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Li Zhiwu renouvelle l’art de la BD chinoise traditionnelle

Le lianhuanhua, littéralement “images qui s’enchaînent” est un genre en déclin en Chine, méconnu ailleurs… Découvrez la traduction de la BD de Li Zhiwu.

On part en Chine. Mais pas dans la Chine d’aujourd’hui, celle de Xi Jinping. Non. On va assister à la chute de la dynastie mandchoue et à l’avènement de la République de Chine avec la victoire du communisme. « Au pays du Cerf blanc » est, initialement, un récit de Chen Zhongshi publié en 1993, un monument littéraire en Chine qu’il a mis vingt-huit ans à accoucher, une étourdissante fresque historique qui débute en 1911 pour s’achever en 1949, lors de la prise du pouvoir par Mao.

Plutôt que de m’attaquer en 816 pages de la version traduite du roman, (parue aux éditions du Seuil pour les plus courageux), j’ai choisi d’en feuilleter tout autant, mais celles de l’adaptation en bande dessinée réalisée par Li Zhiwu en 2002, dont la traduction française vient d’être publiée. Une adaptation qu’il a choisi de réaliser, selon la tradition de la BD chinoise, en lianhuanhua (ou “images enchaînées”, NDLE).

Une tradition ancienne, millénaire, “mais après 1949, ils ont beaucoup été utilisés par le pouvoir en place pour montrer l’histoire d’une certaine manière et aussi pour mettre en avant l’évolution de la société chinoise”, explique Li Zhiwu.

L’auteur du roman a intégré le parti communiste en 1966. Aujourd’hui ce genre n’est plus vraiment usité en Chine, mais pour lui, c’était incontournable d’employer ce style littéraire pour adapter « Au pays du cerf Blanc ».

Si Li Zhiwu a choisi de respecter une tradition millénaire dans la mise en forme, son style graphique est assez novateur quand on compare son lianhuanhua avec d’autres plus anciens.

“Je m’inspire plutôt d’une tradition issue de la calligraphie ou du dessin de paysages chinois et c’est avec un trait presque caricatural que j’ai eu envie de dessiner les personnages”.

« Au pays du cerf Blanc », Bailuyuan,  page 119 - La Déviation

Li Zhiwu. Crédits Yohan Radomski
Li Zhiwu. Crédits Yohan Radomski

Le style graphique contribue pour beaucoup à l’humour du récit, déjà présent dans les lignes du roman de Chen Zhongshi. Savamment redécoupée, cette bande dessinée traditionnelle qui nous fait parcourir à toute vitesse la vie de ces deux clans : la famille Bai et la famille Lu qui s’affrontent sur le partage des terres, le pouvoir au sein du village du Cerf Blanc…

Au fil des pages et des années, on a l’impression d’être assis au milieu du village à les regarder s’aimer ou se déchirer lorsque les catastrophes diverses, famine, bandits, révoltes s’abattent sur leur village. Et pour ne pas se perdre entre les générations, un petit arbre de chacune des familles a soigneusement été dessinée en fin d’ouvrage.

L’adaptation française en lianhuanhua d’« Au pays du cerf blanc » a été éditée en deux volumes aux éditions de la Cerise. Le tome 2, qui nous mènera jusqu’en 1949, devrait être publié dans quelques mois.

Merci à Yohan Radomski d’avoir traduit les propos de Li Zhiwu.

Au pays du Cerf blanc, Chen Zhongshi et Li Zhiwu, Éditions de la cerise, avril 2014, 29 €.

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L’Arabe du futur, de la Libye à la Syrie

Riad Sattouf on le connaissait dans un registre plus humoristique, avec « la vie secrète des jeunes » publié pendant 10 ans dans Charlie Hebdo ou les aventures de Pascal Brutal chez Fluide Glacial pour lesquelles il avait déjà reçu un Fauve d’Or à Angoulême en 2010. Ce coup ci pas de grosse brute ultra musclée testostéroné et adepte de la bagarre. Non, cette fois, Riad Sattouf nous prend par la main et nous fait rapetisser pour se retrouver à la hauteur du petit Riad, tête blonde et chevelue, adulée de ses parents, dont les 6 premières années d’enfance vont le balader de la Libye de Khadafi à la Syrie d’Hafez Al Assad, on fait même un saut chez sa grand mère maternelle en Bretagne.

Il y a de quoi être surpris donc par ce périple vécu par un enfant, né d’une union entre un syrien venu étudier en France et une bretonne, rencontrée sur les bancs de la Sorbonne mais c’est à Tripoli qu’a grandi Riad Sattouf à la fin des années 70, où son père, Abdel-Razak Sattouf, avait été nommé professeur.

extrait

L’arabe du futur

En fait cette histoire, si elle est racontée par le petit Riad, est véritablement celle de son père, utopiste vouant un culte aux Khadafi, Assad et Hussein et autres grands dictateurs arabes, symboles de modernité et de puissance et meilleur barrage à ses yeux aux obscurantismes religieux… Un utopiste défenseur du panarabisme qui espère que le peuple, une fois éduqué, se libérera des dictateurs…lui qui ne rêve que d’une chose rester vivre dans le monde arabe pour éduquer lui aussi « l’arabe du futur ».

illu arabe du futur

C’est un récit à travers les yeux d’un enfant… mais ce n’est pas toujours rose.

Après la Libye et un court retour en France, Riad part vivre dans le village natal de son près de Homs. Là, parce qu’il a les cheveux longs et blonds il se fait appeler Le Juif. On découvre une société qui, dès l’enfance est obsédée par Israël, qui s’unit autour de la haine d’Israël et on assiste à un après-midi où il va jouer avec ses cousins. On est à hauteur des yeux des enfants en permanence et là on découvre les petits soldats en plastique. Ceux qui représentent les syriens sont dans des positions intrépide et héroïque tandis que les soldats israéliens sont dans des positions fourbes… l’un brandit même un petit drapeau blanc alors qu’il a un couteau dans son dos.

Cette scène comme plein d’autre, nous est montré à la fois avec l’innocence d’un enfant et la pudeur d’un adulte qui ne veut pas noyer ses souvenirs sous une couche indigeste d’analyses géopolitiques qui feraient perdre toute l’essence de cette bande dessinée.

Si le regard posé est candide, on ne nous laisse quand même pas complètement à l’abandon… l’humour se glisse entre les pages à la fois sous forme de texte court en haut des cases qui apportent des indices pour redonner le contexte politique ou via des petits commentaires simplement écrit au bout d’une flèche griffonée et qui nous rappellent par exemple que le chantier dessiné là bas au fond de la case, est abandonné depuis des années.

“L’arabe du futur” est un récit efficace en noir et blanc, qui nous balade  entre l’innocence attendrissante de Riad et la société virile et totalitaire qui lui fait face … et cette lutte permanente de son père, Hafez, coincé entre les coutumes de son pays natal et son envie d’émancipation. L’Arabe du Futur

L’arabe du futur tome 1, de Riad Sattouf est paru aux éditions Allary
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Le mangaka Katsuhiro Ōtomo sacré à Angoulême

Ce 42e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême a mis l’Asie à l’honneur.

L’un des pères du mangaBD japonaises en noir et blanc qui se lisent de droite à gauche et qui se présentent souvent en petit format, à peine plus grand qu'un livre de poche. sacré par le Grand Prix, une belle expo rétrospective sur l’œuvre du mangaka préféré des Français Taniguchi, la présentation de l’adaptation d’un best-steller chinois Au pays du cerf blanc en lianuanhua, une exposition de BD traditionnelles chinoises à l’hôtel de ville, le Prix du Patrimoine attribué à San Mao, le petit vagabond du Chinois Zhan Leping restauré avec soin par les éditions franco chinoises Fei…

On a envie de dire… ENFIN !

Katsuhiro Ōtomo lauréat du Grand Prix 2015

Dès jeudi, le FIBD s’était ouvert par une double première : d’abord un Grand Prix spécial décerné à Charlie Hebdo et pour la première fois le Grand Prix du prestigieux festival a été attribué à un auteur de mangas, le Japonais Katsuhiro Ōtomo.

Le festival avait déjà manqué de sacrer, de son vivant, celui que les Japonais considèrent comme le père du mangaBD japonaises en noir et blanc qui se lisent de droite à gauche et qui se présentent souvent en petit format, à peine plus grand qu'un livre de poche., Osamu Tezuka. Mais si ! Vous savez, celui qui a bercé des générations de jeunes avec Astro, le petit robot. La version animée passait même à la télé en France à partir de 1984.

Contrairement à son idole de jeunesse, qui n’aura pas reçu la reconnaissance qu’il méritait, Katsuhiro Ōtomo n’a pas été oublié.

On le connaît pour sa série Akira. Une histoire futuriste qui met en scène une bande de jeunes motards désœuvrés et drogués dans un néo-Tokyo corrompu. Quelques années plus tôt, en 1982, Tokyo a été détruite par une mystérieuse explosion, déclenchant la Troisième Guerre mondiale, et des destructions successives de métropoles, par des armes nucléaires.

Akira explosion nucléaire Katsuhiro Otomo - La Déviation

Le récit se passe 47 ans plus tard, en 2019. Une nuit, le personnage principal, Tetsuo, a un accident de moto en essayant d’éviter un jeune homme qui se trouve sur son chemin. Blessé, il est capturé par l’armée japonaise et fait l’objet d’expériences scientifiques dans le cadre d’un projet ultrasecret visant à repérer des êtres possédant des prédispositions et à développer leurs pouvoirs psychiques (télépathie, téléportation, télékinésie, etc.).

Quand il s’évade et se retrouve en liberté, Tetsuo n’est plus le même et profite de ses nouveaux pouvoirs pour chercher à s’imposer comme un leader parmi les junkies.

En parallèle, se nouent et se dénouent des intrigues politiques… chacun voulant percer le secret d’Akira, le mutant découvert par les militaires, le plus puissant.

 Et oui, Akira a été adapté en film d’animation et c’est Katsuhiro Ōtomo lui-même qui s’en est chargé en 1988, et ce avant même la fin de l’écriture de la bande dessinée, puisqu’il a mis dix ans a écrire cette saga.

Akira, c’est un peu l’œuvre de sa vie. Mais Katsuhiro Ōtomo n’a pas fait que ça. En 1983, un an avant Akira, cette bombe qui lui vaudra une renommée internationale, il publie Dômu, qui se traduit par Rêves d’enfants.

Un huis-clos oppressant, une histoire paranormale dans une cité d’apparence normale où la police cherche à comprendre pourquoi un quartier de tours bétonnées compte autant de suicides et d’accidents inexpliqués. Ōtomo nous ouvre les portes de cette ville inquiétante en brisant les codes de la BD classique, en nous secouant par des rythmes de narration mouvants et une ligne graphique qui nous perd entre réalisme et imaginaire.

Ōtomo a aussi participé à deux films d’animation comme Metropolis en 2002, qu’il a scénarisé, en s’inspirant du mangaBD japonaises en noir et blanc qui se lisent de droite à gauche et qui se présentent souvent en petit format, à peine plus grand qu'un livre de poche. éponyme d’Osamu Tezuka. Il s’agit, là encore d’une histoire urbaine, mais cette fois d’une cité futuriste, où humains et robots cohabitent.

Dernière réalisation connue, l’adaptation d’un de ses mangas Steamboy, en 2004. Une bande dessinée qui fait partie du genre steampunk, une uchronie sur un monde où la machine à vapeur aurait été l’élément essentiel du développement technologique, un passé alternatif imaginé par Ōtomo , avec encore un goût assumé pour l’immodération et l’abîme.

 

En recevant son prix jeudi soir, l’auteur s’est dit très honoré mais surpris d’être lauréat, lui qui ne dessine plus beaucoup en ce moment a-t-il avoué. “Ce prix sera un encouragement et j’ai l’intention de me mettre au travail”. Chic alors, on a hâte.

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Ne faisons pas le deuil de notre liberté

Éditorial – Notre tristesse est immense et nos mots de solidarité bien peu de choses après l’attaque qu’a subi la rédaction de Charlie Hebdo ce matin.

Cet attentat est une flèche empoisonnée tirée dans le cœur de notre démocratie déjà vacillante. À cette heure, tout semble indiquer que ses auteurs sont des fanatiques islamistes. Des terroristes, qui par définition, souhaitent semer la confusion avec l’espoir de déclencher une nouvelle guerre des civilisations.

Aucune liberté n’est un acquis, encore moins celle de la presse, même dans un pays en paix.

Nous surpasserons cet événement en refusant le piège de l’emballement. S’il marquera sans doute notre décennie, n’en faisons pas un tournant. Refusons les amalgames, le repli et la spirale destructrice de la haine.

En 1574, Étienne de la Boétie écrivait dans son discours de la servitude volontaire :

C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge : qui, pouvant choisir d’être sujet ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse.

Justine Briot, Geneviève Canivenc, Célia Caradec, Gary Dagorn, Romain Deschambres, Sylvain Ernault, Héloïse Kermarrec, Klervi Le Cozic, Cécile Nougier, Hervé Quillien, Vincent Tréguier

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L’Émission Dessinée : le rendez-vous manqué ?

Point de vue – On l’attendait depuis plusieurs semaines cet événement. Pensez donc, « La Revue Dessinée », qui a su se creuser une niche au milieu de la jungle des kiosques à journaux en proposant un défi éditorial audacieux dans un format soigné, et qui se lance à la télé ! Ça promettait !

Me voilà donc à l’heure au rendez-vous. Et avec un lancement pareil, le présentateur Ziad Maalouf semblait avoir donné le la d’une sacrée émission. (voir en intégralité)

L’Émission Dessinée c’est une production indépendante et libre, c’est une œuvre sonore, graphique, visuelle, toutes les séquences seront dessinées et mises en musique.

Inutile de s’attarder sur les flops, gros et petits, qui ont parsemé cette première émission, même s’ils ont commencé tôt : aucun applaudissement à la fin du chouette « générique » siffloté par Bernardo Cinquetti, pour accompagner à la guitare les traits de crayon de Thibaut Soulcié qui proposait une introduction dessinée de cette soirée.

Premier flop à deux minutes du lancement donc, auquel s’enchaîneront les mauvais réglages sons des invités, dont chaque début d’intervention s’est quasi systématiquement retrouvé étouffé.

Face à ces embûches, le choix du direct n’était peut-être pas le plus judicieux (d’autant que la pause de 40 minutes nous a laissé pauvres ères, désœuvrés derrière notre écran alors la prochaine fois que vous voulez boire une tisane ou faire pipi ça peut être sympa de penser à un vide un peu plus récréatif pour nous aussi).

Dommage enfin que l’affichage des noms ait été plusieurs fois erronés face aux visages correspondants. Tout ça ça peut arriver, et ça donnait même un petit air « les copains parlent aux copains ».

Mais voilà, justement, les auteurs présents sur le plateau de L’Émission Dessinée, (alias les locaux de la rédaction de la revue éponyme), semblaient endormis. Peu enthousiastes ou stressés. Bref, la fan de la première heure que je suis attendais un peu plus d’enthousiasme de certains de ses auteurs préférés.

Le grand entretien avec René Pétillon, pas très anglé, a suffi pour plomber définitivement l’ambiance. Il y pouvait rien René, mais 48 minutes a papoter, sans même un verre de bière pour dérider l’assemblée, ça fait long la parlote.

On aurait préféré que ce grand entretien le soit un peu moins (grand) ou qu’il soit découpé et proposé en guise de fil rouge de l’émission. Idem pour les différentes rubriques. Agencées autrement, elles auraient pu donner plus de rythme.

Tac au tac, La tête à tuto, Plans larges

Les bons points reviennent au Tac au tac, proposé en hommage à Jean Frapat, son légendaire producteur décédé le 8 octobre. En croisant les doigts pour que, hommage ou pas, cette capsule continue et se développe dans les prochaines émissions dessinées !

Un tonnerre d’applaudissements aussi à la Tête à tuto, des leçons rigolotes où Loïc Sécheresse et Thibault Soulcié expliquent chacun LEUR façon de dessiner Jean-François Copé… « Mal dessiné, on dirait Gargamel », et celle de Manuel Valls « quid de son oreille gauche ou droite penche le plus ?! »…

Bonne surprise également avec les Plans larges : trois débats pour présenter trois grands reportages parus dans le dernier et l’avant-dernier numéro de la Revue.

Le premier concernait l’enquête de Catherine Le Gall et Benjamin Adam sur les fameux emprunts toxiques qui font des ravages parmi les collectivités locales. Au cours du visionnage en direct, sur Youtube, un spectateur a exprimé dans le forum en ligne, son regret que la journaliste menant le débat n’ait pas demandé au duo comment ils avaient travaillé à la vulgarisation des termes techniques.

La Revue Dessinée est suffisamment innovante avec son parti pris « d’informer autrement » qu’il est dommage d’utiliser le sujet de l’enquête comme prétexte à l’organisation d’un débat qui creuse finalement peu le travail de narration.

« Un lien doit s’établir, avec la volonté d’associer le meilleur des deux rives où chacun joue sa partition : le journaliste, avec sa rigueur de l’info, la qualité de ses sources ; le dessinateur avec la puissance de son imaginaire, sa poésie, ses ficelles narratives », précise l’éditorial du numéro 5 de La Revue Dessinée. C’est cette danse à deux qu’a bien réussi à présenter le deuxième Plan large de la soirée, concernant le long travail d’enquête de Benoît Collombat et Étienne Davodeau sur l’assassinat du Juge Renaud (abonnés Le Monde).

C’est pas le tout de vous voir parler et dessiner, chers auteurs adorés, on veut que vous nous ouvriez la porte de ce laboratoire enthousiasmant qu’est La Revue Dessinée !

Et toi ? T’en as pensé quoi ?

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Les Expériences spectaculaires du lutin lunettes

Si le lutin lunettes donne à penser sans avoir l’air d’y toucher, c’est sans doute parce que son créateur l’a nourri d’une philosophie bien à lui.

J’ai découvert le lutin lunettes aka Pascal Lascrompe à l’occasion des journées grand public de Faîtes l’énergie, le festival quimpérois de la transition énergétique. Il y présentait les Expériences spectaculaires, qui met en scène les questionnements d’Orphise, fils d’Orphucius, comte d’Orphée, de la planète Orphèse du nuage d’Oort, arrivé sur terre sur le dos d’une comète.

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« Hmm, ça sent l’intelligence par ici. »

Quand il était petit, Orphise voulait impressionner son père. C’est ainsi qu’il a commencé à essayer de comprendre, en le regardant cuisiner, comment le blanc d’œuf gluant pouvait devenir ferme.

« Le lutin lunettes est un spécialiste des sciences amusantes. Les notions que j’aborde dans le spectacle relèvent de la physique et de la chimie, mais on s’en fiche. L’important, c’est que nous essayons d’observer le monde et de le comprendre. Plus important encore, on ne rate jamais. Il se trouve que par moments, le résultat des expériences n’est pas celui que l’on attendait. »

lutinlunettes5Pascal Lascrompe, auteur et interprète du spectacle, s’est lancé dans ce nouveau personnage en juillet 2010 avec le soutien du programme Réussite éducative (Rennes) et du collectif ABBP35. Il a créé à cette occasion la Compagnie du nuage d’Oort.

« Je suis comédien, sorti du conservatoire de Rennes en 2003, à la fois fan d’astronomie et de science-fiction. J’ai rencontré les Petits débrouillards (association d’éducation populaire à la science) et ça a été le déclic. Depuis, j’allie mes passions, et c’est là que je m’éclate le plus. »

C’est ainsi que l’on découvre que ce que l’on pensait être de l’eau n’en est pas et qu’il convient de se méfier des apparences et des certitudes. On assiste au gonflement inversé d’un ballon à l’intérieur d’une bouteille et finalement Roméo séduira Juliette en la surprenant et en la faisant rire plutôt que par ses longues tirades enflammées.

Le lutin lunettes essaie d'aider Roméo à séduire Juliette avec une tirade enflammée.
Le lutin lunettes essaie d’aider Roméo à séduire Juliette avec une tirade enflammée.

Les Défis et énigmes (le premier spectacle qui mettait en scène le lutin lunettes) proposait des ateliers parents-enfants. Les Expériences spectaculaires relèvent d’une forme théâtrale plus classique même si la mise en scène offre de grands espaces à l’intervention du public.

Quels sont les avantages du format spectacle par rapport aux ateliers ?

« Les gens sont “protégés”, je leur donne la possibilité de rester passifs s’ils le souhaitent. Et en fait, ils ne le restent jamais. (Je confirme !) Le décor, le personnage, les costumes mettent du rêve, donnent envie, stimulent l’imagination. »

Est-ce bien de l'eau ? Crédit photo : un illustre inconnu du public avec l'aimable autorisation du propriétaire de l'appareil, Babas Babakwanza, tous droits réservés.
Est-ce bien de l’eau ? Crédit photo : un illustre inconnu du public avec l’aimable autorisation du propriétaire de l’appareil, Babas Babakwanza, tous droits réservés.

Les Expériences spectaculaires ne sont ni un spectacle de magie – ici on parle de froid, de chaud, d’air – ni un cours théorique. Même si la loi des gaz parfaits rode, elle ne se montre jamais.

« Je le répète, on ne se trompe jamais. Le “nul” n’existe pas. Quand on tente quelque chose, et bien parfois cela fonctionne comme on l’espérait, et parfois non. Dans ce cas, cela mène simplement ailleurs que là où on le voulait, mais ça n’a pas d’importance. Par exemple hier, avant le spectacle, le décor s’est effondré, ça a cassé du matériel. Très bien, je prends ça comme une expérience. Elle m’a appris que je dois toujours veiller à avoir un lest. »

Selon Pascal Lascrompe, il est possible de divertir de plusieurs manières. Dans tous les cas, son rôle consiste à faire plaisir aux gens.

Stimuler l'imagination, donner envie. Crédit photo : Babas Babakwanza, avec son aimable autorisation, tous droits réservés.
Stimuler l’imagination, donner envie. Crédit photo : Babas Babakwanza, avec son aimable autorisation, tous droits réservés.

Le divertissement que je propose s’appuie sur le questionnement. Certains acteurs et metteurs en scène considèrent que dès lors que cela fait réfléchir, on sort du divertissement pour entrer dans l’art. Je ne suis pas d’accord. Pour moi c’est en s’amusant qu’on apprend des choses. La vie est un divertissement (mine sceptique de ma part). Oui parfois il y a des obstacles. Mais ça n’est pas contraignant, ça prend juste un peu plus de temps, ça demande juste un peu plus de réflexion que ce qu’on pensait initialement. C’est aussi ce que j’essaie de transmettre au public dans le spectacle, parfois pour répondre à une question, cela prend du temps et il faut être patient.”

Quoi qu’il en soit, les spectateurs petits et grands, ainsi que ma personne, remercions chaleureusement le lutin lunettes pour ce bon moment passé en sa compagnie venue des étoiles.

Disclaimer

Pascal et moi faisons partie de la même association. Nous nous étions déjà rencontrés une fois avant que nous prenions connaissance de nos activités respectives. Je précise qu’il ne m’a pas demandé de réaliser cet article, c’est moi qui le lui ai proposé après avoir vu la première représentation.

Crédit photos : prises de vue réalisées à Faîtes l’énergie Quimper 2014. Sauf mention contraire : Geneviève Canivenc, licence CC-BY-NC-ND.

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Réfléchissons nucléaire

Je me saisis de propos tenus dernièrement par Manuel Valls pour réfléchir un peu au sujet du nucléaire. Bonne nouvelle, ça va s’arrêter, c’est inéluctable. Reste à savoir pourquoi les dirigeants (politiques, entreprises) n’arrivent pas à le digérer, et j’ai ma petite idée sur la question.

Le nucléaire, une grande filière d’avenir

Le 27 août, notre Premier ministre participait à l’Université d’été du Medef. J’ai eu l’occasion de suivre son discours grâce à Twitter. Ladite allocution a été plus que largement reprise et commentée sous beaucoup d’angles différents. Personnellement, une chose m’a sauté à la figure et j’ai regretté qu’elle soulève si peu de réactions. Voilà l’objet  :

Notez bien que notre nouvelle ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie Ségolène Royal parle du nucléaire comme d’un atout pour la France, même si dans son cas, les énergies renouvelables occupent le devant du discours.

Wokay. Étudions donc un peu la question.

Un bât qui blesse : la finitude de l’uranium

Toute autre considération mise à part, voici un fait : nous n’avons pas assez d’uranium.

Scan du dossier Alerte à la pénurie, comment relever le défi publié en mai 2012 dans Science et vie, pp 52-71.
Scan d’un extrait du dossier Alerte à la pénurie, comment relever le défi publié en mai 2012 dans Science et vie, pp 52-71 (accès payant). Cliquez sur l’image pour zoomer.

Sur le sujet, je vous conseille cet excellent dossier de Science et vie de mai 2012 (n°1136). Il détaille l’état des stocks de 26 éléments ainsi que la vitesse à laquelle nous les consommons ce qui promet pour l’essentiel d’entre eux leur raréfaction voire leur disparition. Concernant l’uranium, voici un constat de Marc Delpech, chef de programme de l’amont du cycle à la Direction de l’énergie nucléaire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

“Compte tenu des besoins du parc nucléaire actuels et projetés, les ressources “raisonnablement assurées” aujourd’hui, soit environ 2,5 millions de tonnes d’uranium, seront entièrement consommées d’ici à 2035″

Retournons le problème, parlons démantèlement et déchets

Le nucléaire est une filière d’avenir, clairement, indiscutablement. Nous sommes parvenus à l’ère du démantèlement des premières générations de centrales. Les déchets que nous avons produits ont 200.000 ans de dangerosité devant eux. Sur le sujet, je vous renvoie à au documentaire diffusé cet été par Arte, Centrales nucléaires, le démantèlement impossible.

Couverture de l'album Léonard super-génie, par De Groot et Turk aux éditions Le Lombart (http://www.lelombard.com)... Pas si hors sujet qu'il peut y paraître!
Couverture de l’album Léonard super-génie, par De Groot et Turk aux éditions Le Lombart

Ça, c’est donc ce que j’appelle un coup de Léonard. Avec les solutions envisagées à l’heure actuelle, le marché français est estimé à la louche à 150 milliards d’euros par Corinne Lepage, dans le documentaire. Lorsque l’on s’intéresse aux déchets, là c’est 200.000 ans d’activité devant nous.

Pour comparaison, il y a 200 000 ans, l’Europe était peuplée par Néandertal. Voyons, quel autre secteur se projette à l’échelle de temps de l’évolution des espèces ? Ah, le secteur pétrolier qui modifie le climat. Nous parlons encore énergie.

Ce n’est donc a priori pas nous, humbles Homo sapiens qui verrons la fin du nucléaire en tant que gouffre à pognon et source de nuisances environnementales. Le nucléaire, un secteur d’avenir certes, mais c’est sous l’angle d’em***des incommensurables.

Oui mais d’où tirer l’énergie ?

Nous vivons dans un monde dont l’humanité touche la finitude des deux mains et du portefeuille. La matière y est présente en quantités limitées. S’en servir comme source d’énergie est donc une stratégie délicate qui impose un changement de technologie à l’échelle industrielle à chaque fois que nous asséchons une ressource.

Si nous n’avions pas le choix, et toute considération environnementale mise à part, je ne dis pas. Mais regardons ailleurs que sous nos pieds. Là-haut. Plus haut. Voilà. Le soleil. La quantité d’énergie qu’il nous expédie à chaque instant est faramineuse comparée à celle que nous produisons (voir les encadrés de fin pour les sources du calcul).

Visualisons le tout en un graphique.

graphique

Voilà ce que représente l’énergie que nous produisons chaque année par rapport à l’énergie circulante reçue du soleil : 0,014 %. Or, rappel, pour générer ce petit bout de fifrelin, nous devons assécher les ressources géologiques (pétrole, charbon, uranium) et réformer notre tissu industriel tous les 50 ans.

Et si on tirait l’énergie d’une source d’énergie ?

Je ne suis pas la seule à savoir faire des calculs. Assurément nos dirigeants ont déjà tout ceci en main, et sans doute bien plus encore. Dans ces conditions, mon interrogation est la suivante : comment se fait-il que le secteur du nucléaire puisse encore être associé au terme “avenir” sachant que le gisement potentiel ouvert aux énergies renouvelables représente 7.000 fois ce que l’on arrive à produire à l’heure actuelle en étant au max de nos capacités (c’est à dire nucléaire + pétrole + charbon et tout de même 13,3 % d’énergies renouvelables) ? Comment peut-on dans ces conditions considérer d’investir des millions et des milliards dans le nucléaire au lieu de les transférer là tout de suite maintenant dans des solutions pérennes ?

Autre question, comment se fait-il que les accros de la croissance économique exponentielle infinie ne se soient pas encore saisis de ça, ne se soient pas même rués dessus ? Du point de vue du marketing, c’est sans comparaison possible.

Du contrôle de la filière

Le renouvelable pose quand même un gros souci pour les grandes entreprises.

« Les cinq forces de Porter » par milanku — creation personnelle. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.
« Les cinq forces de Porter » par milanku — creation personnelle. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Avec le renouvelable, la source d’énergie est très diffuse, l’appareil de production associé doit donc aussi l’être… et d’ailleurs il peut être très divers : panneaux solaires, hydroliennes, éoliennes, arboriculture etc. Tout ça impose de le partager avec le clampin moyen, ce qui allume des alertes rouges partout sur le schéma des cinq forces de Porters. Or, le positionnement stratégique, c’est crucial pour une entreprise.

De la rentabilité

Henri Snaith est un physicien que travaille à l’Université d’Oxford sur des cellules photovoltaïques à base de pérovskite. Selon lui, la combinaison entre les faibles coûts de production et l’efficacité de cette nouvelle génération de composants est en passe de rendre le solaire plus rentable que l’utilisation des ressources fossiles. Que voilà une excellente nouvelle. Le “en passe” nous indique toutefois que ça n’est pas encore le cas.

Une entreprise, c’est fait pour gagner des sous

Plaçons nous dans la peau d’un industriel, confronté à une compétition internationale ultra rude. Peut-il prendre des décisions qui d’une part vont fragiliser la position stratégique de sa boite et d’autre part augmenter ses coûts de production ? Selon moi, la réponse est OUI, il peut le faire, mais il n’y a pas du tout intérêt.

Certes, on apprend parfois qu’une Anne Lauvergeon s’est opposée à la vente d’une centrale nucléaire à la Libye lorsqu’elle était à la tête d’Areva. Anticipait-elle un risque si important pour le plus grand nombre que même la bonne marche commerciale de l’entreprise est passée après ? Comment le savoir, peut-être y avait-il d’autres raisons, peut-être pas. Toutefois, cela n’enlève rien au fait que la simple lecture de statuts d’entreprise montre qu’elles sont légalement outillées pour employer des gens, produire des biens et services, faire du commerce, pas pour œuvrer pour le bien général.

De mon point de vue, les résistances que nous vivons à l’heure actuelle sont vouées à lâcher. Pétrole, nucléaire and co vont inéluctablement prendre fin parce qu’ils utilisent la matière comme source tandis que les énergies renouvelables s’en servent comme outil. Ils vont inéluctablement prendre fin parce que d’un point de vue économique, le solaire est en passe de devenir plus rentable que les énergies fossiles. Compte tenu de tous ces éléments, serions-nous en ce moment même sur la ligne de crête matière/énergie ?

Si tel est le cas, perso je croise les doigts que nous la franchissions assez tôt pour que la mutation en cours puisse se faire avec le minimum de dégâts environnementaux et sans période de pénurie. Sur ce dernier point, il ne s’agit pas (uniquement) d’une question de confort. Personnellement je me passerais bien d’une nouvelle guerre du pétrole. Voyons donc ce que les faits vont répondre.

L’ÉNERGIE SOLAIRE CIRCULANTE ANNUELLE
Notre ami soleil nous expédie à chaque instant une moyenne de 1.360 W/m2 (constante solaire, reconnue à peu près partout). Le tout n’est pas disponible, par exemple une large partie est directement réfléchie vers l’espace (environ 30%). Le reste transite d’une façon ou d’une autre par le système planète/atmosphère pour ensuite être réémis, sans quoi nous grillerions tel des œufs au plat à feu vif : en quelques minutes.
Nous en arrivons donc à 240 W/m2 (source : Rebecca Lindsey, Nasa earth observatory, 2009) soit 240 J/s/m2. Si nous ramenons ça à la surface de la planète (510.067.420 millions de m2) pour un an (31.536.000 secondes) nous voilà à 386.051.668 x 1016 joules/an qui se baladent entre chaleur, lumière, mouvements de convection, biomasse et ce dans la croute terrestre, l’atmosphère et les océans.
Attention 1 : ceci est une évaluation du potentiel total. À titre indicatif les agronomes estiment que 50% de cette énergie parvient jusqu’au sol.
Attention 2 : le calcul inclue un grand nombre d’approximations, il faut donc voir dans ce chiffre un ordre de grandeur.
Je tiens à remercier les personnes qui ont accepté de prendre du temps pour vérifier la validité de mes calculs et/ou me mettre en relation avec les bons interlocuteurs, et/ou me donner des infos supplémentaires : Bruno Tréguier, Michel Aïdonidis, l’école de Météo de Toulouse. Nota bene : cela ne signifie en aucun cas que ces personnes cautionnent le contenu de l’article, qu’ils n’ont d’ailleurs pas lu (en tout cas avant publication).
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LA PRODUCTION ANUELLE D’ÉNERGIE PRIMAIRE
Prenons maintenant la production d’énergie primaire par an en 2011 (Agence internationale de l’énergie) : 13.113 millions de tonnes équivalent pétrole. Or, 1 million de tonnes équivalent pétrole équivalent à 4,1868 x 1016 joules (source de l’équivalence : American physical society). Nous sommes à 54.902 x 1016 joules/an.
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Image à la une : photo de peintures rupestres libyennes de Luca Galuzzi, disponible ici sous licence CC-BY-SA 2.5, revue par mes soins.

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28 jours plus tard (ou presque)

Reportage – Vous faites quoi demain à 16h ?

Si l’on vient à vous poser la question un de ces jours, lors d’un festival ou au beau milieu de la rue, sous le zénith ou dans la pénombre des projecteurs d’une scène en plein air… Peut-être faudra-t’il vous méfier et surtout ne pas répondre illico… rien, pourquoi ?

Lendemain. 22 août. Lieu de rendez-vous : la caserne Niel à Bordeaux. Cette ancienne manufacture a vu débarquer il y a un an, une épicerie bio, un restaurant bobo, des espaces de travail et puis, vu qu’il restait encore de la place, quelques-uns des bâtiments en friche (ou presque) le sont restés. Sans doute le lieu de tournage, me suis-je dit.

Crédit photo : Zombie Walk Bordeaux
Crédit photo : Zombie Walk Bordeaux

À l’entrée de ce royaume de la récup’, un jeune enfoncé dans un canap’ planté au pied du bâtiment principal nous lance, sérieux, « Bienvenue à U Mad Bro production ». Euuuh, merci.

La signature du papier autorisant l’exploitation de mon image commence à m’inquiéter… J’étais censée « filer un coup de main pour le maquillage », m’avait dit un certain Thomas, la veille au soir. Il est en réalité le producteur du film. Celui-ci arrive la bouche en cœur, lunettes de soleil vissées sur le nez et claque la bise à toutes ses proies, les figurants recrutés de ci, de là.

156061_883578505005275_5725229809439599138_nSi la trentaine de badauds qui poireaute n’a pas l’air plus au courant que nous, ce n’est pas un hasard. « À part le résumé qu’on a posté sur le site, on a fait exprès de maintenir le suspense », se félicite Oliver Henchley, le réalisateur. « Ça fait tellement longtemps que je travaille là-dessus que je n’ai pas envie que ça fuite, explique le jeune homme à catogan. C’est pas un Tarantino mais quand même… il faut vraiment que le public ait cette surprise. »

Quid du scénario, donc ? Oliver se lance, prudemment, pour qu’une phrase n’en n’entraîne pas trop vite une autre, et que j’en apprenne trop. On ne sait jamais, il pourrait se venger en me faisant farder en zombie en phase terminale de décomposition…

Notre web-série va se structurer autour d’un journal d’informations diffusé quelque part sur la Ferre (c’est comme la Terre, mais avec un F). Sur cette planète, les zombies sont apparus pour la première fois il y a 400 ans, alors les gens vivent avec eux. À tel point que, quand ils en croisent un, ils font des selfies ensemble ! Les zombies font partie du paysage, et donc de l’actu, on les retrouve au fil des sketchs lancés sous forme de reportages. – Ah tiens, voilà le héros, annonce soudain Oliver.

Qui a pris le flacon de sang ?!

Bastian Paumier, alias George Putain, arrive en treillis, le sourire en coin. Il est aux zombies ce que Bear Grylls est à la nature. Il a son émission, Man VS Zombie, proposée par la très réputée chaîne « U Mad Bro » (du moins sur la Ferre).

Pas le temps d’en apprendre plus, mon heure a sonné, il est temps de se faire grimer. « Est-ce que je pourrais donner l’impression de m’être pris une balle dans le nez s’il vous plaît ? », « Qui a pris le flacon de sang ? », « On dirait que j’ai les entrailles qui sortent, géniaaaal »… Mon manque d’expertise ès zombie commence à se faire sentir, je me contente donc de m’asseoir et d’enlever mes lunettes.

KlerviC’est froid, ça coule, ça chatouille, c’est mou. Je n’aurais pas cru que mon premier passage entre les mains d’une maquilleuse professionnelle consisterait en ça, mais le résultat est pas mal. À la sortie un monsieur me propose un peu plus de sang au chocolat, parce que j’ai l’air un peu trop « propre ».

Maintenant, en plus, ça colle.

L’inconnu, qui vient également de m’encourager à m’ébouriffer un peu les cheveux pour plus d’authenticité, c’est Zombie One, mais on peut aussi l’appeler Franck Bonhomme. Pour l’heure, il est encore en civil mais, dans le 1er épisode, c’est lui qui incarnera le plus vieux zombie de la Ferre, une star planétaire là-bas. Le cinquantenaire n’en n’est pas à son coup d’essai, il préside la Zombie Walk de Bordeaux, une association qui organise chaque année, à l’automne, une farandole de morts-vivants. Elle fédère aussi toutes les initiatives sur le sujet et, apparemment, il y en a beaucoup. « Films, BD, romans… on met les gens en relation et on s’amuse. »

Lui est tombé dedans ado, bravant les interdits avec ses copains en visionnant le film de George Romero, alors non autorisé à la vente, Dawn Of The dead. « On avait réussi à récupérer le film sur une VHS, on s’était tous planqués dans une petite chambre pour le visionner de nuit, imaginez l’ambiance ! »

Depuis, Franck Bonhomme n’a jamais cessé de s’intéresser aux zombies, bien qu’il y ait eu un long passage à vide dans la cinématographie du genre. « Heureusement, Dany Boyle a fait le revival avec »

Même si 25 ans le sépare de la moyenne des figurants, Zombie One s’en fout. « Il faut avoir l’esprit ouvert pour s’intéresser à ça, ça suffit. Chacun peut y projeter ses interprétations. »

Le zombie est là pour incarner concrètement l’image de la menace, où l’homme a peur de sa propre extinction

Le zombie incarnerait-il les inquiétudes de notre siècle ? On peut critiquer la société de consommation, les crises financières ou politiques (François Hollande bute du zombie dans la BD Zombies Néchronologies), le business des laboratoires pharmaceutiques (28 jours plus tard, Resident Evil), la peur de l’Autre ou la crainte d’une invasion d’une autre planète (Dead Space).

Oliver Henchley donne les dernières consignes avant le tournage.
Oliver Henchley donne les dernières consignes avant le tournage.

Avec tout ça, l’heure a sonné. La trentaine de zombies se rassemble devant une porte de hangar. Notre rôle ? Ouvrir la porte, vite, mais pas trop rapidement quand même, et se précipiter tour à tour sur les deux types en tenue d’air soft puis sur la speakerine en ayant l’air d’avoir faim.

Oliver résume : “Vous devez juste avoir les yeux dans le vide, la tête lourde, les bras ballants, être en quête de nourriture, mais pas trop efficacement quand même vu que vous êtes morts… Des questions ?” C’est parti. Mes jambes sont trop raides, j’essaye de me cacher un peu derrière un grand costaud à lunettes dont le maquillage rappelle les séances trash de prévention routière à l’école.

Je tente des trucs, un peu trop molle, un peu trop motivée à aller croquer un mollet, je mixe la crise d’épilepsie et des crampes de gastro avec une situation d’ébriété avancée. Au bout de quatre ou cinq prises ça commence à venir, même si j’ai encore un peu de mal à coordonner la non-coordination de mes membres. Et tandis que je regrette d’avoir lu plutôt que visionné la série Walking Dead et d’avoir uniquement vu le film le moins crédible en la matière (Shaun Of The Dead), la caméra tourne.

Les scènes s’enchaînent dans une ambiance potache. À force de se pousser pour manger de la viande humaine, les figurants deviennent de plus en plus crades… et on s’arrose de Nesquik entre les prises en commençant à avoir faim, pour de vrai cette fois.

Au bout de cinq heures, c’est fini, ne reste plus qu’à compter les jours avant de voir le résultat.

Verdict ici. Qui sait, j’ai peut-être de l’avenir dans le métier, en plus niveau texte c’est plutôt simple… Gaaaaaaaaa.

Crédits photo : Romain Peyrard

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Mission Knut, l’anti-jeu vidéo

Critique – La dernière fois je vous parlais de Candy crush saga en tant qu’interface d’accès à la recherche en mathématiques appliquées sans prérequis culturel. Cette fois-ci, j’ai envie de discuter de ce qui fait le fun dans le jeu, et d’éducation. Nous en viendrons à Mission Knut, qui représente à mes yeux un Amoco Cadiz vidéo-ludique.

Mais vous savez quoi ? Jouons, on parlera après.

Celui où on est seul

Nous sommes aux sources du casse-tête : votre cervelle contre la difficulté de la configuration proposée, stou. On aime ou on n’aime pas.

Les règles ? Non hein, ça vient tout seul. Et au pire, vous savez que vous pouvez cliquer sur le p’tit point d’interrogation. Le jeu c’est aussi une culture et des codes.

Celui qui vous parle

Encore des carrés, mais là, c’est un peu différent.

Copie d'écran d'une partie de Game about squares. Pour jouer c'est là-bas que ça se passe http://gameaboutsquares.com/ (et toujours sans pub).
Capture d’écran d’une partie de Game about squares. Pour jouer c’est là-bas que ça se passe (et toujours sans pub).

Celui-ci illustre à merveille la notion de progression (pourtant présente dans le précédent). Très régulièrement, les solutions qui vous ont permis de passer au niveau suivant ne suffisent plus, il faut trouver un truc en plus. Bé oué, s’il n’y avait aucun enjeu, on s’ennuierait et clac, on passerait à autre chose. Or, relever un défi, c’est fun. À l’opposé, si on devait commencer par le dernier niveau, pfff, laissez tomber, inabordable (en tout cas pour moi !).

Toujours sans fioriture. Pas de pub ni temps de chargement, accès immédiat, règles du jeu intuitives. Il vous parle de vous entre les niveaux… et ça n’est pas anecdotique. Vous les écoutez vous les gens qui passent leur temps à parler d’eux-mêmes ?

Celui qui a fait le buzz

Si vous l’avez loupé celui-là, c’est que vous avez dû passer les derniers mois à hiberner. Accès immédiat, commandes fluides, graphismes ultra-clairs. Quand on ne voit que la qualité du concept, c’est que tout le reste est au rendez-vous.

Capture d'écran d'une partie de 2048
Capture d’écran d’une partie de 2048, pour tester, c’est là-bas que ça se passe.

Dixit l’auteur, 2048 est dérivé de 1024 de Veewo studio, lui même dérivé de Three, qui s’inspirait des mécaniques du Taquin… Oui, le jeu c’est aussi du recyclage. Parlez-en avec les ayants-droit de My way, le concept d’adaptation, ils adorent. Seule différence pour le jeu vidéo, du fait d’un statut juridique délicat, les mécaniques ne sont que très peu voire pas protégeables. De ce fait, elles restent librement (et gratuitement) réutilisables. Ahah, ça vous en bouche un coin hein?

Pourquoi un principe est-il fun et pas un autre ? Il est parfois possible de l’expliquer a posteriori. Mais soyons sérieux, dans la conception du cocktail qui fonctionne, il y a une bonne partie de mystère. Toujours est-il qu’avec 2048, des millions de gens se sont éclatés à réviser la suite des 2n, sans même parler du fait qu’ils ont abordé des problématiques de ressource limitée, gestion de l’espace etc.

Celui qui console de celui qui a fait le buzz

Vous avez testé 2048, et vous galérez comme un chien mort. Ou alors vous y étiez presque, et paf, un 2 qui pope au plus mauvais endroit. Vengez-vous avec 8402.

Vengeance! Capture d'écran d'une partie de 8402. Pour jouer ça se passe là-bas https://sphere.chronosempire.org.uk/~HEx/8402/
Vengeance ! Capture d’écran d’une partie de 8402. Pour jouer ça se passe là-bas.

En matière de vengeance, on a déjà vu mieux. C’est qu’elle a de la ressource cette evil AI player, de quoi filer des complexes. Bon, on peut faire son/sa susceptible certes, mais une fois la claque digérée, observez puis revenez à 2048.

Hey, vous avez remarqué ? Avec 2048 et son pote, en fait, on joue contre l’ordinateur. Il n’est plus question seulement d’une difficulté statique posée par une configuration à résoudre. Y’a de l’IA.

Celui qui achève ceux qui font les malins avec 2048

Vous faisiez les malins ? Pour moins la ramener, c'est là-bas que ça se passe.
Vous faites les malins avec 2048 ? Pour moins la ramener, c’est 2048-hard, et c’est là-bas que ça se passe.

Voilà, voilà. Vous venez de vous prendre la notion d’équilibrage en plein dans la face. S’il y a IA, il est possible d’ajuster la difficulté. Un jeu qui vous défonce, c’est pas marrant. Et si un jeu n’est pas marrant, il ne concerne que quelques indiens perchés sur leur montagne.

De l’intérêt de connaître le public que l’on vise et de s’adapter à lui.

Celui qui fait la guerre

Okay, le même topo fonctionne avec un autre concept. Amateurs de jeux de stratégie, inutile de perdre votre temps. À ceux qui ne connaissent pas, ça peut faire une bonne intro.

Tout le principe du jeu de strat en 3 graphismes : c'est là-bas que ça se passe.
Capture d’écran de Dicewars. Tout le principe du jeu de strat. en trois graphismes : c’est là-bas que ça se passe.

Quand on n’y connaît rien, on attaque par la configuration à deux joueurs, puis on progresse. Ah ça fonctionne bien, y’a des ptits bruits sympas, un peu de hasard, les différentes IA ne réagissent pas de la même façon tout ça.

Celui qui laisse complètement perplexe

Passons au niveau supérieur. Le jeu qui créé un lien affectif pour faire un truc avec.

Capture d'écran d'une partie de Don't shoot the puppy, jouable là-bas.
Capture d’écran d’une partie de Don’t shoot the puppy, jouable là-bas.

Désolée, j’aurais voulu ne sélectionner que des trucs sans pub, mais je n’ai pas d’équivalent à celui-là qui remplisse le critère. C’est juste énorme, et ce pour plusieurs raisons selon moi.

Ce jeu-là vous saisit par les sentiments pour mieux vous rendre idiot. Vous pouvez trouver ça complètement absurde, inutile etc. Perso, j’ai pris ma clickeuse folle intérieure en flag’ : surtout ne rien toucher alors que j’en crève d’envie. Même si vous vous demandez à quoi ça rime, j’vous jure, testez, allez jusqu’au bout et observez ce que ça génère en vous. C’est passionnant.

Autre élément, après avoir passé huit minutes à déjouer les plans machiavéliques des concepteurs, vous savez ce qu’envie veut dire. Seul bémol, il est possible que la mayonnaise ne prenne que sur les gamers. Nous en revenons à la culture…

Celui qui est beau

À entrer dans le monde de l’agilité, autant le faire de la plus belle des façons.

Aura, par le collectif One life remains (jeux expérimentaux)
Capture d’écran d’Aura, envol disponible là-bas.

Juste owi \o/

Notez bien que pour un tel résultat, le jus de cervelle ne suffit pas. Il faut que ce soit celui d’artistes… accompagnés de développeurs qui maîtrisent. La façon dont les commandes répondent est juste puissante.

Art, ah y est, le mot est lâché.

Celui qui fait pulser l’adrénaline

One life remains, même collectif que précédemment joue encore (ça se sent que j’ai les nerfs d’avoir loupé leur installation en gare de Brest ?).

Pacmad par le collectif One life remains, ça se joue là-bas. http://oneliferemains.com/game.php?game=pacmad
Capture d’écran de Pacmad qui se joue là-bas.

Croquer les ptits pour avoir la ressource d’échapper aux gros quand vous vous prenez les pieds dans le tapis, ça vous parle ? Ajoutez à cela un rythme ultra rapide, et vous obtenez un vrai discours aussi dense que complexe. Inutile d’aller claquer une 3D invraisemblablement réaliste et des équipes de 80 personnes pour ça.
Ça fait de la flippe hein ? Qui a dit que l’art ne suscite que des émotions confortables ?

Voici donc quelques jeux qui m’ont accrochée sur le net. Aucune prétention d’être exhaustive. Il en existe sans doute plein d’autres dans la même veine, le seul défaut expliquant leur absence étant de ne pas s’être trouvés sur ma route. Mon critère pour cet article était que les jeux présentés soient accessibles gratuitement et sans délais.

Techniquement, 99 % des lecteurs ont lâché ce papier pour rester sur un des jeux présentés. Ils louperont donc ce que je peux avoir à dire maintenant. Bon, je pense qu’ils devraient survivre quand même. Pour les autres, la suite porte sur le fait que dans serious game, il y a game.

Celui qui a fait saigner mon cœur

Si j’ai pris la peine de raconter tout ça, c’est aussi pour en arriver à quelque chose qui m’a fait froid dans le dos il y a quelques jours. Maintenant que nous avons quelques éléments en commun, nous pouvons y aller.

Je viens de découvrir Mission Knut. C’est un jeu destiné à faire connaître les pourquoi et les comment du Parlement européen. C’est donc un serious game. Comme le disait notre ami Confucius : « Dis-moi et j’oublierai, montre-moi et je me souviendrai, implique-moi et je comprendrai ». Le fun comme outil pour impliquer les gens, jusque là, tout va bien.

D’abord le trailer.

Je ne peux m’empêcher de penser que quand on n’a pas le budget pour une grosse prod’, on en évite la rhétorique, d’autant qu’en matière de super-héros, le commissaire européen, c’est pas ce qui vient à l’esprit en premier lieu. Erf. Admettons.

Puis vient le jeu à proprement parler (rappel, il est là-bas). J’ai chronométré, en ne lisant rien et en passant tous les textes dès qu’il est possible de le faire, il faut quatre minutes pour poser sa première question (c’est la base du gameplay). En lisant, dommage, c’est indispensable pour comprendre les règles, nous arrivons donc à un bon dix minutes. Dix minutes de culture et de codes technocrate-centrés à ingurgiter, quand on s’adresse à des gens qui eux sont dans le jeu vidéo. Non. Non, définitivement non.

S’il y en a qui jouent pour de vrai, qui ressentent quelques chose en dehors d’un ennui profond, et ce sans faire partie des indiens perchés sur leur montagne (au hasard, les créateurs ou les corps de métiers présentés), qu’ils me contactent. Ça n’est pas une blague. J’ai vraiment envie de savoir. Si de telles personnes existent, ce qu’elles ont à m’apprendre dépasse mon imagination.

Mission Knut Journaux - La Déviation

Revenons à mon steak. La critique est facile certes. Pourtant je ne peux m’empêcher de penser qu’un truc reprenant un peu le principe de Sim city (à ne pas confondre avec Les Sims) aurait bien mieux fonctionné. Peut-être que je sous-estime les temps de développement, que ça n’était pas faisable pour des questions de coût. Dans ce cas, je ne saurais que suggérer de faire appel à des gens tels que ceux à l’origine des exemples précédents.

En fait, je pense avoir une petite idée de ce qui a mené à ce jeu. Ptet qu’il serait judicieux de déposer un dossier de financement auprès de la Commission européenne pour un dispositif destiné à sensibiliser les acteurs de la sensibilisation sur ce qu’il est possible de faire, et ce qu’il faut à tout prix éviter, nan ? (C’est dit sur un ton ironique, malgré tout…)

En écrivant ce papier je pense aussi aux dégâts à moyen-terme d’un tel projet. Avec des précédents de ce type (ne me dites pas que des gens jouent, je n’y crois pas), autant dire que la planche est savonnée au dernier degré pour les artistes et game designers de talent qui auraient un projet à présenter. Tout ça les éloigne encore un peu plus du vrai rôle d’utilité publique qui pourrait leur revenir. À la place, ceux qui arrivent encore à tenir bon se trouvent confinés dans un ghetto de confidentialité.

Mission Knut écolo - La Déviation

Bien sûr qu’il est déterminant se sensibiliser les masses au fonctionnement des institutions. Si pour ça on doit permettre aux gens de mettre à feu et à sang le trafic maritime mondial dans un jeu, et bien pourquoi pas ? Je vous parie un resto que ça ne créera pas une génération de psychopathes qui vont se fader dix ans d’études puis grimper patiemment les échelons afin de se trouver en position de mettre leur projet diabolique à exécution.

PS : si un tel jeu se met en place, envoyez-moi le lien SVP. Moi aussi j’veux mettre le trafic maritime mondial à feu et à sang !

Image à la une : Fun par Elizabeth Hudy, licence CC-BY-ND disponible sur Flickr.

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Nicolas Jarry, maître ès Fantasy

Interview – La fantasy ? C’est un peu comme le chouchen ou le grand huit de la fête foraine : c’est souvent catégorique : on aime ou on déteste. Mais comme on dit toujours, il faut au moins essayer… et la série-concept « Elfes » de Soleil offre l’occasion de se plonger dans un univers graphique et littéraire enveloppant, qui fait flancher même les plus obstinés.

 Promis, ici pas de prosélytisme. Les éditions Soleil fêtent leur 25 ans cette année et pour l’occasion on a rencontré Nicolas Jarry, l’un des piliers de cette maison d’édition, à l’origine de cette série-concept. Voilà simplement l’occasion de vous parlez d’un genre auquel on n’accorde pas toujours notre attention le restant de l’année sur « La Déviation ».

 Discret, souriant, Nicolas Jarry avait l’air un peu perdu parmi les rayonnages du grand magasin où il était convié le temps d’un après-midi, pour une séance de dédicaces. Pourtant, il aurait pu se permettre une entrée pétaradante : une heure avant, les fans rodaient déjà autour de la table, leurs albums à la main, pour y recueillir le précieux paraphe.

Je n’ai jamais pensé pouvoir scénariser de la bd, c’était un univers qui m’était complètement inconnu

De la fantasy traditionnelle, une narration talentueuse, un peu d’humour, des héros consistants… Voilà à quoi tient le succès des récits de Nicolas Jarry.

Les Brumes d'Asceltis tome 5 Nicolas Jarry - La Déviation

Ce n’était pourtant pas prévu. « J’écrivais des romans à la base, je n’ai jamais pensé pouvoir scénariser de la BD, c’était un univers qui m’était complètement inconnu », explique-t-il. Jusqu’à une rencontre fortuite : celle de Jean-Luc Istin, au festival du Film fantastique de Bruxelles. L’un venait pour “Merlin, la quête de l’épée“, l’autre pour les “Chroniques d’un guerrier Sînamm“, un cycle de fantasy paru chez Mnémos.

De cette union va naître une BD, qui fait aujourd’hui référence : “Les Brumes d’Asceltis“. Plus tard, C’est lui qui a signé “Le Trône d’argile” avec Théo Caneshi ou encore “Le Crépuscule des dieux” avec Dief aux dessins.

La suite de l’histoire se passe ici, tendez l’oreille. Nicolas Jarry évoque son œuvre, ses influences… entre histoire et aventure, ses diverses collaborations avec une vingtaine de dessinateurs différents et bien sûr, sa série-concept « Elfes », conçue avec son compère Jean-Luc Istin.

"Elfes", éditions Soleil Nicolas Jarry, Gianluca Maconi - La Déviation

Elfes 7 – Le Crystal des Elfes sylvains

Elfes Tome 7 - éditions Soleil - couverture - La Déviation
Elfes Tome 7 - éditions Soleil - planche 1 - La Déviation
Elfes Tome 7 - éditions Soleil - planche 2 - La Déviation
Elfes Tome 7 - éditions Soleil - planche 3 - La Déviation
Elfes Tome 7 - éditions Soleil - planche 4 - La Déviation
Elfes Tome 7 - éditions Soleil - planche 5 - La Déviation
Elfes Tome 7 - éditions Soleil - planche 6 - La Déviation

(cliquez sur les planches pour zoomer)

Elfes, tome 7, Le Crystal des Efles sylvains, Jarry, Maconi, Eban, éditions Soleil, 2014, 14,50 €.

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La Fête du Bruit fait du reuz

Live report – Plus que l’annulation de dernière minute des Babyshambles, c’est la piètre qualité d’accueil des festivaliers par Régie Scène qui marque d’une pierre noire cette sixième édition de la Fête du Bruit. Elle contraste avec la qualité des concerts.

En cinq ans, la Fête du Bruit peut déjà se vanter d’avoir accueilli Placebo, Stromae, Pete Doherty en solo, Snoop Dogg, Moby, Miles Kane, De La Soul, Shaka Ponk ou encore The Bloody Beetroots. Même les fans de David Guetta on pu l’applaudir en 2012 ! Tout ça en plein centre-ville de Landerneau, non loin de Brest.

Cette année, la société Régie Scène et la ville de Landerneau recevaient le samedi 9 août -M-, The Pogues, 2 Many DJ’s, Tiken Jah Fakoly, New Model Army et Siam. Les Babyshambles, programmés ce même jour, ont dû annuler leur venue la veille, officiellement pour raison de santé. C’est Giedré qui a remplacé le groupe de Pete Doherty, au pied levé.

C’est le lendemain de cette volte-face que je suis arrivé sur le festival.

Au programme : The Red Goes Black, Cats On Trees, The Strypes, Chinese Man, The Hives, Woodkid, et Paul Kalkbrenner. Autant vous dire que l’affiche est alléchante.

Le public de la Fête du Bruit pendant The Strypes

Le concert « sympa »

J’arrive sur le site pendant le concert de Cats On Trees. Le duo, qu’on entend en boucle sur toutes les radios depuis environ six mois, a donné un concert plutôt correct. Ils ne sont que deux sur scène, ce qui n’offre pas de grandes possibilités : la chanteuse est au piano, et le batteur l’accompagne.

C’est sympa, mais ça ne me fait ni chaud ni froid. Le public gardera quand-même en tête leur belle reprise de Mad World de Tears For Fears, et le batteur qui fait tomber une de ses percussions en pleine chanson, sous les rires de Nina, la chanteuse.

Cats On Trees Fête du Bruit 2014 - La Déviation

La révélation

J’avais découvert The Strypes en septembre dernier, lors de l’émission Album de la Semaine, sur Canal+. Sans être un grand fan du groupe, j’avais hâte de voir ce que ces petits prodiges irlandais pouvaient faire sur scène. Ils ont entre 16 et 18 ans, et font déjà des concerts un peu partout dans le monde.

Le groupe arrive à 18 h 15 et met le public dans sa poche en quelques morceaux seulement. On oublie l’âge des membres du groupe, tellement ils semblent matures. Je me demande même s’ils n’ont pas déjà pris un peu la grosse tête, mais qu’importe. Je me laisse aller sur les riffs de guitare et les magnifiques solos d’harmonica, qui sonnent à merveille.

The Strypes - 1

Le concert se termine à 19 h 25, et je me dis que ce groupe là ira vraiment loin. Je les imagine déjà aux Vieilles Charrues devant 50.000 personnes, sur la scène Glenmor (la plus grande scène du festival), avant leurs 25 ans.

Un groupe à suivre, ou à découvrir de toute urgence si vous ne les connaissez pas encore !

The Strypes - Fête du Bruit 2014 - La Déviation

La déception

Je ne connaissais pas tout le répertoire de Chinese Man : seulement I’ve Got That Tune et Get Up. Je m’attendais vraiment à être surpris par le groupe avec des morceaux de ce style.

J’apprécie les deux ou trois premiers morceaux, mais je décroche ensuite. Le concert se transforme en un style mi-rap mi-reggae qui me déçoit énormément. Moi qui pensais avoir la même bonne surprise qu’avec Deluxe au festival du Bout du Monde (lire par ailleurs). Deluxe faisant partie du label Chinese Man Records.

Je pars de la foule pour aller m’acheter une barquette de frites. Je me rapproche de la scène pendant les cinq dernières minutes de leur concert, qu’ils finissent en slam dans le public. C’était la dernière date de leur tournée d’été, et ils semblent heureux d’être là, tout comme le public, qui avait l’air ravi. Peut-être aurais-je dû écouter plus en détail les différents albums du groupe ?

Chinese Man - Fête du Bruit 2014 - La Déviation

La claque

J’avais déjà vu The Hives aux Vieilles Charrues en 2013 (écouter par ailleurs). Je me souviens bien de leur concert qui m’avait marqué par leur énergie folle, et par leur chanteur, Howlin’ Pelle Almqvist, qui est pour moi le plus grand show-man que j’ai pu voir sur scène.

C’est donc avec grand enthousiasme que j’attendais ce concert. Le groupe entre sur scène, et commence par la chanson Come On!, pour échauffer le public. Ça y est, le public saute déjà partout, et c’est parti pour une heure dix de leurs tubes punk. Le chanteur s’excuse de ne pas avoir pu venir en 2009, à cause d’une mauvaise chute lors d’un concert donné la veille en Suisse.

The Hives - Fête du Bruit 2014

Après quelques morceaux, une petite averse commence à tomber sur les festivaliers. Le chanteur s’en amuse : « Je suis tellement chaud que Dieu essaye de me rafraîchir ! », plaisante-t-il en Anglais.

L’averse s’arrête quelques minutes plus tard. Mais on voit au loin un gros nuage arriver : et oui, la pluie est de retour ! Encore une fois, le chanteur prend le micro, et nous promet que « la pluie cessera si vous faites autant de bruit que vous pouvez ! ». Et le groupe entame leur plus grand succès, Tick Tick Boom.

La foule est déchaînée, encore plus qu’aux Vieilles Charrues l’année dernière. Voyant que la pluie ne cesse pas, Howlin’ Pelle Almqvist sort de scène pour venir vers le public. « Maintenant, moi aussi je suis mouillé mes amis, alors vous n’avez plus le droit de partir ! » Ce qu’on ne comptait de toute façon pas faire…

Le concert se termine sous les applaudissements de toute la foule, définitivement conquise, ce qui a l’air d’être une habitude pour le groupe suédois. Un grand succès.

La classe

C’était l’avant-dernière fois que Woodkid montait sur scène, avant de se consacrer au cinéma. Avant d’être le musicien que l’on connait bien, Yoann Lemoine était surtout connu pour avoir réalisé des clips pour Lana Del Rey, Katy Perry, ou Moby. C’était donc une réelle chance de pouvoir le voir ici.

Les musiciens arrivent sur scène pour jouer deux minutes de musique instrumentale, et tout à coup, Woodkid arrive, sous les applaudissements du public. Il commence par le morceau Baltimore’s Fireflies.

Au fond de la scène sont projetés les clips qu’il a réalisé, sur un écran géant, ce qui nous rappelle son premier métier. On sent également un réel travail au niveau de la lumière, pour donner l’effet « noir et blanc » que l’on retrouve dans tous ses clips.

Lui et ses musiciens semblent heureux d’être sur scène, étant donné qu’il s’agit du dernier concert de l’été pour eux. Il jouera presque tous les morceaux de son album The Golden Age. La foule s’agite lorsqu’il dit qu’il va jouer un nouveau morceau, mais il s’agit en fait de Volcano, qu’il joue sur scène depuis novembre 2013…  (Lire par ailleurs : Woodkid au Zénith de Paris au printemps 2014).

Woodkid - 2 - Fête du Bruit 2014 - La Déviation

« Messieurs, cette chanson est pour vous », lance-t-il, avant de commencer la chanson I Love You, dont le refrain est repris en chœur par le public.

Woodkid joue ensuite The Great Escape, puis quitte la scène avec ses musiciens. Je regarde mon téléphone : il reste encore quinze minutes de concert. Il revient donc pour jouer Run Boy Run, qui durera environ dix minutes. Il demande au public de chanter la mélodie, ce que tout le monde fait avec grand plaisir.

La chanson s’arrête, mais pas le public, qui continue à chanter. Les musiciens reprennent donc la chanson avec le public. La chanson s’arrête pour de bon, mais le public continue à chanter. Woodkid et ses musiciens ont le sourire aux lèvres. C’est ce genre de moment qui marquent un concert, que ce soit pour le public, ou pour les gens qui sont sur scène.

Le coup de gueule

Le coup de gueule n’est pas destiné à Paul Kalkbrenner, que je ne suis pas allé voir, mais au festival lui-même. C’était la sixième édition du festival, mais il reste néanmoins de gros points noirs selon ce que j’ai pu voir, et selon les témoignages que j’ai pu recueillir.

Les boissons : 2,80 € pour une boisson, alcoolisée ou non, le samedi (voire même 3,80 € pour une bière blanche !). Franchement, peu de personnes sont prêtes à payer ce prix pour un soda ou un jus d’orange. Le dimanche, les tarifs avaient baissé : 2,50 € pour une boisson. Résultat : les tickets boissons achetés le samedi n’étaient plus utilisables, et ne pouvaient pas être échangés.

Le camping : Payant, et situé à quinze minutes de marche du site, c’était en fait un simple terrain, dans lequel étaient disposées cinq toilettes et des douches, pour l’ensemble des festivaliers.

Le site : J’étais allé à la Fête du Bruit l’année dernière, et le site était petit. Cette année, bien qu’agrandi, le site n’était pas nettoyé. Il restait au fond, au niveau des stands de nourriture, un nombre incalculable de gros cailloux. Il suffisait de quelques énervés pour que le terrain se transforme en réel champ de bataille.

La sortie définitive : Le dimanche, les bracelets deux jours étaient coupés par les bénévoles afin que tous ceux qui souhaitent sortir ne puissent pas rentrer à nouveau sur le site. À 70 € le pass deux jours, j’imagine que certains auraient souhaité pouvoir garder le bracelet… Des festivaliers n’ont également pas pu rentrer sur le site le samedi soir après 1 h du matin, alors que rien ne l’indiquait au préalable.

GiedRé : Remplacer les Babyshambles en quelques heures n’était pas chose simple. Mais en programmant GiedRé, la Fête du Bruit propose la tête d’affiche d’un plus petit festival, le West Fest, qui se déroule à quelques kilomètres de Landerneau, à Guipavas, le 30 août. J’imagine que la plupart des personnes qui auront vu GiedRé à Landerneau n’auront pas forcément envie d’aller voir le même spectacle trois semaines plus tard, et c’est la billetterie du West Fest qui en pâtira…

Public - Fête du Bruit 2014 - La Déviation

« Amer de cette organisation et le non respect du bien être des festivaliers», écrit Caro Line sur la page Facebook du festival, « festival qui perd en qualité d’année en année », renchérit Titou Bzh. « Dommage de ruiner la réputation de ce festival à cause d’organisateur (sic) sans cesse à la recherche de la fortune !!! », s’emporte Chopic Saout. Kévin Beaumont parle lui d’« escroquerie », approuvé par 31 “j’aime”.

Je sais bien qu’il est très difficile d’organiser un festival. Il y a énormément de paramètres à prendre en compte. Néanmoins, Régie Scène n’en est pas à son premier festival : elle organise aussi le festival Insolent, et ont, dans le passé, organisé de nombreux festivals depuis 1995 (Saint-Nolff, Polyrock, Yakayalé…). C’est vraiment décevant de voir autant de ratés en seulement deux jours de festival.

La plupart des festivaliers vous le diront : les concerts étaient vraiment exceptionnels, mais l’organisation n’était vraiment pas digne de la programmation artistique.

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Non « Marianne », le “fact-checking” n’est pas une mode

Controverse – Un récent article de « Marianne » intitulé « On a fact-checké les fact-checkeurs »  critiquait sévèrement  le fact-checking, cette « lubie journalistique » qui « se prétend science exacte », mais qui est bien plus subjective que ce qu’on voudrait nous faire croire. Voici donc ma réponse.

Le journalisme est en pleine mutation. À tous les niveaux. Si vous qui me lisez êtes journaliste, vous savez toutes les inquiétudes qui guettent les directions et toutes les questions qui assaillent les journalistes.

Des mutations économiques, des changements de technologies qui induisent un changement de rythme, de culture, etc. Tout ceci provoque une accélération permanente des (r)évolutions de la profession que chaque journaliste perçoit selon son histoire, ses convictions et ses doutes.

Le fact-checking (un anglicisme qui a l’équivalent français peu usité de “vérification factuelle”) fait partie de ces évolutions dans le traitement de l’information et a connu un certain succès en France.

Ces dernières années, nous avons pu observer que ce genre, importé des États-Unis, a fait son bout de chemin en France jusqu’aux grandes rédactions parisiennes. Europe 1 (Le Vrai/Faux de l’info), France Info (Le vrai du faux) ou Le Monde.fr (Les décodeurs) ont développé cette formule éditoriale et d’autres suivront sans doute dans les prochaines années.

En revanche, d’autres médias, ce n’est pas une surprise, ne suivront pas ce chemin (et, d’un côté, c’est tant mieux pour la diversité de la presse) et certains s’en expliquent. Une « mode », un « lubie journalistique », une « pseudo-science », voici quelques qualificatifs utilisés par certains journalistes pour décrire le fact-checking. Vraiment ?

 « La vérification, c’est la base du journalisme ». Oui mais…

Un argument que j’entends souvent et que je lis souvent au sujet du fact-checking, c’est que la vérification des faits est la base du métier de journaliste et que, par conséquent, il ne s’agit en aucun cas d’une (r)évolution. D’où aussi la perception de certains que ce genre essaye de réinventer le journalisme en vain.

En vérité, ce que l’on appelle le fact-checking ne consiste pas à vérifier bêtement certaines assertions ou à vérifier la véracité de certains faits.

Le fact-checking est plutôt une évolution très poussée de la vérification au sens où il répond à l’évolution des usages et de la société. La communication a très largement pris le pas sur le factuel, tout spécialement en politique ou les approximations et les mensonges sont quotidiens.

La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes.

Avec l’utilisation, devenue massive, des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter, la circulation de l’information est plus rapide qu’elle ne l’a jamais été. Dans cette évolution, le rôle des médias a décru puisque les journalistes ne sont plus un relais indispensable entre le public et l’actualité. Tout juste sont-ils devenus optionnels. Le fact-checking a pour objectif de répondre à ces nouvelles exigences.

La communication est un enjeu crucial pour les acteurs politiques et économiques. Le fact-checking n’est ni une mode ni un lubie mais bien une vérification poussée et une confrontation plus frontale entre les faits ou les indicateurs qui prennent la mesure de la réalité et la parole politique.

La vérification factuelle ne prétend pas réinventer le journalisme, elle prétend muscler le niveau de recherche et d’approfondissement sur des sujets techniques et nuancer les certitudes. Elle ambitionne de démonter les coups de communication, qu’ils viennent de partis politiques ou d’entreprises multinationales.

Dire le vrai du faux ?

Dans la famille des arguments tordus, il y a ceux qui s’en prennent au mode binaire de traitement, à savoir que le fact-checking ne saurait donner que deux réponses : vrai ou faux.

Là encore, il n’y a rien de plus éloigné de la réalité que ce cliché éhonté. À vrai dire, la pratique du fact-checking tend à laisser bien plus de place au doute et à la nuance que ne laisserait transparaître la promesse initiale de distinguer le « vrai » du « faux ».

La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de proposer une lecture simpliste du monde, mais au contraire de restituer sa complexité.

Si l’on prend Les décodeurs du Monde.fr, lancés en mars dernier, les articles ne tranchent que rarement sur un « tout à fait vrai » ou un « tout faux ». Et pour cause, les nuances sont nombreuses, expliquées, sourcées, et les biais des statistiques exposées. Ainsi, vous lirez souvent un « pourquoi c’est plus compliqué » ou un « pourquoi c’est exagéré ». La promesse de pousser la vérification plus loin n’est pas de donner un monde simpliste, binaire, au lecteur. Au contraire, la promesse est de restituer la complexité du monde.

Car c’est là aussi l’une des clefs qui rend la pratique du fact-checking si intéressante. Le monde, tel qu’il est, est complexe. Pourtant, les idées reçues sont innombrables et tenaces. La pauvreté, les immigrés, la vie politique : ni les sujets minés d’a priori et d’idéologie ni les récupérations politiques ou médiatiques ne manquent. Les couvertures du Point sont là pour le rappeler chaque semaine.

Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.
Les formules des décodeurs du Monde laissent la place à la nuance.

L’idée du fact-checking, c’est de remettre les faits, rien que les faits, au cœur du débat. C’est une façon indispensable de dépassionner le débat avec des éléments matériels ou statistiques tangibles, susceptibles d’éclairer la compréhension du public.

Le fact-checkeur est-il objectif ?

C’est une fausse question soulevée par certains journalistes qui critiquent volontiers la prétendue objectivité des chiffres et des faits avancés par le journaliste fact-checkeur.

Quand je lis par exemple qu’on critique le choix des « victimes » politiques des décodeurs du Monde, je ris jaune. Selon ce billet, 47% des articles visent les hommes et femmes politiques de droite, ce qui démontrerait une certaine subjectivité des journalistes dans le choix des propos à vérifier.

C’est bien-sûr totalement ridicule car, comme Raphaël da Silva, qui est datajournaliste à Strasbourg, le rappelle, la bêtise ne peut être symétriquement répartie.

Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité.

De plus, tous les mensonges/approximations ne se valent pas, loin de là. Cela dépend de la gravité des propos, de l’ampleur de l’intox, de l’influence de son auteur, etc. En fonction de ces paramètres, les journalistes font des choix et les assument. Si la droite est plus contredite par la gauche en ce moment, il y a fort à parier que les bullshits sont plus nombreux de ce côté de l’échiquier politique.

Notez aussi que le journaliste qui fait bien son métier se voit constamment soupçonné d’être complaisant ou complice d’un côté ou d’un autre. Un jour il est marxiste, un autre jour il fait le jeu du FN. Demandez à Samuel Laurent (journaliste au Monde.fr, coordinateur des Décodeurs), il est passé par toutes les couleurs politiques.

Deux articles du "vrai / faux" de l’info d’Europe 1.
Deux articles du “vrai / faux” de l’info d’Europe 1.

Quand ce n’est pas le journaliste qu’on accuse d’être subjectif, ce sont ses sources et les chiffres cités. C’est une critique qui peut se valoir dans le sens où les chiffres découlent d’une méthode de recueillement des données qui comporte ses avantages et ses limites. Il est important de connaître ces biais, pas toujours faciles à détecter, afin de bien repérer les limites de certaines sources.

Les chiffres ne SONT pas la réalité, ils sont des indicateurs de mesure de la réalité, ce qui est très différent. Tous ne prennent pas ce recul sur les sources, mais certains le font. Je cite encore une fois Les décodeurs pour bien connaître leur travail, mais ils ne sont pas les seuls à prendre les précautions qui s’imposent sur leurs sources.

Au final, le fact-checking est-il une fausse bonne idée comme certains le prétendent ? Je ne le crois vraiment pas.

Contextualiser les actualités, vérifier systématiquement les coups de com’ des politiciens, évaluer l’efficacité de certaines mesures politiques, démonter les hoax et les idées reçues, c’est un travail d’information impérieux. Si certains croient encore que c’est aussi simple que ça et que c’est la base du métier, qu’ils s’y mettent, on en reparlera après.

Quant aux critiques, si les avis constructifs sont nécessaires et la prise de recul indispensable pour que la profession puisse sainement remettre en cause ses pratiques, les journalistes réfractaires devraient réaliser que le monde a changé, sans quoi ils ne serviront bientôt plus à rien si ce n’est qu’à publier des pamphlets creux et des unes sur Nabilla.

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