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Non « Marianne », le “fact-checking” n’est pas une mode

Controverse – Un récent article de « Marianne » intitulé « On a fact-checké les fact-checkeurs »  critiquait sévèrement  le fact-checking, cette « lubie journalistique » qui « se prétend science exacte », mais qui est bien plus subjective que ce qu’on voudrait nous faire croire. Voici donc ma réponse.

Le journalisme est en pleine mutation. À tous les niveaux. Si vous qui me lisez êtes journaliste, vous savez toutes les inquiétudes qui guettent les directions et toutes les questions qui assaillent les journalistes.

Des mutations économiques, des changements de technologies qui induisent un changement de rythme, de culture, etc. Tout ceci provoque une accélération permanente des (r)évolutions de la profession que chaque journaliste perçoit selon son histoire, ses convictions et ses doutes.

Le fact-checking (un anglicisme qui a l’équivalent français peu usité de “vérification factuelle”) fait partie de ces évolutions dans le traitement de l’information et a connu un certain succès en France.

Ces dernières années, nous avons pu observer que ce genre, importé des États-Unis, a fait son bout de chemin en France jusqu’aux grandes rédactions parisiennes. Europe 1 (Le Vrai/Faux de l’info), France Info (Le vrai du faux) ou Le Monde.fr (Les décodeurs) ont développé cette formule éditoriale et d’autres suivront sans doute dans les prochaines années.

En revanche, d’autres médias, ce n’est pas une surprise, ne suivront pas ce chemin (et, d’un côté, c’est tant mieux pour la diversité de la presse) et certains s’en expliquent. Une « mode », un « lubie journalistique », une « pseudo-science », voici quelques qualificatifs utilisés par certains journalistes pour décrire le fact-checking. Vraiment ?

 « La vérification, c’est la base du journalisme ». Oui mais…

Un argument que j’entends souvent et que je lis souvent au sujet du fact-checking, c’est que la vérification des faits est la base du métier de journaliste et que, par conséquent, il ne s’agit en aucun cas d’une (r)évolution. D’où aussi la perception de certains que ce genre essaye de réinventer le journalisme en vain.

En vérité, ce que l’on appelle le fact-checking ne consiste pas à vérifier bêtement certaines assertions ou à vérifier la véracité de certains faits.

Le fact-checking est plutôt une évolution très poussée de la vérification au sens où il répond à l’évolution des usages et de la société. La communication a très largement pris le pas sur le factuel, tout spécialement en politique ou les approximations et les mensonges sont quotidiens.

La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes.

Avec l’utilisation, devenue massive, des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter, la circulation de l’information est plus rapide qu’elle ne l’a jamais été. Dans cette évolution, le rôle des médias a décru puisque les journalistes ne sont plus un relais indispensable entre le public et l’actualité. Tout juste sont-ils devenus optionnels. Le fact-checking a pour objectif de répondre à ces nouvelles exigences.

La communication est un enjeu crucial pour les acteurs politiques et économiques. Le fact-checking n’est ni une mode ni un lubie mais bien une vérification poussée et une confrontation plus frontale entre les faits ou les indicateurs qui prennent la mesure de la réalité et la parole politique.

La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes. Elle ambitionne de démonter les coups de communication, qu’ils viennent de partis politiques ou d’entreprises multinationales.

Dire le vrai du faux ?

Dans la famille des arguments tordus, il y a ceux qui s’en prennent au mode binaire de traitement, à savoir que le fact-checking ne saurait donner que deux réponses : vrai ou faux.

Là encore, il n’y a rien de plus éloigné de la réalité que ce cliché éhonté. À vrai dire, la pratique du fact-checking tend à laisser bien plus de place au doute et à la nuance que ne laisserait transparaître la promesse initiale de distinguer le « vrai » du « faux ».

La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de proposer une lecture simpliste du monde, mais au contraire de restituer sa complexité.

Si l’on prend Les décodeurs du Monde.fr, lancés en mars dernier, les articles ne tranchent que rarement sur un « tout à fait vrai » ou un « tout faux ». Et pour cause, les nuances sont nombreuses, expliquées, sourcées, et les biais des statistiques exposées. Ainsi, vous lirez souvent un « pourquoi c’est plus compliqué » ou un « pourquoi c’est exagéré ». La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de donner un monde simpliste, binaire, au lecteur. Au contraire, la promesse est de restituer la complexité du monde.

Car c’est là aussi l’une des clefs qui rend la pratique du fact-checking si intéressante. Le monde, tel qu’il est, est complexe. Pourtant, les idées reçues sont innombrables et tenaces. La pauvreté, les immigrés, la vie politique : ni les sujets minés d’a priori et d’idéologie ni les récupérations politiques ou médiatiques ne manquent. Les couvertures du Point sont là pour le rappeler chaque semaine.

Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.
Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.

L’idée du fact-checking, c’est de remettre les faits, rien que les faits, au cœur du débat. C’est une façon indispensable de dépassionner le débat avec des éléments matériels ou statistiques tangibles, susceptibles d’éclairer la compréhension du public.

Le fact-checkeur est-il objectif ?

C’est une fausse question soulevée par certains journalistes qui critiquent volontiers la prétendue objectivité des chiffres et des faits avancés par le journaliste fact-checkeur.

Quand je lis par exemple qu’on critique le choix des « victimes » politiques des décodeurs du Monde, je ris jaune. Selon ce billet, 47% des articles visent les hommes et femmes politiques de droite, ce qui démontrerait une certaine subjectivité des journalistes dans le choix des propos à vérifier.

C’est bien-sûr totalement ridicule car, comme Raphaël da Silva, qui est datajournaliste à Strasbourg, le rappelle, la bêtise ne peut être symétriquement répartie.

Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité.

De plus, tous les mensonges/approximations ne se valent pas, loin de là. Cela dépend de la gravité des propos, de l’ampleur de l’intox, de l’influence de son auteur, etc. En fonction de ces paramètres, les journalistes font des choix et les assument. Si la droite est plus contredite par la gauche en ce moment, il y a fort à parier que les bullshits sont plus nombreux de ce côté de l’échiquier politique.

Notez aussi que le journaliste qui fait bien son métier se voit constamment soupçonné d’être complaisant ou complice d’un côté ou d’un autre. Un jour il est marxiste, un autre jour il fait le jeu du FN. Demandez à Samuel Laurent (journaliste au Monde.fr, coordinateur des Décodeurs), il est passé par toutes les couleurs politiques.

Deux articles du "vrai / faux" de l’info d’Europe 1.
Deux articles du “vrai / faux” de l’info d’Europe 1.

Quand ce n’est pas le journaliste qu’on accuse d’être subjectif, ce sont ses sources et les chiffres cités. C’est une critique qui peut se valoir dans le sens où les chiffres découlent d’une méthode de recueillement des données qui comporte ses avantages et ses limites. Il est important de connaître ces biais, pas toujours faciles à détecter, afin de bien repérer les limites de certaines sources.

Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité, ce qui est très différent. Tous ne prennent pas ce recul sur les sources, mais certains le font. Je cite encore une fois Les décodeurs pour bien connaître leur travail, mais ils ne sont pas les seuls à prendre les précautions qui s’imposent sur leurs sources.

Au final, le fact-checking est-il une fausse bonne idée comme certains le prétendent ? Je ne le crois vraiment pas.

Contextualiser les actualités, vérifier systématiquement les coups de com’ des politiciens, évaluer l’efficacité de certaines mesures politiques, démonter les hoax et les idées reçues, c’est un travail d’information impérieux. Si certains croient encore que c’est aussi simple que ça et que c’est la base du métier, qu’ils s’y mettent, on en reparlera après.

Quant aux critiques, si les avis constructifs sont nécessaires et la prise de recul indispensable pour que la profession puisse sainement remettre en cause ses pratiques, les journalistes réfractaires devraient réaliser que le monde a changé, sans quoi ils ne serviront bientôt plus à rien si ce n’est qu’à publier des pamphlets creux et des unes sur Nabilla.

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Diapéro, l’évangile du diaporama sonore

Reportage – Mardi 26 février avait lieu le cinquième rendez-vous Diapéro, à Paris. Organisée par les journalistes Gilles Donada, Marianne Rigaux et Paul-Alexis Bernard, la rencontre trimestrielle vise à réunir les adeptes du diaporama sonore. À l’heure ou le journalisme web est en constante évolution, quelle place donner à ce format ?

Chez “La Déviation”, aborder la question du diaporama sonore n’est pas anodin. Pour une raison simple : nous évoluons sur le web. Pour des raisons moins simples : nous nous efforçons d’être les producteurs des contenus présents sur ce site, nous cherchons à sortir du temps journalistique de plus en plus rapide et enfin nous nous questionnons sur les formats journalistiques qu’ouvre le web.

D’après Gilles Donada, en charge du développement éditorial de l’audience digitale web chrétien à Bayard, le diaporama sonore répond en partie à nos questionnements de jeunes journalistes. « Contemplatif et informatif », le format est «  plus puissant en terme de narration que les vidéos qu’on trouve sur le web et à la télé ».

Par l’addition de ces deux moyens d’expression, par un travail judicieux, une sorte de contre-point, de dialogue, de danse même… Il y avait une forme d’expression que je n’avais jamais vu jusque-là.

Gilles Donada découvre le diaporama sonore lorsqu’il est, de 2009 à 2012, responsable du site Pelerin.com. Les photo-reporters du média viennent lui proposer de créer une extension web à leurs reportages diffusés sur la version papier. « Le son apporte du relief », explique-t-il.

Ce sont ces premières rencontres qui poussent Gilles Donada à collaborer avec le service iconographique du magazine.

Valoriser le photo-reportage

Aujourd’hui il œuvre à « l’évangélisation » du format au travers de ces rendez-vous trimestriels. Le temps d’une soirée, les Diapéro permettent de découvrir, de visualiser des diaposons, d’échanger entre journalistes, photographes, réalisateurs, diffuseurs, producteurs et curieux.

Échanger, c’est ce que j’ai fait avec Gilles Donada qui se trouve à l’autre bout de mon micro.

Et alors ? Ce cinquième diapéro ?

Le début des festivités annonçait 19 h. Mais pour ce cinquième rendez-vous, l’évènement se déroule dans un quatrième lieu.

Après le Café de Paris et le Comptoir Général, c’est maintenant au tour des Voûtes, rue des Frigos, à Paris, de passer le test de la qualité visuelle et sonore et de la convivialité. Des critères essentiels pour Marianne Rigaux, journaliste et membre très active des Diapéro.

Les portes n’ouvrent pourtant pas avant 20 h. « On a l’image mais pas de son », entend-on. Le message est clair. Direction le bar pour un moment de convivialité.

Il n’y a pas trop le choix de la boisson, mais le lieu sous les voûtes est chaleureux. J’en profite pour discuter avec un jeune journaliste. Il a entendu parler des Diapéro car il vient juste de suivre une formation dirigée par Marianne Rigaux. Panne de courant. Décidément.

Une fois tous installés dans la salle entre les sièges de cinéma et les chaises de campeur, la rencontre débute avec la réalisation d’une journaliste de France Info. Étonnement ! Radio France investirait le diaporama sonore ?

Mon veau s'appelle Hashtag - Crédits France Info - La Déviation

En réalité, la proposition de Clara Beaudoux tient plus de la Pom (comprendre petite oeuvre multimédia). L’équipe des diapéros ne souhaite pas se restreindre au rendez-vous stricte autour du diaporama sonore.

D’ailleurs, les réalisations se permettent très souvent de courts extraits vidéos. Et de toute évidence, le web casse les formats. Les règles sont souvent faites pour ne pas être respectées. C’est dans cet esprit que les trois organisateurs déclarent Mon veau s’appelle hashtag comme étant leur coup de cœur du trimestre.

 Des photo-reporters, on n’a pas ça en stock.

Radio France va-t-elle développer ce genre de format ?

Réponse en demi-teinte. Et c’est Xavier Meunier qui s’y colle. En tant que rédacteur en chef des nouveaux médias à Radio France, il répond en bon communicant.

Après avoir dispersé quelques mots-clés pour rappeler la équalité exceptionnelle de production du groupe Radio Franceé, il faut bien comprendre que les budgets ne sont pas à destination du web.

Cependant, il rappelle, à raison, que le web est un grand chantier qu’il faut investir. Seulement, pour les quelques pigistes qui espèrent collaborer avec la radio publique, la passerelle entre la FM et la toile semble destinée à l’équipe interne.

Ainsi, pour le travail photographique, c’est Clara Beaudoux elle-même qui s’en charge. Pourquoi ? « Des photo-reporters, on n’a pas ça en stock », répond Xavier Meunier.

Journaliste ou réalisateur ?

Entre en scène, Alexandre Marionneau, qui est conseiller documentaire à France 2. Il coordonne notamment le concours de courts-métrages documentaires Infracourts, diffusés dans le cadre de l’émission Infrarouge. Lors de la première édition du concours, qui s’est achevée début janvier, l’équipe de Diapéro avait largement mobilisé ses troupes.

Le résultat est convaincant, au point que le documentaire Revivre de Christophe Siebert et Sonia Winter se voit sélectionné parmi les dix lauréats. S’il est difficile de remettre en cause le travail des deux réalisateurs, l’objet interroge sur le bon équilibre entre le travail sonore et visuel.

Au fil des projections, il semble que le diaporama sonore soit avant tout une affaire de photographes.

L’intervention de Christophe Siebert, photographe, vient confirmer cette impression. Les témoignages sont difficilement audibles, le son n’est pas propre, alors que les images sont parfaitement maîtrisées.

Marianne Rigaux commence d’ailleurs par lui demander « Comment avez-vous effectué votre captation sonore ? Vous étiez loin, non ? ». La réponse est simple : « J’ai pris le son avec mon deuxième appareil photo. »

D’après Alexandre Marionneau, la réalisation a plu au jury car il traitait le sujet de la maladie d’une façon différente et positive.

Pour l’équipe de Diapéro, savoir que Revivre est diffusé sur France 2 est une victoire. Cela signifie que l’image fixe a aussi sa place et son intérêt à la télévision.

Ouvert à toutes propositions

La dernière partie de soirée s’ouvre sur les Diap’open. Le concept est simple. Chacun est libre d’envoyer ses réalisations auprès de l’équipe qui se chargera d’effectuer une sélection. Ce soir-là, sept diaposons se retrouvent diffusés.

La soirée ne manque pas de rythme. Les réalisations font en général trois ou quatre minutes et sont entrecoupées de courtes interventions, de l’équipe organisatrice ou des journalistes-réalisateurs.

S’enchaînent alors les réalisations avant d’arriver à la dernière étape de ce diapéro : la rencontre. Convivialité oblige, le bar est présent et les lumières sont tamisées. Producteurs, diffuseurs et journalistes peuvent alors profiter de cet instant pour étoffer leur carnet d’adresses.

D’ici là, les diaporamas sonores diffusés sont visible sur Vimeo, car il faudra attendre juin pour le Diapéro #6. Les Voûtes semblent parfaites. Et s’il fait beau, le jardin sera investi.

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