Le lundi 12 septembre 2016, quelques militants écologistes montent sur le sable déchargé dans le port de Tréguier (Côtes-d’Armor). La Compagnie armoricaine de navigation (Can) y a stocké 1.150 m3, extraits dans la baie de Lannion.
Issus notamment des collectifs Grain de sable dans la machine et Nuit Debout lannion, ils rejettent symboliquement quelques sceaux dans le Jaudy, pour s’opposer au pompage de la dune du Crapaud, au large de Trébeurden, qui a débuté dans la nuit du 6 au 7 septembre. Ces militants s’étaient déjà rendus au siège de l’entreprise à Pontrieux, quelques jours plus tôt.
En 2015, après cinq ans de conflit entre Roullier d’un côté et la population locale dans sa quasi-unanimité de l’autre, Emmanuel Macron cosigne le décret ministériel autorisant l’extraction, sous certaines conditions de dates et de volumes.
Le site convoité par l’industriel est situé entre deux zones Natura 2000 et près de la réserve naturelle des Sept-Îles, face à la côte de Granit rose. Les associations écologistes soulèvent les risques pour la faune, les professionnels de la pêche et du tourisme craignent pour leurs activités, la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, affirme son opposition, et des démarches judiciaires sont entreprises pour annuler ou freiner le projet.
Le 13 septembre, Roullier annonce la suspension du pompage « par souci d’apaisement », jusqu’à un comité de suivi en préfecture, qui entérine cet arrêt en novembre, à quelques mois de l’élection présidentielle. Seulement, le décret reste valable, aucune décision de justice ne l’ayant cassé, et le sablier peut en théorie se présenter en baie de Lannion en septembre 2017.
Images exclusives d’un défilé polémique. Les 13 et 14 juillet 2016, Nuit Debout Lannion organise un carnaval révolutionnaire et coupe des têtes, provoquant l’ire du Parti socialiste et du préfet des Côtes-d’Armor. Était-ce justifié ? À vous de juger.
Au quatrième mois de mobilisation contre la loi Travail et au 84e jour de présence quotidienne devant la mairie de Lannion pour Nuit Debout, quelques militants organisent un « carnaval révolutionnaire », annoncé dans la presse.
Le 13 juillet, avant le traditionnel bal des pompiers du quai d’Aiguillon, puis le 14 juillet, les militants baladent une charrette dans laquelle sont installés des poupées représentant le président de la République, François Hollande, son premier ministre, Manuel Valls, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, le président du Medef, Pierre Gattaz, et la députée PS de Lannion-Paimpol, Corinne Erhel (décédée un an plus tard d’un arrêt cardiaque, en plein meeting pour Emmanuel Macron).
Seule Corinne Erhel sera épargnée par L’Ankou, le « serviteur de la mort » dans la mythologie bretonne.
Le 19 juillet, le Parti socialiste des Côtes-d’Armor publie un communiqué pour « condamner une mise en scène macabre […] une incitation à la haine et à la violence ».
Dans la foulée, le préfet des Côtes-d’Armor, Pierre Lambert, condamneà son tour « cette mascarade faussement républicaine. Un dépôt de plainte est envisagé pour diffamation publique et outrage à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique. […] Toute manifestation nouvelle, susceptible de troubler l’ordre public, organisée à Lannion et à l’initiative des auteurs de ces actions, sera strictement interdite. »
Plus tard, Myriam El Khomri témoigne lors du documentaire sur Nuit Debout diffusé par France 5 avoir vécu cette décapitation symbolique, dont elle a été informée, comme une « intimidation ».
Finalement, Nuit Debout Lannion poursuit ses actions sans être inquiété. Aucun militant n’est poursuivi pour ce carnaval et ceux traînés devant le tribunal pour des rassemblements sur le parvis de la mairie de Lannion ou sur les rails de la ligne TGV Paris-Brest sont relaxés lors de procès organisés à Guingamp.
À ce jour, en décembre 2017, Nuit Debout Lannion continue de se réunir chaque semaine, participe au Front social Lannion-Trégor, qui s’oppose au contre-réformes Macron. Le groupe informel s’inscrit dans de nombreuses luttes contre l’extraction de sable en baie de Lannion, les projets miniers en Centre-Bretagne, les accords de libre échange, l’extrême-droite, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou l’austérité budgétaire dans les hôpitaux publics.
Nuit Debout Lannion organise un deuxième fest-noz, le 30 juin 2016, en plein mouvement contre la loi Travail. Un mois après une première soirée festive, ce sont encore plus d’une centaine de Trégorrois.es qui viennent écouter, notamment, le jeune groupe Sparfell.
Cette fois, la mairie n’a pas accordé d’autorisation pour installer la scène sur la place du Centre et les militants doivent poser leurs tréteaux au bord du Léguer, sur le parking de Günzburg, sur le quai d’Aiguillon. Le maire, Paul Le Bihan, a même interdit par arrêté les rassemblements quotidiens devant l’hôtel de ville, au prétexte d’un bris de vitre pourtant condamné par les manifestants et dont l’auteur n’a pas été identifié.
Dans le même temps, des opérations de blocage des voix ferrées sur la ligne Paris-Brestse multiplient en lien avec des syndicalistes autour de la gare de Plouaret pour accompagner le mouvement de grève et de blocage économique.
C’est dans ce contexte de tension, alors que le gouvernement utilise à plusieurs reprises l’arme constitutionnelle du 49.3 pour passer en force le recul des droits des travailleurs à l’Assemblée nationale, que des groupes de musique traditionnelle bretonne tels que Sparfell (vidéo), Aija, Morvan/Paugam, Veillon/Riou, Awenn & Enora, Urvoy/Le Dissez/Bléjean ou War-Sav se succèdent bénévolement sur la petite scène montée en plein air par des techniciens sympathisants.
Radio Debout Lannion ouvre son antenne sur le web depuis un camion installé derrière l’estrade, pour donner la parole à celles et ceux qui veulent la prendre.
Le mouvement Nuit Debout Lannion a reçu la nouvelle association Peuple des Dunes de Batz à Bréhat et le collectif Grain de sable dans la machine, lors de sa permanence quotidienne, le vendredi 27 mai 2016, à partir de 19 h 30, devant l’Hôtel de Ville.
François Luce et Yves-Marie Le Lay (par ailleurs président de Sauvegarde du Trégor) ont expliqué les conséquence néfastess pour l’environnement et l’économie trégorroise d’une extraction de sable en baie de Lannion.
Le groupe multinational Roullier, par sa filiale la Compagnie Armoricaine de Navigation (Can), a obtenu le droit de pomper du sable à quelques kilomètres seulement de Trébeurden et de la côte de Granit Rose, à partir de l’automne 2016. Le rejet de la population, exprimé lors de manifestations qui ont rassemblé jusqu’à 5.000 personnes à Lannion, n’a pas suffi, jusqu’ici, à faire reculer l’Etat.
Si le Peuple des dunes originel se place désormais sur un terrain uniquement judiciaire pour contester l’extraction, le Peuple des dunes de Batz à Bréhat et le collectif Grain de sable comptent notamment mener des actions visant l’image de Roullier et de ses filiales alimentaires grand public.
Notons que malgré l’opposition à ce projet exprimée par la députée PS de Lannion-Paimpol, Corinne Erhel, celle-ci a récemment rejoint le mouvement d’Emmanuel Macron « En marche », alors que c’est le ministre de l’Economie qui a signé le décret d’autorisation.
Le premier Fest-Noz du mouvement « Nuit Debout Lannion » s’est tenu le 26 mai 2016, lors de la trente-sixième soirée d’occupation de place de la Mairie.
Les jeunes et prometteurs groupes traditionnels bretons War-Sav et Sparfell, notamment, ont fait danser jusqu’à 300 personnes, pour cet événement placé sous le signe de la lutte contre le projet de loi Travail, du gouvernement Valls.
Une caisse de grève a été mise en place pour soutenir le mouvement. Le matin-même, une centaine de manifestants ont répondu à l’Appel de Plouaret en bloquant la circulation des trains pendant six heures sur l’axe Paris-Brest.
Trois-cents personnes se sont aussi réunies à midi devant la Maison de l’emploi, à Lannion, à l’appel de l’intersyndicale, qui compte construire la grève dans le plus grand nombre d’entreprises du territoire trégorrois.
La « Radio Debout Lannion » a émis en parallèle, depuis un appartement surplombant la place pour sa cinquième émission en direct, consacrée à l’actualité du mouvement social et aux questions de précarité. Un vif débat s’est engagé sur la priorité que représente l’écriture d’une nouvelle Constitution.
Près de 300 personnes ont manifesté dans les rues de Lannion (22), le 17 mai 2016 contre le projet de loi Travail du gouvernement Valls. Une partie du cortège a organisé une marche funèbre et musicale pour enterrer le code du travail, à l’initiative du mouvement Nuit Debout Lannion.
Certains manifestants chantaient des slogans contre la députée PS de Lannion-Paimpol Corinne Erhel, sur la musique de Merci Patron, des Charlots, bande originale du film éponyme produit par le journal militant de gauche Fakir et réalisé par le journaliste François Ruffin.
Sur la vidéo, le défilé passe sur le quai du Maréchal-Foch, près du centre Sainte-Anne. Les manifestants se trouvent ensuite devant la sous-préfecture. Le faux-cercueil sera plus tard balancé dans le jardin de Sophie Yannou-Gillet, sous-préfète. Enfin, les derniers manifestants réalisent une opération escargot sur le rond-point de Saint-Marc, avant de rallier les ronds-points Coppens et de Boutil, qui se trouvent sur l’axe Lannion-Guingamp.
Cette vidéo amateur inédite que nous nous sommes procurés avec l’accord son auteur a été tournée le 24 mars entre 14 h et 14 h 30, depuis un appartement situé sur le boulevard Amiral-Courbet, entre les arrêts de tram Motte-Rouge et Saint-Félix. Des manifestants, pour la plupart âgés d’une vingtaine d’années, quittent alors le centre-ville pour rejoindre l’université. Les bâtiments Censive et Tertre de la faculté de sciences humaines sont bloqués depuis l’aube.
L’homme violenté par des policiers se fait appeler Max. Âgé de 32 ans, il est animateur socioculturel et milite pour de nombreuses causes, à Nantes. Un ami à lui nous décrit un « mec très calme, posé. Jamais violent. » Après avoir été conduit au CHU, il a été placé en garde à vue.
Première vidéo mise en ligne dans la nuit du 24 au 25 mars sur Facebook :
Une autre amie nous apporte le témoignage de Max et nous précise qu’il a reconnu posséder des bombes de peinture qui n’auraient pas servi. Il n’avait, vendredi matin, pas porté plainte, mais ignorait la saisie de l’IGPN par la procureure de la République, Brigitte Lamy.
« [Max] était en train de donner du sérum physiologique à deux étudiantes aveuglées par le gaz lacrymo quand il a vu arriver un véhicule de gendarmes mobiles. Ils ont commencé à traverser la voie de tram tous les trois, mais visiblement pas assez vite au goût des agents de la CDI [Compagnie départementale d’intervention, NDLR] qui les ont chargé pour les repousser alors qu’ils étaient déjà en train de partir…
Ensuite on voit ce qu’il se passe sur la vidéo. Les policiers qui l’ont frappé ont ensuite appelé les pompiers, et attendu leur arrivée auprès de Max, assis au sol, sans lui donner ne serait-ce que de quoi éponger son sang. Max, une fois dans le véhicule des pompiers, un fourgon de police continuera à le suivre.
Les agents le suivront encore jusqu’au service des urgences, où M. ne sera séparé d’eux que par un rideau, et soigné en entendant leurs conversations. Il exprimera d’ailleurs son malaise en disant quelque chose du genre « vous me mettez en insécurité, vous me tapez dessus et vous me suivez jusqu’à l’hôpital » Le médecin lui fera sept points de suture. Puis les policiers le feront monter dans leur propre véhicule avant d’appeler leur hiérarchie, visiblement pas convaincue par la nécessité d’une garde à vue. Max les entendra dire : « ça fait 1 heure 30 qu’on poireaute pour le mettre en GAV, on ne va quand même pas le relâcher. »
Un second coup de fil et les agents seront satisfaits. M. sera donc placé en garde à vue et interrogé, il reconnaîtra être en possession d’un mégaphone mais les policiers ne trouveront aucun délit à lui mettre sur le dos. Il passera pourtant la nuit en cellule, car « la nuit porte conseil ». Le lendemain, après une nouvelle tentative d’interrogatoire, il sera finalement libéré. Sans convocation ni rappel à la loi. »
Les vidéastes amateurs nous disent être encore restés une demi-heure à leur fenêtre avant de quitter les lieux à cause du gaz lacrymogène. Un véhicule de police a fini par obstruer leur vision. Encore selon eux, des pompiers sont intervenus. Nous ne savons pas encore ce qui s’est produit ensuite.
Mise à jour du 26 mars, 11 h 30 : Presse Océan nous apprend que cette vidéo a déclenché hier l’ouverture d’une enquête par la police des polices, l’IGPN, saisie par le parquet. Nous pouvons rajouter que les auteurs de cette vidéo n’ont pas encore été contacté.
Dans la matinée, au moins 6.000 manifestants ont défilé contre la loi Travail. C’est plus que les 9 et 17 mars et plus que dans n’importe quelle autre ville de France, si l’on s’en tient aux chiffres du ministère de l’Intérieur.
Plusieurs centaines de personnes ont refusé l’ordre de dispersion, devant la préfecture, et sont entrées en conflit avec les policiers, déployés en nombre tout au long du parcours.
Cette vidéo fait écho à celle qui montre un policier ascéner, le même jour et dans le même contexte de lutte, un coup de poing à un élève de seconde près du lycée Bergson, à Paris.
Elle s’ajoute à une long liste de faits rapportés par des militants depuis le début de cette mobilisation sociale : l’irruption de CRS dans un amphi de Tolbiac où débutait une assemblée générale le 17 mars, une manifestation dispersée à coups de matraques à Lyon le même jour ou encore une réunion empêchée dans les mêmes circonstances à Strasbourg.
Elle rappelle aussi le lourd déploiement policier du 22 février 2014, dans ces mêmes rues nantaises, lors d’une manifestation de grande ampleur contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Nous avions publié une série de témoignages qui soulignaient la provocation d’un tel dispositif.
Le 27 novembre 2007, Pierre Douillard lycéen de 17 ans, est éborgné par un tir de LBD (flash-ball tireur de balles de défense), dans les jardins du rectorat, lors d’un rassemblement anti-LRU. Après six ans de procédure, le tireur Mathieu Léglise est définitivement relaxé.
Le collectif né à cette occasion liste les affaires de violences policière. On y retrouve hélas la mort de Rémi Fraisse, tué par un jet de grenade assourdissante, le 25 octobre 2014, à Sivens. Des témoins ont affirmé devant les juges que l’étudiant toulousain avait les bras en lair, abonde justement Mediapart.
Les manifestants sont-ils de plus en plus violents ? Une chose est sûre, les policiers sont de plus en plus armés.
Éditorial – Notre tristesse est immense et nos mots de solidarité bien peu de choses après l’attaque qu’a subi la rédaction de Charlie Hebdo ce matin.
Cet attentat est une flèche empoisonnée tirée dans le cœur de notre démocratie déjà vacillante. À cette heure, tout semble indiquer que ses auteurs sont des fanatiques islamistes. Des terroristes, qui par définition, souhaitent semer la confusion avec l’espoir de déclencher une nouvelle guerre des civilisations.
Aucune liberté n’est un acquis, encore moins celle de la presse, même dans un pays en paix.
Nous surpasserons cet événement en refusant le piège de l’emballement. S’il marquera sans doute notre décennie, n’en faisons pas un tournant. Refusons les amalgames, le repli et la spirale destructrice de la haine.
En 1574, Étienne de la Boétie écrivait dans son discours de la servitude volontaire :
C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge : qui, pouvant choisir d’être sujet ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse.
Justine Briot, Geneviève Canivenc, Célia Caradec, Gary Dagorn, Romain Deschambres, Sylvain Ernault, Héloïse Kermarrec, Klervi Le Cozic, Cécile Nougier, Hervé Quillien, Vincent Tréguier
Photo de peinture rupestre lybienne de Luca Galuzzi modifiée par G. Canivenc, licence CC-BY-SA
Je me saisis de propos tenus dernièrement par Manuel Valls pour réfléchir un peu au sujet du nucléaire. Bonne nouvelle, ça va s’arrêter, c’est inéluctable. Reste à savoir pourquoi les dirigeants (politiques, entreprises) n’arrivent pas à le digérer, et j’ai ma petite idée sur la question.
Le nucléaire, une grande filière d’avenir
Le 27 août, notre Premier ministre participait à l’Université d’été du Medef. J’ai eu l’occasion de suivre son discours grâce à Twitter. Ladite allocution a été plus que largement reprise et commentée sous beaucoup d’angles différents. Personnellement, une chose m’a sauté à la figure et j’ai regretté qu’elle soulève si peu de réactions. Voilà l’objet :
#Valls « je considère, au-delà de l’indispensable transition énergétique, que la filière nucléaire est 1 grande filière d’avenir » #uemedef14
Notez bien que notre nouvelle ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie Ségolène Royal parle du nucléaire comme d’un atout pour la France, même si dans son cas, les énergies renouvelables occupent le devant du discours.
Wokay. Étudions donc un peu la question.
Un bât qui blesse : la finitude de l’uranium
Toute autre considération mise à part, voici un fait : nous n’avons pas assez d’uranium.
Scan d’un extrait du dossier Alerte à la pénurie, comment relever le défi publié en mai 2012 dans Science et vie, pp 52-71 (accès payant). Cliquez sur l’image pour zoomer.
Sur le sujet, je vous conseille cet excellent dossier de Science et vie de mai 2012 (n°1136). Il détaille l’état des stocks de 26 éléments ainsi que la vitesse à laquelle nous les consommons ce qui promet pour l’essentiel d’entre eux leur raréfaction voire leur disparition. Concernant l’uranium, voici un constat de Marc Delpech, chef de programme de l’amont du cycle à la Direction de l’énergie nucléaire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :
« Compte tenu des besoins du parc nucléaire actuels et projetés, les ressources « raisonnablement assurées » aujourd’hui, soit environ 2,5 millions de tonnes d’uranium, seront entièrement consommées d’ici à 2035″
Retournons le problème, parlons démantèlement et déchets
Le nucléaire est une filière d’avenir, clairement, indiscutablement. Nous sommes parvenus à l’ère du démantèlement des premières générations de centrales. Les déchets que nous avons produits ont 200.000 ans de dangerosité devant eux. Sur le sujet, je vous renvoie à au documentaire diffusé cet été par Arte, Centrales nucléaires, le démantèlement impossible.
Couverture de l’album Léonard super-génie, par De Groot et Turk aux éditions Le Lombart
Ça, c’est donc ce que j’appelle un coup de Léonard. Avec les solutions envisagées à l’heure actuelle, le marché français est estimé à la louche à 150 milliards d’euros par Corinne Lepage, dans le documentaire. Lorsque l’on s’intéresse aux déchets, là c’est 200.000 ans d’activité devant nous.
Pour comparaison, il y a 200 000 ans, l’Europe était peuplée par Néandertal. Voyons, quel autre secteur se projette à l’échelle de temps de l’évolution des espèces ? Ah, le secteur pétrolier qui modifie le climat. Nous parlons encore énergie.
Ce n’est donc a priori pas nous, humbles Homo sapiens qui verrons la fin du nucléaire en tant que gouffre à pognon et source de nuisances environnementales. Le nucléaire, un secteur d’avenir certes, mais c’est sous l’angle d’em***des incommensurables.
Oui mais d’où tirer l’énergie ?
Nous vivons dans un monde dont l’humanité touche la finitude des deux mains et du portefeuille. La matière y est présente en quantités limitées. S’en servir comme source d’énergie est donc une stratégie délicate qui impose un changement de technologie à l’échelle industrielle à chaque fois que nous asséchons une ressource.
Si nous n’avions pas le choix, et toute considération environnementale mise à part, je ne dis pas. Mais regardons ailleurs que sous nos pieds. Là-haut. Plus haut. Voilà. Le soleil. La quantité d’énergie qu’il nous expédie à chaque instant est faramineuse comparée à celle que nous produisons (voir les encadrés de fin pour les sources du calcul).
Visualisons le tout en un graphique.
Voilà ce que représente l’énergie que nous produisons chaque année par rapport à l’énergie circulante reçue du soleil : 0,014 %. Or, rappel, pour générer ce petit bout de fifrelin, nous devons assécher les ressources géologiques (pétrole, charbon, uranium) et réformer notre tissu industriel tous les 50 ans.
Et si on tirait l’énergie d’une source d’énergie ?
Je ne suis pas la seule à savoir faire des calculs. Assurément nos dirigeants ont déjà tout ceci en main, et sans doute bien plus encore. Dans ces conditions, mon interrogation est la suivante : comment se fait-il que le secteur du nucléaire puisse encore être associé au terme « avenir » sachant que le gisement potentiel ouvert aux énergies renouvelables représente 7.000 fois ce que l’on arrive à produire à l’heure actuelle en étant au max de nos capacités (c’est à dire nucléaire + pétrole + charbon et tout de même 13,3 % d’énergies renouvelables) ? Comment peut-on dans ces conditions considérer d’investir des millions et des milliards dans le nucléaire au lieu de les transférer là tout de suite maintenant dans des solutions pérennes ?
Autre question, comment se fait-il que les accros de la croissance économique exponentielle infinie ne se soient pas encore saisis de ça, ne se soient pas même rués dessus ? Du point de vue du marketing, c’est sans comparaison possible.
Du contrôle de la filière
Le renouvelable pose quand même un gros souci pour les grandes entreprises.
Avec le renouvelable, la source d’énergie est très diffuse, l’appareil de production associé doit donc aussi l’être… et d’ailleurs il peut être très divers : panneaux solaires, hydroliennes, éoliennes, arboriculture etc. Tout ça impose de le partager avec le clampin moyen, ce qui allume des alertes rouges partout sur le schéma des cinq forces de Porters. Or, le positionnement stratégique, c’est crucial pour une entreprise.
De la rentabilité
Henri Snaith est un physicien que travaille à l’Université d’Oxford sur des cellules photovoltaïques à base de pérovskite. Selon lui, la combinaison entre les faibles coûts de production et l’efficacité de cette nouvelle génération de composants est en passe derendre le solaire plus rentable que l’utilisation des ressources fossiles. Que voilà une excellente nouvelle. Le « en passe » nous indique toutefois que ça n’est pas encore le cas.
Une entreprise, c’est fait pour gagner des sous
Plaçons nous dans la peau d’un industriel, confronté à une compétition internationale ultra rude. Peut-il prendre des décisions qui d’une part vont fragiliser la position stratégique de sa boite et d’autre part augmenter ses coûts de production ? Selon moi, la réponse est OUI, il peut le faire, mais il n’y a pas du tout intérêt.
Certes, on apprend parfois qu’une Anne Lauvergeon s’est opposée à la vente d’une centrale nucléaire à la Libye lorsqu’elle était à la tête d’Areva. Anticipait-elle un risque si important pour le plus grand nombre que même la bonne marche commerciale de l’entreprise est passée après ? Comment le savoir, peut-être y avait-il d’autres raisons, peut-être pas. Toutefois, cela n’enlève rien au fait que la simple lecture de statuts d’entreprise montre qu’elles sont légalement outillées pour employer des gens, produire des biens et services, faire du commerce, pas pour œuvrer pour le bien général.
De mon point de vue, les résistances que nous vivons à l’heure actuelle sont vouées à lâcher. Pétrole, nucléaire and co vont inéluctablement prendre fin parce qu’ils utilisent la matière comme source tandis que les énergies renouvelables s’en servent comme outil. Ils vont inéluctablement prendre fin parce que d’un point de vue économique, le solaire est en passe de devenir plus rentable que les énergies fossiles. Compte tenu de tous ces éléments, serions-nous en ce moment même sur la ligne de crête matière/énergie ?
Si tel est le cas, perso je croise les doigts que nous la franchissions assez tôt pour que la mutation en cours puisse se faire avec le minimum de dégâts environnementaux et sans période de pénurie. Sur ce dernier point, il ne s’agit pas (uniquement) d’une question de confort. Personnellement je me passerais bien d’une nouvelleguerre du pétrole. Voyons donc ce que les faits vont répondre.
L’ÉNERGIE SOLAIRE CIRCULANTE ANNUELLE
Notre ami soleil nous expédie à chaque instant une moyenne de 1.360 W/m2 (constante solaire, reconnue à peu près partout). Le tout n’est pas disponible, par exemple une large partie est directement réfléchie vers l’espace (environ 30%). Le reste transite d’une façon ou d’une autre par le système planète/atmosphère pour ensuite être réémis, sans quoi nous grillerions tel des œufs au plat à feu vif : en quelques minutes.
Nous en arrivons donc à 240 W/m2 (source : Rebecca Lindsey, Nasa earth observatory, 2009) soit 240 J/s/m2. Si nous ramenons ça à la surface de la planète (510.067.420 millions de m2) pour un an (31.536.000 secondes) nous voilà à 386.051.668 x 1016 joules/an qui se baladent entre chaleur, lumière, mouvements de convection, biomasse et ce dans la croute terrestre, l’atmosphère et les océans.
Attention 1 : ceci est une évaluation du potentiel total. À titre indicatif les agronomes estiment que 50% de cette énergie parvient jusqu’au sol.
Attention 2 : le calcul inclue un grand nombre d’approximations, il faut donc voir dans ce chiffre un ordre de grandeur.
Je tiens à remercier les personnes qui ont accepté de prendre du temps pour vérifier la validité de mes calculs et/ou me mettre en relation avec les bons interlocuteurs, et/ou me donner des infos supplémentaires : Bruno Tréguier, Michel Aïdonidis, l’école de Météo de Toulouse. Nota bene : cela ne signifie en aucun cas que ces personnes cautionnent le contenu de l’article, qu’ils n’ont d’ailleurs pas lu (en tout cas avant publication). Retour au graphique
LA PRODUCTION ANUELLE D’ÉNERGIE PRIMAIRE
Prenons maintenant la production d’énergie primaire par an en 2011 (Agence internationale de l’énergie) : 13.113 millions de tonnes équivalent pétrole. Or, 1 million de tonnes équivalent pétrole équivalent à 4,1868 x 1016 joules (source de l’équivalence : American physical society). Nous sommes à 54.902 x 1016 joules/an. Retour au graphique
Image à la une : photo de peintures rupestres libyennes de Luca Galuzzi, disponible ici sous licence CC-BY-SA 2.5, revue par mes soins.
Controverse – Un récent article de « Marianne » intitulé « On a fact-checké les fact-checkeurs » critiquait sévèrement le fact-checking, cette « lubie journalistique » qui « se prétend science exacte »,mais qui est bien plus subjective que ce qu’on voudrait nous faire croire. Voici donc ma réponse.
Le journalisme est en pleine mutation. À tous les niveaux. Si vous qui me lisez êtes journaliste, vous savez toutes les inquiétudes qui guettent les directions et toutes les questions qui assaillent les journalistes.
Des mutations économiques, des changements de technologies qui induisent un changement de rythme, de culture, etc. Tout ceci provoque une accélération permanente des (r)évolutions de la profession que chaque journaliste perçoit selon son histoire, ses convictions et ses doutes.
Le fact-checking (un anglicisme qui a l’équivalent français peu usité de « vérification factuelle ») fait partie de ces évolutions dans le traitement de l’information et a connu un certain succès en France.
Ces dernières années, nous avons pu observer que ce genre, importé des États-Unis, a fait son bout de chemin en France jusqu’aux grandes rédactions parisiennes. Europe 1 (Le Vrai/Faux de l’info), France Info (Le vrai du faux) ou Le Monde.fr (Les décodeurs) ont développé cette formule éditoriale et d’autres suivront sans doute dans les prochaines années.
En revanche, d’autres médias, ce n’est pas une surprise, ne suivront pas ce chemin (et, d’un côté, c’est tant mieux pour la diversité de la presse) et certains s’en expliquent. Une « mode », un « lubie journalistique », une « pseudo-science », voici quelques qualificatifs utilisés par certains journalistes pour décrire le fact-checking. Vraiment ?
« La vérification, c’est la base du journalisme ». Oui mais…
Un argument que j’entends souvent et que je lis souvent au sujet du fact-checking, c’est que la vérification des faits est la base du métier de journaliste et que, par conséquent, il ne s’agit en aucun cas d’une (r)évolution. D’où aussi la perception de certains que ce genre essaye de réinventer le journalisme en vain.
En vérité, ce que l’on appelle le fact-checking ne consiste pas à vérifier bêtement certaines assertions ou à vérifier la véracité de certains faits.
Le fact-checking est plutôt une évolution très poussée de la vérification au sens où il répond à l’évolution des usages et de la société. La communication a très largement pris le pas sur le factuel, tout spécialement en politique ou les approximations et les mensonges sont quotidiens.
La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes.
Avec l’utilisation, devenue massive, des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter, la circulation de l’information est plus rapide qu’elle ne l’a jamais été. Dans cette évolution, le rôle des médias a décru puisque les journalistes ne sont plus un relais indispensable entre le public et l’actualité. Tout juste sont-ils devenus optionnels. Le fact-checking a pour objectif de répondre à ces nouvelles exigences.
La communication est un enjeu crucial pour les acteurs politiques et économiques. Le fact-checking n’est ni une mode ni un lubie mais bien une vérification poussée et une confrontation plus frontale entre les faits ou les indicateurs qui prennent la mesure de la réalité et la parole politique.
La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes. Elle ambitionne de démonter les coups de communication, qu’ils viennent de partis politiques ou d’entreprises multinationales.
Dire le vrai du faux ?
Dans la famille des arguments tordus, il y a ceux qui s’en prennent au mode binaire de traitement, à savoir que le fact-checking ne saurait donner que deux réponses : vrai ou faux.
Là encore, il n’y a rien de plus éloigné de la réalité que ce cliché éhonté. À vrai dire, la pratique du fact-checking tend à laisser bien plus de place au doute et à la nuance que ne laisserait transparaître la promesse initiale de distinguer le « vrai » du « faux ».
La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de proposer une lecture simpliste du monde, mais au contraire de restituer sa complexité.
Si l’on prend Les décodeurs du Monde.fr, lancés en mars dernier, les articles ne tranchent que rarement sur un « tout à fait vrai » ou un « tout faux ». Et pour cause, les nuances sont nombreuses, expliquées, sourcées, et les biais des statistiques exposées. Ainsi, vous lirez souvent un « pourquoi c’est plus compliqué » ou un « pourquoi c’est exagéré ». La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de donner un monde simpliste, binaire, au lecteur. Au contraire, la promesse est de restituer la complexité du monde.
Car c’est là aussi l’une des clefs qui rend la pratique du fact-checking si intéressante. Le monde, tel qu’il est, est complexe. Pourtant, les idées reçues sont innombrables et tenaces. La pauvreté, les immigrés, la vie politique : ni les sujets minés d’a priori et d’idéologie ni les récupérations politiques ou médiatiques ne manquent. Les couvertures du Point sont là pour le rappeler chaque semaine.
Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.
L’idée du fact-checking, c’est de remettre les faits, rien que les faits, au cœur du débat. C’est une façon indispensable de dépassionner le débat avec des éléments matériels ou statistiques tangibles, susceptibles d’éclairer la compréhension du public.
Le fact-checkeur est-il objectif ?
C’est une fausse question soulevée par certains journalistes qui critiquent volontiers la prétendue objectivité des chiffres et des faits avancés par le journaliste fact-checkeur.
Quand je lis par exemple qu’on critique le choix des « victimes » politiques des décodeurs du Monde, je ris jaune. Selon ce billet, 47% des articles visent les hommes et femmes politiques de droite, ce qui démontrerait une certaine subjectivité des journalistes dans le choix des propos à vérifier.
Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité.
De plus, tous les mensonges/approximations ne se valent pas, loin de là. Cela dépend de la gravité des propos, de l’ampleur de l’intox, de l’influence de son auteur, etc. En fonction de ces paramètres, les journalistes font des choix et les assument. Si la droite est plus contredite par la gauche en ce moment, il y a fort à parier que les bullshits sont plus nombreux de ce côté de l’échiquier politique.
Notez aussi que le journaliste qui fait bien son métier se voit constamment soupçonné d’être complaisant ou complice d’un côté ou d’un autre. Un jour il est marxiste, un autre jour il fait le jeu du FN. Demandez à Samuel Laurent (journaliste au Monde.fr, coordinateur des Décodeurs), il est passé par toutes les couleurs politiques.
Deux articles du « vrai / faux » de l’info d’Europe 1.
Quand ce n’est pas le journaliste qu’on accuse d’être subjectif, ce sont ses sources et les chiffres cités. C’est une critique qui peut se valoir dans le sens où les chiffres découlent d’une méthode de recueillement des données qui comporte ses avantages et ses limites. Il est important de connaître ces biais, pas toujours faciles à détecter, afin de bien repérer les limites de certaines sources.
Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité, ce qui est très différent. Tous ne prennent pas ce recul sur les sources, mais certains le font. Je cite encore une fois Les décodeurs pour bien connaître leur travail, mais ils ne sont pas les seuls à prendre les précautions qui s’imposent sur leurs sources.
Au final, le fact-checking est-il une fausse bonne idée comme certains le prétendent ? Je ne le crois vraiment pas.
Contextualiser les actualités, vérifier systématiquement les coups de com’ des politiciens, évaluer l’efficacité de certaines mesures politiques, démonter les hoax et les idées reçues, c’est un travail d’information impérieux. Si certains croient encore que c’est aussi simple que ça et que c’est la base du métier, qu’ils s’y mettent, on en reparlera après.
Quant aux critiques, si les avis constructifs sont nécessaires et la prise de recul indispensable pour que la profession puisse sainement remettre en cause ses pratiques, les journalistes réfractaires devraient réaliser que le monde a changé, sans quoi ils ne serviront bientôt plus à rien si ce n’est qu’à publier des pamphlets creuxet des unes sur Nabilla.
Le groupe 30 Seconds To Mars a voulu interdire la prise de photos depuis un espace public, le public du concert, aux Vieilles Charrues. Menaces et pressions contre les journalistes.
Récit – Elles ne sont pas vraiment belles et ont pourtant suscité la fureur du groupe de l’Américain Jared Leto aux Vieilles Charrues. Mes photos ont bien failli être effacées à la demande du staff de 30 Seconds To Mars, au mépris de la loi.
Il est 23 h 40 et la prairie de Kerampuilh s’est déjà bien vidée ce dimanche soir. Tout est relatif quand on parle du premier festival de France en fréquentation. Il reste sans doute encore deux bonnes dizaines de milliers de spectateurs.
Je me restaure avec un ami sous le chapiteau de la crêperie centrale et deux chemins s’ouvrent à nous. Monter écouter Birth Of Joy sur la scène Grall, ou descendre voir 30 Seconds To mars devant Glenmor. Nous choisissons la deuxième option, curieux de voir la relation entre le chanteur-acteur Jared Leto et ses groupies.
Depuis quatre jours, je couvre le festival pour ma radio, enchaînant les interviews et les photos destinées aux réseaux sociaux du média, comme convenu dans mon accréditation. C’est la cinquième année consécutive que je viens à Carhaix comme reporter, toujours volontaire car ravi d’y trouver un terrain d’expérimentations journalistiques hors normes.
Dernier concert du week-end, derniers clichés. Nous progressons tranquillement, sans difficulté. Le public n’est compact que dans les cinq premiers rangs.
Le show est très visuel. Les effets de lumière sont réussis et le lancer de gros ballons multicolores plutôt photogénique. Un spectacle unanimement qualifié de « ridicule » par les critiques.
J’avance encore. Comme souvent, j’emprunte une partie de la prairie un peu creuse. Le dénivelé est défavorable et l’espace souvent innocupé. Quelques mètres plus loin, Jared Leto utilise pleinement l’avancée de scène d’une vingtaine de mètres qui s’enfonce dans le public. Parfait.
Le membre du staff du groupe me pointe du doigt pour me faire baisser l’appareil photo. Capture d’écran de la vidéo de Nolwenn C. publiée sur Youtube.
Cinq mètres derrière le public, l’oeil dans le viseur – et non l’appareil porté à bout de bras – je déclenche une première salve. Un agent de sécurité monte soudain sur le marche-pied de la crash-barrière et me fait de grands signes (vous le verrez surgir sur cette vidéo). Le message est clair. Un peu las, je m’arrête. Quelques heures plus tôt j’ai déjà été escorté vers la sortie pour aussi peu (lire l’encadré ci-dessous).
Vous ne verrez donc pas Jared Leto enroulé dans un drapeau breton, ni le jeune fan monté sur scène pour dire quelques mots.
Je sais que les photographies du concert de 30 Seconds To Mars sont prohibées pour les professionnels. L’annonce a été faite sur le tableau de bord des photographes dans l’espace presse. Mais écrire en capitales et souligner trois fois n’accorde pas une subite autorité sur la loi.
Malgré ces recommandations amicales, une quinzaine de minutes plus tard et toujours à la même place, je décide de pointer mon appareil vers la scène, pour une dernière illustration du public, joyeux et parfois même excité. Nombreux sont celles (et ceux) qui photographient où filment avec leur téléphone ou leur compact. Jared Leto invitera même ses fans à brandir leur téléphone à la fin du concert pour une photo relayée sur Instagram et vous n’aurez pas trop de mal à trouver de nombreuses vidéos sur Youtube.
L’ambiance est aux triangles avec les doigts, mais le ton va subitement changer pour moi. Acharnement et caprice : je suis de nouveau visé. Mon humble reflex Pentax K-x, équipé d’en objectif Sigma 18-200 mm d’entrée de gamme semble faire très peur à la sécurité.
« Seven, six, five, four, three, two, one… »
Le même agent enjambe la barrière et me rejoint. C’est en fait un membre du staff du groupe. Il est Américain et c’est peu dire que le dialogue s’engage difficilement. Il veut que je supprime les photos devant lui, or j’ai pris soin de cacher la carte mémoire dans ma poche.
PLUSIEURS PRÉCÉDENTS – J’ai reçu de nombreux « rappels à l’ordre » de la part des agents de sécurité depuis 2010. Toujours pour cause de « photos prises depuis le public ». Un cap a été franchi l’an dernier, lorsque j’ai été exfiltré par plusieurs gros bras pendant le concert de The Roots. J’avais accepté de supprimer la plupart de mes prises de vue. Cette année, pendant Ky Mani Marley, trois agents m’ont mené manu militari vers l’espace presse, me confisquant momentanément ma carte de presse. Les responsables de l’accueil leur ont rappelés que j’étais dans mon bon droit. Mauvaise transmission de consignes ? J’ai alerté les organisateurs sur ce point lors de la conférence de presse de clôture. C’était quelques heures avant 30 STM. Vous connaissez la suite…
Ultimatum, je sors ma carte de presse, rien n’y fait. « OK », je fouille mes poches. Je crois perdre ma carte SD et avec elle tous mes clichés. En toute bonne foi je ne la retrouve pas. Ce quiproquo va jouer pour moi. Compte à rebours : « Seven, six, five, four, three, two, one… » décollage ! Deux autres agents, ceux du festival cette fois, franchissent la barrière et m’empoignent. Ce qui soit dit en passant provoque une certaine agitation. Nous passons de l’autre côté du décor, Jared continue de chanter. Ils m’envoient dans les coulisses, on s’entend mieux pour discuter.
Arrivée près des loges : je suis toujours fermement tenu alors que je n’oppose aucune résistance. Rapide discussion entre le très tatillon membre du staff californien et le chef de la sécurité. Dans l’intermède je retrouve ma carte et accepte la suppression des derniers clichés. Je préfère éviter de passer de mains en mains pendant des heures, puisque je n’ai de toutes façons pas grand chose d’intéressant à sauver. Le président du festival Jean-Luc Martin est juste à côté et, conséquence ou non, la courtoisie est désormais de mise pour les agents qui évitent bien de créer un scandale.
Le chef sécu n’arrive pas à supprimer les photos et en moins de cinq minutes je suis reconduis dehors. Il ne m’a jamais été reproché d’avoir gêné le public, d’avoir créé le moindre trouble à la sécurité ou la bonne poursuite du concert. On ne m’adresse ni justification ni excuse.
Je veux rejoindre mon ami dans le public, mais nouvelle surprise, un jeune agent au polo rose me pousse violemment sur le chemin opposé. Ultime et si dérisoire usage de la force. Ce, de nouveau sous le regard interloqué des techniciens et bénévoles qui passent par là.
J’apprendrai plus tard que l’équipe de Jared Leto n’a cessé de donner des consignes aux réalisateurs vidéo pour qu’ils choisissent leurs plans. Seuls les écrans géants fonctionnaient ce soir-là, tous les téléviseurs, disposés notamment dans l’espace presse, ayant été coupés. Une fois encore, les voeux du groupe ont été exaucés.
Notes complémentaires
AU FAIT, ET LA LOI ? – Je ne suis pas légaliste et cette situation si absurde et décalée, vu les enjeux, ne devrait pas mériter un tel rappel. Pourtant, je dois constater que ce n’est pas en mettant un mouchoir sur ce genre de comportement que les conditions de travail des journalistes s’amélioreront devant les concerts de festivals. Nous devons pouvoir rendre compte de ces moments publics au public. Vous savez, ça commence comme ça et… Je dois donc de nouveau citer le photographe Clovis Gauzy dont la synthèse des textes sur son site est très claires. « Le photo-journaliste, dans le cadre de son activité, ne peut se voir refuser l’accès à un événement seulement pour des questions de sécurité du public ou des artistes, ou de capacité d’accueil, en vertu des articles L333-6 et suivants du Code du Sport. […] D’après l’article 20-4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la Liberté de communication, l’article L333-7 du Code du Sport est applicable aux événements de toute nature qui présentent un grand intérêt pour le public. […] La jurisprudence considère que les artistes, dans le cadre de leurs activités professionnelles, donnent leur autorisation tacite pour la diffusion. Cette autorisation est néanmoins limitée à des activités artistiques ou d’information de la part du photographe, et il n’est pas possible, pour l’auteur, de fournir ces droits à un tiers pour une activité commerciale ou de communication publicitaire. » Journaliste professionnel, je ne commercialise pas mes clichés à un tiers et j’informe mes lecteurs : je suis parfaitement concerné.
Diaporama sonore – Retour en arrière pour l’avortement en Espagne. Depuis le projet de loi déposé en décembre dernier par le gouvernement Rajoy, des manifestations de soutien ont lieu dans toute l’Europe. Vendredi 7 mars, Osez le féminisme 37 organisait, à Tours, une installation plastique participative pour rappeler l’enjeu européen que suscite l’interruption volontaire de grossesse.
Des aiguilles à tricoter, de l’eau de javel, ou encore des cintres, voilà les outils qui seront bientôt à la disposition des femmes espagnoles qui verront les conditions d’accès à l’avortement se réduire au viol et à quelques rares cas de danger psychologique pour la mère.
Outils utilisé dans certains cas d’avortements clandestins. Crédits Romain Deschambres
En décembre, Osez le féminisme n’avait pas attendu pour réagir et avait lancé une campagne virale efficace. Un cintre, l’inscription « nunca mas », une photo et un partage sur les réseaux sociaux.
Il y a l’envie de descendre dans la rue autrement que par la manif.
« La présence dans l’espace public, la volonté de soutenir les femmes espagnoles et l’image des cintres qui existait déjà » sont les trois éléments qui ont donné l’envie à Zazou, plasticienne de proposer cette installation à l’antenne locale de l’association.
L’artiste militante fait part de « cette envie de descendre dans la rue autrement que par la manif ». Participer à cette action, ça veut dire « s’engager ou ouvrir le dialogue ».
Car le militantisme ne doit pas uniquement se faire sur les réseaux sociaux. Osez le féminisme 37 revendique le fait de sortir du virtuel pour engager un dialogue réel.
Rencontre en son et en image.
Une loi européenne
Avec Zazou, nous avons parlé de son installation plastique. Une fois le micro coupé « je n’ai pas parlé du plus important », s’empresse-t-elle de dire. On rallume.
« Le but de cette installation est de faire un rapport auprès du Parlement européen ». Il ne s’agit pas uniquement de sensibiliser sur l’avortement et sur la situation espagnole, mais bien d’agir auprès des institutions européennes.
« Le Parlement européen trouve qu’en matière du droit des femmes, c’est la souveraineté des États. Ils ne veulent pas intervenir au niveau européen. Nous, on préférerait qu’il y ait une protection, de manière à ce que l’Irlandaise, l’Espagnole, l’Italienne ou la Française parte sur un même pied d’égalité »
Les militantes sont facilement repérables grâce à leur code vestimentaire unique. La blouse blanche, en symbole du cadre médical dans lequel l’avortement doit continuer de s’effectuer.
« Certains pensent que nous sommes des sages-femmes. ». Un autre combat, qui n’est pas celui d’Osez le féminisme.
Je demande à l’une d’elles « Qui est la présidente de l’association ? » Certainement le meilleur moyen de se faire détester, on ne tarde pas de me répondre qu’il n’y a « pour le moment pas UNE présidente. Tout le monde est à égalité. »
Une organisation horizontale dans les faits, pyramidale sur le papier. Mélanie Goyeau, non-présidente d’Osez le féminisme 37, se présente alors en porte-parole de l’association.
Mélanie Goyeau, porte-parole d’Osez le féminisme 37. Crédits Romain Deschambres
« À Osez le féminisme, on essaie de sensibiliser les gens qui ne sont pas encore sensibilisés ». À travers ces actions, Mélanie Goyeau veut « aller à la rencontre du public, lui faire prendre conscience que ce n’est pas encore gagné l’égalité. »
On ne veut pas simplement recevoir des fleurs pour la Saint-Valentin.
« On essaye de faire ça de façon ludique et drôle ». Elle prend l’exemple d’une campagne visuelle pour la Saint-Valentin intitulée Couchons ensemble avec une image de couche. « Les hommes et les femmes doivent être équitables dans les tâches ménagères. On ne veut pas simplement recevoir des fleurs pour la Saint-Valentin. »
Au stand café et agrafage de photos sur cintre, une militante appelle à l’aide masculine. « Tiens un homme, tu vas pouvoir me réparer mon agrafeuse ». Ça n’est pas une réaction très féministe. Elle esquisse un sourire. C’est une blague évidemment.