Clément*, 23 ans, père au foyer
J’ai participé à la manif car je suis opposé au projet d’aéroport depuis plusieurs années maintenant, mais aussi contre le système capitaliste qui construit cet aéroport, c’est pour ça que j’ai rejoint les rangs du cortège anticapitaliste/anti-autoritaire. J’avais apporté quelques fumigènes avec moi, ça met toujours de l’ambiance en manif.
Je n’étais pas « venu pour en découdre » absolument comme disent certains, mais j’avais préparé un masque à gaz – ce que je n’ai pas regretté par la suite – dans l’éventualité de possibles affrontements, auxquels j’avais prévu de participer, s’ils avaient lieu. La situation s’était tendue deux jours plus tôt, lorsque la préfecture a interdit l’hypercentre à la manifestation, et je me doutais que les choses risquaient de s’envenimer.
L’ambiance dans le cortège anticapitaliste était radicale, mais bon enfant, malgré l’important dispositif policier déployé autour de nous.
On a pu entendre le célèbre « Vinci, dégage, résistance et sabotage », mais aussi d’autres slogans tels que « le capitalisme, ça crée des emplois, dans les aéroports, et les commissariats » et bien sûr, les « police partout justice nulle part » ou autres « flics porcs, assassins » ont commencé à fuser quand, après à peine 100 m de cortège, les CRS exhibaient leurs canons à eau.
Le ton de la journée était donné. Ce que j’ai trouvé étrange, c’est que par rapport au 24 mars 2012, où les forces de police étaient déjà déployées en nombre (1.200), mais en quantité inférieure à samedi, ni la mairie (qui était même lors de cette manif protégée par des agents du Raid (1) pistolet-mitrailleurs à la main), ni l’agence Vinci Immobilier n’étaient protégées.
La police nous a donc laissés le champ libre pour les dégrader. Arrivés au bout de la rue de Strasbourg, on aperçoit une foreuse du chantier Vinci de réaménagement du square Mercoeur en feu, les gens applaudissent chaudement. On se dirige vers l’Hôtel-Dieu, à hauteur duquel le commissariat Olivier de Clisson, vide, est copieusement peinturluré.
D’énormes grilles de trois-qiatre mètres de haut sont érigées sur toute la largeur du cours, protégeant ce qui ressemble à ce moment-là à un ghetto de riches.
Certains tentent de s’en prendre à la grille métallique qui protègent l’entrée, puis allument un feu devant. Encore une fois, tout le monde applaudit (et pas que des gens en noir cagoulé, non non, des gens lambdas). Surtout qu’on vient d’apercevoir ce qui nous attendait sur le cours des 50 Otages.
D’énormes grilles de trois-qiatre mètres de haut sont érigées sur toute la largeur du cours, protégeant ce qui ressemble à ce moment-là à un ghetto de riches, avec ses magasins de luxe, ses banques, agences immobilières qui vendent des apparts qu’on ne pourra jamais se payer dans des immeubles bien propres, ses permanences électorales.
Bref, les flics protègent un tas de choses tout à fait désagréables à mes yeux en plus d’appliquer une décision inédite à Nantes qui constitue un affront politique et moral énorme.
Bien que la colère gronde, tout est encore calme, pas pour longtemps étant donné que les flics ont décidé d’ouvrir les festivités en tirant des grenades lacrymogènes, et ce alors que la foule est hétérogène, il y a aussi bien ceux qui prendront part par la suite aux affrontements, que des familles avec leurs enfants – qui au passage risquent bien de se souvenir de ce premier rapport avec la police française, et pas positivement -, des personnes âgées, etc.
Les keufs ont fait exprès pour énerver tout le monde.
Dans la foulée je mets mon masque à gaz – un masque complet -, je ne sentirai l’odeur des lacrymogènes que quelques fois dans l’après-midi, lorsque je l’enlèverai pour fumer des clopes. Grand bien m’a fait de l’apporter, car par moment l’air autour de moi semblait être totalement irrespirable, même si pour moi cela ressemblait plus à des fumigènes qu’à autre chose.
J’ai appris après que les canons à eau balançaient aussi un mélange d’eau et de substance lacrymogène (2), sans plus grand effet sur moi que brouiller ma vision à cause des gouttes d’eau sur ma visière.
C’est alors que vont commencer les affrontements.
On commence à leur envoyer des fumigènes, des bouteilles, des cailloux, leur renvoyer les palets lacrymogènes – qui sortent par six des grenades – qu’ils nous envoient. Les tracteurs qui s’étaient positionnés en face du mur anti-émeute se retirent, et selon les moments, ça chauffe plus ou moins.
D’ailleurs ce sont les CRS qui se chargent d’entretenir la révolte, en envoyant de temps en temps de grosses salves de lacrymos.
Je sais pas où ils sont allés chercher leurs black-blocs allemands, sûrement une hallucination collective.
Pendant ce temps-là on commence à (re)prendre possession de la ville, qui est pour beaucoup de gens la nôtre, contrairement à ce que voudraient faire croire Valls, Ayrault, Rimbert et leur clique. Je sais pas où ils sont allés chercher leurs black-blocs allemands, sûrement une hallucination collective.
On commence par s’étaler sur la partie est de l’île Feydeau, qui se situe non loin de la place Bouffay, dont la rénovation permet maintenant d’entasser une bonne quinzaine de camions de gendarmes mobiles (GM). Très pratique.
Le mobilier urbain commence à être utilisé stratégiquement. Une premiere barricade est érigée rue du Bon Secours pour prévenir une attaque de bacqueux et de GM. Dès lors, en plus des lacrymos, les flics vont tirer à coup de flashball et de lanceurs de balles de défense de 40 mm (LBD40, un flashball amélioré et très précis, classé parmi les armes de guerre) (3).
Des dizaines de personnes seront contusionnées par ces armes dans la journée, dont treize à la tête, un manifestant, qui en plus ne prenait pas part aux heurts, a perdu l’usage de son œil suite à un de ces tirs. C’est à ce moment-là, face à l’augmentation du nombre de blessés que les gens se sont réellement énervés.
L’espace Tan a été saccagé, l’espèce d’office du tourisme de la Loire-Atlantique également, et les affrontements se sont étendus au square Fleuriot, ça dépavait le tram dans tous les sens.
Puis les locaux de la station de tramway ont été incendiés. Les gens étaient vraiment en colère. Le fait que les combats se soient déplacés a fait faiblir la résistance autour de la rue du Bon Secours et a permis aux flics de reprendre cette zone, et par la même occasion de se mettre en ligne au niveau de la ligne 2 du tram, et d’amener les canons à eau au niveau de la place Alexis-Ricordeau, créant une nouvelle zone d’affrontements au niveau de l’esplanade gazonnée en face du CHU (sympa le déluge de lacrymo à 50 m d’un hôpital).
La rue Kervegan a alors été barricadée en son point central, au croisement avec la rue Du Guesclin, notamment à l’aide des pavés composant la rue. Dans cette rue étroite et ses bâtiments anciens, ça donnait vraiment un air de Commune de Paris.
Du coté de l’esplanade, ça se mettait maintenant à tirer des lacrymogènes en tir tendu, ce qui est parfaitement proscrit par le règlement policier. Les grenades envoyées par le lanceur Cougar font environ 25 cm de long et sont en plastique rigide. Autant dire qu’ils auraient pu tuer quelqu’un. Un copain en a vu passer une à dix centimètres de sa tête, il a eu chaud.
J’ai oublié de préciser que depuis le début, les flics balançaient des grenades assourdissantes, ou de désencerclement. Ces grenades, en plus de produire un bruit dépassant le seuil de la douleur, contiennent six morceaux de caoutchouc. Mais la charge explosive est elle contenue dans un réceptacle en métal, qui projette des éclats en explosant.
Un éclat a touché le type à côté de moi. On a vu le sang qui pissait littéralement, on a eu très très peur.
Une de ces grenades est tombée à deux mètres devant moi, et en explosant, un éclat à touché le type à côté de moi. Il s’est prostré, se tenait la tête, et là, avec trois autres personnes, on a vu le sang qui pissait littéralement, on a eu très très peur. On l’a porté jusqu’au CHU où il à été pris en charge. Il a eu de la chance, c’était seulement l’arcade sourcilière de touchée, mais un centimètre plus bas, on comptait un œil crevé de plus.
Une autre grenade a explosé à mes pieds au niveau du square Fleuriot, effet : surdité pendant trois minutes avec acouphène, déstabilisation, je ne me suis pas évanoui, mais c’est possible avec ce genre d’armes.
Plus tard dans la soirée, une de ces grenades est tombée et a explosé dans le keffieh d’un pote, il a eu 20 points de sutures au crâne, et les médecins lui ont dit qu’il avait vraiment de la chance, il aurait pu y passer.
Plus le temps passait, plus on entendait crier : « MÉDIC ! », pour appeler les équipes médicales qui s’étaient préparées à ce qu’il y ait des blessés. Ces équipes étaient composées je pense, pour la plupart, de zadistes.
Puis, vers 17 h 30 je dirais (pas évident, j’avais pas de montre, et je n’ai pas de téléphone portable, outil de surveillance par excellence), les flics ont décidé de charger, ils ont déversé une pluie torrentielle de gaz lacrymogènes en prenant soin de tirer le plus loin possible pour toucher aussi ceux qui étaient en arrière, et pour rendre le repli plus compliqué.
Je commençais à penser qu’ils allaient boucler la zone, et embarquer des centaines de personnes dans des bus.
On a aussi vu des trucs vraiment hallucinants à partir de là. Il y avait des hommes du GIPN – Groupement d’intervention de la police nationale, unité d’élite intervenant dans les prises d’otages ou autres situations extrêmes -, mais aussi des Éris – Équipes régionales d’intervention et de sécurité – qui ne sont pas sous les ordres du ministère de l’Intérieur mais de la justice, car ils sont censés n’intervenir que dans les prisons (4). Nantes, une grande prison à ciel ouvert ?
On était en droit de commencer à se le demander, car ils semblaient nous encercler de plus en plus, nous n’étions plus que quelques milliers sur place, et je commençais à penser qu’ils allaient boucler la zone, et embarquer des centaines de personnes dans des bus (ça s’est déjà vu).
On se situait alors aux niveau de la place de la Petite Hollande. J’ai décidé de partir, parce qu’à titre personnel, ça commençait à craindre. Ayant déjà un casier rempli pour cause de militantisme, j’ai préféré ne pas tenter le diable.
Je croise alors un pote qui me dit qu’il a sa voiture garée un peu plus loin.
J’attends d’être hors de vue de l’hélico qui nous survole depuis le début avec sa caméra surpuissante (capable depuis ses 300 m de haut de lire la marque de tes lunettes), j’enlève mon masque, mon pull et mes gants, les mets dans un sac, et on s’en va. Sans problème.
Je n’avais jamais vu un tel dispositif policier de mes yeux, ni un tel déferlement de violence de leur part. Tout ce qui s’est passé est à mettre à leur compte, c’était complètement disproportionné. Ils auraient laissé défiler le cortège, il y aurait certainement eu un peu de casse, symbolique, mais certainement pas autant.
Ils ont blessé une centaine de personnes, dont certaines gravement, voire mutilées à vie comme Quentin, dont c’était l’anniversaire. On leur a bien rendu la pareille (dix hospitalisés, 120 contusionnés) et je m’en félicite.
Un grand moment de révolte populaire, notamment avec des jeunes des quartiers populaires périphériques de la ville venus nous prêter main forte.
Malgré tout, c’était rigolo, et c’était un grand moment de révolte populaire, notamment avec des jeunes des quartiers populaires périphériques de la ville venus nous prêter main forte. Ils s’en foutaient peut être de l’aéroport, mais quand on dit qu’on est contre « l’aéroport et son monde », on doit comprendre que c’est ce même monde qui leur impose quotidiennement des vexations, que c’est cette même police qui les harcèle en bas de leurs tours, et que leur colère est aussi légitime que la nôtre.
Enfin, c’était la plus grande manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes jamais vue, et on leur a montré qu’on était capable de leur résister, et qu’en cas de nouvelle intervention sur la Zad, la résistance serait féroce.
Bon rétablissement aux camarades blessés ! Solidarité avec les douze inculpés, qui ont pris pour certains jusqu’à six mois ferme, avec la révocation d’un sursis de six mois.
* Le nom a été modifié. Les liens hypertextes et exergues ont été ajoutés par l’éditeur. Les photos sont de Rafael Manzanas, Sébastien Hermann (Flickr, CC) et Pierre-Alain Dorange (Flickr, CC)
(1) (2) (3) (4) L’usage de grenades de désencerclement (DBD) est relaté par Gaspard Glanz, journaliste de Rennes TV, qui a été blessé aux jambes par des éclats et a décidé de porter plainte.
14 réponses sur « Ils racontent la manif de Nantes de l’intérieur »
Rue Kervégan, sous les pavés, du sable.
Ma réflexion étant en cours, je poste mes observations dans les commentaires. Comme en plus je n’étais pas sur le terrain samedi, je pense que c’est leur place.
Après avoir publié ces témoignages, dont je répète assurer la crédibilité, visionné un bon paquet de longues vidéos, lu d’autres témoignages de manifestants et de journalistes, certains points me paraissent clairs :
1. La police a recouru de façon disproportionnée à la force en passant à l’offensive avec des armes potentiellement létales alors que la situation n’était pas insurrectionnelle (près du CHU notamment).
2. Il n’y avait pas de “black bloc”, du moins pas dans les proportions des 3 et 4 avril 2009 à Strasbourg lors du sommet de l’Otan. Ceux qui ont affronté les forces de l’ordre ne constituaient pas un mouvement organisé et si certains avaient prémédité des casses, d’autres paraissent avoir surtout agi en réaction au déploiement policier inédit de mémoire de syndicaliste. Contrairement à ce que dit la préfecture de Loire-Atlantique et le ministère de l’Intérieur, il n’y avait pas 1.000 casseurs.
3. Les dégradations sont politiques car ciblées : agences de voyage, bâtiments publics ou semi-publics (pour les transports en commun), représentation de Vinci en ville. Les commerces n’ayant pas de lien, même symbolique, avec le projet d’aéroport, sont laissés intacts.
4. Des milliers de manifestants, majoritairement pacifistes, ont refusé les incitations à la dispersion de la police (c’est d’autant plus clair dans cet extrait : http://youtu.be/Ve7A8AWFIt0?t=14m16s). Les dégradations et incendies sur l’agence Vinci et sur une pelle de chantier se sont déroulés en début de cortège, sans trop choquer la foule qui passait à proximité. La dégradation du matériel de la société de transport publique a néanmoins été condamnée au moment où elle se produisait.
5. 1.500 policiers et gendarmes, dont le GIPN selon Mediapart, étaient déployés. De quoi contrôler une manifestation de 100.000 personnes. Or, les manifestants étaient au plus 50.000 et la police n’a pas “maintenu l’ordre”. Le Figaro parle de 1.300 policiers qui ont tiré 1.760 grenades lacrymogènes, soit 10.560 palets : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/02/27/01016-20140227ARTFIG00370-casseurs-de-nantes-l-etau-se-resserre.php
D’où de nouvelles questions :
Est-ce que le recours à la violence de la part des manifestants devient légitime pour une part grandissante des personnes opposées au projet ? Cela expliquerait la volonté de rester face aux policiers qui avançaient samedi.
Quelles étaient les consignes de la police et à quoi s’attendait le préfet en barricadant de façon spectaculaire l’entrée du cours des 50 Otages ?
Et de nouvelles observations :
Le traitement médiatique de l’événement s’est fait massivement en faveur du ministère de l’Intérieur. La parole de Manuel Valls, accessoirement favorable au projet d’aéroport, n’a pas été mise en doute. Les appels à témoins de la police ont été relayés dans la presse.
Le débat autour de la présence des écologistes au gouvernement me paraît bien accessoire étant donné que par nature, les organisateurs de la manifestation ne peuvent contrôler des personnes autonomes. Il n’y a pas de lien organique avec EELV, alors comment les exclure ? Ecoutez à ce sujet l’analyse de la sociologique Virginie Grandhomme : http://www.youtube.com/watch?v=Y07IRf3N_98
Il me paraît plus intéressant aujourd’hui de se demander si le pacifisme n’en prendrait pas un sérieux coup dans l’aile, dans un pays en déficit démocratique et où 61 % des jeunes se disent prêt à participer à une “révolte de grande ampleur”, selon l’étude Génération quoi (210.000 sondés sur internet, parmi les personnes de 181 à 34 ans – http://abonnes.lemonde.fr/emploi/article/2014/02/25/frustree-la-jeunesse-francaise-reve-d-en-decoudre_4372879_1698637.html)
Du reste, une intervention pour déloger les occupants de la Zad paraît extrêmement risquée à tout point de vue.
Discuter de la violence en général comme si c’était un fait décontextualisé ça me parait particulièrement risqué que ce soit pour la légitimer ou pour la condamner. La violence a des raisons, c’est un moyen comme un autre.
Je doute qu’on puisse comprendre la violence avec une approche revendicative. La violence n’est pas là pour faire pression sur le gouvernement car cela signifierait s’en remettre au gouvernement – ou une autre institution peu importe – pour prendre des décisions alors que nous voulons la mort de l’état – et pas un “état plus démocratique”.
La casse c’est comme une vengeance de notre impuissance dans notre quotidien face aux forces qui le régissent. On profite de l’anonymat de la foule, de la difficulté pour les mécanismes de coercition de la contrôler afin de transgresser la loi, comme pour provoquer. Parce qu’on ne croit rien de possible dans le cadre légal.
Il y a une désillusion pas toujours théorisée mais d’après moi parfaitement justifiée. Désillusion vis-à-vis des syndicats et de leur service d’ordre, vis-à-vis des partis et de leur parlementarisme, vis-à-vis de l’état, de ses flics et de ses énarques… En tout cas c’est comme ça que je comprends ma violence. Ce n’est pas un avertissement, c’est un spasme d’indépendance. On ne répond pas à des erreurs, on s’en sert comme justification pour se révolter contre toute l’oppression qui pèse sur nos épaules chaque jour.
Merci pour ces témoignanges ! Etant plus du coté des “violents” que des “pacifistes”, je trouve qu’il manque tout de même la question du refus de l’autorité “en général” et le refus de l’autorité “sociale” (c’est à dire l’image “spectaculaire”) pour les manifestants.
C’est dommage car ça permet aussi de mieux comprendre la violence, le fait que certains manifestants aient une conscience différente des évenements et pensent que c’est une minorité qui doit lutter contre une majorité, et qui refusent l’idéalisme, donc qu’ils se fichent un peu de l’image qu’ils peuvent donner.
Je crois que les deux derniers manifestants qui témoignent ont un regard très critique envers l’autorité sociale, qui veut que les manifestations soient, en France, depuis les années 1980, pacifiques.
Suite à la manifestation nantaise, la notion de pacifisme est discutée sur ce blog, http://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1700 et sur de nombreuses pages Facebbok, ce qui semble montrer que parmi les militants écologistes, les actions radicales et illégales ne sont pas exclues.
Un des slogans scandé, taggé et mis en pratique samedi n’était-il pas “Vinci, dégage, résistance et sabotage” ?
Certaines prises de parole à la tribune allaient dans ce sens et étaient applaudies.
Selon cet article du Monde, il y a ceux qui veulent “condamener”, ceux qui veulent “déplorer” (http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2014/02/28/notre-dame-des-landes-les-opposants-veulent-un-front-uni_4374972_3244.html#xtor=AL-32280515), je rajouterai ceux qui veulent “justifier”. Le débat est houleux, mais dans la boue de NDDL toutes les composantes du mouvement restent unies (agriculteurs, zadistes souvent anarchistes, population locale).
Cette question n’est pas propre au mouvement écologique. Le mouvement des Bonnets rouges a donné lieu à des dégradations de biens et des affrontements avec les représentants de l’Etat, les séquestrations de patrons sont courantes, etc. Greenpeace mène des actions coups de poing.
La question se pose d’ailleurs à chaque mouvement de grande ampleur où la jeunesse est présente, CPE, LRU, retraites… Même si les organisations, les syndicats et les partis, n’ont jamais revendiqué d’actions violentes, ce qui les éloignerait des institutions !
Je crois vraiment que plutôt que se demander si EELV a sa place au gouvernement, alors que ce parti ne structure pas la lutte de NDDL (enjeu politicien), la manifestation de Nantes met un enjeu plus important sur la table :
Jusqu’à quand les manifestants resteront majoritairement pacifistes ? Est-ce qu’une guérilla rurale serait populaire ?
Allons plus loin. Les manifestants anti-NDDL ne refusent plus la violence car ils savent que sans la défense au corps à corps de la Zad lors de l’intervention César, il n’y aurait déjà plus de lutte.
“Nous sommes nombreux à l’avoir constaté : si, le 22, il a bien dû y avoir quelques propos hostiles aux « casseurs », nous n’avons pas eu l’occasion d’en entendre, ni chez les manifestants de base, ni chez les paysans sur leurs tracteurs qui attendaient tranquillement en regardant l’action, ni chez les dizaines, peut-être les centaines, de personnes qui ont pris les dégâts en photo, ni chez les milliers qui suivaient en retrait les affrontements. S’affirmait là une forme de complicité implicite, peut-être même pour nombre d’entre nous une forme de lutte par procuration. Cette attitude s’explique par la compréhension de ce que tant de commentateurs refusent de voir, et que Nicolino a bien exprimé : l’affrontement avec la police et le refus de se laisser intimider par l’appareil guerrier de l’État ont été essentiels dans le succès de la lutte jusqu’à présent. Aurait-on tant parlé de la manif de Nantes si elle s’était cantonnée à parcourir le trajet imposé en scandant des slogans et en souriant aux caméras ? Dans ce mouvement comme dans tant d’autres auparavant, les épisodes de bagarre concourent à exercer une pression sur le gouvernement. Quel que soit le peu de sympathie que beaucoup de Nantais éprouvent pour les « casseurs », le fait que l’obstination de l’ancien maire à construire son aéroport entraîne tant de désordres ne joue pas en sa faveur. La solidarité avec les interpellés et les condamnés est donc essentielle.”
http://www.article11.info/?Retour-a-Nantes-Reflexions-autour#forum38203
Il faut aussi verser à la réflexion ce texte de Nicolas Lebourg, historien et spécialiste de l’extrême droite, qui revient sur l’histoire de l’usage de la violence par les groupes politiques.
Il ne s’agit pas de mettre les extrêmes sur un pied d’égalité, mais de montrer que la violence des extrêmes correspond à un contexte.
“La violence des extrémistes ne serait alors que la version brutale, saisissante, de cette sinistrose induite par une société réduite au consumérisme, sans récit historique ni projet politique, où l’Etat n’influe pas sur l’économique. Comme l’électeur, mais autrement. Les radicaux ne réclament-ils pas un retour du politique et un sens commun? Cela met nettement moins à l’aise que de ressasser les thèmes du «deux poids, deux mesures» et de la «violence des extrêmes».”
http://www.slate.fr/story/83941/ultra-gauche-extreme-droite-radicale
Si le gouvernement fait confiance aux mêmes agents de renseignements que ceux qui avaient travaillé sur Julien Coupat, ça nous situe le niveau de crédibilité de leur histoire de black blocs allemands.
Valls qui pointe des casseurs zadistes, Auxiette et la droite qui demandent l’évacuation de la Zad, la boucle est bouclée.
Une émeute dégénère à Nantes
La journée avait pourtant commencé dans une ambiance bon enfant : au moins deux engins de chantier incendiés; une agence Vinci saccagée; des policiers harcelés. Les émeutiers s’en prennant également à la mairie, un poste de police et plusieurs magasins du centre-ville.
Or dans la journée, plusieurs centaines de personnes ont convergé vers la ville dans la claire intention de manifester pacifiquement. « Ces agissements sont inacceptables » s’est empressé de dénoncer un porte parole des insurgés et membre du collectif People VS Nantes, « la présence de la gauche organisée en cortège au sein de nos émeutes est inadmissible. Il ne fait aucun doute qu’ils sont venus de toute la France et de l’étranger uniquement dans le but de scander des slogans, brandir des banderoles et ne pas s’en prendre au mobilier urbain. Nous ne les laisserons pas gâcher notre fête. »
La suite : http://juralib.noblogs.org/
Tout est question de point de vue ;)
Adieu les jeunes moyens, les pires de tous
Ces baltringues supportent pas la moindre petite secousse
Adieu les fils de bourges
Qui possèdent tout mais n’savent pas quoi en faire
Donne leur l’Éden, ils t’en font un Enfer
Adieu tous ces profs dépressifs
T’as raté ta propre vie, comment tu comptes élever mes fils ?
Adieu les grévistes et leur CGT
Qui passent moins d’temps à chercher des solutions qu’des slogans pétés
Qui fouettent la défaite du survêt’ au visage
Transforment n’importe quelle manif’ en fête au village
Adieu les journalistes qui font dire c’qu’ils veulent aux images
Vendraient leur propre mère pour écouler quelques tirages
Adieu la ménagère devant son écran
Prête à gober la merde qu’on lui jette entre les dents
Qui pose pas d’questions tant qu’elle consomme
Qui s’étonne même plus d’se faire cogner par son homme
Adieu ces associations bien-pensantes
Ces dictateurs de la bonne conscience
Bien contents qu’on leur fasse du tort
C’est à celui qui condamnera l’plus fort
[…] Cinq manifestants anti-aéroport de Notre-Dame-des-Landes nous racontent leur manif du 22 février à Nantes et leur opinion sur les violences. […]
Le site d’info écolo Reporterre propose un compte rendu minuté de la manifestation, qui permet d’avoir une vue d’ensemble sur celle-ci.
C’est une synthèse de divers témoignages, de personnes se trouvant à différents endroits simultanément.
http://www.reporterre.net/spip.php?article5482
On y retrouve les observations faites par nos cinq sources.
En résumé, le cortège s’est scindé en deux. Alors que la tête, partie de la préfecture, comprenant les organisateurs et les politiques, s’est dirigée vers l’île de Nantes (parcours pensé quelques heures auparavant, lire “Maxence”), le corps du cortège, allant moins vite, a stagné au niveau du CHU.
Ne sachant pas par où aller, une partie des manifestants s’est retrouvée face aux grilles anti-émeutes dressées devant le cours des 50 Otages (lire “Séverine”). Ce cours est un passage traditionnel des manifestations. En colère, des manifestants ont tambouriné sur la grille. Des objets ont été lancés sur les CRS se trouvant derrière. Ceux-ci ont répondu par des jets de lacrymo et l’usage des canons à eau (très rarement déployés à Nantes, mais ça c’était avant).
Au même moment, des groupes mobiles de quelques dizaines de personnes au plus, sont arrivés devant les barrières de police. Ce sont eux, qualifiés de “black blocs” qui ont poursuivi le harcèlement en utilisant des armes plus dangereuses que des œufs de peinture (pavés, chariots en feu, feux d’artifice, fumigènes).
Ces groupes avaient déjà saccagés une agence Vinci (rue de Strasbourg), mis le feu à une foreuse (Boufay), lancés des câbles lestés sur les voix de chemin de fer et attaqué le commissariat se trouvant près du CHU.
Les affrontements se sont propagés dans diverses rues et squares, jusqu’à s’arrêter lorsque la police a repoussé les derniers manifestants sur le parking de la Petite Hollande, face à la Médiathèque, vers 18 h (lire Clément et Séverine).
Pendant ce temps, les commerces continuaient à tourner en centre-ville. Pendant longtemps, des manifestants ont dansé à quelques centaines de mètres des affrontements, dans une atmosphère toxique (lire Maxence).
L’auteur de l’article note sur les affrontements :
“Mais sur tout le cours Franklin Roosevelt, il y a des centaines de personnes, peut-être des milliers, qui regardent ce qui se passe, par curiosité et avec une certaine empathie.” (lire Félix et Raphaël)
Bilan des blessés :
Manifestants : 50 blessures dont 13 au visage (cause flashball, grenades assourdissantes et matraques). (source : équipe médicale de la Zad)
Policiers et gendarmes : 10 blessés “passés par l’hôpital”, selon le préfet.
Rien ne permet formellement de dire que ceux qui ont affrontés la police le plus violemment sur des occupants (ou squatteurs) de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. C’est pourtant le discours du ministère de l’Intérieur depuis le premier soir, qui sert d’argument à ceux qui veulent reprendre la Zad pour commencer les travaux (comme Jacques Auxiette, le président de région).
D’ailleurs, beaucoup de questions restent posées :
Pourquoi les organisateurs n’avaient pas prévu de service d’ordre ou des relais guidant les manifestants sur le parcours ?
Pourquoi le bar-concert Le Chat Noir (nom équivoque) a été attaqué, alors que les autres cibles étaient des bâtiments publics, des banques, agences de voyage ou l’agence Vinci ? https://www.facebook.com/photo.php?fbid=635175949883016&set=a.128676927199590.22587.128533713880578&type=1&stream_ref=10
Pourquoi la police a fait un usage disproportionné de la force quand elle s’est trouvée face à des manifestants pacifiques (devant le CHU notamment), entraînant plusieurs blessures graves, dont parmi eux deux journalistes parfaitement identifiés ?
Pourquoi les autorités ont préféré faire passer la manifestation rue étroite de Strasbourg, où se trouve une agence Vinci, plutôt que sur le cours des 50 Otages, beaucoup plus large et contrôlable.
Quel est le sens des déclarations exagérées sur l’état de la ville de Nantes par des élus (champ lexical de la guerre : “guerilla urbaine”, “saccage”, “black bloc”, etc.) ? Pour cette dernière question, il semble que le bar n’était pas une cible, mais les policiers qui se trouvaient à côté. Plusieurs personnes parlent de “tirs foireux” sur Facebook.
[…] Elle rappelle aussi le lourd déploiement policier du 22 février 2014, dans ces mêmes rues nantaises, lors d’une manifestation de grande ampleur contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Nous avions publié une série de témoignages qui soulignaient la provocation d’un tel dispositif. […]