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“Comment se maquiller pour un enterrement ?”

“- Bon les mecs, on les attire comment ces gamines ? – Hum… avec un poster de boys band, un conseil fringues et un roman-photo à l’eau de rose ? – Nul et pas cher, ça fera l’affaire !” La formule des patrons de presse marche depuis des lustres, mais un magazine s’en est un temps écarté. À raison, car lui seul est aujourd’hui consacré.

À son époque, à sa grande époque plutôt, de 1993 à 1998, quand la rédactrice en chef mode s’appelait Emmanuelle Alt, 20 ans tranchait radicalement avec ses concurrents de la presse pour midinettes. Le magazine, qui existe depuis 1961, atteint sa quintessence grâce à un ton décalé, inexistant chez ses concurrents Girls et Jeunes & Jolies. Un sale caractère qui casse les codes institués par des féminins comme Elle, Madame Figaro ou Biba. Une liberté pas étrangère à la bienveillance de son actionnaire, le groupe Excelsior de la famille Dupuy.

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Différentes unes du magazine 20 ans, de 1993 à 2001. Crédits Journaux-collection.fr.
Roman photo dans le magazine Girls en 2012
Le vilain roman-photo que les lectrices de “20 ans” se passait dans les années 90′ et auquel celles de Girls sont confrontées chaque mois en 2012.

L’auteure et lectrice assidue de 20 ans, Marie Barbier, co-fondatrice des éditions Rue Fromentin, avait 18 ans en 1995. Elle regrette la disparition de cette parution “drôle”, dotée d’un “humour ni régressif, ni bébête, qui tirait plus souvent que de raison vers la méchanceté ou le désespoir”. Pour une fois, un féminin traitait les jeunes filles “en adultes”.

Le magazine a enfilé plusieurs peaux et connut plusieurs propriétaires depuis les années 60. Le livre raconte les raisons de cette évolution, les idées lumineuses qui viennent à bout des manques de moyens, puis le manque d’imagination et finalement le déclin. Fruit de nombreux entretiens avec les acteurs de la période dorée du journal, l’ouvrage donne notamment la parole à l’ancienne rédactrice en chef du titre, Isabelle Chazot. Elle qui redonna un souffle au vieux magazine, en usant d’un editing agressif et d’iconographies audacieuses.

Au-delà des montages photos osés – bien qu’à moindres coûts – que se permet 20 ans, un style littéraire propre au journal se développe. Pas de recettes de cuisines, mais des astuces maquillages décapantes (à ne surtout pas suivre), des horoscopes délirants et quantité d’articles fleuves qui offrirent entre autres titres “Les détritus d’Hollywood“, “Les frigides“, “Le marxisme expliqué aux jeunes“, “Comment se maquiller pour un enterrement” ou “Les nouveaux pauvres du libéralisme sexuel“.

Parmi les rédacteurs, quelques plumes acides, dont celle de Michel Houellebecq, qui s’inspira du magazine pour son roman La possibilité d’une île, ou encore plus inattendu celle d’Alain Soral, dans sa période communiste, encore drôle et pas encore idéologue néoréac’. D’autres hommes constituaient la rédaction, dont le responsable du courrier des lecteurs Diastème. Lui-même savait écrire à un public en partie masculin, touchant les garçons qui, nombreux, piquaient le magazine à leur grande sœur.

Dix ans après les louanges de l’Huma – qui parlait en 1999 d’un magazine “cultivant l’insolence goguenarde comme signe d’affirmation du moi” –, Vincent Glad révélait les conditions d’un journalisme au rabais, dirigé sur MSN, au moment du retour en kiosques de 20 ans. La déchéance d’un magazine naguère insoumis.

4/5Captivant témoignage sur un ovni de la presse, “20 ans. Je hais les jeunes filles” parlera à ses lectrices nostalgiques comme aux passionnés des médias. Ils découvriront les coulisses d’un magazine hors norme, des recrutements aux conférences de rédaction. Un titre, qui pensait aux lecteurs avant les annonceurs, dont Causette, qui paraît depuis 2008, représente en quelque sorte une heureuse descendance. À défaut d’illustrations des maquettes de l’époque, le livre se nourrit d’un joli corpus d’articles, permettant de répondre notamment à cette question toujours décisive : “Mariage ou débauche, que choisir ?“.

Références

20 ans. Je hais les jeunes filles, coordonné par Marie Barbier, Rue Fromentin, 2011, 20 €.

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Le jeu vidéo sans âme et sans accroche

Une vie ne suffit pas” chantait Lââm, du temps de la Dreamcast. Depuis, la production a grossi, le temps s’est accéléré. Mais il faut bien choisir. Flammarion répond à cette complainte en aidant les gamers. Par sûr toutefois qu’ils apprécient le cadeau, “woh, oh oh”.

Convenez qu’il faut être un peu fou pour lire de A à Z un catalogue de jeux vidéo. Jouer est une pratique avant d’être un objet de lecture. L’ouvrage de presque 1000 pages du journaliste Tony Mott, rédacteur en chef du prestigieux magazine britannique Edge, s’adresse pourtant – à première vue – aux accros du gamepad. Ceux-là mêmes qui chasseront bientôt l’édition de livres de la première place du podium des industries culturelles. Parmi eux se trouvent des apprenants, avides de connaissances.

Ils forment la communauté des retrogamers, méconnue et pourtant très active. Ce sont tantôt des vétérans, possesseurs de Neo-Geo Pocket et d’Atari ST, tantôt des jeunes convertis grâce aux logiciels d’émulation, qui reproduisent sur PC les consoles de leurs parents.

Ils se croisent sur Daily’, dans des boutiques ignorées de 99 % des passants et même en plein jour, dans les allées des brocantes. Plus souvent réfugiés dans leur chambre ou dans leur salon, ils attendent l’ouverture de la Cité du jeu vidéo à la Villette pour programmer leur prochain séjour à Paris. Ils rêvent secrètement d’y croiser le Joueur du Grenier ou les Bretons de Nesblog, Usulmaster, Realmyop et Cœur de Vandale. Marché de niche, le retrogaming était jusqu’à récemment oublié des éditeurs. Puis Pix’n Love naquit. Et Flammarion suivit.

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie - Thief : The Dark Project et  Ocarina of Time
Chaque jeu possède sa petite carte d’identité et pour les plus chanceux, une illustration.

Ces passionnés de vieilleries trouveront dans ce livre plus d’une inspiration. Les entrées sont nombreuses et réfléchies. Or, lister des titres est un bien maigre argument. Édité aux côtés des 1001 chansons, saveurs, greens ou inventions, le pavé aurait pu aider le jeu vidéo à acquérir sa légitimé artistique. Marcus ne s’y trompant pas dans sa préface, quand il parle de “véritable consécration“. Au regard des ambitions – mille fois hélas ! – le pari est raté. Un échec frustrant tant la conservation du patrimoine vidéoludique est nécessaire. Alors pourquoi ce loupé ?

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie - Final Fantasy V
Difficile de s’imaginer manette en main, sans image et en seulement vingt lignes de texte.

Est-ce un problème d’adaptation ? Traduit de l’anglais, l’ouvrage regarde naturellement de l’autre côté de l’Atlantique. L’Europe n’a jamais été une grande puissance du jeu, comparé aux États-Unis et au Japon. Pourtant, sa presse, notamment française, avait sa propre vision, qui n’est pas ici retranscrite.

Est-ce un défaut d’écriture ? Que les plus connaisseurs fassent aussi des découvertes n’est pas un mal en soi. Dommage que le ton, froid comme la viande morte et plat comme un pancake, ne transmette aucun plaisir de jeu.

Une entreprise d’un tel volume pouvait-elle réussir ? Chaque jeu tient sur une page, parfois moins. Trop peu pour détailler la richesse d’un Super Mario World, décrire l’atmosphère oppressante d’un Resident Evil ou expliquer les références filmiques d’un GTA III. Classés par ordre alphabétique, page après page, les titres s’accumulent. Guerre des éditeurs, crack de 1983, passage à la 3D, mise en réseau des machines, retour des oldies grâce aux indés, rien de tout ça n’est raconté. Il manque un contexte, au moins un mot sur chaque console, bref plus d’explications. Car c’est au lecteur de deviner les changements de génération.

Les experts pointeront quelques imprécisions. Loin de ces considérations, les néophytes préféreront tourner les pages, parfois intéressés, bien souvent assommés. Même si la sauce ne prend pas, même si l’ouvrage ne fera pas date, saluons tout de même sa sortie, car elle en appelle d’autres, et retournons vite jouer.

De 1971 avec le jeu éducatif The Oregon Trail à 2010 et le shoot them up Alien Zombie Death, ce sont bien 40 années de cartouches, disquettes et circuits imprimés qui sont visités. Si la première grosse moitié du livre est la plus intéressante, c’est parce-qu’elle ne sera jamais périmée. C’est durant ces premières décennies que tous les genres sont nés. Mettons-le au crédit de l’auteur, leur grande variété est ici bien illustrée.

Mais à vouloir trop en faire, l’ouvrage pêche par gourmandise. La collection plie sous son propre poids. Plus proche d’un catalogue Micromania de Noël gonflé aux hormones que d’une bible, candidat au record de la plus grosse compilation de jaquettes, Les 1001 jeux vidéo de Tony Mott lassera les novices autant qu’il agacera les connaisseurs. Le cul entre deux publics, l’auteur risque de n’en convaincre aucun.

Références

Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie, Tony Mott, préface de Marcus, Flammarion, 32 €.

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Une radio comète au gaz hilarant

Des centaines de radios naissent en 1981, presque autant meurent quelques mois plus tard. Toutes ces étoiles filantes ont disparu des mémoires. Toutes, sauf une. Carbone 14, de nuit sûrement la plus scintillante des parisiennes, fait l’objet d’un livre événement.

Si David Grossexe avait raconté à Supernana et Jean-Yves Lafesse que leurs délires radiophoniques feraient un jour l’objet d’un ouvrage de chercheur, qui plus est édité par l’Ina, ses deux compères l’auraient sans doute inondé d’insultes à l’antenne. Les trois vedettes de la station avaient beau être spécialistes de la farce, une telle prédiction n’aurait pas été prise au sérieux par leurs milliers d’auditeurs franciliens. Habitué à faire la une de la presse, tantôt pour avoir prétendu faire coucher en direct une prostituée avec un homme devant les micros, tantôt pour l’interview exclusive de l’écrivain provocateur Jean-Edern Hallier suite à son faux enlèvement, l’étrange directeur de la station n’aurait sûrement pas plus goûté à cette reconnaissance institutionnelle.

Ce directeur, c’est Gérard (ou Dominique) Fenu, un publicitaire “dingue” croisé d’un “kamikaze”. Dingue, parce-qu’il croit dur comme fer que Carbone 14 peut être retenue par la Commission Holleaux créée par les socialistes, pour figurer légalement sur la bande FM. Associé au député de droite du XIVe arrondissement, Yves Lancien, il lance cette radio comme une fusée, c’est-à-dire en se séparant rapidement de ses lourds réacteurs. La station mise sur orbite, il lâche Lancien et tente le rapprochement avec le PS. En vain. Kamikaze, parce-que non content de laisser survenir tous les débordements possibles en studio, il surenchérit lui-même constamment. Au point de surnommer le président “François la francisque” lors des dernières heures d’émission, évocation du passé vichyste de Mitterrand, que révèlera au grand public Pierre Péan dans son livre Une jeunesse française, onze ans plus tard.

Carbone 4 - photos des studios
Supernana (à gauche) et Guy Dutheil (à droite), lors du tournage du film Carbone 14, Coll. Jean-François Gallotte.

Si cet hommage universitaire peut contrarier les libertaires de Carbone 14, eux-mêmes avaient une certaine idée du devoir de mémoire. À la fin de l’été 1982, David Grossexe, alias Jean-François Gallotte, convainc Gérard Fenu de tourner un film sur la radio, déjà menacée à l’époque. Trois nuits de tournage avec du matériel volé permettent de retranscrire l’atmosphère des émissions phares de la chaîne, séquences entrecoupées par les propos délirants de Fenu. Les auditeurs appellent, parlent sexe et frustrations. Le ton est libertin. Sélectionné pour le festival de Cannes, le film atterre les critiques. À l’époque diffusé dans seulement quelques salles du Marais, ce témoignage fictionnel est sorti en DVD récemment.

Carbone 14 - photos tournage film
L’affiche de Siné pour Carbone 14, le film (1983). Coll. Jean-François Gallotte.

Le côté trash de Carbone 14 ne doit pas faire oublier les émissions plus sérieuses programmées sur la grille. Si la prise d’antenne de Lafesse à minuit est devenu mythique, les talk-show et la musique constituent la majorité des tranches horaires. Progressivement toutefois, ces programmes cèdent la main à l’agitation permanente. Le climat se dégrade, les retards de paiement s’accumulent. Fin 1982, finis la rue Paul-Fort et le XIVe, bonjour Bayeux. La pression politique, l’absence de soutien dans la presse et la coordination vacillante des radios menacées n’arrangent rien. Le 17 août 1983, à 6 heures, les policiers débarquent et saccagent les studios. Dès lors, la fréquence de Carbone 14, trop proche de France Culture, ne répond plus.

Un jour de plus ou de moins, quelle différence, 30 ans après sa mort ? Carbone 14 de Thierry Lefebvre est un livre référence sur l’histoire de la radio, à travers un emblème de la libération des ondes. De l’explosion des associatives à leur regroupement au sein de réseaux uniformisés comme NRJ et Skyrock en passant par leur sélection par la commission Fillioud et la légalisation de la publicité, aucun fait marquant ne manque. L’auteur poursuit son minutieux travail d’enquête sur un combat perdu, celui de la prise de contrôle de média par les citoyens, commencé avec La Bataille des radios libres, 1977-1981, paru en 2008. Passionné de radio, sans doute un peu nostalgique de ce temps des pionniers, Thierry Lefebvre a réuni les témoignages des principaux acteurs de l’épopée. Parions que comme nous, Lafesse et Grossexe apprécient finalement l’hommage.

Références

Carbone 14, Légende et histoire d’une radio pas comme les autres, Thierry Lefebvre, Ina éditions, collection Médias histoire, 20 €.

Logo Carbone 14“La radio qui t’encule par les oreilles”

Piste 1. Générique de “Lafesse Merci” sur fond d’Human League

Piste 2. Générique de “Poubelle Night” avec Supernana

Piste 3. Auditeur invité à sodomiser le chien d’un animateur

Piste 4. Lafesse, Grossexe, Lopez et Lehaineux jouissent en cœur lors d’une fausse saisie

Piste 5. Témoignage de Supernana et Gino après la réelle saisie, sur Radio Libertaire

Plus d’archives ici et .

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Les chants marins de Paimpol sur papier glacé

Un festival est éphémère. C’est sa définition. Procurer des émotions avec unité de lieu, de temps. À ce titre, le festival du Chant de Marin remplit pleinement sa tâche. Il célèbre les arts – la musique en premier lieu – autour du port de Paimpol, tous les deux ans. Est-il vain de prolonger l’événement ? Réponse sans emballement.

L’objet débattu c’est un livre, paru cet été. Un album souvenir sur le festival paimpolais, publié par les Rennais de Planète Rêvée éditions, à initiative des organisateurs. Ceux-ci ont confié le projet à Luc Rodaro, photographe-écrivain, installé à Perros-Guirec, autre port costarmoricain. Festival qui soit dit en passant avait fait l’objet d’un dossier sur Report Ouest l’été dernier.

Alors que nous photographions sans pouvoir feuilleter nos souvenirs, l’ouvrage est admirable. Trombinoscope de marins, vrais ou déguisés, clichés de concerts, couleurs du port animé par des centaines de groupes et 130 000 visiteurs, l’ambiance amicale, familiale même, du rendez-vous estival est très bien retranscrite. Jour après jour, de l’arrivée des voiliers le jeudi aux spectacles du dimanche, en passant par les concerts de Moriarty, Carlos Núñez, Dan ar Braz & Cie.

Festival du chant de marin de Paimpol, Planète Rêvée éditions - page des pirates. Crédits Luc Rodaro, Sylvain Ernault

Les têtes d’affiche, parlons-en. Elles attirent de plus en plus de monde tous les deux ans. Elles font rayonner le festival, mais n’en sont pas son âme. Simple Minds, Marianne Faithfull ou Johnny Clegg ont chacun fait vibrer Paimpol, sans voler la vedette au port et ses dizaines d’autres concerts, à cette atmosphère générale de gaité, ou alors juste temporairement. Il n’est d’ailleurs pas question de les épargner. Sinéad O’Connor ? “Affable en coulisses, un peu linéaire sur scène“. Sergent Garcia ? “Catégorie caprice de diva“. Le ton demeure toutefois fort peu grinçant.

Si les photos attirent l’œil, les textes le retienne. Interviews et anecdotes se succèdent au fil des pages. L’ouvrage prolonge le plaisir par l’enseignement. Il répond aux interrogations sur les rayures des chandails marins, liste les superstitions liées aux animaux à bord et rappelle les destinations lointaines et glacées des pêcheurs de morue bretons.

Bien que ce ne soit pas l’ouvrage de la consécration pour le festival, il contentera les festivaliers pressés de plonger dans l’édition 2013. Consacré presque exclusivement aux dernières festivités, il laisse le loisir aux prochains rédacteurs de sonder les origines du rendez-vous paimpolais. Le feuilleton tourmenté de 20 années de labeur associatif mérite cet approfondissement.

La biennale est bien entamée. Le prochain festival arrive à grands pas. Le festivalier devrait tout de même feuilleter pendant longtemps l’ouvrage. Et ce malgré son format.

Car notre regret tient tant dans la taille de l’album que dans son cartonnage. Une couverture rigide et quelques centimètres au garrot le séparent de la catégorie des beaux-livres. Un caractère plus affirmé dans la bibliothèque et les photos prenaient une autre dimension. Elles se seraient en plus dégagées de ces titres et légendes en surimpression. Un peu plus aéré, le livre se serait davantage prêté au plaisir de la contemplation.

Références

Le festival du Chant de Marin de Paimpol, Luc Rodaro, Planète Rêvée éditions, 19,80 €

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Nos petits plaisirs musicaux honteux

La musique mainstream est abondamment conchiée. Jugés sans valeur, sans message, sans âme, les refrains populaires provoquent généralement le dédain de l’intelligentsia. Le rédacteur en chef adjoint du magazine GQ, ancien chroniqueur musical pour Libération, Emmanuel Poncet, prend le contrepied des critiques. Non sans pertinence.

Jeudi 19 juillet, le groupe américain LMFAO monte sur la scène Kerouac du festival des Vieilles Charrues. Il est minuit passé de trente minutes quand Sky Blu et Red Floo entament les premières paroles de Party Rock. Malgré les sarcasmes qui ont animé les discussions du camping toute la journée, malgré les avertissements des Inrocks, des dizaines de milliers de festivaliers rentrent en transe au même moment.

On reconnaît dans la foule les plus prompts à blâmer la programmation d’un groupe dont les initiales signifient “Rire à s’en taper le cul par terre” en français. Curieux et peut-être même contents d’être là, quoiqu’un peu honteux.

Ce récit (presque imaginé) montre à quel point certains morceaux, même affublés de tous les vices, font partie d’une culture commune partagée au moins par toute une génération. Paradoxalement, ces jeunes, qui dansent sur une musique simpliste aux paroles débiles, ont une culture musicale bien plus étendue que leurs parents.

Statistiques de Party Rock de LMFAO sur Youtube
Répartition géographique des visiteurs de la vidéo Party Rock sur Youtube.

Notons, et ce n’est pas un détail, que le clip de Party Rock a été vu quatre-cent-soixante millions sept-cent-cinquante-quatre mille seize (460 754 016) fois sur Youtube au 13 juillet 2012. La carte issue des statistiques de la plateforme vidéo (ci-contre) suffit à nous convaincre de la viralité du clip à l’échelle planétaire. Dans “Mainstream“, Frédéric Martel avait déjà montré comment les États-Unis continuent d’imposer leur pop music à la planète.

Mais pourquoi ça marche ?

Qu’est-ce qui nous marque autant dans ces tuyaux creux ? L’auteur apporte des éléments pour répondre à cette question qui le taraude. Des scientifiques ont ainsi identifié les ingrédients pour qu’un morceau face recette : une louche de phrases musicales longues et détaillées, une pincée de voix mâles récurrentes sans oublier une cuillère à soupe de changements de ton multiples.

Certaines pistes remontent à l’enfance, voire à l’état fœtal. Les battements sourds du cœur associés aux voix parentales ne créent-elles pas la musique primitive entendue dans le cocon du bien-être originel ? Quant aux lallations du petit enfant, ne trouvent-elles pas un écho dans le titre Freed From Desire de Gala ?

Ce tube d’eurodance sorti en 1996 faisait un carton dans les cours d’école. En suivant la démonstration d’Emmanuel Poncet, doit-on lui imputer le succès d’Ilona Mitrecey ou René la Taupe ?

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Les premiers stimuli sonores perçus au stade de fœtus ne quitteront jamais notre inconscient. Crédits Jim Moran

Des tubes aux tunes

La conviction d’Emmanuel Poncet, c’est que du temps des tubes, nous sommes passés à l’ère des tunes, ces aires entêtants, destinés à être consommés sur nos appendices digitaux des années 2000.

Les tubes (ou les tunes) rythment nos vies. Des morceaux complets ou plus souvent des phrases sonores, ils colonisent les bandes originales de films et de jeux vidéo, les génériques télévisés ou nos sonneries de portables. Vecteurs de publicité plus puissants qu’un spot télé, mais aussi plus insidieux, ils servent au commerce et s’éloignent de l’art.

Malgré ce constat, l’auteur confesse dans son livre regarder en cachette une vidéo d’I Gotta Feeling des Black Eyed Peas de façon obsessionnelle. Avouons-le, nous mêmes jetons un œil de temps à autre sur un clip de LMFAO, Abba ou Michael Jackson. À peu près pour les mêmes raisons que le journaliste de GQ invoquent. Fascinés d’observer le même phénomène que des milliers de personnes réparties dans le monde au même moment sur Internet. Rassurés par des sensations enfantines. C’est la force d’attraction inouïe d’un tube, révélateur d’une mondialisation culturelle aussi inquiétante qu’envoûtante.

Références

Éloge des tubes, Emmanuel Poncet, Nil, avril 2012, 18 € 50.

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Carnet de bord d’un apprenti écrivain

Il a Pascal Quignard pour maître, Amélie Nothomb pour modèle. Son projet ? Écrire un livre. Sur quoi ? Il n’en sait rien, il verra bien. Ce recueil de strips désopilant est l’anti-recette de l’auteur accompli.

Sur un scénario de Jean-François Kierzkowski, accompagné de Mathieu Ephrem au dessin, « En route pour le Goncourt » paru aux Éditions Cornelius, retrace les tribulations d’un amateur pas éclairé du tout qui se lance dans l’écriture. Mais attention, par n’importe laquelle, l’écriture d’un livre à succès, d’un livre à prix littéraire même !

Hé hé ! c’est parti pour le roman du siècle

Du choix de l’intrigue, au nom du héros, de l’hésitation sur le titre, à la relecture des amis…On suit le scribouillard dans l’écriture de sa prose. « Syndrome de Stockholm », « insomnies », ou « vachement truc », chaque strip est précédé d’un titre décalé, à l’image de ses pérégrinations cérébrales.

En route pour le Goncourt, Kierzkowski et Ephrem, Cornelius | So Ouest

Le graphisme minimaliste présente le héros à sa table de travail, sa table à manger, sa chambre à coucher ou dans une scène figée de promenade à bicyclette, il ne reste plus qu’à glisser quelques bons mots dans les bulles pré-dessinées. On ne leur en veut même pas pour ces scènes répétées inlassablement car l’efficacité de l’écriture transcende le reste.

L’apprenti écrivain accumule les déboires, et son désarroi égale sa personnalité comique. Faute de méthode, il s’inscrit à des cours d’écriture par Internet, qui se révéleront fertiles en conseils avisés… employés à tort.

Désopilant jusqu’à la fin, notre écrivain en herbe imagine déjà ses répliques pour briller dans les salons littéraires (« Yasunari Kawabata ? La traduction fait perdre beaucoup à l’oeuvre »)… avant même d’avoir envoyé son manuscrit !

“Ecrire, trouver le mot juste, c’est éjaculer soudain”

En route pour le Goncourt, Kierzkowski et Ephrem, Cornelius | So OuestLe joyeux drille aux allures de Mister Bean n’en finit pas de faire des erreurs et chaque strip est un gag subtilement emprunt de grandes références littéraires (Amélie Nothomb pour ne nommer qu’elle) et de faits divers historiques. Albert Camus s’est tué en voiture avec Michel Gallimard : « si je croise un éditeur et qu’il me supplie de monter sur le porte-bagages, je refuse catégoriquement ».

La propension de l’écrivain à citer les autres, à défaut de composer lui-même, nous fait découvrir des perles insoupçonnables mais véridiques. « Pascal Quignard (mon maître) a dit : Écrire, trouver le mot juste, c’est éjaculer soudain. Oh oh, j’espère que je n’aurai pas d’idée géniale en dormant ».

C’est parce qu’il n’est ni spirituel, ni poète, ni philosophe que l’on s’attache à cet écrivain sans nom. Tellement plus spontané mais tous aussi assoiffé de succès que ceux qui publient irrémédiablement un roman avant la rentrée littéraire.

« En route vers le Goncourt », n’est pas à l’image de son protagoniste, c’est un petit ouvrage sans prétentions qui parvient à atteindre l’universel. Le festival d’Angoulême dans ses bons choix, (notamment un autre ouvrage des éditions Cornelius, Une vie dans les marges) en a toutefois oublié certains. C’est dommage, on leur aurait bien donné un fauve d’or aussi.

En route pour le Goncourt, Jean-François Kierzkowski, Mathieu Ephrem, Editions Cornelius, 11 €

En route pour le Goncourt, crédits J.F. Kierzkowski, M. Ephrem | So Ouest

En route pour le Goncourt, crédits J.F. Kierzkowski, M. Ephrem

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Le Street Art Stencil book

Un pochoir et un coup de peinture en spray, pas besoin de plus pour la vingtaine d’artistes présentés dans ce très bel ouvrage des éditions Alternatives. En deux pschitt, ils dénoncent, détournent, désamorcent…

L’art du pochoir urbain est rarement au programme des cours d’arts plastiques. Il est pourtant l’un des plus accessibles. Au détour d’une rue ou d’un kiosque à journaux, Jef Aérosol, Btoy, Logan Hicks ou Bandit nous présentent leur version des faits. Politique, société de consommation, solidarité ou tout simplement expression artistique : pas besoin de changer de salles, ou d’étages : le musée est dans la rue et l’expo est partout où le regard voudra bien se poser.

Ça ne date pourtant pas d’hier ces silhouettes prédécoupées dans le carton. Blek le Rat sévissait déjà en France et en Europe dans les années 60 et 70, imposant le pochoir comme un élément phare de l’artiste urbain dans le coup. On a retrouvé à sa suite John Fekner, Jef Aérosol ou encore Ernest Pignon Ernest. Plus rapide qu’un tag, un détail important lorsque le travail se confronte à la police, le pochoir est un graffiti pouvant se reproduire à l’infini sans s’altérer. Ce qui n’est pas sans s’attirer le mépris des puristes du graff…

Crédits Jef Aerosol

Les pochoirs étonnent, détonnent souvent, sans doute car « leur emplacement fait souvent partie intégrante de l’œuvre finale ». L’ouvrage des éditions Alternatives, ne nous inonde pas de textes explicatifs ni de commentaires élitistes. Les photos sonnent simplement comme un appel à l’esprit critique, un coup de poing pour cesser de regarder les panneaux publicitaires de chez Decaux comme on regarde la vie, blasés.

Après l’interview retranscrite de Blek Le Rat, chaque double page présente succinctement le travail et le parcours des artistes urbains et s’accompagne de photos des pochoirs en situation. Et, afin de comprendre la finesse du travail de découpe, ou tout simplement pour s’amuser, on peut aussi utiliser l’un des vingt pochoirs présents dans l’ouvrage. Un lance-missiles, un nain qui skate, ou un globe terrestre qui se met à sonner… c’est au choix. Qu’on le mette sur la boîte aux lettres ou le mur du voisin, ce sera toujours un peu de liberté d’expression, à reproduire à l’infini.

Pochoir (à gauche) présent dans le Street Art Stencil Book

Le Street Art Stencil Book, éditions Alternatives, collectif, 30 €.

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Afghanistan, la bande décimée

Ils ont l’âge des soldats mais ces six illustrateurs se sont fixés une autre mission : témoigner pour eux et raconter la guerre d’Afghanistan en BD. Un récit entre invraisemblance et dénonciation.

C’est un anniversaire tout rond, dix ans. Dix ans que l’Armée française a commencé à envoyer des soldats en Afghanistan. « Nous sommes tous américains » qu’ils disaient, au lendemain du 11 septembre. La France, membre de la Force internationale d’assistance et de sécurité comme quarante autres pays, s’engage aux côtés des Etats-Unis pour chasser l’ennemi commun : Oussama Ben Laden, renverser le régime taliban en place et lutter contre Al Qaida. Des centaines de milliards de dollars plus tard, 8980 morts du côté des forces ingérantes, dont 78 soldats français, de 76 à 108 000 talibans et plus de 116 000 civils tués*…voilà qu’on annonce le retrait des troupes.

Tout se chiffre, sauf le traumatisme de la guerre. Pour les éditions FLBLB, Lisa Lugrin, Clément Xavier, Guillaume Heurtault, Lucie Castel, Maxime Jeune et Robin Cousin ont l’âge des soldats, mais ces jeunes recrues se sont engagées dans une autre mission : mettre des visages sur ces soldats envoyés en mission.

Par l’humour, l’imaginaire, le burlesque ou la satire, ils nous donnent à voir une guerre autrement plus humaine qu’un décompte quotidien du nombre de blessés. Afghanistan, récits de guerre, ou comment une « psy-op », tombe en embuscade, quand d’autres organisent des gueuletons pour satisfaire un ministre de la défense en visite, et sa cour de journalistes. En Afghanistan, la vie s’écoule entre les bitures avec des soldats de l’Alliance afghane, l’attente interminable d’un ordre de la hiérarchie ou la guerre du protocole pour savoir qui doit ouvrir les portes ou céder son lit quand on a eu l’audace d’enfreindre les règles.

Aquarelle, fusain, feutre, ambiance comics ou cahier à coloriage, finalement la critique prend tournure et les graphismes se mélangent pour n’en former plus qu’un : celui d’un groupe de jeunes dessinateurs plein d’espoirs et qui ont eu le talent de dessiner l’absurdité d’une guerre dont les acteurs ne communiquent pas, où les soldats ne savent pas, ou plus ce qu’ils font là…

De ce recueil on ne retient pas toutes les histoires, qui tournent parfois au cauchemar d’un trauma post-combat, ni tous les personnages, mais on comprend un peu mieux ces soldats, toujours anonymes, sauf lorsqu’il s’agit de leur remettre des légions d’honneur posthumes. De quoi encourager le rapatriement des 3800 soldats français encore stationnés sur place.

* les chiffres sont extrait d’un article du site d’information OWNI.

Sans peur et sans reproche 001Sans peur et sans reproches 2

Afghanistan, récits de guerre, Éditions FLBLB, 15 €.

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C’est l’histoire d’une fille qui aime une autre fille

Un texte poignant pour un récit efficace et militant, le premier roman graphique de Julie Maroh questionne la place des homosexuels dans la société.

Le bleu est une couleur chaude, c’est une histoire d’amour entre deux jeunes filles. Tout commence par une rencontre, un regard échangé dans la rue qui dure quelques secondes seulement et pourtant, Clémentine est perturbée par cette fille aux cheveux bleus. Incapable de mettre des mots sur cette obsession, elle se met à faire des rêves, érotiques, où l’amant est… une femme. Auto-censure, honte, déni, voilà la jeune lycéenne en proie aux doutes. Chaque point bleu qui l’entoure est comme une oriflamme à la mémoire de cette rencontre.

« Je suis une fille et une fille ça sort avec des garçons. »

Le récit se fait à travers le journal intime de Clémentine, les dessins à travers son regard. Afin d’éloigner ses idées qui la surprennent, elle va se jeter dans les bras d’un garçon car après tout, « je suis une fille et une fille ça sort avec des garçons » répète t-elle. L’idylle ne dure pas, et tout bascule un soir, où elle recroise la fille aux cheveux bleus, Emma. Étudiante aux Beaux-arts, plus âgée, plus affirmée aussi, elle considère son orientation sexuelle comme un acte politique, une source d’identification dans un courant artistique.

Clémentine refuse d’admettre qu’elle est « lesbienne » même si elle doute. « J’ai l’impression que tout ce que je fais est contre nature, contre ma nature ». Entre les réflexions homophobes de ses parents, ses amis qui lui tournent le dos, elle réalise que son histoire d’amour ne peut être qu’intime, mais s’inscrit dans un contexte social, où il faut sans cesse s’assumer, revendiquer son droit à une sexualité différente… Parfois elle se laisse gagner par le doute, « Pour Emma, sa sexualité est un lien vers les autres. Un lien social et politique.. Pour moi, c’est la chose la plus intime qui soit. » Peu à peu, Clémentine va se laisser apprivoiser par Emma, l’amitié va se transformer en tendresse, puis en amour, malgré la pression qui l’entoure.

Représenter une réalité qui n’existe pas dans la littérature

L’histoire est une succession de flash-back rondement menés par Julie Maroh : le temps du souvenir est en sépia teinté de bleu parfois, le présent est lui tout en couleur. Tout au long du récit, l’auteur nous suggère des regards, des visages qui souffrent, qui s’interrogent, des mains qui se frôlent, qui s’accrochent. Le couple se cherche, lutte contre l’attirance réciproque puis la partage, enfin. Les scènes d’amour, se situent entre érotisme et poésie et nous ramènent à une réalité : est-ce à ce point tabou pour qu’on en retrouve si peu en bande dessinée ?

Lauréate du prix du public à Angoulême en 2011, l’auteur a déclaré au magazine Têtu (un mensuel gay et lesbien) qu’elle était heureuse « d’avoir reçu, plus particulièrement, le prix du public (…) Je trouve ça bien qu’une thématique lesbienne ait réussi à toucher le public dans son ensemble. Les lecteurs ont reçu cette histoire entre deux femmes comme une histoire d’amour comme toutes les autres. » Dans une autre interview, l’auteur, homosexuelle, a expliqué son envie, son besoin de représenter une réalité qui n’existe pas dans la littérature, une réalité qui est la sienne.

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Le Bleu est une couleur chaude, Julie Maroh, Glénat, 15 €.

Édition : Le 26 mai 2013, le film La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, avec les actrices Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, inspiré de cette bande dessinée, a remporté la Palme d’Or, décerné par Steven Spielberg, président du jury du 66e festival de Cannes.

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Paroles d’auteurs : la BD se livre

Un livre sur la bande dessinée, sans case ni phylactère…il fallait oser. Avis d’orage dans la nuit, n’a pas eu besoin de bulles pour parler neuvième art, c’est justement dans le cocon créatif de ses penseurs qu’il nous a introduit.

Pour la première fois à la maison d’édition l’Association, le livre s’accompagne de sons. A la fin de l’ouvrage, on découvre un CD de 6h40, où 26 scénaristes et dessinateurs se sont laissés approcher par Christian Rosset, producteur à France Culture, dans le cadre de l’émission des « Passagers de la Nuit » (un rendez vous de création radiophonique aujourd’hui malheureusement disparu).

« Si on m’empêche de dessiner : je meurs.»

Avec David B, Anne Baraou, Fanny Dalle-Rive, Jean-Christophe Menu ou encore Riad Sattouf (La vie secrète des jeunes), on évolue d’ateliers en ateliers, au son des plumes qui grattent le papier, des bruits de gommes et des traits de crayons. Car si ces rencontres se démarquent par la qualité du dialogue mené, Christian Rosset a su mettre en résonance les souvenirs des auteurs. Tandis qu’Emmanuel Guibert (Le photographe, Sardine de l’espace, Des nouvelles d’Alain) donne une définition poétique du livre, « un cœur qui bat, des pages qui se tournent », Pascal Rabaté évoque le manque de pudeur du cinéma tandis qu’en BD, « c’est beaucoup plus dur de faire chialer ». Pour dessiner, Joanna Hellgren (Frances, mon frère nocturne) écoute la radio, regarde la télévision, aime qu’on lui parle « pour résister à l’envie d’aller dehors », se promener. Baudouin, lui, “dessine pour que la vie se continue“, comme en écho, Florence Cestac (Le concombre masqué, La véritable histoire de Futuropolis) annonce “si on m’empêche de dessiner : je meurs“.

Avis d’orage dans la nuit est également un livre, un recueil d’e-mail échangé entre Thomas Baumgartner et Christian Rosset tout deux passionnés de radio…et de BD. Intimement convaincus de l’existence d’une passerelle entre ces deux moyens d’expression.

«Une bande dessinée est unique à son lecteur, une émission de radio est unique à son auditeur…»

…explique le producteur des Passagers, qui poursuit, « la radio nous donne les voix et les sons. À nous d’imaginer le reste, les couleurs, les décors, les visages, les espaces. La bande dessinée nous donne les couleurs, les décors, les visages, des indices d’espaces. À nous d’imaginer les sons et les voix ». Derrière les voix des artistes, on découvre ou on redécouvre leur univers graphique, leur engagement, leur vision de la vie. Faute d’images illustrant le travail de chacun, Avis d’orage dans la nuit nous invite à se remémorer les lectures passées, ou à aller découvrir les auteurs inconnus, un petit jeu de piste en forme d’intéro visuelle.

Bien plus que de banales interviews d’auteurs, ces paroles dévoilées, pudiques et sincères annonceraient plutôt le soleil, après l’orage. Comme pour les Passagers, la nuit est une invitation à la confession. Sous forme de regards croisés, où les deux hommes de radios ont mis sur papier leur sentiment et où les artistes du pinceaux et du crayon se sont laissés parler, tous les protagonistes de cet album se mettent à nu, dévoilant leurs rêves, leurs envie de créer (en dessins, ou en sons) toujours à la recherche de nouvelles formes d’expression.

Avis d’orage en fin de journée, Christian Rosset, L’Association, 19,29 €.

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Il n’y a pas que le rugby dans la vie

Comme tous les quatre ans, l’ovalie prend sa revanche l’espace d’une Coupe du Monde. Ses valeurs de respect, d’humilité, de solidarité, d’effort et de convivialité sont plaquées à la figure des footeux. Oui mais voilà, sans le football, point de rugby !

A l’origine, il y avait la soule. Une pratique sportive née de notre côté de la Manche, qui colonisa petit à petit les îles Britanniques par le biais de Guillaume Le Conquérant. Des siècles et des siècles plus tard, le jeu se modernisa, perdit en violence et gagna des règles. Dans les publics schools, on parla alors de football, puis de rugby pour sa variante pratiquée avec les mains. Une légende attribue la naissance de ce sport à William Webb Ellis et à son jeu de main révolutionnaire, 163 ans avant Maradona. Si cette histoire n’est qu’une fable, le théâtre du schisme se trouve néanmoins planté. En 1963, la Fédération anglaise de football naît dans un pub. Les partisans du ballon porté quittent la négociation et créent huit ans plus tard la Rugby Football Union.

Dès lors et pour aller plus loin, les passionnés de ballon rond sont invités à consulter le DonQui Foot du journaliste Hubert Artus. Son dictionnaire paru aux éditions Don Quichotte multiplie les entrées sur l’histoire du football. A l’image d’Albert Camus qui écrivit que “le football, c’est pour les gens de gauche ; le rugby c’est pour ceux de droite”, l’auteur privilégie les icônes de Sedan aux étoiles du Real. Dans ce livre que l’on dévore aussi vite que Messi traverse une défense, les figures qui marquèrent la planète foot s’entremêlent. On y slalome entre Alfredo di Stefano, Pierre Chayrigues, Éric Cantona, Guy Roux, Lucien Laurent et Just Fontaine. Les palmarès n’ont pas leur place dans cet ouvrage à la hiérarchie très subjective dans lequel les grands oubliés côtoient les stars éternelles.

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Au-delà des grands noms, Hubert Artus s’intéresse aux phénomènes qui ancrent le football dans la société. La “fièvre verte” qui emporte la France de l’après-68, la lutte anti-hooligans sous Thatcher, le Red Star et ses résistants communistes, le Qatar son gaz et sa Coupe du Monde, Rupert Murdoch et le foot business, la Colombie sous cocaïne, ils trouvent tous leur place dans cette encyclopédie. Nourris par un travail de recherche qu’on devine méticuleux, certains articles sur le football ouvrier ou la naissance du football féminin, sa mort et sa renaissance, sont de véritables perles.

L’auteur y dépeint surtout les tourments d’un sport mondialisé, qui survécut aux tranchées de la Grande Guerre, fut pratiqué de chaque côté du rideau de fer puis dans les stades post-apartheid d’Afrique du Sud. Sans concession, mais avec l’amour du maillot, des bad boys et du beau jeu, Hubert Artus réussit à satisfaire les amateurs comme les néophytes. Gageons même qu’il réussira à convaincre les rugbymaniaques les plus fermés, du moment qu’ils se donnent la peine d’ouvrir le DonQui Foot.

Donqui Foot – Hubert Artus

  • DonQui Foot, Hubert Artus, Don Quichotte, 496 pages, 19,90
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Diego, un phoque candidat au prix Nobel de l’amour

C’est l’histoire, soyons originaux, d’un animal que l’on a peu l’habitude de voir traîner en ville… une âme romantique… un garçon sensible…”.

Diego est maladroit, marche au son des cliquetis de ses béquilles, et réfléchit au ralentit. Et même si Diego est un phoque, il semblerait bien qu’il soit l’incarnation de la bonté humaine, sentiment obsolète, dont on a oublié, à New York-sur-Loire, jusqu’à la définition. Symbole des métropoles qui jonchent la planète, New York-sur-Loire réunit tous les excès : des gratte-ciel les plus étourdissants aux bas-fonds crapuleux ou encore aux « 30 millions d’âmes et tout autant de voitures ».

Ce sera le décor de cette pièce en trois tomes, ou sitôt les trois coups donnés, Diego se fait embarquer dans une aventure particulière : il devient l’élève unique d’une formation intensive, en vue de participer au prix Nobel de l’amour, un concours organisé tous les cent ans et que la gente pédagogico-municipale est bien décidé à remporter. Quitte à tricher un peu avec les règles du jeu. Très vite l’histoire s’emballe, Diego, nouveau « Messie préfabriqué », « cynocéphale excréteur », devient la cible du Diable, un petit monstre en salopette à carreaux qui a des canines bien acérées. Lui aussi veut gagner, mais même le diable n’est plus ce qu’il était, alors il va se débrouiller tout seul, sans sa troupe de monstres cornus.

Dans le périple du « Bibendum céleste », Nicolas de Crécy réussit un tour de maître : nous faire partager son délire mystique et intellectuel autour d’une histoire aux mille rebondissements grâce à un graphisme enivrant. Les cases passent du rouge feu de l’enfer, à la ville gris et or et on suit ces déplacements dans le temps et dans l’espace comme on assiste à un rêve.

C’est en allégorie que Nicolas de Crécy nous raconte une histoire et transmet la peur, l’impuissance ou l’excitation, d’un veau marin décidément très manipulé, qui se laisse berner par les apparences et veut croire à l’amitié. Son minois et son accoutrement attendrissent ou agacent mais il n’y peut rien, les obsessions des humains le dépassent et même les gargouilles et autres caryatides, qui l’insultent du haut de leur piédestal.

Dans « Le bibendum céleste », les dialogues sont savoureux, on s’insulte, on se ment, on se bagarre et on triche. Heureusement qu’il y a le narrateur, une gentille tête en forme de babybel, qui nous emmène un peu partout, comme on visiterait des studios de tournage. Sauf que là, toutes les bobines sont mélangées, il faudrait des heures pour résumer les trois actes de ce roman graphique, paru pour la première fois en 1994 aux Humanoïdes associés.

Sachez, en guise d’excuse, que très vite, le diable vole la narration pour mieux la maîtriser… à vous de voir si vous oserez tourner les pages à la poursuite de ces cochons, chiens ou humains sans humanité, atteints depuis longtemps « par un déluge de neurones avariés dans leur cervelles moisies »… Il suffit de savoir s’y prendre, et il se pourrait bien que Belzébuth en personne, dans sa salopette à carreaux, vous laisse écouter la suite…

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Le bibendum céleste, de Nicolas de Crecy, Les Humanoïdes Associés, 40 € les trois volumes.

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