymes de géolocalisation recueillies au cours de ce protocole pourraient être utilisées pour suivre l’évolution de l’épidémie sur l’ensemble du territoire national », ce qui va déjà bien plus loin que l’application proposée pour le moment.

Les techno-béats n’a pas attendu cette application pour diffuser leurs prêches. Depuis le début de l’épidémie, l’attention est tournée vers des solutions miracles reposant sur les données.

Le collectif CoData, par exemple, regroupe « plus de 800 ingénieurs, développeurs et data-scientists aguerris sur les nouvelles technologies de valorisation de données ». Et, surtout, une quarantaine de start-up spécialisées dans la data à savoir l’art de présenter les données des entreprises comme une matière première valorisable par des consultant·s payé·es à prix d’or.

Action désintéressée ou stratégie de com’, pour des entreprises à la durée de vie très faible qui vivent en grande partie sur les espoirs placés dans la technologie ? À moins qu’il ne s’agisse vraiment de fanatisme, comme le laisse transparaître leur communication :

« Dans [le contexte de la crise sanitaire], la data constitue une matière première qu’il nous faut exploiter. Elle est le reflet de toute [sic] ce qui se passe et devra éclairer nos actions futures. »

La communauté de l’intelligence artificielle a aussi sauté sur l’occasion, avec des initiatives variées, allant d’outils de diagnostic de la maladie à des études de millions de tweets, pour tirer la conclusion que les habitant·es des villes parlent plus des contraintes liées au confinement que celleux des campagnes…

À Cannes, la mairie LR a fait appel à une start-up pour déployer des caméras capables de mesurer la proportion de personnes portant un masque.

200410 - Technopolice illustration de couverture La Quadrature du Net- La Déviation
Technopolice est une plateforme permettant de renseigner sur les technologies de surveillance mises en place dans les villes, qui risquent de se multiplier sous prétexte de lutter contre l’épidémie. Cliquez sur l’image pour accéder au site

L’intelligence artificielle repose sur la production et l’exploitation de gigantesques quantités de données. La production de ces données est encouragée par les géants du numérique, à travers notamment l’obligation de créer des comptes pour accéder à des services et l’incitation à produire ou noter du contenu sur internet (voir l’article intitulé Combattre le capitalisme identitaire de cette brochure).

Nul doute que ces entreprises, qui poussent les consommateur·ices à produire toujours plus de données, lorgnent avec avidité sur les applications de traçage. Contrairement au mythe fondateur de l’intelligence artificielle, l’exploitation de ces données reste largement effectuée par des êtres humains, généralement des populations précarisées payées à la tâche dans les pays du Nord et des travailleur·euses du clic dans les pays du Sud.

La fuite en avant technologique est un leurre, qui cache des mécanismes de surveillance et de domination incarnés dans les outils numériques eux-même.

L’illusion de la toute-puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie.

Contrairement à l’idéologie défendue par les défenseur·euses du progrès à tout prix, les technologies ne sont pas neutres. Les algorithmes d’intelligence artificielle mentionnés précédemment ne fonctionneraient pas sans l’exploitation de travailleur·euses. Les applications de traçage ne peuvent pas être pensées indépendamment du risque de détournement par les États qui les mettent en place.

Mais ces chimères ont d’autres effets pervers, à travers le rôle symbolique qu’elles jouent dans nos sociétés.

Comme le remarque Félix Tréguer de la Quadrature du net, le solutionnisme technologique, en plus des risques qu’il fait peser sur les libertés, restreint nos imaginaires. Plutôt que d’inventer des solutions humaines à l’épidémie, par des gestes barrières décidés collectivement et une distanciation sociale réfléchie et autogérée, on préfère se tourner vers une gestion en apparence individualisée, mais qui repose sur des fondements autoritaires.

L’illusion de la toute-puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie. Dans le cas de la ville de Cannes, demander des retours aux agent·es municipaux qui encadrent le marché ne serait-il pas plus simple que de déployer de la vidéosurveillance et des équipes d’ingénieur·es ?

Plus grave encore, le gouvernement français a par exemple tergiversé pendant plus d’un mois sur les masques, dont l’utilité n’était soit-disant pas prouvée scientifiquement. Il s’apprête pourtant à foncer vers des applications liberticides, qui n’ont jamais été testées, en évacuant complètement la question de leur efficacité. Si c’est numérique, ça marche forcément…

Illustration de une : TXMX 2 CC BY-NC-ND 2.0

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La Gazette des confiné·es #12 – Autonomie alimentaire, contrôle de l’info et carte tricolore

Sauver les apparences quand les faits vous échappent, c’est ce à quoi s’emploient Philippe, Borne et Véran. Sommés par le château de remettre tout en marche, ils occupent sans compter presque tous nos écrans. « Masques et tests manquent ? C’est bien embarrassant. Vite ! publions une carte des départements. Génératrice de stress, c’est l’intention qui compte. Croyez-nous sur parole, elle sera prête à temps. Comme nous aimons la presse, se trouvent à notre adresse les meilleurs « fact-checking » sur le confinement. Cette sélection vous choque ? Vous la dites orientée ? Montrez-nous vos papiers ! Quittez Bure prestement ! »

L’autonomie alimentaire est nécessaire pour sortir du capitalisme

Comme nous l’avions écrit dans un article précédent, la décroissance de l’activité économique nécessaire écologiquement parlant ne peut être mise en place sans penser aux plus précaires qui ont besoin de leurs emplois pour survivre.

On retrouve régulièrement cette tension dans l’histoire des luttes écologiques comme en témoigne ce communiqué de presse de la CGT consécutif à la fermeture de la centrale de Fessenheim.

Le manque d’autonomie limite notre force de proposition, notre force de persuasion et même notre capacité à imaginer la possibilité d’une sortie du capitalisme. Pour renforcer le mouvement anticapitaliste, le collectif Laisse béton propose de multiplier les zones d’autonomie définitives (Zad) et de les relier afin qu’elles se soutiennent.

Mais comment construire ces zones d’autonomie ? Certain·es regardent du côté des coopératives intégrales, s’inspirant de celle de Catalogne qui compte plus de 2.000 membres. Elles proposent un socle de coordination et crée des outils collectifs pour de nombreux projets autonomes. Parmi les nombreuses alternatives, on peut aussi citer la coopération intégrale du Berry ou les communautés Longo Maï.

200502 - Carte de France des alternatives by Utopies concrêtes - La Déviation
Le site utopies-concrètes propose une carte des alternatives et une carte du réseau des sites internet de collectifs et d’informations (attention, page longue à charger).

D’autres regardent vers l’Amérique du Sud, où il y a de nombreuses expériences de réappropriation de terres. Le Mouvement des sans-terre au Brésil compte aujourd’hui 1,5 millions de membres et est sévèrement réprimé. Mille sept cent vingt-deux militant·es ont été assassiné·es entre sa création, en 1985, et 2017. Ce mouvement exproprie des terres de grands propriétaires pour que des familles de paysan·nes s’y installent, crée des écoles et est organisé selon des principes de démocratie participative.

Mais attention, il y a plusieurs façons de parler de l’autonomie alimentaire : nous ne souhaitons assurément pas la même que des industriels bretons pratiquant l’agriculture intensive qui demandent la suppression de normes environnementales et qui traitent les écologistes de « terroristes alimentaires »… De la même façon, le local n’est pas forcément bon : il peut être identitaire ou émancipateur.

La Gazette a épluché les arguements « scientifiques » derrière le traçage… (hors-série)

200502 - Capture d'écran Les raisons d'abandonner l'appli StopCovid - La Déviation
Cliquez sur l’image pour accéder à notre dossier sur l’appli StopCovid

Et ils sont loin d’être convaincants !

Vous avez certainement vu passer l’argumentaire de la Quadrature du net contre l’application StopCovid ou les arguments contre la numérisation de nos vies par différents collectifs dont Ecran total.

La Gazette s’y met aussi et elle a remonté les sources de l’information derrière le traçage : un unique article publié dans Science que tout le monde cite et qui apporte plutôt des arguments pour dire que le traçage n’est pas efficace !

L’illusion de la toute puissance de la technique empêche de voir que des gestes simples permettraient de lutter contre l’épidémie.

Lire la suite dans l’article les raisons d’abandonner l’appli StopCovid sont plus nombreuses que vous ne le pensez.

Le gouvernement trie les « fake news » sur son site : qui se sent morveux se mouche

200502 - Publicité Apli Kids Colours stickers book Mon Premier Livre Gommette Couleur - La Déviation
Avec Emmanuel Macron, apprenez à distinguer les vraies informations des fallacieuses !

Sur bien des domaines, l’épidémie de coronavirus permet aux dirigeant·es d’avancer leurs pions. En matière de droit du travail, comme nous l’avons déjà vu, mais aussi de contrôle de l’information. La sélection d’articles de presse publiée sur le site officiel d’un gouvernement profondément falsificateur traduit plus une volonté de désamorcer les critiques qu’une reconnaissance du travail journalistique.

« La crise du Covid-19 favorise la propagation de fake news. Plus que jamais, il est nécessaire de se fier à des sources d’informations sûres et vérifiées. » Ce constat est d’une grande banalité, mais la suite nous a étonné·es. « C’est pourquoi le site du gouvernement propose désormais un espace dédié. » Dans son tweet publié le 30 avril, la porte-parle du gouvernement Sibeth Ndiaye fait la promotion d’une revue de presse officielle, jusqu’ici passée inaperçue.

La page « désinfox coronavirus » recense jusqu’au 2 mai seize pages de liens vers Libération, 20 Minutes, l’AFP, France Info et Le Monde. Les articles nous promettent d’apprendre « pourquoi l’OMS ne recommande pas le port du masque à toute la population ? », si « la commande de drones du ministère de l’Intérieur est bien liée au contrôle du confinement ? » ou encore que « non, Emmanuel et Brigitte Macron ne font pas de Jet-Ski pendant le confinement ».

Un paragraphe en petits caractères précise que « sont référencés sur cette page les articles des médias français, depuis le 15 avril, disposant d’une rubrique « fact checking » depuis au moins 2 ans ; d’une équipe fact checking spécialisée ; et d’un accès gratuit au contenu. » Des critères arbitraires qui éliminent Mediapart ou Médiacités, dont l’indépendance éditoriale repose sur le choix du payant. La presse régionale, dépourvue de tels services, n’a pas non plus le droit de cité.

Loin de se réjouir d’une telle reconnaissance, plusieurs journalistes des rédactions concernées perçoivent le piège que représente une assimilation aussi directe au pouvoir. Chez Libération, Laurent Joffrin lui-même assure que la rédaction qu’il dirige a été mise devant le fait accompli. Sans demander la suppression de cette page, il souhaite que les internautes en soient avertis. Sûr de son fait, le Service d’information du gouvernement (SIG) propose au contraire de le contacter, « afin que les articles de votre rédaction soient recensés ».

Libé est d’ailleurs bien placé pour pointer les inévitables biais d’un tel exercice puisque son enquête sur la dissimulation de la pénurie de masques qui met gravement en cause l’exécutif (payant) ne figure pas dans les articles conseillés par le gouvernement. Pas plus qu’un article du service Checknews qui montre que le ministère de l’Intérieur a prétendu à tort que le vélo de loisir était interdit pendant le confinement.

Nous n’épiloguerons pas sur la définition du « fact-checking » et des « fake news », nous en avons déjà parlé dans La Gazette #10, et elles ont été longuement décortiquées par Frédéric Lordon dans un billet aux airs de pamphlet contre Les Décodeurs publié en janvier 2018. Rappelez-vous des gommettes de couleur attribuées par le « journal de référence » à ses concurrents. Disons simplement que la vérification des faits, un des fondements de l’éthique journalistique, nous anime tout autant pour écrire cette présente Gazette que des titres prétendument « neutres » ou « objectifs ».

200502 - Capture d'écran du Decodex concernant Rebellyon by Le Monde - La Déviation
Le Décodex du journal Le Monde accordait des notes en couleurs aux sites d’information ce qui a créé un tollé, Fakir étant classé orange par exemple, et les couleurs ont disparu depuis.

En revanche, nous ferons deux remarques.

La première, c’est que ce gouvernement soudain épris de vérité ne cesse d’entraver la liberté de la presse. C’est à la demande d’Emmanuel Macron qu’a été promulguée la loi sur le secret des affaires, consolidant le mur érigé par les multinationales pour se protéger des citoyen·es. Tout comme la loi anti-« fake news », qui élargit les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ainsi que des plateformes numériques, en bonnes auxiliaires de la censure.

Le Secrétaire d’Etat au Numérique Cédric O a précisé les intentions du pouvoir dans une interview donnée à Reuters en juin 2019.

« Je considère qu’il doit y avoir un Conseil de l’ordre des journalistes, des journalistes entre eux, qui prennent des décisions et qui disent à l’Etat : “Vous devez retirer l’agrément de tel ou tel canard, mettre des avertissements.” […] S’ils ne le font pas, ce sera l’Etat qui le fera, au bout du bout. »

Dans le même temps, un nombre record de reporters ont été blessés par les forces de l’ordre lors de manifestations sociales. Le collectif Reporters en colère en a recensé 25 pour la seule journée du 5 décembre 2020, après que le Syndicat national des journalistes (SNJ) en a compté « près de 200 molestés, blessés, intimidés, empêchés de travailler par des policiers des gendarmes, des magistrats », en un an de Gilets jaunes. Les plus subversifs étant même placés en garde à vue ou convoqués devant la DGSI.

La seconde remarque, c’est que la communication étatique s’insinue désormais dans chaque pores du débat public. Sans parler des relais serviles qui nichent dans les rédactions (lire à ce sujet le communiqué acide du SNJ France TV sur le 20 Heures de France 2), les encarts dans la presse, les spots télé et radio et plus insidieusement les bannières des géants du capitalisme numérique nous ramènent immanquablement vers les consignes gouvernementales.

200502 - Rediction vers la communication gouvernementale sur le coronavirus par Twitter - La Déviation
Quoi que vous cherchiez sur le coronavirus en ligne, les géants du capitalisme numérique vous dirigeront en premier lieu vers le site du gouvernement.

N’êtes-vous pas avertis par Twitter au moindre clic sur le hashtag Covid-19 que pour « connaître les faits, de l’information et des recommandations sont disponibles sur le site officiel du Gouvernement (sic) » ? Une foire aux questions préparée par le gouvernement ne s’affiche-t-elle pas tout en haut sur Google lorsque vous interrogez le moteur de recherche à propos du coronavirus ? Facebook ne vous conseille-t-il pas d’« écouter les consignes de votre gouvernement » quand vous tapez le mot-clé « Sras-cov2 » dans la barre de recherche ?

S’agit-il de se racheter une conduite après avoir accumulé des millions grâce un business de la désinformation ? Ou bien de proposer ses services à l’Etat, dans le contrôle de l’information et des populations ?

Le gouvernement remballe son projet sous la pression

Mise à jour du 5 mai 2020

Interrogé lors des questions au gouvernement, le ministre de la Culture, Franck Riester, annonce mardi 5 mai le retrait du service « Désinfox coronavirus » sur le site du gouvernement.

Les sociétés de journalistes de 32 médias ont protesté par le biais d’une tribune intitulée « L’Etat n’est pas l’arbitre de l’information », dimanche. Le Syndicat national des journalistes a annoncé lundi le dépôt d’un référé-suspension devant le Conseil d’Etat.

A l’instar de Clément Viktorovitch, d’aucuns estiment que la mise en ligne le 3 mai d’un article par Les Décodeurs du Monde démontant une fausse affirmation d’Olivier Véran a précipité la mort de ce service. Le gouvernement étant pris au piège de sa propre communication.

Carte de France du déconfinement : un peu plus d’amateurisme pseudo-scientifique

200502 - Cartes du déconfinement des 30 avril et 2 mai by Gouvernement - La Déviation
Jeu des sept différences entre les cartes du déconfinement du 30 avril et du 2 mai 2020 pour éditorialistes médiatiques. Pour les autres, ces cartes sont inutiles, autant attendre directement la carte du 7 mai…

Le 11 mai, le gouvernement prévoit de déconfiner partiellement le pays, avec d’une part des règles qui s’appliqueront partout comme l’interdiction de se déplacer à plus de 100 km de son domicile, et d’autre part des règles qui varieront selon le département, notamment la réouverture des écoles dont nous évaluions le rapport bénéfice risque dans notre précédent numéro.

Une carte du déconfinement est donc élaborée, à la manière des alertes météo. Elle peut changer quotidiennement jusqu’au 7 mai, date à laquelle elle sera fixée pour la semaine du 11 mai, avant d’être ensuite mise à jour une fois par semaine. Promesse de confusion et d’anxiété pour les habitant·es et garantie d’occuper l’agenda médiatique pour les autres. Les rédactions apprécient ces documents prêts à mâcher, à partir desquels leurs polémistes maison peuvent deviser des heures durant. Le gouvernement escomptait afficher son volontarisme, mais s’est pris les pieds dans le tapis.

La première polémique n’a en effet pas tardé. Les agences régionales de santé (ARS) de Corse et du Centre reconnaissent que des départements ont été inclus à tort dans les zones rouges dès la première livraison de la carte. Or, cela signifie pour un territoire que les libertés y seront plus sévèrement limitées.

Cela concerne notamment la Haute-Corse, le Lot (à peine 16 mort·es du Covid, une personne en réanimation) et le Cher (129 mort·es, trois personnes en réanimation). Le critère retenu est en effet le ratio entre le nombre de personnes dépistées et le nombre de venues aux urgences. Or, ce critère est sans doute influencé tout autant par la propagation de l’épidémie que par la propension des gens à venir aux urgences pour des symptômes mineurs (et donc notamment de la disponibilité des médecins traitants, de l’angoisse générée par l’épidémie…), de la politique de l’hôpital concernant les tests de dépistages, mais aussi du nombre de personnes ayant d’autres affections…

Depuis ces critiques, la carte a été rectifiée, mais le mal est fait. C’est une nouvelle preuve d’amateurisme !

On n’oublie pas et on ne pardonne pas Raoult et ses sbires médiatiques qui ont relayé ses falsifications

200502 - Unes de Libération du Parisien et de Paris Match du 26 mars 2020 sur le Pr Raoult - La Déviation
Les unes de Libération et du Parisien du 24 mars et la une de Paris Match du 26 mars 2020 illustrent la folie médiatique autour de la chloroquine et la personnalisation du débat sur ce médicament.

Nous avons choisi après deux articles dans les Gazettes des confiné·es #3 et #5 de ne plus participer à la médiatisation des stupidités de Didier Raoult et de ne plus parler de chloroquine avant l’arrivée d’informations sérieuses quant à son efficacité.

Mais nous n’oublierons pas celles et ceux qui ont mis en avant la chloroquine contre toutes précautions alors que, dès le début, l’on savait que les études concernant la chloroquine n’étaient ni fiables ni concluantes. Notre troisième numéro date du 26 mars et cet article de l’Union communiste libertaire a été publié quatre jours plus tard, entre autres exemples.

Il semble de plus en plus se confirmer que les personnes ayant mis en avant la chloroquine ont participé indirectement à la surmortalité du coronavirus car cette molécule aurait plus d’effets délétères que bénéfiques. Attendons encore un peu avant de conclure quoi que ce soit.

Une certitude, on ne joue pas au hasard avec les médicaments comme le rappelle cet article qui fourmille d’exemples d’erreurs de traitements découverts par des essais cliniques sérieux. Ainsi, des prescriptions pour l’infarctus du myocarde, avant d’être vérifiées par des essais cliniques, auraient tué environ 60.000 personnes. En ce qui concerne les essais cliniques pour le coronavirus Sras-cov2, la surmédiatisation de la chloroquine les ralentit car de nombreux·ses patient·es refusent de participer aux essais cliniques qui ne leur garantissent pas d’être traité·es avec de la chloroquine. Ce ralentissement de la recherche peut aussi coûter des vies car si un traitement est bénéfique ou délétère, on le découvrira moins rapidement.

Parmi les gens qui ont participé à la foire médiatique autour de Raoult et de la chloroquine, on peut citer la quasi-totalité des médias dominants (tels que Le Point, Le Monde, Le Figaro), de nombreux pseudo-experts (comme Idriss Aberkane ridiculisé dans des vidéos humoristiques ou Michel Onfray), ainsi que des politiques de tous les bords comme Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen.

Il nous semble, même s’il faudrait une enquête approfondie pour le confirmer, que ce sont les réseaux populistes d’extrême-droite qui ont le plus surfé sur la chloroquine comme Valeurs Actuelles en France et bien entendu l’« alt-right » américaine, rangée derrière Donald Trump.

En ce moment, on n’a encore aucune certitude concernant les traitements même si des études commencent à paraître, par exemple sur le Tocilizumab pour lutter contre la tempête de cytokines ou sur le Remdesivir publiée le 29 avril. Ces articles scientifiques doivent être relus – celui sur le Tocilizumab n’est même pas encore paru, il n’y a qu’un communiqué de presse -, reproduits et confirmés par d’autres essais pour que leurs résultats soient considérés comme vérifiés. Ce qui est certain, c’est qu’à l’heure actuelle, il n’y a aucun traitement miracle : par exemple, d’après les études que l’on cite, le Tocilizumab ne serait utile que sur les cas graves et le Remdesivir n’aurait qu’un effet très léger et elles sont beaucoup trop récentes pour s’appuyer dessus. Gardons en tête qu’un traitement, ce n’est pas tout ou rien : pour le Covid-19, il ne s’agira probablement que d’une légère amélioration des probabilités de survie.

Nous sommes conscient·es qu’il est extrêmement compliqué de se plonger dans la littérature scientifique sans formation et d’arriver à trier les informations selon leurs fiabilités. De nombreuses personnes se sont fourvoyées notamment à cause de l’avalanche d’articles et d’informations sur la chloroquine. Comment éviter cela sans aller vers une confiscation de la parole par des expert·es ?

La Gazette mise sur l’éducation populaire, la vérification des sources – nous intégrons systématiquement des hyperliens pour que vous puissiez vérifier nos affirmations – et la relecture collective. Les discussions et débats évitent de se laisser intoxiquer comme on peut l’être seul·e devant son écran. Alors croisez les sources, débattez et doutez des informations que vous lisez !

Psychiatrie, addictologie en temps de Covid-19

200502 - Dessin de une magazine Sans remède numéro 4 - La Déviation
Image provenant du quatrième numéro de Sans remède, un journal alimenté par des vécus et des points de vue sur le système psychiatrique. Leur site internet étant mort, on peut retrouver les numéros un à quatre ici et le numéro cinq là (pdf).

Comme nous le racontions dans nos précédents numéros, le confinement a des conséquences psychologiques majeures.

Les services de psychiatrie constatent un afflux de nouveaux·elles patient·es, atteint·es d’angoisses ou de bouffées délirantes. Ce message de soutien publié sur Paris-Luttes Info au tout début du confinement le rappelait déjà, la situation est également difficile pour toutes les personnes déjà « psychiatrisées ».

Dans cette tribune d’une psychiatre-addictologue, on apprend que l’accueil des patient·es a été bouleversé dans de nombreux centres ; les personnes addictes à des substances se sont retrouvées à faire des sevrages chez elles, seules ; des AAH (allocations adulte handicapé) ont cessé d’être versées ; des solutions de logement d’urgence ont dû être trouvées, entraînant parfois des ruptures de suivi.

Malgré le confinement et le pseudo-déconfinement qui se préparent, n’oublions pas de prêter attention à nos voisin·es, à nos proches, et même aux personnes que nous croisons dans la rue.

A Bure, la justice s’acharne contre les antinucléaires

200502 - Capture vidéo vidéo Mediapart Sezin Topyu by Mediapart - La Déviation
Dans un entretien à Mediapart, Sezin Topçu explique comment les autorités françaises utilisent les sciences sociales pour choisir leurs stratégies de communications afin de marginaliser le mouvement anti-nucléaire.

Reporterre et Médiapart ont publié une enquête très détaillée sur les moyens déployés par la justice pour enquêter à Bure. Quand on touche au nucléaire, l’Etat français ne recule devant rien pour réprimer les opposants, cela s’est vérifié de nombreuses fois tout le long de l’histoire du mouvement anti-nucléaire français.

On a confirmation dès la première partie de l’enquête que si vous êtes passé·es à Bure lors d’un événement collectif en 2018, votre numéro a été enregistré par un « IMSI-catcher ». Si vous avez vécu à Bure, vous avez même très probablement été la cible d’écoutes téléphoniques.

On apprend dans la deuxième partie de l’enquête que la gendarmerie a une unité spécifique, avec un écusson, qui comptait au moins cinq officiers de police judiciaire (OPJ) à plein temps entre 2018 et 2019. Le salaire de ces officiers combiné au prix des écoutes est estimé à plus d’un million d’euros (fourchette basse), soit vingt fois le coût des détériorations justifiant ces enquêtes. De nombreux·ses avocat·es trouvent les sommes dépensées complètement disproportionnées.

Finalement, l’Etat n’a pas hésité à mettre sur écoute et à perquisitionner l’avocat et militant anti-nucléaire Etienne Ambroselli, contrevenant ainsi aux droits élémentaires de la défense.

Pour conclure, laissons la parole à celles et ceux qui connaissent le mieux la répression de Bure, c’est-à-dire les personnes qui la subissent. Elles décrivent la justice à Bar-Le-Duc comme un système mafieux qui ne dit pas son nom.

Pendant ce temps, surfant sur la vague écologique, la propagande nucléaire prétend que l’énergie nucléaire serait une solution contre le réchauffement climatique. Cette offensive est notamment menée par le très influent Jean-Marc Jancovici. Les arguments écologiques pour défendre le nucléaire – un comble – sont réfutés par le réseau Sortir du nucléaire dans un argumentaire solide (pdf) même si l’on peut déplorer, comme dans beaucoup de publications antinucléaires, l’absence de critique des énergies renouvelables.

Pour éviter de finir dans les petits papiers des RG, protégez-vous

 

200502 - Guide numérique d'utilisation de Tor by Guide Boum - La Déviation
Présentation du fonctionnement de Tor dans le très complet (et très long) guide d’autodéfense numérique.

Vous avez flippé en lisant la brève au-dessus ? Voici quelques rappels pour votre prochaine sortie en zone sensible (manif’ compris) qu’on peut aussi trouver sur le site du Réseau d’autodéfense juridique collective :

Enlevez les batteries des téléphones portables (ou encore mieux, ne les prenez pas et ne les éteignez pas pour éviter de changer votre profil de connexion).

Effacez vos textos (une garde à vue est si vite arrivée…), voire emmenez un téléphone que vous n’utilisez que pour ça, avec seulement les numéros dont vous avez besoin.

Faîtes gaffe à ce que vous dîtes au téléphone. À partir du 11 mai, si vous pouvez vous voir en vrai, mieux vaut dire les choses en face à face et ne prenez pas vos téléphones en sortant si cela est possible.

Si vous voulez vous organiser en ligne, on vous encourage à consulter ces pratiques de base comme le recommande un article de l’Atelier – médias libres :

Utilisez une messagerie sécurisée (Riseup, Protonmail etc.) et apprenez à crypter vos mèls. Évitez de donner des infos sensibles via Facebook (voir notamment la brochure Face à Facebook), Gmail ou autre…

Pour les recherches « à risque » sur le web, utilisez Tor, qui garantit votre anonymat.

Chiffrez vos données sensibles sur votre ordinateur.

Installez Linux sur votre PC. Les dernières versions de Windows sont pleines de failles bien pratiques pour l’espionnage… Même si vous utilisez quelques astuces pour vous en prémunir, il est vraisemblable que des infos partent quand même sur leurs serveurs…. Vous pouvez aussi utiliser une session temporaire comme Tails.

Si on ne les arrête pas avant, les capitalistes auront même détruit le ciel étoilé pour faire du profit

200502 - Image site web Histoire des débris spatiaux RIGB - La Déviation
Image tirée de l’histoire des débris spatiaux (en anglais).

Aujourd’hui, il y a environ 5.000 satellites artificiels d’après le Bureau des Affaires Spatiales de l’Onu (anglais) en orbite autour de la Terre. Le projet Starlink du constructeur aérospatial américain SpaceX prévoit d’en envoyer à lui seul 42.000 pour son projet démentiel consistant à fournir un internet à grande vitesse partout dans le monde. Un budget prévisionnel de 10 milliards de dollars lui est alloué…

L’article de Jonathan Bourguignon dans Lundi matin revient sur les origines hippies des mouvements de hacker·euses libertarien·nes de la Silicon Valley. Ainsi, dans l’imaginaire start-up, la connexion au réseau internet concrétiserait l’interconnexion mentale rêvée par les hippies. Et Elon Musk, avec le projet SpaceX, apporterait la libération et l’éveil aux populations opprimées par des gouvernements qui censurent internet (Wikipédia était interdit en Turquie jusque très récemment et est bloqué en Chine depuis mai 2019 par exemple).

Mais cette fable libertarienne ne peut convaincre que les gens qui se voilent la face sur la réalité des Gafam dont le seul but est le profit et qui n’hésitent pas à investir dans la reconnaissance faciale et dans la surveillance de masse. Et il ne faut pas oublier que le réseau de l’interconnexion s’appuie sur une infrastructure destructrice de l’environnement et que des gens luttent contre celle-ci, comme en Aveyron, à l’Amassada, où l’on propose de trancher le filet / réseau dans un tract contre les éoliennes industrielles (pdf).

Quant à l’utilité d’Internet pour éveiller les consciences, un article publié sur Paris-Luttes Info rappelle que 34 % du trafic sur Internet vient de la consultation de VoD (vidéos à la demande : Netflix, Amazon Prime, etc..) et que 27 % vient de la consultation de vidéos pornographiques.

De plus, les débris spatiaux posent le risque du Syndrome de Kessler qui prévoit que si trop d’objets sont en orbites autour de la Terre alors les collisions créeront tellement de débris qu’il sera impossible d’envoyer des objets dans l’espace. Ainsi, envoyer autant de satellites en orbites, SpaceLink n’étant pas le seul car Amazon prévoit d’en envoyer 3200 et OneWeb 5200, pourrait faire dégénérer la situation. La solution d’après les agences spatiales ? Mettre encore plus d’objets en orbites, mais cette fois-ci des nettoyeurs de débris ! Il serait peut-être plus simple et efficace d’interdire Starlink et de penser l’espace comme un commun

Elle était dans la rue le 1er mai : M. expose ses motivations

200502 - Manifestation du 1er mai 2020 à Lannion - La Déviation
D’irréductibles Lannionnais·es ont maintenu par leur présence la continuité historique des rassemblements du 1er mai.

Une multitude de petites actions se sont égrainées ce 1er mai. Si la consigne passée par les centrales syndicales était d’envahir le web à grands renforts de vidéos et d’applications, des militant·es des causes sociales ont tenu à occuper la rue. En Bretagne, une centaine de personnes ont défilé à Douarnenez, un cortège de voitures est passé devant l’hôpital de Guingamp, drapeaux CGT au vent et une vingtaine de Trégorrois·es (dix selon Ouest-France) ont marqué le coup à Lannion.

Une manifestante nous explique les raisons de sa présence.

« Je suis plutôt anti-grandes messes, non croyante, mais surtout n’aimant pas la « journée de.. ». Et puis je n’ai pas attendu le confinement pour faire gaffe et soutenir les gens fragiles ! Je ne veux pas engorger les hostos, je ne traîne pas dans les rayons des magasins, en pensant à tous ces hommes, mais surtout toute ces femmes appelées en « première ligne » (caissières, infirmières, couturières, maîtresses..).

Je me confine plus ou moins, oui, sans me plier en pensant qu’on aurait pu faire mieux avec nos intelligences collectives comme d’hab’, mais dans ce contexte je ne peux – on ne peut, à mon avis – se laisser voler ce droit inaliénable, celui de manifester, qui se gagna en ces 1er mai dans le sang des travailleur·ses, des opprimé·es… Surtout pas avec une reprise déjà bien entamée de nombreux secteurs économiques ; sans parler de ceux, qui, on se demande bien pourquoi, n’ont jamais arrêté (Airbus, pour n’en citer qu’un) !

Ils veulent un déconfinement, sous contrôle, et où c’est encore l’économie qui prime. Tout comme cela explique le délai avant ce confinement total, alors que l’OMS tirait dès janvier la sonnette d’alarme ; mais, comme pour Tchernobyl, la France devait peut-être « être épargnée »…

On ne leur cédera pas ce plaisir moutonneux de leur laisser rênes et de leur faire confiance, tandis qu’ils continuent à passer des lois qui font payer leurs erreurs aux « petits » (mais costauds et nombreux !) avant tout. Déni de démocratie que ces mesures prises unilatéralement comme les jours de congés supprimés chez celleux qui n’ont pas chômé. « Si les travailleur·ses et les postièr·es sont bons pour aller en masse travailler, s’iels sont bons pour qu’on leur supprime jusqu’à dix jours de RTT ou de congés alors iels doivent avoir le droit de manifester le 1er mai. »

Ce confinement n’a pas été le même pour tout le monde : on pense aux femmes et enfants subissant des violences, aux mal (pas)-logé·es, aux prisonnièr·es à l’isolement et sans protection, aux personnes enfermées dans les centres de rétention administrative (CRA) en grève de la faim, et puis… « plus une place en réanimation dans le 93 » et – entre autres – une enfant de cinq ans vraisemblablement blessée par un tir de lanceur de balles de défense (LBD) dans une cité où les droits étendus des policiers rendent les bavures fréquentes, tandis que les plus riches ont retrouvé les maisons secondaires, parfois même les îles privées.

Sinon les « cadeaux d’État » aux entreprises sont bien relancés – 300 milliards d’euros prêtés (garantis), notamment aux plus grandes boites, Fnac, Darty, Air France, etc. Mais ne parlons pas de nationalisation, houla !, même en temps de « guerre ».

200502 - Capture d'écran reportage Montreuil 1er mai répression by Taha Bouhafs pour Là-bas si j'y suis - La Déviation
Le 1er Mai, des policiers ont verbalisé une action de solidarité à Montreuil et il y a eu des interpellations à Paris. Image : Taha Bouhafs pour Là-bas si j’y suis.

D’où vient tout cet argent, alors que seulement 260 millions d’euros ont été débloqués pour l’hôpital en début de crise. On n’a pas la mémoire courte et l’an dernier une information avait fuité : un projet d’économie de 960 millions d’euros sur les hôpitaux était projeté par notre gouvernement.

Je suis dégoutée face au pseudo mea-culpa de Macron : « Nos soignant·es qui se battent aujourd’hui pour sauver des vies se sont hier battu·es, souvent, pour sauver l’hôpital, notre médecine » Waw ! Alors que les CRS étaient envoyés face aux hospitaliers, comme aux autres, depuis un an qu’iels se battaient, criant à la pénurie « L’État compte les sous, on va compter les morts » (slogan de décembre 2019).

Pouvons-nous nous contenter de quelques applaudissement face à la souffrance, au surmenage, aux tentatives de joindre les deux bouts de ce qui a été un jour gagné mais depuis, toujours détruit : un bon système de santé, assez de lits et de matériel, en mutualisant les coûts ?

Les raisons ne manquent pas et les habitudes de contrôle et de soumissions se prennent si vite… Comme l’habitude des drones au-dessus de la tête pour les Niçois·es entre autres. Que dire aussi de cette nature bafouée dans ce système néolibéral, qui ne peut, elle, être confinée, et qui nous promet des catastrophes, face auxquelles nos inégalités ne feront que se creuser !

Alors je ne vais pas leur faire cadeau de 135 €, comme j’ai tenté de ne pas le faire pendant ces nombreuses manifs interdites (une habitude ces derniers temps), mais non, je ne juge pas, mais je ne « fête » pas ce 1er mai sur mon ordi ou mon balcon (j’en ai pas… de balcon). M. »

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Agiter

Le confinement devient parfois un code moral plus qu’une mesure sanitaire

Les parties de foot ont repris dans la cour de l’immeuble d’en face. Quelques jours avant déjà, la petite vingtaine de gamin·es de la tour jouait au ballon tou·tes ensemble sur un minuscule carré d’herbe. Le terrain vague de l’autre côté de la rue est devenu un haut lieu de sociabilité, l’avenue se repeuple, les voitures et vélos circulent à nouveau.

Pour tenir le coup, nombreux·ses sont celleux qui, dès le début ou plus tardivement, se sont organisé·es des entorses, plus ou moins grosses, au confinement, comme le raconte plusieurs témoignages de La Gazette déconfinée (pdf), notre jumelle pas maléfique.

Pourtant, les réseaux sociaux et les médias dominants fustigent violemment tou·tes celleux qui dérogent un tant soit peu aux sacro-saintes règles édictées par le gouvernement – y compris les plus irrationnelles et les plus discriminatoires. Le confinement est devenu pour certain·es un code moral plus qu’une mesure sanitaire.

 

La mairie de Paris a interdit le footing entre 10 h et 19 h, entraînant une improbable concentration de joggeur·ses dans les rues en dehors de ces horaires. Le conseil scientifique donne quant à lui son feu vert à la réouverture des écoles et aux déplacement entre régions à partir du 11 mai, sans que l’on comprenne bien ce qui aura changé à cette date… Les règles édictées par les pouvoirs publics, avec l’approbation plus ou moins contrainte des scientifiques, ne sont pas très rationnelles !

Alors, faut-il poursuivre consciencieusement la distanciation sociale ?

Ou peut-on se permettre d’aller voir quelques proches ? Et après le 11 mai, renverrons-nous à l’école les enfants, recommencerons-nous à voyager comme si de rien n’était ? Organiserons-nous une grosse fête avec des dizaines d’ami·es ou nous restreindrons-nous à des contacts distants ?

Débarrassons-nous de la chape moralisatrice qui s’est abattue sur nous.

L’État a suffisamment mal géré cette crise pour que nous ne lui fassions plus confiance sur ce sujet ; pourtant, la charge mentale de définir nos propres règles de conduite semble énorme à porter – nous n’avons pas un conseil scientifique sous la main, nous, et pas forcément le temps de nous pencher sur les dizaines de publications concernant le Covid… Alors, faut-il accepter aveuglément une contrainte extrinsèque, de peur de ne pas arriver à poser soi-même ses propres limitations ?

Que se passe-t-il si nous nous posons la question : vais-je mettre quelqu’un en danger en faisant telle chose ou telle autre ?

Comme l’explique l’Académie de médecine, l’isolement nous fait courir des risques psychologiques certains ; mais aller voir nos proches implique de réfléchir à l’ensemble de la chaîne de transmission qui pourrait conduire le virus jusqu’à une personne fragile.

Ces deux dangers, psychique et viral, et leur évaluation, diffèrent d’une personne, d’une interaction à l’autre, en particulier selon les conditions de son confinement, son activité professionnelle si on a été contraint·e de la poursuivre, son âge, ses facteurs de risque éventuels ainsi que ceux des personnes qui pourraient se retrouver sur nos chaînes de transmission, la probabilité d’avoir déjà été infecté·e, les angoisses des personnes avec lesquelles on vit, etc.

Nous n’avons pas de solution magique à proposer, pas de règle applicable à tou·tes.

Quelques pistes tout de même : réfléchir par nous-mêmes aux dangers que nous courrons ou que nous faisons courir aux autres dans les situations pratiques qui se présentent à nous et non dans un cadre théorique, chercher le consentement des personnes avec lesquelles nous vivons avant d’aller voir quelqu’un·e d’extérieur, voire, idéalement, définir ensemble les modalités de l’entrevue (distance d’un mètre ou câlins autorisés ?).

Cela pose néanmoins des problèmes d’intimité et de spontanéité dans les relations, et suppose une très bonne communication avec les personnes qui vivent sous le même toit que nous – situation dans laquelle sont finalement trop peu d’entre nous.

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Quand le conseil scientifique cite Terra nova pour justifier le traçage numérique

Avec l’approche du déconfinement souhaité par Macron, le conseil scientifique a planché sur les différents outils censés éviter un retour de l’épidémie et a pondu un avis détaillé, avec des fiches techniques dans lesquelles il décrit ses états d’âme. On s’est attardé un peu sur celles qui parlent des outils numériques, et ça fout franchement les pétoches.

La question de l’utilité des applications de traçage est vite traitée, dans la fiche technique numéro quatre : « Des travaux de modélisation suggèrent que ce type d’approche peut considérablement renforcer l’efficacité du contrôle sanitaire de l’épidémie ».

On appréciera l’absence de référence vers les études en question. Il faut aller tout à la fin du document pour trouver d’où vient cette assertion : un article publié dans la revue Science et un rapport d’une membre du « think tank progressiste » Terra nova financé par Danone, Engie ou même Google

Terra nova avait été épinglée par Le Monde diplomatique pour être un vivier à expert·es, un endroit où on cultive l’entre-soi et le conformisme idéologique des classes dirigeantes. Un chercheur américain commente les notes de Terra nova comme bien plus remarquables par leur profusion étourdissante que par leur contenu.

Ce rapport a une ligne directrice claire : le numérique vient uniquement en soutien à des mesures de contrôle épidémiologique. La question de la vie privée est donc subordonnée à celle de l’efficacité des mesures d’endiguement de l’épidémie. Elle est même complètement secondaire : les applications de traçage de contact sont vues comme un outil d’empowerment, sur la base du volontariat, dans le cadre de la civic tech, permettant de se saisir des enjeux sanitaires. On aimerait bien comprendre comment !?

À défaut, il faudra de toute façon imposer leur usage, puisqu’elles sont efficaces. Tant pis pour le volontariat…

200427 - Capture d'écran Atelier de désintoxification à la langue de bois Franck Lepage - La Déviation
Face à la langue de bois, la Scop Le pavé anime des ateliers de désintoxication et un documentaire en parle. Exercice simple : si vous êtes un·e expert·e, préférez-vous parlez de soumission ou de compliance ?

Tout en rappelant que ce serait mieux d’avoir le consentement de la population, le conseil scientifique envisage de le rendre obligatoire et justifie cela en appelant l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à la barre et son guide sur les questions éthiques de la surveillance de la santé publique : il s’agit de sauver des vies.

Si les usages volontaires sont à privilégier, des options obligatoires ne peuvent être écartées. […] Tout en pouvant techniquement se dispenser du consentement, les outils numériques permettent aussi de le recueillir à travers des usages volontaires. A défaut de consentement, un haut degré de transparence doit s’accompagner d’une information intelligible, y compris pour les personnes éloignées du numérique.

On retrouve le ton martial du gouvernement, que les scientifiques cachent d’habitude sous plus de précautions oratoires : « De manière générale, les mesures sanitaires visant à la protection de la population sont pour un État un devoir. »

On n’observe pourtant jamais autant de volontarisme lorsqu’il s’agit de lutter contre le tabac (78.000 morts par an en France) et l’alcool (49.000 morts).

Conscient·es des réticences que la population pourrait nourrir face à cette surveillance volontaire mais imposée, les éminences prennent par la suite un ton censément rassurant : « Une levée de l’anonymat n’implique pas la levée de la confidentialité. »

On aimerait les croire, ou au moins comprendre ce que ça peut bien vouloir dire. Idem lorsqu’iels insistent sur l’importance de prendre en compte « nos concitoyens éloignés du numérique » avec des « options adaptées […] à partir de moyens humains, matériels ou numériques appropriés ». On aimerait que ce soit déjà le cas en temps normal, alors qu’une partie non négligeable de la population se trouve en difficulté pour la réalisation de démarches administratives informatisées.

200427 - Planche bande dessinée by Moebius - La Déviation
Extrait de L’Incal, tome 1, par Moëbius

Après avoir énuméré une vingtaine de principes de bonne gouvernance typiques de la langue de bois managériale dont on sait qu’ils ne sont que des vœux pieux, des distractions, le conseil se hasarde à aborder la question des effets sur le système de santé, ce qui donne lieu à deux pages de verbiage de cabinet de conseil, garanties sans contenu. Morceaux choisis :

Sans évoquer des scénarios – au demeurant plausibles – d’une « uberisation » du système de santé, une stratégie numérique peut déboucher sur une rupture technologique importante.

La French Tech offre des espoirs prometteurs et se mobilise pour développer de nouvelles solutions en contexte épidémique.

Que peut-on tirer de ces lectures, à part quelques tranches de rire et une bonne chair de poule ? Comme on l’avait déjà remarqué dans une précédente Gazette, le conseil scientifique fait appel à très peu de travaux scientifiques pour étayer ses affirmations. Par ailleurs, il n’y a rien de « scientifique » dans les argumentaires déployés qui sont tellement vagues qu’on ne sait même pas à quels outils numériques ils font référence.

Si le texte ressemble plus à une copie de concours d’entrée à l’ENA qu’à un article de revue scientifique, c’est parce que son objectif n’est pas d’étudier des applications concrètes, pour peser le pour et le contre, mais de donner une caution scientifique à l’action gouvernementale à venir.

Les limites à l’efficacité du traçage, posées par l’absence de libre consentement, le faible nombre d’utilisateur·ices attendu·es et les détournements de l’application ne sont même pas évoquées…

L’amateurisme des scientifiques du conseil sur les enjeux du traçage informatisé est flagrant, sans doute parce que le seul « spécialiste du numérique » parmi elleux est Aymeril Hoang, un habitué du pantouflage et ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi, véritable VRP du traçage. Le conseil scientifique permet au gouvernement de se défausser des responsabilités politiques concernant son action, de manière encore plus flagrante que d’habitude.

Pour plus d’informations sur le traçage automatisé, on vous invite à lire notre hors-série sur la question (à paraître).

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Le gouvernement choisit un déconfinement à but économique et liberticide plutôt que solidaire

La mise en place autoritaire du confinement et du déconfinement sans débat populaire et de manière opaque est à critiquer sans concessions. Elle est anxiogène et peu efficace quand on la compare à l’autogestion et à l’auto-décision locale.

On peut craindre la propagation de l’épidémie à cause du déconfinement, mais les problèmes posés par le confinement, qu’ils soient matériels pour les plus précaires ou psychologiques pour tout le monde, semblent trop importants pour l’éviter complètement.

Le choix d’insister sur les applications de traçage est une diversion et démontre la foi aveugle des classes dominantes en la technologie. Après le débat sur la chloroquine, le « tracking » numérique montre combien nous pouvons être sensibles à toute promesse de solution miracle quand nous avons peur.

Et dans le déconfinement, le diable se cache dans les détails pratiques. On peut être sûr·es que le gouvernement va vouloir tirer la corde au maximum pour que seuls les contacts nécessaires pour faire marcher la machine économique propagent la maladie. Et pour permettre à la machine économique de tourner le plus possible, tous les moyens seront bons à prendre comme les applications de traçage, les restrictions de liberté, et ce même s’ils ne marchent probablement pas !

Et c’est là où la lutte future prend tout son sens : d’un côté, le camp de l’économie qui souhaite que l’on travaille et que l’on évite les contacts sociaux non productifs économiquement (par exemple amicaux), de l’autre côté le camp de l’émancipation qui souhaite que la machine économique destructrice tourne le moins possible (qu’il y ait seulement les activités nécessaires à la société pour sa survie) et qu’on autorise autant que possible les contacts sociaux nécessaires à la solidarité, à l’épanouissement de tou·tes. Et à la révolution ?

Il s’agira de naviguer en permanence entre la nécessaire protection collective de la société – via des interdictions que l’on se posera -, et la nécessaire critique des modalités liberticides et orientées pour l’économie choisies par le gouvernement tout en écoutant nos peurs, nos envies (lire La Gazette des confiné·es #9). Et cela ne sera pas facile !

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L’avis du conseil scientifique sur le déconfinement en deux mots : surveillance et réactivité

D’après des scientifiques, nous sommes actuellement loin d’être sorti·es de l’épidémie du Covid-19. Un modèle tiré d’un article de l’Institut Pasteur estime que, même dans les zones les plus touchées, moins de 15 % de la population a été infectée par le Covid-19 (la moyenne nationale serait à 5 % avec un intervalle d’incertitude de 3 à 10 %).

200427 - Proportions d'infecté·es au Coronavirus au 11 mai 2020 by Institut Pasteur - La Déviation
Un article scientifique estime qu’il y a moins de 10 % de français·es infecté·es par le Covid-19.

La Gazette des confiné·es ne peut juger de la qualité scientifique de cet article qui se base à la fois sur les données épidémiologiques en France et des hypothèses mathématiques, c’est-à-dire des présupposés qui ne peuvent être vérifiés.

Or, d’autres articles scientifiques estiment que la fameuse « immunité collective » réclamerait plus de 60 % de personnes immunisées pour être efficace. On en est loin et ce même si tout·e infecté·e devient immunisé·e, ce qui est loin d’être sûr !

Mais le calcul est simple : si l’on veut atteindre les 60 % d’immunité collective avec le taux de mortalité estimé du Covid-19, cela fera des centaines de milliers de morts.

Le conseil scientifique – et le gouvernement avec lui -, opte pour une stratégie similaire à la Corée du Sud (mise en avant avec admiration par les médias), à savoir un déconfinement partiel avec surveillance de l’épidémie pour réagir avant que les hôpitaux ne soient débordés.

Si l’on ne trouve pas de vaccin rapidement, ce qui semble probable d’après l’Agence européenne du médicament, alors on peut penser qu’à terme, on arrivera à une immunité collective (avec la mortalité importante qui vient avec, qui peut toutefois être abaissée en cas de traitement efficace).

Tout ce que le confinement et les mesures de distanciation sociale auront permis d’obtenir, c’est d’éviter une surmortalité due au dépassement des capacités des hôpitaux. Cela fait déjà beaucoup de vies de sauvées si l’on regarde le nombre de cas estimé s’il n’y avait eu aucun confinement (voir la Gazette des confiné·es #8 à ce sujet).

Il est tout à fait possible que, même en faisant très attention collectivement, des confinements stricts de plusieurs semaines reviennent régulièrement.

Dans la pratique, qu’est-ce que cela veut dire pour les confiné·es ?

On pourra probablement revoir ses ami·es, reprendre nos activités pendant un moment. Et si l’on entend beaucoup tousser autour de nous ou si des scientifiques estiment (via des tests ou les chiffres des hôpitaux) qu’il y a beaucoup de malades et un pic important en préparation, il faudra probablement penser à se re-confiner sans tarder car l’on risque une nouvelle explosion de cas.

Si l’on attend que les hôpitaux soient débordés pour confiner, il sera trop tard pour éviter la catastrophe (à cause du décalage entre le début du confinement et le pic de besoin en lits de réanimation).

200427 - Nombre de patients en réanimation données gouvernementales au 18 avril 2020 - La Déviation
Il a fallu environ trois semaines après le confinement pour atteindre le pic du nombre de personnes en réanimation.

Plus l’on fera attention collectivement à respecter les distances de sécurité, les gestes barrières et à porter des masques, plus on peut espérer que les moments de confinement strict seront rares. Mais cela est difficile à garantir car le Covid-19 est extrêmement contagieux : il est tout à fait possible que, même en faisant très attention collectivement, des confinements stricts de plusieurs semaines reviennent régulièrement si l’on veut éviter des hôpitaux débordés (c’est l’un des quatre scénarios de sortie envisagés dans un article de l’Inserm).

Concernant l’immunité collective, on pourrait remarquer que ce taux de mortalité varie selon les âges et donc on pourrait être tenté·e de viser les 60 % d’immunisé·es uniquement parmi les personnes les moins à risque. En pratique, on peut juste constater que cela a échoué en France jusqu’ici quand on constate que le Covid-19 a réussi à rentrer dans les Ehpad malgré le confinement avec la mortalité que l’on sait. Cela ne veut pas dire que c’est infaisable.

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La gestion du Covid-19 tourne à la mauvaise telenovela pour le Brésilien Jair Bolsonaro

Jair Bolsonaro s’est exprimé en direct pour commenter la situation. On se souvient que le président brésilien a soutenu que le jeûne religieux serait le rempart contre l’épidémie et qu’il a démis de ses fonctions son ministre de la Santé, Sergio Moro, le 16 avril, pour cause de désaccord sur la façon de gérer la crise.

C’est maintenant son ministre de la Justice qui le quitte, et avec fracas, dans la mesure où Moro est le juge qui a mis Lula en prison et qu’il accuse aujourd’hui Bolsonaro de corruption, notamment via des tentatives d’accès à des documents secrets de la police fédérale, pour espionner ses adversaires ou protéger ses alliés.

200427 - Bolsonaro Protecao contra a Covid-19 by UOL - La Déviation
Quand Bolsonaro tente les gestes barrières

La situation au Brésil est particulièrement explosive. Le 19 avril, Bolsonaro soutient une manifestation qui demande une intervention équivalent à lui donner les pleins pouvoirs. La démission de Moro ajoute une couche à cette période chaotique et les soutiens au président d’extrême-droite, notamment militaires, qui auraient pu lui faire espérer réussir un coup d’Etat, semblent se déliter.

Dernier coup de théâtre : dimanche, le chef de la police fédérale, Maurício Valeixo, est évincé par Bolsonaro et remplacé par un ami de son fils… lui-même trempé dans ces affaires de corruptions. Quand on demande à Bolsonaro de justifier ce choix, ce dernier répond « E daì ? » (et alors ?).

Suite à une de ses dernières prises de parole, certain·es estiment que Bolsonaro est cuit. S’il est destitué, c’est le vice-président qui prendrait la tête du gouvernement, Hamilton Mourão, militaire, connu, tout autant que Bolsonaro, pour ses sorties racistes et sexistes.

Merci à C.E.M. pour les nouvelles fraîches qu’ils nous a apportés directement depuis le portugais, que nous ne lisons pas !

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Effacement de la dette en Afrique : gare aux contreparties

La crise du Covid fragilise les plus pauvres partout dans le monde et menace donc tout particulièrement les pays africains. C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron fait resurgir un vieux serpent de mer, la promesse de l’annulation de la dette de ces pays. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, plus frileux, appellent simplement à la suspension des paiements.

A la fin des années 1990, l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) avait consisté à financer la lutte contre la pauvreté et annuler la dette de certains pays à la condition qu’ils appliquent des politiques imposées par la Banque mondiale, supposées mener à une « bonne gouvernance démocratique », mais consistant surtout en la privatisation de nombreux secteurs de l’économie, ne laissant que peu de marges de manœuvre aux pays concernés en suivant des méthodes employées notamment au Chili, laboratoire du néolibéralisme.

Ces contraintes avaient contribué à l’augmentation des inégalités et même à un « nivellement par le bas » des ressources. La libéralisation a par ailleurs diminué les revenus des États, les poussant à nouveau dans des spirales d’endettement.

Ce précédent et la conscience de la profonde injustice de cette dette imposée au moment de la décolonisation poussent des associations comme la Ligue panafricaine – Umoja à dénoncer la soudaine générosité occidentale : les pressions imposées pour payer les créancier·ères, le soutien aux gouvernements dictatoriaux, ne sont-ils pas à l’origine de la faiblesse des services publics en Afrique, et en particulier du système de santé ?

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Pourquoi la réouverture des classes en mai est une mauvaise idée

Emmanuel Macron a annoncé la réouverture des établissements scolaires (hors universités) à partir du 11 mai à la surprise de son conseil scientifique. Celui-ci recommandait de les laisser fermés jusqu’en septembre. Une diversité d’organismes scientifiques s’est d’ailleurs prononcée contre cette mesure et le groupe de travail « enseignement scolaire » du Sénat dénonce même une « impression d’impréparation et d’improvisation » (pdf).

Mis devant le fait accompli, le conseil scientifique a cependant « pris acte de la décision politique de réouverture prudente et progressive des établissements scolaires » et a proposé, dans une note du 24 avril (pdf), un ensemble de préconisations.

Cette note semble tenter de faire le tour de l’infrastructure scolaire dans son ensemble : retourner à l’école ce n’est en effet pas seulement entrer dans un bâtiment, c’est aussi le nettoyer, y emmener les élèves, leur faire à manger et les surveiller pendant qu’ils et elles mangent, etc.

Les écoles, collèges et lycées sont ainsi au centre d’un réseau d’installations mais aussi de personnes : professeur·es, personnels administratifs, agent·es d’entretien, personnels de cantine, Atsem (agent·e territorial·e spécialisé·e des écoles maternelles), AESH (accompagnant·e des élèves en situation de handicap), AVS (auxiliaires de vie scolaire), AED (assistant·e d’éducation), AP (assistant·es pédagogiques), parents, conducteur·ices de bus… (et leurs équivalents dans le privé pour certains de ces postes qui n’y ont pas le même nom).

C’est ainsi l’organisation de tout un monde que le gouvernement demande de penser… Et pour cela les établissements disposent de moins de deux semaines, dans un contexte où les communications se font à distance, où la coordination n’est pas évidente. Les personnels les plus précaires (Atsem, AESH, AVS, AP et AED, notamment) s’attendent, tout comme lors du confinement, à n’avoir des informations qu’à la toute dernière minute et à devoir se battre pour que les missions qui leur sont confiées restent dans le périmètre défini par les textes réglementaires.

200430 - Les retrouvailles en salle des profs le 11 mai by Varlan Olivier - La Déviation

Les enseignant·es, qui devaient assurer une continuité pédagogique à la maison, devront aussi assurer une continuité pédagogique de retour en classe, ceci avec un groupe déstructuré, alors que c’est l’unité de travail en contexte scolaire : les enseignant·es avertissaient déjà en début de confinement que leur travail ne pouvait être réellement continu avec le passage d’une classe à des élèves isolés.

De plus, si seule une moitié de classe est accueillie, comme le suggère Jean-Michel Blanquer, que fera l’autre ? Les enseignant·es doivent-ielles assurer la continuité pédagogique pour celleux qui restent à la maison, soit un double travail ?

Certain·es ont déjà proposé quelques visions humoristiques de ce que pourrait être le retour en classe, comme ce petit échange relayé sur le site de la Fédération des travailleurs de l’éducation (CNT-FTE). N’Autre école donne la parole à toutes les personnes qui interviennent dans le milieu éducatif (pdf) dans son dernier numéro en ligne.

D’autres s’inquiètent des conditions matérielles dans lesquelles les élèves seront accueillis.

Dans l’ensemble, les établissements souffrent pour beaucoup de conditions matérielles dégradées. Et ce n’est pas le boulot amorcé par le ministre qui va aider.

Cette rentrée est basée sur le principe (très relatif) de volontariat : les parents qui le souhaitent et qui le peuvent pourront garder leurs enfants à la maison. Même si le gouvernement souhaite faire passer la réouverture des écoles, collèges et lycées comme un geste social (en remettant tout le monde à l’école, on éviterait de creuser les inégalités), c’est loin d’être le cas.

Il ne s’agit bien sûr pas de nier les différences actuelles dans l’accès à l’éducation, différences mises en avant par de nombreux·ses acteur·es de l’éducation. Une tribune publiée dans Libération rappelle que, tout comme les mesures des gouvernements qui ont accentué les inégalités sociales et scolaires, la décision de réouverture va de nouveau mettre en évidence des inégalités : les familles plus aisées pourront se permettre de garder leurs enfants avec elles et de se protéger, tandis que celles qui ont besoin que les adultes retournent travailler ne pourront pas se le permettre.

Et en fin de compte, la réouverture des écoles permettra simplement de faire garderie pour que les parents retournent bosser.

De nombreuses organisations se sont positionnées contre la réouverture des écoles, collège et lycées tant que les conditions de sécurité sanitaire ne sont pas réunies. La Coordination nationale de l’éducation dénonce un bricolage, des annonces floues et des mesures impossibles à mettre en place. Elle appelle les personnels à exercer leur droit de retrait.

La CNT-FTE dénonce la logique économique qui soutend la réouverture des écoles et appelle à la solidarité, notamment envers les plus démuni·es, celleux qui n’auront pas le choix de remettre ou non leurs enfants à l’école.

Une motion intersyndicale unitaire rappelle aussi de façon plus générale le danger à prendre des mesures dans l’urgence. Le Café pédagogique, qui propose une synthèse des positions de plusieurs syndicats, a aussi interrogé les enseignant·es et rapporte que celleux-ci ne voient pas d’intérêt pédagogique dans la reprise, mais au contraire un véritable danger.

Illustration : Allan Barte, le soutenir sur Tipee

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Les syndicalistes ne chôment pas, gardez vos sarcasmes pour les puissants

Si la critique du syndicalisme est nécessaire, il est essentiel de distinguer les syndicalistes qui luttent sur le terrain de l’institution bureaucratique. Car de nombreux·ses syndicalistes font tous les jours et encore plus depuis le confinement un travail conséquent.

200427 - Affiches crise Coronavirus by infocom CGT - La Déviation
Le syndicat CGT Info’Com produit des visuels qui renouvellent les code du syndicalisme, quitte à se fâcher avec la maison-mère.

Depuis son lancement le 30 mars, le numéro vert de Solidaires a reçu plus de 800 appels. Les syndicats ont produit des ressources abondantes pour aider à mieux connaître nos droits.

Et en cette période d’incertitude, tout ce travail est plus que nécessaire car les classes populaires sont en première ligne, souvent invisibles. De plus, le droit du travail a été profondément modifié pendant l’état d’urgence sanitaire.

Dans la confusion régnante, il y a de nombreux abus : le droit de retrait est attaqué, des jours de congés ou RTT sont forcés, le chômage partiel est utilisé parfois illégalement.

Alors merci à elleux !

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Comment slalomer entre les interdits pour un 1er mai réussi

C’est une première en « temps de paix ». A l’aube d’une catastrophe sociale annoncée, les manifs du 1er mai sont annulées. Comment diable crier son envie d’en découdre quand on est confiné·e ? La Gazette se penche sur ce dilemme.

Que vous soyez militant·e trotskiste à La Poste, prof’ d’histoire membre des Amies et amis de la Commune de Paris ou trompettiste dans la fanfare invisible, vous surveillez habituellement le parcours déclaré dans votre ville par la CGT. Problème, Démosphère reste désespérément vide. Et pour cause, puisque la centrale de Montreuil concentrera, comme beaucoup d’autres, ses efforts sur le web.

« Prenez-vous en photo avec une pancarte », « signez notre pétition #PourLeJourdAprès »… Les camarades d’Astérix rattraperont-iels vingt ans de retard dans la communication numérique ? Dans certaines villes, le traditionnel discours craché par d’antiques enceintes à une foule distraite sera diffusé sur Youtube et Facebook, en qualité HD. Au cas où le télétravail et les cours à distance vous manqueraient…

Dans un communiqué signé avec la FSU, Solidaires, l’Unef et trois associations lycéennes, la CGT n’exclut toutefois pas de sortir « pancartes et banderoles ». Un appel à l’insoumission ? Plutôt à rejoindre le #cortègedefenêtres. Une note interne de Solidaires passée entre nos mains, explique que « l’idée est de disposer/coller/accrocher le maximum de messages syndicaux dans l’espace public […] en utilisant les déplacements autorisés. Il faudra particulièrement viser les espaces d’alimentations, les lieux de travail… avec une vigilance particulière pour les supermarchés qui annoncent ouvrir le 1er mai. »

200427 - Banderole Vous ne confinerez pas notre colère car on est là Marseille by Downscaler - La Déviation
Banderole de fenêtre à Marseille immortalisée par Julien Girardot.

Le placement en garde à vue d’une Toulousaine pour crime de lèse-majesté le 23 avril a mis en lumière cette pratique qui tend à se répandre. « Soutien aux personnels hospitaliers » et « Macronavirus à quand la fin ? » étaient inscrits sur deux bâches accrochées sur un mur donnant sur la rue. Dans le 19e à Paris, un couple a également reçu la visite des papas 22 pour un joli « Macron on t’attend à la sortie ». D’autres coups de pression sont recensés à Marseille et Caen.

Le passage au dépôt vous sera épargné si vous arrivez à convaincre suffisamment d’ami·es. Un détour par le site iaata.info ou par le compte Twitter des Fenêtres en lutte peut vous dépanner, si jamais vous manquez d’inspiration. Un bon « Rends l’ISF, l’hôpital est sous perf’ ! » fera l’affaire.

Quitte à vouloir animer sa rue, autant demander l’expertise d’Attac. Cheval de Troie gonflable pour dénoncer les tribunaux d’arbitrage privés, transformation d’un Apple Store en service d’urgence, parodie de Star Wars devant le palais de justice de Paris… L’Association pour la taxation des transactions financières (et l’action citoyenne) raffole des mises en scène autant que des tableurs Excel. Cette fois, elle propose un kit « actions en confinement » pour satisfaire petits et grands.

Rien ne se perd, tout se recycle chez les altermondialistes. Des rouleaux de PQ vides peuvent ainsi se transformer en maracas militantes, un vieux t-shirt en masque revendicatif et les restes de votre garde-manger en gâteau allégé !

Le 1er mai est aussi l’occasion de revisiter son répertoire de musiques révolutionnaires. Si l’on peut applaudir à sa fenêtre, on peut tout aussi bien y chanter. C’est la réflexion de Lillois·es, qui ont choisi la dernière création de la Cie Jolie Môme, sur l’air des Gilets jaunes. Mettez une alarme à 20 h.

200428 - Le Télégramme Une manifestation solitaire mais solidaire à Châteaulin Finistère rogné - La Déviation

Toujours pas convaincu·e ? Si vous craignez de passer pour un cédétiste en puissance, envisagez la désobéissance. A Châteaulin dans le Finistère, le gérant du tabac-presse a déjà expérimenté la manif’ solitaire, au milieu d’un pont désert. Toujours en Bretagne, Sud-PTT estime que « si les travailleurs et les postiers sont bons pour aller en masse travailler, s’ils sont bons pour qu’on leur supprime jusqu’à 10 jours de RTT ou de congés alors ils doivent avoir le droit de manifester le 1er mai, même sous des formes adaptées aux mesures sanitaires nécessaires. » Aucun rendez-vous n’est toutefois fixé.

Ce qui n’est ni le cas à Paris, où le Comité de solidarité avec grèves et résistance (GDDK) convoque les plus motivé·es place de la République, à 10 h, ni à Gap (Hautes-Alpes) où un tract non signé annonce un rassemblement en chair et en os devant la préfecture. Après tout, « les manifestations du 1er mai, depuis 1886 à Chicago ou 1891 à Fourmies, ont toujours été déterminées à arracher du progrès social, et ont toujours été sévèrement réprimées », relèvent les organisateur·ices (masqué·es).

Revêches mais prévoyant·es, les Gapois·es espèrent tenir suffisamment longtemps pour y partager l’apéro. « Les mauvais petit-fours finiront ! »

Illustration de une : Atelier Mc Claine

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La Gazette des confiné·es #11 – Rentrée des demi-classes, 1er mai et sorties sous surveillance

Le 11 mai s’approche, date virtuelle d’une rentrée des classes sous surveillance et dans des conditions flippantes. Les plans du gouvernement et de son conseil scientifique pour endiguer l’épidémie sont aussi angoissants : ils préfigurent davantage des sorties limitées au travail et surveillées à grand renfort d’informatique qu’une véritable libération. Mais avant le 11 mai, concentrons-nous sur le 1er !

Nos plus ou moins bons plans pour participer quand même au 1er mai

C’est une première en « temps de paix ». A l’aube d’une catastrophe sociale annoncée, les manifs du 1er mai sont annulées. Comment diable crier son envie d’en découdre quand on est confiné·e ? La Gazette se penche sur ce dilemme.

Que vous soyez militant·e trotskiste à La Poste, prof’ d’histoire membre des Amies et amis de la Commune de Paris ou trompettiste dans la fanfare invisible, vous surveillez habituellement le parcours déclaré dans votre ville par la CGT. Problème, Démosphère reste désespérément vide. Et pour cause, puisque la centrale de Montreuil concentrera, comme beaucoup d’autres, ses efforts sur le web.

« Prenez-vous en photo avec une pancarte », « signez notre pétition #PourLeJourdAprès »… Les camarades d’Astérix rattraperont-iels vingt ans de retard dans la communication numérique ? Dans certaines villes, le traditionnel discours craché par d’antiques enceintes à une foule distraite sera diffusé sur Youtube et Facebook, en qualité HD. Au cas où le télétravail et les cours à distance vous manqueraient…

Dans un communiqué signé avec la FSU, Solidaires, l’Unef et trois associations lycéennes, la CGT n’exclut toutefois pas de sortir « pancartes et banderoles ». Un appel à l’insoumission ? Plutôt à rejoindre le #cortègedefenêtres. Une note interne de Solidaires passée entre nos mains, explique que « l’idée est de disposer/coller/accrocher le maximum de messages syndicaux dans l’espace public […] en utilisant les déplacements autorisés. Il faudra particulièrement viser les espaces d’alimentations, les lieux de travail… avec une vigilance particulière pour les supermarchés qui annoncent ouvrir le 1er mai. »

200427 - Banderole Vous ne confinerez pas notre colère car on est là Marseille by Downscaler - La Déviation
Banderole de fenêtre à Marseille immortalisée par Julien Girardot.

Le placement en garde à vue d’une Toulousaine pour crime de lèse-majesté le 23 avril a mis en lumière cette pratique qui tend à se répandre. « Soutien aux personnels hospitaliers » et « Macronavirus à quand la fin ? » étaient inscrits sur deux bâches accrochées sur un mur donnant sur la rue. Dans le 19e à Paris, un couple a également reçu la visite des papas 22 pour un joli « Macron on t’attend à la sortie ». D’autres coups de pression sont recensés à Marseille et Caen.

Le passage au dépôt vous sera épargné si vous arrivez à convaincre suffisamment d’ami·es. Un détour par le site iaata.info ou par le compte Twitter des Fenêtres en lutte peut vous dépanner, si jamais vous manquez d’inspiration. Un bon « Rends l’ISF, l’hôpital est sous perf’ ! » fera l’affaire.

Quitte à vouloir animer sa rue, autant demander l’expertise d’Attac. Cheval de Troie gonflable pour dénoncer les tribunaux d’arbitrage privés, transformation d’un Apple Store en service d’urgence, parodie de Star Wars devant le palais de justice de Paris… L’Association pour la taxation des transactions financières (et l’action citoyenne) raffole des mises en scène autant que des tableurs Excel. Cette fois, elle propose un kit « actions en confinement » pour satisfaire petits et grands.

Rien ne se perd, tout se recycle chez les altermondialistes. Des rouleaux de PQ vides peuvent ainsi se transformer en maracas militantes, un vieux t-shirt en masque revendicatif et les restes de votre garde-manger en gâteau allégé !

Le 1er mai est aussi l’occasion de revisiter son répertoire de musiques révolutionnaires. Si l’on peut applaudir à sa fenêtre, on peut tout aussi bien y chanter. C’est la réflexion de Lillois·es, qui ont choisi la dernière création de la Cie Jolie Môme, sur l’air des Gilets jaunes. Mettez une alarme à 20 h.

200428 - Le Télégramme Une manifestation solitaire mais solidaire à Châteaulin Finistère rogné - La Déviation

Toujours pas convaincu·e ? Si vous craignez de passer pour un cédétiste en puissance, envisagez la désobéissance. A Châteaulin dans le Finistère, le gérant du tabac-presse a déjà expérimenté la manif’ solitaire, au milieu d’un pont désert. Toujours en Bretagne, Sud-PTT estime que « si les travailleurs et les postiers sont bons pour aller en masse travailler, s’ils sont bons pour qu’on leur supprime jusqu’à 10 jours de RTT ou de congés alors ils doivent avoir le droit de manifester le 1er mai, même sous des formes adaptées aux mesures sanitaires nécessaires. » Aucun rendez-vous n’est toutefois fixé.

Ce qui n’est ni le cas à Paris, où le Comité de solidarité avec grèves et résistance (GDDK) convoque les plus motivé·es place de la République, à 10 h, ni à Gap (Hautes-Alpes) où un tract non signé annonce un rassemblement en chair et en os devant la préfecture. Après tout, « les manifestations du 1er mai, depuis 1886 à Chicago ou 1891 à Fourmies, ont toujours été déterminées à arracher du progrès social, et ont toujours été sévèrement réprimées », relèvent les organisateur·ices (masqué·es).

Revêches mais prévoyant·es, les Gapois·es espèrent tenir suffisamment longtemps pour y partager l’apéro. « Les mauvais petit-fours finiront ! »

Hommage aux syndicalistes qui luttent contre les abus patronaux durant le confinement

Si la critique du syndicalisme est nécessaire, il est essentiel de distinguer les syndicalistes qui luttent sur le terrain de l’institution bureaucratique. Car de nombreux·ses syndicalistes font tous les jours et encore plus depuis le confinement un travail conséquent.

200427 - Affiches crise Coronavirus by infocom CGT - La Déviation
Le syndicat CGT Info’Com produit des visuels qui renouvellent les code du syndicalisme, quitte à se fâcher avec la maison-mère.

Depuis son lancement le 30 mars, le numéro vert de Solidaires a reçu plus de 800 appels. Les syndicats ont produit des ressources abondantes pour aider à mieux connaître nos droits.

Et en cette période d’incertitude, tout ce travail est plus que nécessaire car les classes populaires sont en première ligne, souvent invisibles. De plus, le droit du travail a été profondément modifié pendant l’état d’urgence sanitaire.

Dans la confusion régnante, il y a de nombreux abus : le droit de retrait est attaqué, des jours de congés ou RTT sont forcés, le chômage partiel est utilisé parfois illégalement.

Alors merci à elleux !

Le bricolage de la réouverture des écoles, collèges et lycées

Emmanuel Macron a annoncé la réouverture des établissements scolaires (hors universités) à partir du 11 mai à la surprise de son conseil scientifique. Celui-ci recommandait de les laisser fermés jusqu’en septembre. Une diversité d’organismes scientifiques s’est d’ailleurs prononcée contre cette mesure et le groupe de travail « enseignement scolaire » du Sénat dénonce même une « impression d’impréparation et d’improvisation » (pdf).

200430 - Les retrouvailles en salle des profs le 11 mai by Varlan Olivier - La Déviation

Mis devant le fait accompli, le conseil scientifique a cependant « pris acte de la décision politique de réouverture prudente et progressive des établissements scolaires » et a proposé, dans une note du 24 avril (pdf), un ensemble de préconisations.

Cette note semble tenter de faire le tour de l’infrastructure scolaire dans son ensemble : retourner à l’école ce n’est en effet pas seulement entrer dans un bâtiment, c’est aussi le nettoyer, y emmener les élèves, leur faire à manger et les surveiller pendant qu’ils et elles mangent, etc.

Les écoles, collèges et lycées sont ainsi au centre d’un réseau d’installations mais aussi de personnes : professeur·es, personnels administratifs, agent·es d’entretien, personnels de cantine, Atsem (agent·e territorial·e spécialisé·e des écoles maternelles), AESH (accompagnant·e des élèves en situation de handicap), AVS (auxiliaires de vie scolaire), AED (assistant·e d’éducation), AP (assistant·es pédagogiques), parents, conducteur·ices de bus… (et leurs équivalents dans le privé pour certains de ces postes qui n’y ont pas le même nom).

C’est ainsi l’organisation de tout un monde que le gouvernement demande de penser… Et pour cela les établissements disposent de moins de deux semaines, dans un contexte où les communications se font à distance, où la coordination n’est pas évidente. Les personnels les plus précaires (Atsem, AESH, AVS, AP et AED, notamment) s’attendent, tout comme lors du confinement, à n’avoir des informations qu’à la toute dernière minute et à devoir se battre pour que les missions qui leur sont confiées restent dans le périmètre défini par les textes réglementaires.

Les enseignant·es, qui devaient assurer une continuité pédagogique à la maison, devront aussi assurer une continuité pédagogique de retour en classe, ceci avec un groupe déstructuré, alors que c’est l’unité de travail en contexte scolaire : les enseignant·es avertissaient déjà en début de confinement que leur travail ne pouvait être réellement continu avec le passage d’une classe à des élèves isolés.

De plus, si seule une moitié de classe est accueillie, comme le suggère Jean-Michel Blanquer, que fera l’autre ? Les enseignant·es doivent-ielles assurer la continuité pédagogique pour celleux qui restent à la maison, soit un double travail ?

Certain·es ont déjà proposé quelques visions humoristiques de ce que pourrait être le retour en classe, comme ce petit échange relayé sur le site de la Fédération des travailleurs de l’éducation (CNT-FTE). N’Autre école donne la parole à toutes les personnes qui interviennent dans le milieu éducatif (pdf) dans son dernier numéro en ligne.

D’autres s’inquiètent des conditions matérielles dans lesquelles les élèves seront accueillis.

Dans l’ensemble, les établissements souffrent pour beaucoup de conditions matérielles dégradées. Et ce n’est pas le boulot amorcé par le ministre qui va aider.

Cette rentrée est basée sur le principe (très relatif) de volontariat : les parents qui le souhaitent et qui le peuvent pourront garder leurs enfants à la maison. Même si le gouvernement souhaite faire passer la réouverture des écoles, collèges et lycées comme un geste social (en remettant tout le monde à l’école, on éviterait de creuser les inégalités), c’est loin d’être le cas.

Il ne s’agit bien sûr pas de nier les différences actuelles dans l’accès à l’éducation, différences mises en avant par de nombreux·ses acteur·es de l’éducation. Une tribune publiée dans Libération rappelle que, tout comme les mesures des gouvernements qui ont accentué les inégalités sociales et scolaires, la décision de réouverture va de nouveau mettre en évidence des inégalités : les familles plus aisées pourront se permettre de garder leurs enfants avec elles et de se protéger, tandis que celles qui ont besoin que les adultes retournent travailler ne pourront pas se le permettre.

Et en fin de compte, la réouverture des écoles permettra simplement de faire garderie pour que les parents retournent bosser.

De nombreuses organisations se sont positionnées contre la réouverture des écoles, collège et lycées tant que les conditions de sécurité sanitaire ne sont pas réunies. La Coordination nationale de l’éducation dénonce un bricolage, des annonces floues et des mesures impossibles à mettre en place. Elle appelle les personnels à exercer leur droit de retrait.

La CNT-FTE dénonce la logique économique qui soutend la réouverture des écoles et appelle à la solidarité, notamment envers les plus démuni·es, celleux qui n’auront pas le choix de remettre ou non leurs enfants à l’école.

Une motion intersyndicale unitaire rappelle aussi de façon plus générale le danger à prendre des mesures dans l’urgence. Le Café pédagogique, qui propose une synthèse des positions de plusieurs syndicats, a aussi interrogé les enseignant·es et rapporte que celleux-ci ne voient pas d’intérêt pédagogique dans la reprise, mais au contraire un véritable danger.

Effacement de la dette africaine : de quoi parlons-nous ?

La crise du Covid fragilise les plus pauvres partout dans le monde et menace donc tout particulièrement les pays africains. C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron fait resurgir un vieux serpent de mer, la promesse de l’annulation de la dette de ces pays. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, plus frileux, appellent simplement à la suspension des paiements.

200430 - Action de prévention contre le Covid-19 à Niamey au Niger par la Ligue panafricaine Umoja - La Déviation
Action de prévention à Niamey au Niger menée par des militants de la Ligue panafricaine – Umoja, en avril 2020.

A la fin des années 1990, l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) avait consisté à financer la lutte contre la pauvreté et annuler la dette de certains pays à la condition qu’ils appliquent des politiques imposées par la Banque mondiale, supposées mener à une « bonne gouvernance démocratique », mais consistant surtout en la privatisation de nombreux secteurs de l’économie, ne laissant que peu de marges de manœuvre aux pays concernés en suivant des méthodes employées notamment au Chili, laboratoire du néolibéralisme.

Ces contraintes avaient contribué à l’augmentation des inégalités et même à un « nivellement par le bas » des ressources. La libéralisation a par ailleurs diminué les revenus des États, les poussant à nouveau dans des spirales d’endettement.

Ce précédent et la conscience de la profonde injustice de cette dette imposée au moment de la décolonisation poussent des associations comme la Ligue panafricaine – Umoja à dénoncer la soudaine générosité occidentale : les pressions imposées pour payer les créancier·ères, le soutien aux gouvernements dictatoriaux, ne sont-ils pas à l’origine de la faiblesse des services publics en Afrique, et en particulier du système de santé ?

Au Brésil, du coup d’Etat manqué au coup de théâtre politique

Jair Bolsonaro s’est exprimé en direct pour commenter la situation. On se souvient que le président brésilien a soutenu que le jeûne religieux serait le rempart contre l’épidémie et qu’il a démis de ses fonctions son ministre de la Santé, Sergio Moro, le 16 avril, pour cause de désaccord sur la façon de gérer la crise.

C’est maintenant son ministre de la Justice qui le quitte, et avec fracas, dans la mesure où Moro est le juge qui a mis Lula en prison et qu’il accuse aujourd’hui Bolsonaro de corruption, notamment via des tentatives d’accès à des documents secrets de la police fédérale, pour espionner ses adversaires ou protéger ses alliés.

200427 - Bolsonaro Protecao contra a Covid-19 by UOL - La Déviation
Quand Bolsonaro tente les gestes barrières

La situation au Brésil est particulièrement explosive. Le 19 avril, Bolsonaro soutient une manifestation qui demande une intervention équivalent à lui donner les pleins pouvoirs. La démission de Moro ajoute une couche à cette période chaotique et les soutiens au président d’extrême-droite, notamment militaires, qui auraient pu lui faire espérer réussir un coup d’Etat, semblent se déliter.

Dernier coup de théâtre : dimanche, le chef de la police fédérale, Maurício Valeixo, est évincé par Bolsonaro et remplacé par un ami de son fils… lui-même trempé dans ces affaires de corruptions. Quand on demande à Bolsonaro de justifier ce choix, ce dernier répond « E daì ? » (et alors ?).

Suite à une de ses dernières prises de parole, certain·es estiment que Bolsonaro est cuit. S’il est destitué, c’est le vice-président qui prendrait la tête du gouvernement, Hamilton Mourão, militaire, connu, tout autant que Bolsonaro, pour ses sorties racistes et sexistes.

Merci à C.E.M. pour les nouvelles fraîches qu’ils nous a apportés directement depuis le portugais, que nous ne lisons pas !

Les grandes lignes du plan de déconfinement du conseil scientifique : surveillance et réactivité

D’après des scientifiques, nous sommes actuellement loin d’être sorti·es de l’épidémie du Covid-19. Un modèle tiré d’un article de l’Institut Pasteur estime que, même dans les zones les plus touchées, moins de 15 % de la population a été infectée par le Covid-19 (la moyenne nationale serait à 5 % avec un intervalle d’incertitude de 3 à 10 %).

200427 - Proportions d'infecté·es au Coronavirus au 11 mai 2020 by Institut Pasteur - La Déviation
Un article scientifique estime qu’il y a moins de 10 % de français·es infecté·es par le Covid-19.

La Gazette des confiné·es ne peut juger de la qualité scientifique de cet article qui se base à la fois sur les données épidémiologiques en France et des hypothèses mathématiques, c’est-à-dire des présupposés qui ne peuvent être vérifiés.

Or, d’autres articles scientifiques estiment que la fameuse « immunité collective » réclamerait plus de 60 % de personnes immunisées pour être efficace. On en est loin et ce même si tout·e infecté·e devient immunisé·e, ce qui est loin d’être sûr !

Mais le calcul est simple : si l’on veut atteindre les 60 % d’immunité collective avec le taux de mortalité estimé du Covid-19, cela fera des centaines de milliers de morts.

Le conseil scientifique – et le gouvernement avec lui -, opte pour une stratégie similaire à la Corée du Sud (mise en avant avec admiration par les médias), à savoir un déconfinement partiel avec surveillance de l’épidémie pour réagir avant que les hôpitaux ne soient débordés.

Si l’on ne trouve pas de vaccin rapidement, ce qui semble probable d’après l’Agence européenne du médicament, alors on peut penser qu’à terme, on arrivera à une immunité collective (avec la mortalité importante qui vient avec, qui peut toutefois être abaissée en cas de traitement efficace).

Tout ce que le confinement et les mesures de distanciation sociale auront permis d’obtenir, c’est d’éviter une surmortalité due au dépassement des capacités des hôpitaux. Cela fait déjà beaucoup de vies de sauvées si l’on regarde le nombre de cas estimé s’il n’y avait eu aucun confinement (voir la Gazette des confiné·es #8 à ce sujet).

Il est tout à fait possible que, même en faisant très attention collectivement, des confinements stricts de plusieurs semaines reviennent régulièrement.

Dans la pratique, qu’est-ce que cela veut dire pour les confiné·es ?

On pourra probablement revoir ses ami·es, reprendre nos activités pendant un moment. Et si l’on entend beaucoup tousser autour de nous ou si des scientifiques estiment (via des tests ou les chiffres des hôpitaux) qu’il y a beaucoup de malades et un pic important en préparation, il faudra probablement penser à se re-confiner sans tarder car l’on risque une nouvelle explosion de cas.

Si l’on attend que les hôpitaux soient débordés pour confiner, il sera trop tard pour éviter la catastrophe (à cause du décalage entre le début du confinement et le pic de besoin en lits de réanimation).

200427 - Nombre de patients en réanimation données gouvernementales au 18 avril 2020 - La Déviation
Il a fallu environ trois semaines après le confinement pour atteindre le pic du nombre de personnes en réanimation.

Plus l’on fera attention collectivement à respecter les distances de sécurité, les gestes barrières et à porter des masques, plus on peut espérer que les moments de confinement strict seront rares. Mais cela est difficile à garantir car le Covid-19 est extrêmement contagieux : il est tout à fait possible que, même en faisant très attention collectivement, des confinements stricts de plusieurs semaines reviennent régulièrement si l’on veut éviter des hôpitaux débordés (c’est l’un des quatre scénarios de sortie envisagés dans un article de l’Inserm).

Concernant l’immunité collective, on pourrait remarquer que ce taux de mortalité varie selon les âges et donc on pourrait être tenté·e de viser les 60 % d’immunisé·es uniquement parmi les personnes les moins à risque. En pratique, on peut juste constater que cela a échoué en France jusqu’ici quand on constate que le Covid-19 a réussi à rentrer dans les Ehpad malgré le confinement avec la mortalité que l’on sait. Cela ne veut pas dire que c’est infaisable.

Le gouvernement choisit un déconfinement à but économique et liberticide plutôt qu’un déconfinement dans la solidarité

La mise en place autoritaire du confinement et du déconfinement sans débat populaire et de manière opaque est à critiquer sans concessions. Elle est anxiogène et peu efficace quand on la compare à l’autogestion et à l’auto-décision locale.

On peut craindre la propagation de l’épidémie à cause du déconfinement, mais les problèmes posés par le confinement, qu’ils soient matériels pour les plus précaires ou psychologiques pour tout le monde, semblent trop importants pour l’éviter complètement.

Le choix d’insister sur les applications de traçage est une diversion et démontre la foi aveugle des classes dominantes en la technologie. Après le débat sur la chloroquine, le « tracking » numérique montre combien nous pouvons être sensibles à toute promesse de solution miracle quand nous avons peur.

Et dans le déconfinement, le diable se cache dans les détails pratiques. On peut être sûr·es que le gouvernement va vouloir tirer la corde au maximum pour que seuls les contacts nécessaires pour faire marcher la machine économique propagent la maladie. Et pour permettre à la machine économique de tourner le plus possible, tous les moyens seront bons à prendre comme les applications de traçage, les restrictions de liberté, et ce même s’ils ne marchent probablement pas !

200427 - Et après vivre autre chose collage publicitaire détourné à Marseille by Julien Girardot - La Déviation

Et c’est là où la lutte future prend tout son sens : d’un côté, le camp de l’économie qui souhaite que l’on travaille et que l’on évite les contacts sociaux non productifs économiquement (par exemple amicaux), de l’autre côté le camp de l’émancipation qui souhaite que la machine économique destructrice tourne le moins possible (qu’il y ait seulement les activités nécessaires à la société pour sa survie) et qu’on autorise autant que possible les contacts sociaux nécessaires à la solidarité, à l’épanouissement de tou·tes. Et à la révolution ?

Il s’agira de naviguer en permanence entre la nécessaire protection collective de la société – via des interdictions que l’on se posera -, et la nécessaire critique des modalités liberticides et orientées pour l’économie choisies par le gouvernement tout en écoutant nos peurs, nos envies (lire La Gazette des confiné·es #9). Et cela ne sera pas facile !

Traçage numérique : la science comme alibi

Avec l’approche du déconfinement souhaité par Macron, le conseil scientifique a planché sur les différents outils censés éviter un retour de l’épidémie et a pondu un avis détaillé, avec des fiches techniques dans lesquelles il décrit ses états d’âme. On s’est attardé un peu sur celles qui parlent des outils numériques, et ça fout franchement les pétoches.

La question de l’utilité des applications de traçage est vite traitée, dans la fiche technique numéro quatre : « Des travaux de modélisation suggèrent que ce type d’approche peut considérablement renforcer l’efficacité du contrôle sanitaire de l’épidémie ».

On appréciera l’absence de référence vers les études en question. Il faut aller tout à la fin du document pour trouver d’où vient cette assertion : un article publié dans la revue Science et un rapport d’une membre du « think tank progressiste » Terra nova financé par Danone, Engie ou même Google

Terra nova avait été épinglée par Le Monde diplomatique pour être un vivier à expert·es, un endroit où on cultive l’entre-soi et le conformisme idéologique des classes dirigeantes. Un chercheur américain commente les notes de Terra nova comme bien plus remarquables par leur profusion étourdissante que par leur contenu.

Ce rapport a une ligne directrice claire : le numérique vient uniquement en soutien à des mesures de contrôle épidémiologique. La question de la vie privée est donc subordonnée à celle de l’efficacité des mesures d’endiguement de l’épidémie. Elle est même complètement secondaire : les applications de traçage de contact sont vues comme un outil d’empowerment, sur la base du volontariat, dans le cadre de la civic tech, permettant de se saisir des enjeux sanitaires. On aimerait bien comprendre comment !?

À défaut, il faudra de toute façon imposer leur usage, puisqu’elles sont efficaces. Tant pis pour le volontariat…

200427 - Capture d'écran Atelier de désintoxification à la langue de bois Franck Lepage - La Déviation
Face à la langue de bois, la Scop Le pavé anime des ateliers de désintoxication et un documentaire en parle. Exercice simple : si vous êtes un·e expert·e, préférez-vous parlez de soumission ou de compliance ?

Tout en rappelant que ce serait mieux d’avoir le consentement de la population, le conseil scientifique envisage de le rendre obligatoire et justifie cela en appelant l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à la barre et son guide sur les questions éthiques de la surveillance de la santé publique : il s’agit de sauver des vies.

Si les usages volontaires sont à privilégier, des options obligatoires ne peuvent être écartées. […] Tout en pouvant techniquement se dispenser du consentement, les outils numériques permettent aussi de le recueillir à travers des usages volontaires. A défaut de consentement, un haut degré de transparence doit s’accompagner d’une information intelligible, y compris pour les personnes éloignées du numérique.

On retrouve le ton martial du gouvernement, que les scientifiques cachent d’habitude sous plus de précautions oratoires : « De manière générale, les mesures sanitaires visant à la protection de la population sont pour un État un devoir. »

On n’observe pourtant jamais autant de volontarisme lorsqu’il s’agit de lutter contre le tabac (78.000 morts par an en France) et l’alcool (49.000 morts).

Conscient·es des réticences que la population pourrait nourrir face à cette surveillance volontaire mais imposée, les éminences prennent par la suite un ton censément rassurant : « Une levée de l’anonymat n’implique pas la levée de la confidentialité. »

On aimerait les croire, ou au moins comprendre ce que ça peut bien vouloir dire. Idem lorsqu’iels insistent sur l’importance de prendre en compte « nos concitoyens éloignés du numérique » avec des « options adaptées […] à partir de moyens humains, matériels ou numériques appropriés ». On aimerait que ce soit déjà le cas en temps normal, alors qu’une partie non négligeable de la population se trouve en difficulté pour la réalisation de démarches administratives informatisées.

200427 - Planche bande dessinée by Moebius - La Déviation
Extrait de L’Incal, tome 1, par Moëbius

Après avoir énuméré une vingtaine de principes de bonne gouvernance typiques de la langue de bois managériale dont on sait qu’ils ne sont que des vœux pieux, des distractions, le conseil se hasarde à aborder la question des effets sur le système de santé, ce qui donne lieu à deux pages de verbiage de cabinet de conseil, garanties sans contenu. Morceaux choisis :

Sans évoquer des scénarios – au demeurant plausibles – d’une « uberisation » du système de santé, une stratégie numérique peut déboucher sur une rupture technologique importante.

La French Tech offre des espoirs prometteurs et se mobilise pour développer de nouvelles solutions en contexte épidémique.

Que peut-on tirer de ces lectures, à part quelques tranches de rire et une bonne chair de poule ? Comme on l’avait déjà remarqué dans une précédente Gazette, le conseil scientifique fait appel à très peu de travaux scientifiques pour étayer ses affirmations. Par ailleurs, il n’y a rien de « scientifique » dans les argumentaires déployés qui sont tellement vagues qu’on ne sait même pas à quels outils numériques ils font référence.

Si le texte ressemble plus à une copie de concours d’entrée à l’ENA qu’à un article de revue scientifique, c’est parce que son objectif n’est pas d’étudier des applications concrètes, pour peser le pour et le contre, mais de donner une caution scientifique à l’action gouvernementale à venir.

Les limites à l’efficacité du traçage, posées par l’absence de libre consentement, le faible nombre d’utilisateur·ices attendu·es et les détournements de l’application ne sont même pas évoquées…

L’amateurisme des scientifiques du conseil sur les enjeux du traçage informatisé est flagrant, sans doute parce que le seul « spécialiste du numérique » parmi elleux est Aymeril Hoang, un habitué du pantouflage et ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi, véritable VRP du traçage. Le conseil scientifique permet au gouvernement de se défausser des responsabilités politiques concernant son action, de manière encore plus flagrante que d’habitude.

Pour plus d’informations sur le traçage automatisé, on vous invite à lire notre hors-série sur la question (à paraître).

Quel déconfinement choisirons-nous ?

Les parties de foot ont repris dans la cour de l’immeuble d’en face. Quelques jours avant déjà, la petite vingtaine de gamin·es de la tour jouait au ballon tou·tes ensemble sur un minuscule carré d’herbe. Le terrain vague de l’autre côté de la rue est devenu un haut lieu de sociabilité, l’avenue se repeuple, les voitures et vélos circulent à nouveau.

Pour tenir le coup, nombreux·ses sont celleux qui, dès le début ou plus tardivement, se sont organisé·es des entorses, plus ou moins grosses, au confinement, comme le raconte plusieurs témoignages de La Gazette déconfinée (pdf), notre jumelle pas maléfique.

Pourtant, les réseaux sociaux et les médias dominants fustigent violemment tou·tes celleux qui dérogent un tant soit peu aux sacro-saintes règles édictées par le gouvernement – y compris les plus irrationnelles et les plus discriminatoires. Le confinement est devenu pour certain·es un code moral plus qu’une mesure sanitaire.

200427 - Footing devant un cinéma MK2 à Paris by Jeanne Menjoulet CC BY-ND 2.0 - La Déviation

La mairie de Paris a interdit le footing entre 10 h et 19 h, entraînant une improbable concentration de joggeur·ses dans les rues en dehors de ces horaires. Le conseil scientifique donne quant à lui son feu vert à la réouverture des écoles et aux déplacement entre régions à partir du 11 mai, sans que l’on comprenne bien ce qui aura changé à cette date… Les règles édictées par les pouvoirs publics, avec l’approbation plus ou moins contrainte des scientifiques, ne sont pas très rationnelles !

Alors, faut-il poursuivre consciencieusement la distanciation sociale ?

Ou peut-on se permettre d’aller voir quelques proches ? Et après le 11 mai, renverrons-nous à l’école les enfants, recommencerons-nous à voyager comme si de rien n’était ? Organiserons-nous une grosse fête avec des dizaines d’ami·es ou nous restreindrons-nous à des contacts distants ?

Débarrassons-nous de la chape moralisatrice qui s’est abattue sur nous.

L’État a suffisamment mal géré cette crise pour que nous ne lui fassions plus confiance sur ce sujet ; pourtant, la charge mentale de définir nos propres règles de conduite semble énorme à porter – nous n’avons pas un conseil scientifique sous la main, nous, et pas forcément le temps de nous pencher sur les dizaines de publications concernant le Covid… Alors, faut-il accepter aveuglément une contrainte extrinsèque, de peur de ne pas arriver à poser soi-même ses propres limitations ?

Que se passe-t-il si nous nous posons la question : vais-je mettre quelqu’un en danger en faisant telle chose ou telle autre ?

Comme l’explique l’Académie de médecine, l’isolement nous fait courir des risques psychologiques certains ; mais aller voir nos proches implique de réfléchir à l’ensemble de la chaîne de transmission qui pourrait conduire le virus jusqu’à une personne fragile.

Ces deux dangers, psychique et viral, et leur évaluation, diffèrent d’une personne, d’une interaction à l’autre, en particulier selon les conditions de son confinement, son activité professionnelle si on a été contraint·e de la poursuivre, son âge, ses facteurs de risque éventuels ainsi que ceux des personnes qui pourraient se retrouver sur nos chaînes de transmission, la probabilité d’avoir déjà été infecté·e, les angoisses des personnes avec lesquelles on vit, etc.

Nous n’avons pas de solution magique à proposer, pas de règle applicable à tou·tes.

Quelques pistes tout de même : réfléchir par nous-mêmes aux dangers que nous courrons ou que nous faisons courir aux autres dans les situations pratiques qui se présentent à nous et non dans un cadre théorique, chercher le consentement des personnes avec lesquelles nous vivons avant d’aller voir quelqu’un·e d’extérieur, voire, idéalement, définir ensemble les modalités de l’entrevue (distance d’un mètre ou câlins autorisés ?).

Cela pose néanmoins des problèmes d’intimité et de spontanéité dans les relations, et suppose une très bonne communication avec les personnes qui vivent sous le même toit que nous – situation dans laquelle sont finalement trop peu d’entre nous.

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