Catégories
Écouter

La Fête du Bruit fait du reuz

Live report – Plus que l’annulation de dernière minute des Babyshambles, c’est la piètre qualité d’accueil des festivaliers par Régie Scène qui marque d’une pierre noire cette sixième édition de la Fête du Bruit. Elle contraste avec la qualité des concerts.

En cinq ans, la Fête du Bruit peut déjà se vanter d’avoir accueilli Placebo, Stromae, Pete Doherty en solo, Snoop Dogg, Moby, Miles Kane, De La Soul, Shaka Ponk ou encore The Bloody Beetroots. Même les fans de David Guetta on pu l’applaudir en 2012 ! Tout ça en plein centre-ville de Landerneau, non loin de Brest.

Cette année, la société Régie Scène et la ville de Landerneau recevaient le samedi 9 août -M-, The Pogues, 2 Many DJ’s, Tiken Jah Fakoly, New Model Army et Siam. Les Babyshambles, programmés ce même jour, ont dû annuler leur venue la veille, officiellement pour raison de santé. C’est Giedré qui a remplacé le groupe de Pete Doherty, au pied levé.

C’est le lendemain de cette volte-face que je suis arrivé sur le festival.

Au programme : The Red Goes Black, Cats On Trees, The Strypes, Chinese Man, The Hives, Woodkid, et Paul Kalkbrenner. Autant vous dire que l’affiche est alléchante.

Le public de la Fête du Bruit pendant The Strypes

Le concert « sympa »

J’arrive sur le site pendant le concert de Cats On Trees. Le duo, qu’on entend en boucle sur toutes les radios depuis environ six mois, a donné un concert plutôt correct. Ils ne sont que deux sur scène, ce qui n’offre pas de grandes possibilités : la chanteuse est au piano, et le batteur l’accompagne.

C’est sympa, mais ça ne me fait ni chaud ni froid. Le public gardera quand-même en tête leur belle reprise de Mad World de Tears For Fears, et le batteur qui fait tomber une de ses percussions en pleine chanson, sous les rires de Nina, la chanteuse.

Cats On Trees Fête du Bruit 2014 - La Déviation

La révélation

J’avais découvert The Strypes en septembre dernier, lors de l’émission Album de la Semaine, sur Canal+. Sans être un grand fan du groupe, j’avais hâte de voir ce que ces petits prodiges irlandais pouvaient faire sur scène. Ils ont entre 16 et 18 ans, et font déjà des concerts un peu partout dans le monde.

Le groupe arrive à 18 h 15 et met le public dans sa poche en quelques morceaux seulement. On oublie l’âge des membres du groupe, tellement ils semblent matures. Je me demande même s’ils n’ont pas déjà pris un peu la grosse tête, mais qu’importe. Je me laisse aller sur les riffs de guitare et les magnifiques solos d’harmonica, qui sonnent à merveille.

The Strypes - 1

Le concert se termine à 19 h 25, et je me dis que ce groupe là ira vraiment loin. Je les imagine déjà aux Vieilles Charrues devant 50.000 personnes, sur la scène Glenmor (la plus grande scène du festival), avant leurs 25 ans.

Un groupe à suivre, ou à découvrir de toute urgence si vous ne les connaissez pas encore !

The Strypes - Fête du Bruit 2014 - La Déviation

La déception

Je ne connaissais pas tout le répertoire de Chinese Man : seulement I’ve Got That Tune et Get Up. Je m’attendais vraiment à être surpris par le groupe avec des morceaux de ce style.

J’apprécie les deux ou trois premiers morceaux, mais je décroche ensuite. Le concert se transforme en un style mi-rap mi-reggae qui me déçoit énormément. Moi qui pensais avoir la même bonne surprise qu’avec Deluxe au festival du Bout du Monde (lire par ailleurs). Deluxe faisant partie du label Chinese Man Records.

Je pars de la foule pour aller m’acheter une barquette de frites. Je me rapproche de la scène pendant les cinq dernières minutes de leur concert, qu’ils finissent en slam dans le public. C’était la dernière date de leur tournée d’été, et ils semblent heureux d’être là, tout comme le public, qui avait l’air ravi. Peut-être aurais-je dû écouter plus en détail les différents albums du groupe ?

Chinese Man - Fête du Bruit 2014 - La Déviation

La claque

J’avais déjà vu The Hives aux Vieilles Charrues en 2013 (écouter par ailleurs). Je me souviens bien de leur concert qui m’avait marqué par leur énergie folle, et par leur chanteur, Howlin’ Pelle Almqvist, qui est pour moi le plus grand show-man que j’ai pu voir sur scène.

C’est donc avec grand enthousiasme que j’attendais ce concert. Le groupe entre sur scène, et commence par la chanson Come On!, pour échauffer le public. Ça y est, le public saute déjà partout, et c’est parti pour une heure dix de leurs tubes punk. Le chanteur s’excuse de ne pas avoir pu venir en 2009, à cause d’une mauvaise chute lors d’un concert donné la veille en Suisse.

The Hives - Fête du Bruit 2014

Après quelques morceaux, une petite averse commence à tomber sur les festivaliers. Le chanteur s’en amuse : « Je suis tellement chaud que Dieu essaye de me rafraîchir ! », plaisante-t-il en Anglais.

L’averse s’arrête quelques minutes plus tard. Mais on voit au loin un gros nuage arriver : et oui, la pluie est de retour ! Encore une fois, le chanteur prend le micro, et nous promet que « la pluie cessera si vous faites autant de bruit que vous pouvez ! ». Et le groupe entame leur plus grand succès, Tick Tick Boom.

La foule est déchaînée, encore plus qu’aux Vieilles Charrues l’année dernière. Voyant que la pluie ne cesse pas, Howlin’ Pelle Almqvist sort de scène pour venir vers le public. « Maintenant, moi aussi je suis mouillé mes amis, alors vous n’avez plus le droit de partir ! » Ce qu’on ne comptait de toute façon pas faire…

Le concert se termine sous les applaudissements de toute la foule, définitivement conquise, ce qui a l’air d’être une habitude pour le groupe suédois. Un grand succès.

La classe

C’était l’avant-dernière fois que Woodkid montait sur scène, avant de se consacrer au cinéma. Avant d’être le musicien que l’on connait bien, Yoann Lemoine était surtout connu pour avoir réalisé des clips pour Lana Del Rey, Katy Perry, ou Moby. C’était donc une réelle chance de pouvoir le voir ici.

Les musiciens arrivent sur scène pour jouer deux minutes de musique instrumentale, et tout à coup, Woodkid arrive, sous les applaudissements du public. Il commence par le morceau Baltimore’s Fireflies.

Au fond de la scène sont projetés les clips qu’il a réalisé, sur un écran géant, ce qui nous rappelle son premier métier. On sent également un réel travail au niveau de la lumière, pour donner l’effet « noir et blanc » que l’on retrouve dans tous ses clips.

Lui et ses musiciens semblent heureux d’être sur scène, étant donné qu’il s’agit du dernier concert de l’été pour eux. Il jouera presque tous les morceaux de son album The Golden Age. La foule s’agite lorsqu’il dit qu’il va jouer un nouveau morceau, mais il s’agit en fait de Volcano, qu’il joue sur scène depuis novembre 2013…  (Lire par ailleurs : Woodkid au Zénith de Paris au printemps 2014).

Woodkid - 2 - Fête du Bruit 2014 - La Déviation

« Messieurs, cette chanson est pour vous », lance-t-il, avant de commencer la chanson I Love You, dont le refrain est repris en chœur par le public.

Woodkid joue ensuite The Great Escape, puis quitte la scène avec ses musiciens. Je regarde mon téléphone : il reste encore quinze minutes de concert. Il revient donc pour jouer Run Boy Run, qui durera environ dix minutes. Il demande au public de chanter la mélodie, ce que tout le monde fait avec grand plaisir.

La chanson s’arrête, mais pas le public, qui continue à chanter. Les musiciens reprennent donc la chanson avec le public. La chanson s’arrête pour de bon, mais le public continue à chanter. Woodkid et ses musiciens ont le sourire aux lèvres. C’est ce genre de moment qui marquent un concert, que ce soit pour le public, ou pour les gens qui sont sur scène.

Le coup de gueule

Le coup de gueule n’est pas destiné à Paul Kalkbrenner, que je ne suis pas allé voir, mais au festival lui-même. C’était la sixième édition du festival, mais il reste néanmoins de gros points noirs selon ce que j’ai pu voir, et selon les témoignages que j’ai pu recueillir.

Les boissons : 2,80 € pour une boisson, alcoolisée ou non, le samedi (voire même 3,80 € pour une bière blanche !). Franchement, peu de personnes sont prêtes à payer ce prix pour un soda ou un jus d’orange. Le dimanche, les tarifs avaient baissé : 2,50 € pour une boisson. Résultat : les tickets boissons achetés le samedi n’étaient plus utilisables, et ne pouvaient pas être échangés.

Le camping : Payant, et situé à quinze minutes de marche du site, c’était en fait un simple terrain, dans lequel étaient disposées cinq toilettes et des douches, pour l’ensemble des festivaliers.

Le site : J’étais allé à la Fête du Bruit l’année dernière, et le site était petit. Cette année, bien qu’agrandi, le site n’était pas nettoyé. Il restait au fond, au niveau des stands de nourriture, un nombre incalculable de gros cailloux. Il suffisait de quelques énervés pour que le terrain se transforme en réel champ de bataille.

La sortie définitive : Le dimanche, les bracelets deux jours étaient coupés par les bénévoles afin que tous ceux qui souhaitent sortir ne puissent pas rentrer à nouveau sur le site. À 70 € le pass deux jours, j’imagine que certains auraient souhaité pouvoir garder le bracelet… Des festivaliers n’ont également pas pu rentrer sur le site le samedi soir après 1 h du matin, alors que rien ne l’indiquait au préalable.

GiedRé : Remplacer les Babyshambles en quelques heures n’était pas chose simple. Mais en programmant GiedRé, la Fête du Bruit propose la tête d’affiche d’un plus petit festival, le West Fest, qui se déroule à quelques kilomètres de Landerneau, à Guipavas, le 30 août. J’imagine que la plupart des personnes qui auront vu GiedRé à Landerneau n’auront pas forcément envie d’aller voir le même spectacle trois semaines plus tard, et c’est la billetterie du West Fest qui en pâtira…

Public - Fête du Bruit 2014 - La Déviation

« Amer de cette organisation et le non respect du bien être des festivaliers», écrit Caro Line sur la page Facebook du festival, « festival qui perd en qualité d’année en année », renchérit Titou Bzh. « Dommage de ruiner la réputation de ce festival à cause d’organisateur (sic) sans cesse à la recherche de la fortune !!! », s’emporte Chopic Saout. Kévin Beaumont parle lui d’« escroquerie », approuvé par 31 “j’aime”.

Je sais bien qu’il est très difficile d’organiser un festival. Il y a énormément de paramètres à prendre en compte. Néanmoins, Régie Scène n’en est pas à son premier festival : elle organise aussi le festival Insolent, et ont, dans le passé, organisé de nombreux festivals depuis 1995 (Saint-Nolff, Polyrock, Yakayalé…). C’est vraiment décevant de voir autant de ratés en seulement deux jours de festival.

La plupart des festivaliers vous le diront : les concerts étaient vraiment exceptionnels, mais l’organisation n’était vraiment pas digne de la programmation artistique.

Catégories
Agiter

Non « Marianne », le “fact-checking” n’est pas une mode

Controverse – Un récent article de « Marianne » intitulé « On a fact-checké les fact-checkeurs »  critiquait sévèrement  le fact-checking, cette « lubie journalistique » qui « se prétend science exacte », mais qui est bien plus subjective que ce qu’on voudrait nous faire croire. Voici donc ma réponse.

Le journalisme est en pleine mutation. À tous les niveaux. Si vous qui me lisez êtes journaliste, vous savez toutes les inquiétudes qui guettent les directions et toutes les questions qui assaillent les journalistes.

Des mutations économiques, des changements de technologies qui induisent un changement de rythme, de culture, etc. Tout ceci provoque une accélération permanente des (r)évolutions de la profession que chaque journaliste perçoit selon son histoire, ses convictions et ses doutes.

Le fact-checking (un anglicisme qui a l’équivalent français peu usité de “vérification factuelle”) fait partie de ces évolutions dans le traitement de l’information et a connu un certain succès en France.

Ces dernières années, nous avons pu observer que ce genre, importé des États-Unis, a fait son bout de chemin en France jusqu’aux grandes rédactions parisiennes. Europe 1 (Le Vrai/Faux de l’info), France Info (Le vrai du faux) ou Le Monde.fr (Les décodeurs) ont développé cette formule éditoriale et d’autres suivront sans doute dans les prochaines années.

En revanche, d’autres médias, ce n’est pas une surprise, ne suivront pas ce chemin (et, d’un côté, c’est tant mieux pour la diversité de la presse) et certains s’en expliquent. Une « mode », un « lubie journalistique », une « pseudo-science », voici quelques qualificatifs utilisés par certains journalistes pour décrire le fact-checking. Vraiment ?

 « La vérification, c’est la base du journalisme ». Oui mais…

Un argument que j’entends souvent et que je lis souvent au sujet du fact-checking, c’est que la vérification des faits est la base du métier de journaliste et que, par conséquent, il ne s’agit en aucun cas d’une (r)évolution. D’où aussi la perception de certains que ce genre essaye de réinventer le journalisme en vain.

En vérité, ce que l’on appelle le fact-checking ne consiste pas à vérifier bêtement certaines assertions ou à vérifier la véracité de certains faits.

Le fact-checking est plutôt une évolution très poussée de la vérification au sens où il répond à l’évolution des usages et de la société. La communication a très largement pris le pas sur le factuel, tout spécialement en politique ou les approximations et les mensonges sont quotidiens.

La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes.

Avec l’utilisation, devenue massive, des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter, la circulation de l’information est plus rapide qu’elle ne l’a jamais été. Dans cette évolution, le rôle des médias a décru puisque les journalistes ne sont plus un relais indispensable entre le public et l’actualité. Tout juste sont-ils devenus optionnels. Le fact-checking a pour objectif de répondre à ces nouvelles exigences.

La communication est un enjeu crucial pour les acteurs politiques et économiques. Le fact-checking n’est ni une mode ni un lubie mais bien une vérification poussée et une confrontation plus frontale entre les faits ou les indicateurs qui prennent la mesure de la réalité et la parole politique.

La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes. Elle ambitionne de démonter les coups de communication, qu’ils viennent de partis politiques ou d’entreprises multinationales.

Dire le vrai du faux ?

Dans la famille des arguments tordus, il y a ceux qui s’en prennent au mode binaire de traitement, à savoir que le fact-checking ne saurait donner que deux réponses : vrai ou faux.

Là encore, il n’y a rien de plus éloigné de la réalité que ce cliché éhonté. À vrai dire, la pratique du fact-checking tend à laisser bien plus de place au doute et à la nuance que ne laisserait transparaître la promesse initiale de distinguer le « vrai » du « faux ».

La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de proposer une lecture simpliste du monde, mais au contraire de restituer sa complexité.

Si l’on prend Les décodeurs du Monde.fr, lancés en mars dernier, les articles ne tranchent que rarement sur un « tout à fait vrai » ou un « tout faux ». Et pour cause, les nuances sont nombreuses, expliquées, sourcées, et les biais des statistiques exposées. Ainsi, vous lirez souvent un « pourquoi c’est plus compliqué » ou un « pourquoi c’est exagéré ». La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de donner un monde simpliste, binaire, au lecteur. Au contraire, la promesse est de restituer la complexité du monde.

Car c’est là aussi l’une des clefs qui rend la pratique du fact-checking si intéressante. Le monde, tel qu’il est, est complexe. Pourtant, les idées reçues sont innombrables et tenaces. La pauvreté, les immigrés, la vie politique : ni les sujets minés d’a priori et d’idéologie ni les récupérations politiques ou médiatiques ne manquent. Les couvertures du Point sont là pour le rappeler chaque semaine.

Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.
Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.

L’idée du fact-checking, c’est de remettre les faits, rien que les faits, au cœur du débat. C’est une façon indispensable de dépassionner le débat avec des éléments matériels ou statistiques tangibles, susceptibles d’éclairer la compréhension du public.

Le fact-checkeur est-il objectif ?

C’est une fausse question soulevée par certains journalistes qui critiquent volontiers la prétendue objectivité des chiffres et des faits avancés par le journaliste fact-checkeur.

Quand je lis par exemple qu’on critique le choix des « victimes » politiques des décodeurs du Monde, je ris jaune. Selon ce billet, 47% des articles visent les hommes et femmes politiques de droite, ce qui démontrerait une certaine subjectivité des journalistes dans le choix des propos à vérifier.

C’est bien-sûr totalement ridicule car, comme Raphaël da Silva, qui est datajournaliste à Strasbourg, le rappelle, la bêtise ne peut être symétriquement répartie.

Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité.

De plus, tous les mensonges/approximations ne se valent pas, loin de là. Cela dépend de la gravité des propos, de l’ampleur de l’intox, de l’influence de son auteur, etc. En fonction de ces paramètres, les journalistes font des choix et les assument. Si la droite est plus contredite par la gauche en ce moment, il y a fort à parier que les bullshits sont plus nombreux de ce côté de l’échiquier politique.

Notez aussi que le journaliste qui fait bien son métier se voit constamment soupçonné d’être complaisant ou complice d’un côté ou d’un autre. Un jour il est marxiste, un autre jour il fait le jeu du FN. Demandez à Samuel Laurent (journaliste au Monde.fr, coordinateur des Décodeurs), il est passé par toutes les couleurs politiques.

Deux articles du "vrai / faux" de l’info d’Europe 1.
Deux articles du “vrai / faux” de l’info d’Europe 1.

Quand ce n’est pas le journaliste qu’on accuse d’être subjectif, ce sont ses sources et les chiffres cités. C’est une critique qui peut se valoir dans le sens où les chiffres découlent d’une méthode de recueillement des données qui comporte ses avantages et ses limites. Il est important de connaître ces biais, pas toujours faciles à détecter, afin de bien repérer les limites de certaines sources.

Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité, ce qui est très différent. Tous ne prennent pas ce recul sur les sources, mais certains le font. Je cite encore une fois Les décodeurs pour bien connaître leur travail, mais ils ne sont pas les seuls à prendre les précautions qui s’imposent sur leurs sources.

Au final, le fact-checking est-il une fausse bonne idée comme certains le prétendent ? Je ne le crois vraiment pas.

Contextualiser les actualités, vérifier systématiquement les coups de com’ des politiciens, évaluer l’efficacité de certaines mesures politiques, démonter les hoax et les idées reçues, c’est un travail d’information impérieux. Si certains croient encore que c’est aussi simple que ça et que c’est la base du métier, qu’ils s’y mettent, on en reparlera après.

Quant aux critiques, si les avis constructifs sont nécessaires et la prise de recul indispensable pour que la profession puisse sainement remettre en cause ses pratiques, les journalistes réfractaires devraient réaliser que le monde a changé, sans quoi ils ne serviront bientôt plus à rien si ce n’est qu’à publier des pamphlets creux et des unes sur Nabilla.

Catégories
Lire

Angoulême 2014 en 7 polémiques

Angoulême ne serait pas Angoulême sans ses polémiques. Cette année, les organisateurs, qui attendent 200.000 visiteurs en l’espace de quatre jours, doivent répondre aux critiques sur plusieurs fronts.

Abstention de l’académie des Grand prix, lettre ouverte contre l’entreprises israélienne Sodastream, articles critiques sur la réception des éditeurs ou des journalistes web, pétition japonaise contre une exposition coréenne, voici quelques actions qui font du bruit à Angoulême. On fait le point.

1/ La Cité internationale de la BD

C’est une affaire compliquée qui mériterait un dessin. La prochaine fois, promis.

La société 9eArt+, qui gère le festival, est en conflit avec la Cité internationale de la BD, ouverte depuis 2008 à Angoulême. Cet établissement public de production, de commerce et d’exposition, avait pourtant été créé par les pouvoirs publics pour venir en aide au festival.

En novembre, le président du Conseil général de la Charente, Michel Boutant, a imposé que les structures s’entendent pour que le festival obtienne des subventions. Les organisateurs l’ont vécu comme un chantage.

Gilles Ciment, directeur de la Cité de la BD sur la sellette, a même fait un burn-out la semaine dernière après une entrevue houleuse avec Michel Boutant. Il est en arrêt maladie pendant le week-end du festival.

Pour compliquer le tout, le journaliste Didier Pasamonik, éditorialiste du site Actuabd.com, a publié une missive incendiaire, dans laquelle il s’en prend aux organisateurs.

Eric Loret remarque dans Libération qu’on “comprendra surtout que c’est affaire de haines intestines un peu plus compliquées que les Atrides et loin, très loin de quelque pensée que ce soit pour le public“.

2/ Le nouveau règlement du Grand Prix

Le changement de mode de désignation du Grand prix de la ville d’Angoulême, seule récompense vraiment marquante du week-end, a provoqué l’abstention d’une majorité des membres de l’académie des Grands prix.

Sur les 26 académiciens, récompensés lors des 40 éditions précédentes, qui devaient désigner leur successeur, 16 n’ont pas voté cette année. Ils sont courroucés de devoir partager l’urne avec l’ensemble de leurs confrères présents à Angoulême. Philippe Druillet parle même de “mépris”. L’académie s’est donc dissoute, mais une grande partie des anciens distingués voteront tout de même dans le nouveau collège unique.

La BD évolue, s’internationalise, et les avis de l’académie étaient souvent jugés old school et ethno-centrés. Cette année, il en sera forcément autrement. Les finalistes sont Bill Watterson, Katsuhiro Otomo et Alan Moore.

Alan Moore - Grand Prix potentiel du festival d'Angoulême 2014 - La Déviation
“J’ai décidé de ne plus accepter de prix, il ne faut pas m’en vouloir. […] Je ne me rends plus dans les festivals, je n’accepte plus aucune récompense. Je conçois et j’apprécie les sentiments de tous ces gens qui me choisissent, mais je ne veux assumer que ce que j’ai décidé moi-même d’entreprendre, pas ce que les autres veulent de moi.” Alan Moore

Le pire est peut-être à venir, puisque l’Anglais Alan Moore a fait savoir qu’il n’accepterait pas la distinction s’il était élu. Bill Watterson, quant à lui, ne veut plus rencontrer un seul journaliste. Problèmatique quand on sait que le Grand prix d’une année devient le président de l’édition suivante.

3/ Le partenariat avec l’Israélien Sodastream

9eArt+ a perdu plusieurs sponsors privés d’envergure ces derniers temps. Les centres Leclerc et la Fnac ont retiré leurs billes. Un nouvel acteur entre dans le jeu cette année, la compagnie de gazéification de l’eau à domicile Sodastream. L’affaire fait des bulles qui piquent.

Sodastream est une entreprise israélienne. L’association Charente Palestine solidarité est montée au créneau, dénonçant l’implantation d’une usine dans une colonie israélienne en Cisjordanie.

Charente Palestine solidarité appelle au boycott de la marque et prévient d’une action coup de poing pendant le festival.

Sodastream Angoulême 2014 - Page Facebook - La Déviation
Photo de l’espace Sodastream au festival d’Angoulême. Crédits Sodastream page Facebook

Alertés, plusieurs dessinateurs ont signé une lettre ouverte contre ce partenariat, dont Siné, Joe Sacco ou Willis From Tunis. Le délégué général du festival Franck Bondoux défend l’entreprise qui “n’a jamais été condamnée en France”, note-t-il.

4/ La réception de l’éditeur Bamboo

Le septième éditeur en nombre de nouveautés publiées en 2013 ne posera pas ses tréteaux à Angoulême cette année. Bamboo, connu pour ses séries Les Profs ou Les Gendarmes, se sent “méprisé” par les organisateurs.

Dénonçant en bloc le prix trop élevé des stands, le désintérêt des journalistes, le fait d’être tenu à l’écart des distinctions ou le système des dédicaces, qualifiées “d’abattage“, Olivier Sulpice préfère se rendre dans des festivals “à taille humaine”. Ce qu’aurait cessé d’être le FIBD.

5/ La réception de la presse web

Bédéo sèche le festival d’Angoulême” et le revendique.

La position est osée. Considérant qu’il est délaissé au profit des médias de masse, le site spécialisé n’envoie aucune équipe couvrir le premier événement bédé hexagonal.

“Avec les autres sites BD, nous nous étions coordonnés pour proposer un partenariat à la hauteur de l’évènement. Avec cinq sites BD motivés qui captent l’essentiel des bédéphiles du web, nous nous sommes dit que nous allions enfin pouvoir discuter. Que nenni…”, écrit Laurence Seguy dans son édito coup de gueule, concluant d’un cinglant “la BD vit tous les jours en dehors du FIBD et nous l’aimons comme ça ! En revanche, on se demande si le FIBD aime encore la BD“.

6/ La plagiat des Schtroumpfs noirs

Là, c’est d’une polémique en puissance dont il est question. Les éditions La Cinquième couche vendent une nouvelle version des Schtroumpfs noirs (1963). La BD originelle est accusée de racisme. Le synopsis tient en effet dans une maladie, transmise par une mouche, qui transforme les Schtroumpfs bleus en Schtroumpfs noirs en les rendant méchants.

Dans la version anglophone, les petits personnages de Peyo étaient passés au violet pour que l’album puisse être commercialisé. Dans la BD en vente à Angoulême, l’auteur passe du violet au bleu, tournant ainsi l’histoire au ridicule.

Les mêmes éditeurs s’étaient rendus en 2012 à Angoulême avec des albums de Katz, détournement de Maus d’Art Spiegelmann, dans lesquels tous les personnages avaient des têtes de chat. Face à la colère de Flammarion et Spiegelmann, les albums avaient été détruits pour éviter un procès.

7/ L’exposition coréenne sur les “femmes de réconfort”

Encore plus inattendue : la pétition adressée au festival par une association de femmes japonaises. Japanese Women for Justice and Peace reproche la tenue d’une exposition sur les “femmes de réconfort” sur le stand de la Corée du Sud. Près de 14.000 signatures ont été recueillies et transmises aux organisateurs, aux politiques comme à la presse.

Selon le texte de la pétition (disponible en français), la Corée du Sud mènerait une “campagne malveillante anti-japonaise”. Par le biais du festival, elle ferait courir le chiffre de 200.000 esclaves sexuelles coréennes forcées de se prostituer pendant la Seconde Guerre mondiale, au service des militaires japonais.

“On ne nie jamais l’existence des femmes de réconfort. Mais ni 200.000, ni enlevées, ni forcées par l’Armée impériale japonaise ! […] Et au festival, le gouvernement coréen manipule le festival d’Angoulême comme un champ de bataille politique et diplomatique. Il est en train de conspirer contre notre pays”, renchérit l’association japonaise sur un ton nationaliste.

Mercredi, le stand japonais Nextdoor, accusé de négationnisme, a été fermé. La Charente Libre rapporte qu’un huissier est intervenu pour constaté la présence de croix gammées et de saluts nazis sur des planches mises en avant sur le stand.

Difficile d’y voir une apologie de l’Allemagne nazie, chacun en jugera.

Vendredi, l’ambassadeur japonais en France, Yoichi Suzuki, a « regretté vivement que cette exposition ait lieu », estimant qu’il s’agissait « d’un point de vue erroné qui complique davantage les relations entre la Corée du Sud et le Japon ».

Les réactions pro-japonaises sont nombreuses sur les réseaux sociaux.

“La plupart des historiens estiment à 200 000 le nombre de femmes – surtout des Coréennes, Chinoises et Philippines – réduites en esclavage sexuel par Tokyo pendant la Seconde guerre mondiale”, écrit le Nouvel Observateur.

Voici le festival d’Angoulême au cœur d’un conflit diplomatique qui dépasse cette fois de loin les frontières de la Charente. Qui a dit que la BD était un loisir d’enfants ?

Visitez notre dossier Angoulême 2014

Quitter la version mobile