Gérard Gatineau a publié « 30 ans de bitume, ou les tribulations d’un flic du XXe siècle dans un univers hostile », aux éditions L’Harmattan, en 2009. Aujourd’hui âgé de 75 ans, celui qui est passé de l’autre côté de la barricade dès novembre 1968 reste fidèle à la CGT et au Parti communiste. Il défilait d’ailleurs avec son drapeau, le 1er mai 2019, dans les rues de Paimpol (22), sans rien concéder à la maison poulaga.
Quatre mois de prison avec sursis, c’est la peine à laquelle Gérard Gatineau a été condamné il y a maintenant trente-cinq ans. « Simplement pour avoir dit à un officier que le racisme n’était pas inscrit dans la Constitution », plaide l’ancien flic parisien, qui se targue d’avoir monté une section CGT dans son commissariat du XVIIIe et d’avoir mis en grève les pervenches. François Mitterrand était alors président.
S’il refuse de parler d’un racisme généralisé dans la police, le retraité, désormais connu pour son engagement associatif, se félicite de ne pas être « passé dans la machine à broyer les consciences », renvoyant la responsabilité jusqu’aux sommets de la hiérarchie. « On raconte sans arrêt aux policiers que tous les problèmes qu’ils rencontrent sur la voie publique sont l’œuvre d’immigrés. Même les plus solides mentalement, on leur montre des chiffres qui ne sont pas réels. »
Le refus des manifs anti-ouvrières
Parlons chiffres justement. L’enquête électorale du Cevipof concernant la dernière présidentielle montre qu’une majorité absolue de policiers déclarait voter Le Pen dès le premier tour. « Le recrutement de base se fait sur une questionnement politique de l’individu, remarque Gérard Gatineau, pas étonné. […] C’est pour ça que j’ai hésité, mais avec des copains on s’est dit “c’est de l’intérieur qu’on se bat, pas de l’extérieur”. »
« Mon travail c’était au service des citoyens dans la rue, poursuit celui qui se présente aujourd’hui encore comme un fils d’ouvrier. Pas au service de la hiérarchie et du massacre des travailleurs. […] J’ai toujours refusé d’aller dans des manifestations anti-ouvrières […], d’attaquer celui qui était en face de moi, qui pouvait être mon père, mon frère ou moi avant d’être flic. ».
Gardien de la paix, quinze ans à Paris puis quinze ans à Saint-Brieuc, mais certainement pas CRS. « Si j’avais été versé chez les CRS, ma carrière de policier se serait arrêtée tout de suite. Je n’aurais pas supporté d’obéir à des ordres qu’au fond de moi-même je ne ressentais pas comme légaux », affirme celui qui a offert son uniforme à une troupe de théâtre.
« Mais de tous ces policiers, qu’est-ce qu’on va en faire ? Ils s’en iront à la ville, taper sur les ouvriers, taper sur leurs frères ! », chantait Gilles Servat.
« Les droits de l’Homme sont parfois foulés au pied »
Même si sa carrière s’est terminée il y a vingt ans, avec le grade de sous-brigadier – « le plus bas qu’on peut faire après trente ans, en tenue, sur la voie publique » – son témoignage résonne avec l’actualité.
Le documentaliste David Dufresnes a signalé 780 violences policières depuis le début du mouvement des « Gilets jaunes » (au 7 mai 2019), dont un décès, 280 blessures à la tête, 23 éborgnements et cinq mains arrachées. Aucune plainte n’a encore abouti, indique le Canard Enchaîné. Pas plus que celles déposées depuis des années par des habitants des quartiers populaires, du reste.
« Dans la police, parfois, les droits de l’Homme sont foulés au pied. », déclarait Gérard Gatineau à la Fête de l’Huma, en 2010. L’ordre de démuseler les chiens qu’aurait donné le nouveau préfet de police de Paris, Didier Lallement, ne l’a pas rassuré. « Ça ressemble à un Etat nazi », s’emporte l’admirateur de Jean Ferrat, qui cite la chanson « Nuit et brouillard ». « Votre chair était tendre à leurs chiens policiers », chantait le poète.
« Tout le monde se tait et ça encourage les débordements »
Gérard Gatineau revient à la charge : « Le responsable principal c’est le pouvoir politique, c’est pas le CRS. À l’époque où je travaillais, quelqu’un qui faisait une connerie dans une manifestation il allait rendre des comptes. Maintenant, on tire à flux tendu sur des manifestants. En droit ça n’existe pas. Donc on devrait demander des explications au gars. Or, là personne ne lui dit rien, tout le monde se tait et ça encourage des débordements gratuits. »
Si ces violences illégitimes deviennent monnaie courante, l’ancien syndicaliste avance que la quasi-disparition du syndicat CGT n’y est pas étrangère. « Il ne reste que des syndicats autonomes, des syndicats maison. Ils ne vont pas monter au créneau contre le pouvoir politique. Ils pensent d’abord à leur carrière. »
Gérard Gatineau ne voit pas la situation s’améliorer à moyen terme. « Les ‘black blocs’ qui ont toujours existé […] ce n’est pas possible qu’une police préventive ne soit pas au courant des tenants et des aboutissants de ces groupes, sinon que ça leur sert bien. »